Don't drink and talk [Shin & Maya]

- "Mais si tu vas voir, ça va être cool !! Et puis ça va te faire du bien, t'as l'air un peu trop à cran depuis la rentrée !"

Ça, c'est que Nobuo, un des rares collègues avec qui je m'entends bien, m'a dit pour me convaincre de venir ce soir. Je ne suis jamais contre boire un coup et me vider la tête, mais je préfère le faire quand il n'y a pas "une pote" dans le lot. Une pote que je ne connais pas et avec qui je vais donc devoir faire un effort de socialisation avant d'atteindre un niveau d'alcoolisation qui me permet de ne plus ressentir l'inconfort de l'inconnue.

- "Je suis vraiment désolé mec, je suis toujours bloqué sur ce foutu projet j'arrive pas à sortir le résultat je ne vais pas pouvoir venir. Mais amusez vous sans moi !"

Et ça, c'est le message que j'ai reçu alors que j'arrivais devant ce bar où on était censés se rejoindre. Si j'ai hésité l'espace de quelques secondes à faire demi tour, c'était quelques secondes de trop, puisqu'une nana inconnue est rapidement venue m'aborder sous prétexte qu'on avait un ami en commun. Alors si le terme "ami" est probablement bien trop ambitieux pour qualifier ma relation avec ce type qui venait de me planter (et qui par conséquent est descendu de quelques crans supplémentaires dans l'échelle de mon estime), je crois que j'ai eu une subite montée de flemme à l'idée de prendre immédiatement le bus en sens inverse. Autant profiter d'être là pour prendre quelques verres. Au pire, vu que la meuf n'est visiblement pas venue seule non plus, je vais pouvoir me contenter d'ignorer leur conversation tout en picolant tranquillement.

J'ai presque cru que ce plan allait marcher vu comment la blonde me regardait. Genre, comme si elle se méfiait. Pourtant j'ai l'habitude des regards accusateurs à cause de mon look général, mais d'une, ça vient souvent de vieux japonais ultra coincés, et en plus ce n'est pas tout à fait comparable. Mais ce n'est pas comme si j'allais m'en formaliser. Elle peut bien penser ce qu'elle veut que je ne vais pas chercher à lui faire changer d'avis. Je crois que j'ai réussi à m'en sortir assez bien niveau nombre de mots prononcés, les filles réussissant à mener la conversation sans que je n'ai trop besoin d'intervenir, jusqu'à ce que cette question directe m'oblige à formuler une vraie phrase.

- "Ouais."

Ok, en vrai je ne suis pas encore au top niveau conversation, il me faut quelques secondes supplémentaires pour tenter de faire mieux qu'un mot.

- "Mais j'ai un peu de mal à rester enfermé là bas H24."

Pourtant je ne suis déjà plus totalement sobre et je sens bien les premiers effets de l'alcool arriver. Mais il faut croire que ce n'est pas encore suffisant pour me rendre plus bavard. Peut-être que j'ai juste besoin d'un temps de démarrage. Non mais faire semblant de m'intéresser aux gens que je ne connais pas, je n'ai jamais su faire.

En fait, peut-être bien qu'elle commence à être amusante la petite blonde. Ou alors elle commence à avoir trop bu ? Ou il y a peut-être juste une forte corrélation entre ces deux éléments. Non mais quand elle arrête de me regarder de travers, forcément ça va un peu mieux. Et ce n'est pas très compliqué de deviner en la regardant qu'elle ne fait pas partie de ces gens qui rentrent bien sagement dans les rangs. On ne peut pas dire qu'elle manque de personnalité. Ni de caractère d'ailleurs. Et elle a l'air de pouvoir parler pour deux, ce qui dans mon cas est assez avantageux il faut avouer.

- "Ahah tu parles, les profs j'suis sûr ils faisaient partis des premiers à se prendre des caisses à "l'époque" ! Et sûrement encore maintenant. Franchement, ça doit être tellement déprimant comme job, j'vois pas comment ils tiendraient autrement !"

Ok, je veux bien que certains affirment faire ce métier par passion mais honnêtement... J'ai toujours du mal à y croire. Non, moi je crois plutôt qu'on se retrouve à faire prof par manque de passions justement. Ou parce qu'on est trop nul pour évoluer dans ce qui nous plait vraiment. Mais là c'est encore plus pitoyable. Ouais bah j'suis sûr quand ils sortent entre eux ils taillent du sucre sur le dos de leurs élèves, alors on peut bien faire pareil. C'est dans l'ordre naturel des choses.

- "Shintaro Lawson. Et toi ? Tu fais quoi d'ailleurs à KHS ?"

Retourner une question qui fait sens, certes une solution de facilité pour donner l'impression de tenir un minimum la conversation, mais en plus dans ce cas là, ça m'évitera de passer la soirée avec une personne et de me rendre compte le lendemain que je ne sais même pas comment elle s'appelle. Ce qui ne m'empêche pas non plus de dormir hein, mais tant qu'à faire, pour une fois qu'une personne ne me tape pas sur le système après plusieurs minutes passés avec, autant en profiter. Et vous noterez l'usage d'une question supplémentaire, posée de mon plein gré. Non mais parce que je ne me souviens pas l'avoir vu certes, mais ce n'est pas comme si mon niveau d'attention sur mes petits camarades à l'école était suffisant pour me faire retenir un visage.

C'est vrai qu'on a pas mal de profs qui sont encore assez jeunes. Il y a bien quelques anciens qui se baladent sur le campus, mais globalement pour la plupart que j'ai vu, ils doivent encore être dans la première moitié de leur carrière. Est-ce qu'il y a beaucoup de turnover dans ce genre de profession ? Aucune idée. Et je m'en fiche en fait.

- "Ouais, et c'est carrément relou de leur devoir autant de respect quand on sait que certains ont juste à peine quelques années de plus."

J'y peux rien si ce système de reconnaissance typiquement japonais ne m'a jamais convenu. Tout ça parce qu'ils ont enchainé les études et passé quelques diplômes ils seraient supérieurs et posséderaient tout le savoir. Ça me gonfle. Et pour essayer de ne pas trop y penser, je reprends une gorgée de mon verre.

Maya Wayne. Bon, elle n'a pas franchement l'air asiatique c'est vrai, et là c'est totalement confirmé. Pourtant elle parle bien. Même si sa réponse suivante me laisse quelque peu perplexe. La tête légèrement penchée sur le côté, j'essaie de savoir si elle est sérieuse ou non. Et il s'avère qu'une fois de plus, j'ai un peu de mal à saisir toute la subtilité des blagues humaines.

- "Oh."

Oui bah il faut que je remette tout dans le bon ordre maintenant. Sans compter que l'alcool qui se mêle actuellement à mon sang pour irriguer mon cerveau n'aide pas des masses. Et en plus ça se retourne contre moi.

- "Heu moi... Je suis un cursus artistique. Musique, cinéma, design. Mais, pas d'arts par contre. Et, hum, j'ai repris les cours après avoir arrêté pendant quelques années. Du coup j'ai l'impression que tous les gens de ma classe sont des gamins, ça rend les cours encore plus relou."

Eh, j'ai jamais dit que j'étais de bonne compagnie hein.

- "Tu comptes faire quoi avec toutes ces matières ?"

Comment ça qu'est-ce que j'entends par si bien ? C'est évident non ? J'hésite un peu avant de répondre, ne sachant pas très bien si cette question est sérieuse ou non (franchement des fois ça m'aiderait que tout le monde dise sans détour ni sous entendu ce à quoi il pense vraiment).

- "Bah, si bien en dehors du bahut. Enfin, pas en tant que prof quoi."

Est-ce qu'il faut vraiment que je donne plus de précisions ? C'est pas comme s'il devait y avoir beaucoup de monde au sein de l'école qui l'appelle de cette façon. Et on dirait bien que je ne suis pas au bout de mes peines. Comment ça je me contredis maintenant ? J'écoute la suite de son raisonnement non sans perdre mon air perplexe. J'ai rien pigé.

- "Mais qu'est-ce que tu racontes ?"

Ok, là c'est sorti tout seul, je ne capte décidément rien à ce qu'elle peut dire.

- "Je ne me contredis rien du tout. Je dis juste que j'en sais rien de si je peux me considérer comme mature mais que la plupart des gens de ma classe sont des boulets, j'vois pas où est le problème. Sérieux, j'sais pas c'que tu bois, mais j'ai l'impression qu'on parle pas la même langue."

Ok, je comprends de moins en moins comment est-ce qu'elle peut bien connaitre une prof sans pouvoir la voir en dehors des cours. Mais ça fait bien longtemps que j'ai abandonné l'idée de comprendre un jour le raisonnement humain. Je crois que le mieux c'est encore de ne pas chercher à comprendre. C'est pas dit que la réponse me plaise particulièrement, alors dans ce cas là, le plus simple c'est encore d'ignorer soigneusement le sujet.

En revanche dès que ça me concerne un peu plus, je crois que mon égo se sent un peu trop titillé et a du mal à accepter de laisser les choses couler sans rien dire.

- "Je ne suis pas du tout énervé..."

Non, clairement je pense être encore tout à fait calme. Ou c'est juste qu'elle n'a aucune idée de comment je peux être quand je suis énervé. Et la suite ses paroles ne trouvent pas beaucoup plus de logique dans mon esprit. Pourtant j'essaie. Ou je n'ai juste pas encore assez bu pour être à son niveau de divagations. Non vraiment, je crois que ça me parait tellement incohérent que je ne sais même pas ce que je pourrais bien lui répondre. Et ça doit assez facilement se voir à l'expression totalement perdue que prend mon visage.

- "... Tu peux bien penser ce que tu veux de moi, c'est pas comme si j'en avais quoi que ce soit à faire. Et je me considèrerai davantage chanceux si l'élue la fermait un peu plus au lieu de sortir des conneries incompréhensibles."

Oui bon, bah à un moment ça va, j'ai pas dit que j'avais une patience légendaire non plus.

Est-ce que je suis déjà en train de "mordre". Une fois encore, je n'en ai pas l'impression, mais vu la réaction des gens qui restent trop longtemps à me parler, je ne suis pas sûr de bien identifier à quel moment mes mots dépassent ce qui est attendu. Mais ce n'est pas comme si ça pouvait m'importer. Alors au lieu d'essayer de me justifier ou de contredire ses mots, je préfère juste faire signe à un serveur qui passe non loin de nous pour lui demander de me remettre un verre. Pas dis que ça rende ma compagnie plus agréable, mais pour moi, ça m'aide généralement à mieux supporter ceux qui m'entourent.

- "Je cherche pas à être méchant... Tu dis juste des trucs sans queue ni tête pour des raisons obscures en plus, bien sûr que je n'vais pas acquiescer juste pour te faire plaisir."

Je sais que c'est pourtant une pratique courante et souvent attendue par les autres. Probablement encore plus quand on est une fille et qu'on discute dans ce genre d'endroit avec un mec. Mais faire plaisir à mon interlocutrice, ça a toujours été le dernier de mes soucis.

D'ailleurs, je ne sais pas très bien à quoi est dû ce revirement de conversation. Elle n'avait pourtant pas l'air du genre de fille à éviter soigneusement tout conflit vu son comportement des secondes précédentes. Mais comme on dirait bien qu'elle tente de faire un effort, je peux bien essayer aussi.

- "Je fais de la musique. Et, j'aime bien jouer à des jeux videos de temps en temps aussi."

Pas d'excès d'enthousiasme. Non mais déjà je trouve ça bizarre que cette question arrive là maintenant, et c'est pas comme si j'aimais particulièrement déballé ma vie à tout le monde alors il faudra déjà se satisfaire que j'ai accepté de répondre.

Qui c'est qui imagine des choses là ?

- "Attend... C'est moi que tu qualifies de mystérieux, ténébreux et vilain ?"

Franchement, cette conversation est tellement bizarre que je ne suis même plus sûr de savoir de quoi elle parle exactement... Bon, peut-être que ce descriptif est celui que beaucoup de gens pourraient me coller à la peau après m'avoir adressé la parole deux minutes, mais j'avoue que je trouve ça ultra vexant. De nous deux je ne suis pas sûr d'être celui qui ressemble le plus à un dark émo.

Est-ce que ce ne serait pas le moment de me barrer ? Non mais parce que déjà que ça me gonfle de devoir tenter de maintenir une discussion (ok, c'est pas vraiment grâce à moi qu'elle avance) mais si c'est pour m'entendre dire des choses aussi désagréables, je ne vois pas l'intérêt de rester. Sauf que cette meuf est en fait un vrai moulin à parole et la voilà déjà qui embraye sur beaucoup trop de questions. Je regarde mon verre plein devant moi. C'est peut-être la seule raison pour laquelle je suis toujours là.  Et parce que j'ai un peu trop d'égo qui m'empêche de ne pas avoir le dernier mot aussi...

- "Tu fais toujours semblant de t'intéresser à la vie des gens après les avoir insultés ? Parce que si les autres sont suffisamment polis pour faire comme s'ils ne remarquaient pas que tes remarques sont aussi stupides que déplacées, c'est pas mon cas. Mais globalement, je joue de trop d'instruments pour t'en faire la liste et j'suis sûr que je te bats sur n'importe quel jeu de baston."

Et je m'y connais en remarques déplacées et comportement désagréable. D'ailleurs, mon ton parfaitement hautain qui accompagne ma dernière phrase le prouve assez bien. Seulement, si j'agis de la sorte, c'est généralement pour ne pas donner envie à mon interlocuteur de prolonger la discussion et le voir tourner les talons. Alors forcément, j'ai du mal à ne pas trouver sa façon de faire aussi hypocrite qu'incompréhensible.

Je ne compte pas remettre en cause le fait que le mur puisse être plus sympa que moi. Seulement ce serait tomber encore plus bas que de me lancer dans ce genre de discours. Et dans ces cas là, la meilleure option est encore de la laisser parler seule. A la place, je préfère hausser les sourcils et m'occuper du contenu de mon verre. Si le mur est plus sympa que moi, ma boisson pourrait peut-être être moins saoulante que cette fille.

- "Tu ne voudrais pas aller jouer à embêter quelqu'un d'autre ?"

Ça, c'est quand elle se rapproche un peu trop. Je n'ai jamais été ultra à l'aise avec la proximité physique, encore moins quand c'est avec quelqu'un que je ne connais pas. Mais il faut croire que ce n'est pas dans ses plans. Sauf que pour une fois, elle dit quelque chose qui pourrait être intéressant. Pourrait. Parce qu'il y a quand même un détail qui coince.

- "Et comment tu veux qu'on vérifie ça ?  A moins que tu n'aies accès à une salle vip où des consoles sont branchées, je ne vois pas bien ce que tu vas pouvoir faire."

Parce que je ne serai pas du tout contre lancer une partie. Déjà, ça limiterait peut-être les conversations bizarres. Ensuite, c'est toujours un bon moyen de passer ses nerfs quand on n'a malheureusement pas d'autre solution sous la main. Oh, je pourrais aussi juste me barrer mais.... Je crois que je n'ai pas très envie de lui donner ce plaisir.

Si je suis embêtable, alors elle, elle est parfaitement chiante. Et puis c'est quoi ce sourire là ? D'où est-ce qu'elle trouve la situation aussi amusante ? Rah elle m'énerve. C'est comme si elle était contente d'être ultra relou. Un peu comme un sport national. Et elle est bien partie pour finir championne olympique. Pourtant, des gens insupportables j'en ai connu un paquet, mais elle, elle est carrément d'un tout autre niveau.

- "Franchement, je sais même pas c'que ça veut vraiment dire positif venant de toi."

Oui, à tous les coups c'est encore un truc qui va plus m'emmerder qu'autre chose. En revanche, je dois bien admettre que l'entendre prétendre que je peux avoir peur me vexe pas mal. Non, bien sûr que je ne peux pas la laisser dire un truc pareil sans que mon égo ne se manifeste. Sauf que j'étais très loin d'anticiper la suite. Alors que j'allais lui répliquer qu'elle n'est clairement pas effrayante, elle... S'assoit sur mes genoux. Comme ça. Comme si on se connaissait. Ou comme si ce qui s'était passé dans la soirée jusque là pouvait laisser penser qu'elle pouvait tout à fait agir de la sorte sans que ça ne me déplaise.

Il me faut quelques secondes pour comprendre vraiment ce qui se passe. Parce que ouais, je suis un peu pris au dépourvu là. Et clairement, j'ai pas franchement l'habitude de ce genre de chose. Alors quand la surprise passe et que j'arrive de nouveau à me retrouver maître de moi-même, c'est d'abord avec un léger mouvement de recule que je réagit, avant de me relever pour la forcer à en faire de même, et à quitter mes genoux par la même occasion. Forcément, pour ça je n'ai pas d'autre choix que de placer mes mains sur ses épaules pour "l'aider" à reprendre une place plus adéquate et remettre un semblant de distance entre nous. Brr.

- "Tu crois vraiment être en position d'exiger quoi que ce soit ? Sans compter que j'ai du mal à croire que tu es capable de prévoir quelque chose. T'as juste des idées à la pelle qui te traversent l'esprit et tu les prends comme elles viennent sans réfléchir."

Mon ton se fait bien plus froid, en accord avec le regard que je pose sur elle à présent.

- "Mais ok. Si tu veux vraiment qu'on se fasse une partie, alors trouve un endroit où on puisse jouer. Ensuite, je te montrerai que tu te plantes."

Je n'y comprends rien. Mais je crois que je commence à m'être fait une raison. Je n'essaie même pas de réfléchir au sens de ses propos qui ne trouvent pas écho dans mon esprit. Non, je préfère me contenter de finir mon verre. Ce qui ne m'aide pas beaucoup plus à supporter ses bavardages. Je vais finir par choper un sacré mal de crâne, et pas à cause de l'alcool. Jusqu'à ce qu'elle ne franchisse cette dernière barrière physique qu'il y avait encore entre nous. Non, vraiment, ça je ne peux pas.

- "Si tu me trouves violent en ce moment, tu devrais finir la soirée avec quelqu'un d'autre."

Parce que je trouve que je me contrôle encore plutôt très bien. Et je ne sais pas combien de temps je vais réussir à rester aussi courtois. Bien sûr que je le suis.

- "Je ne resterais pas tout seul dans mon coin si les gens étaient un peu moins chiants. Et c'est pas comme s'il y avait beaucoup plus intéressant à faire dans un bar."

Ou si le pseudo type qui me sert d'ami ne m'avait pas planté au dernier moment. Non mais "sympathiser en soirée" c'est un concept que je ne maîtrise pas des masses.

- "Je suis déjà debout. Ne crois pas que je vais me défiler si facilement."

Je ne suis peut-être pas une pile électrique comme blondinette, mais je ne compte pas rester à la traine. C'est juste que ma nonchalance habituelle a tendance à me donner l'air bien mon enthousiaste. Ce qui est peut-être aussi le cas. Mais en y réfléchissant trente secondes, ce sera sûrement toujours une meilleure option que de rester dans ce bar à me prendre la tête avec cette nana dont je ne comprends pas la moitié des propos. Et comme elle parlait d'arcades, je prends la direction de la sortie. Il doit bien y avoir une salle d'ouverte quelque part.

- "Et essaie de ne pas avoir l'air trop défoncée en marchant. Ce serait gênant."

Marrant n'est pas vraiment l'adjectif que les gens utilisent pour me qualifier habituellement. En tout cas, elle a de la suite dans les idées, et au milieu de tous ses défauts, on va dire que ce n'est pas si mal. Même si pour le coup ça pourrait me gonfler. Mais dans le fond, je dois bien admettre que passer mes nerfs sur une machine pour finir la soirée plutôt que de continuer à subit cet environnement dans lequel seul l'alcool réussi à se montrer être un compagnon à peu près acceptable, c'est plutôt une bonne alternative.

- "C'est toi qui présume que je suis triste. Pour ce qui est d'être chiant, je ne t'ai jamais forcé à rester à côté de moi non plus, tu pouvais très bien trouver meilleure compagnie si c'est si dur de me supporter."

C'est vrai ça, d'habitude les gens abandonnent bien plus vite. Non mais je ne suis d'humeur ce soir (comme souvent ok), je sais que je ne suis pas le mec avec qui tout le monde va vouloir passer sa soirée. Pas besoin de le souligner. Heureusement, au lieu de continuer à fournir arguments et contre arguments tous moins sensés les uns que les autres, il y a enfin quelque chose d'utile qui s'amorce. Se barrer d'ici. Sauf qu'après quelques pas, j'ai soudain des doutes sur le génie de cette idée...

- "Bien sûr que si tu..."

L'es. Bourrée. Mais pas le temps de finir ma remarque que Maya se décide à prouver que j'ai parfaitement raison. En me tombant dessus. Sauf que malheureusement, je ne suis pas un c*nnard fini non plus, alors non, bien sûr que je ne la laisse pas seulement s'étaler au sol et m'écartant. Non, les quelques réflexes que je possède encore me permettent de la rattraper, lui évitant la chute. Par contre, moi, ça ne m'évite pas l'embarras.

- "Et là tu vas me faire croire que t'avais tes lacets de défaits c'est ça ? Parce que si c'est une technique de drague, elle est très mauvaise."

Je prends un ton volontairement railleur pour ajouter cette conclusion. Pas qu'elle ait montré un intérêt particulier depuis le début de notre conversation, mais vu comment je suis incapable de déceler la moindre once de logique chez cette fille, je préfère prévenir. Tout ça est déjà bien assez gênant comme ça.

J'ai du mal à saisir en quoi elle m'aide à voir la vie du bon côté. Ce serait plutôt l'inverse en l'occurrence. Mais ce n'est pas comme si j'essayais encore de comprendre quoi que ce soit à ce qu'elle raconte. Je préfère juste ne rien dire et continuer à avancer jusqu'à ce qu'on trouve un endroit où vérifier si elle est vraiment aussi douée qu'elle le prétend. Mais bien sûr, tout ne pouvait pas se passer aussi simplement. Il faut qu'elle se casse la figure et qu'un nouveau contact non volontaire vienne me froisser les nerfs.

- "Je m'en fiche d'avoir une chance avec toi, c'est pas le genre de question que je vais me poser. T'es peut-être moins ennuyante que la majorité des filles, mais à vrai dire, je préfère encore savoir que j'ai aucune chance de te plaire, au moins ça évite les conversations malaisantes. Enfin, celles de ce genre là en tout cas."

Parce que jusqu'à présent, on ne peut pas dire que toutes nos conversations ont été particulièrement cool et détendues. Mais je ne cherche pas non plus une copine qui sera une fois de plus désespérée par le peu de temps que je pourrais lui accorder. Et puis pourquoi elle retourne la situation comme ça ? C'est elle qui vient de me tomber dessus ! Une fois que je suis sûr qu'elle est à nouveau stable (autant que possible), sur ses deux pieds, je m'éloigne de quelques pas.

- "T'es sûre que tu seras en état d'appuyer correctement sur les touches d'une manette ? Si tu préfères rentrer sagement dormir il est encore temps."

Mon ton provocateur de retour, je ne vais pas la laisser être la seule à se moquer. D'autant plus qu'on arrive non loin d'une salle d'arcade. Et puis dans les deux cas, ça me va.

Des compliments ? Non, ce n'en était pas vraiment un. Ou peut-être qu'elle peut prendre ainsi. En vrai, j'en sais rien et je m'en fiche. Je préfère juste me contenter de reprendre une distance raisonnable. Bien sûr que tout ceci est malaisant ! Et les conversations qui vont avec aussi.

- "Je ne te pose pas de questions sur tes relations, t'as pas besoin d'en savoir plus non plus."

Oui, ça pourra en étonner certains, mais ça m'est déjà arrivé d'avoir de gros coups de cœur. Sauf que ça n'a jamais été réciproque. Alors j'aimerais autant ne pas en parler. Surtout pas avec elle. Non, se concentrer sur la partie à venir, c'est beaucoup plus safe. Et on dirait que la salle d'arcade vient à ma rescousse cette fois-ci.

- "Les yeux fermé ? T'es pas du genre à exagérer déjà ? Je te déconseille quand même de les fermer, j'ai pas envie que ce soit trop facile."

On rentre dans la salle et on dirait que la miss est bien décidée à choisir la borne sur laquelle on s'affrontera. Et si j'avais en tête un jeu de combat assez basique, je suis plutôt étonné de voir ce sur quoi son choix s'est arrêté. Où est l'intérêt ? Déjà, c'est le pire jeu de ce genre de salle, et ensuite... Bah physiquement on ne peut pas dire qu'elle ait vraiment l'avantage. Si on compare la circonférence de nos bras, j'ai beau ne pas être le mec le plus costaud qui soit, la différence est assez évidente.

- "Je ne vois franchement pas ce qu'il y a d'amusant là-dedans. Payer pour cogner, c'est juste stupide. Mais comme je ne voudrais pas que tu te remettes à croire que je puisse avoir peur, on peut toujours se faire une partie..."

J'introduis une pièce dans le mécanisme pour lancer le jingle beaucoup trop fort nous ventant l'intérêt des gros muscles. Les couleurs s'illuminent dans tous les sens. Bon. On ne peut pas dire que je déborde d'enthousiasme. Ni que j'ai envie d'y mettre beaucoup d'énergie. Mais j'ai quand même un peu mon honneur qui en jeu, alors je me concentre un minimum avant de frapper (peut-être pas de toutes mes forces quand même). Et... Ok, c'est franchement pas terrible. Le jauge monte légèrement, mais elle est toujours loin du haut. Faut dire que je n'ai sûrement pas ultra bien visé non plus.

- "Vas y."

Oui, bah je ne vais pas commenter non plus c'est bon.

Je n'ai jamais prétendu être drôle. L'humour n'est clairement pas mon point fort, et il faut vraiment que je sois dans une ambiance où je sois parfaitement à l'aise pour me permettre ce genre de légèreté. Autant dire que là tout de suite, on en est loin. Quoi qu'il en soit, je n'ai absolument pas envie de lui parler de mon passif amoureux. D'ailleurs, je ne sais pas non plus comment prendre ses provocations. J'espère que c'est uniquement parce qu'elle est bourrée qu'elle est aussi relou, mais j'ai comme l'impression que ce n'est pas l'unique explication...

- "Bah vas-y fait mieux. Parce que pour l'instant tu parles beaucoup mais pour le reste, je n'ai encore rien vu."

Un peu blasé, je ne suis pas non plus le mec le plus qualifié pour ignorer sagement ce genre de remarque. Ouais, bien sûr que ça commence à me gonfler. Parce que je n'étais pas venu pour taper de cette façon moi. Et évidemment, la miss ne fait pas mieux. Je fronce légèrement les sourcils face à sa tentative de justification.

- "Bien sûr que t'as moins de muscle, pas besoin d'étude approfondie pour s'en rendre compte. Ça ne rend ton choix de jeu que plus stupide en plus de m'avoir fait perdre des thunes inutilement."

Je ne suis pas à quelques pièces dans une machine prêt, mais je n'arrive toujours pas à comprendre pourquoi elle a voulu faire un jeu aussi inutile. Si encore elle m'avait surpris avec un score incroyable pour sa stature... Mouais, en fait je préfère quand même ne pas être surpris et ridiculisé par la même occasion.

- "Heureusement que tu le comptes comme un point. Ça fait mal à la main tes conneries."

Et je ne suis pas assez con (ou assez bourré) pour m'éclater le poing de la sorte. C'est que j'en ai besoin pour continuer à faire de la musique.

- "On va se battre plus intelligemment."

Je me dirige vers une machine qui propose du Street Fighter. Voilà, ça au moins c'est beaucoup plus safe et on va pouvoir se mesurer de façon beaucoup plus équilibrée !