Un midi, dans le club de journalisme. Un midi, pas comme les autres. Nobu a l’habitude de déjeuner dehors, de se presser vers le konbini, pour avaler quelques onigiris. Mais il a un papier à finir. Un papier, qui lui prend la tête. Un papier, plein de fautes, et tout tordu, qu’il peine à rendre beau.
C’est de la faute du rédac’chef. Il n’est pas content du rendement de Nobu. Comme quoi, il ne serait pas assez proactif. Nobu grogne devant l’ordinateur du club. Proactif mon cul ! Il ne peut pas se dédoubler. Et malgré tout son amour pour l’écriture, les examens, c’était plus important que le club. Mais ça, le rédac’chef, il ne veut pas l’entendre. Le journal, c’est toute sa vie ! Et ça devrait être toute celle de Nobu aussi.
Et le voilà, en train d’écrire un papier qui ne lui plaît pas du tout. Sur un sujet qui ne lui plaît pas du tout. A un moment qui ne lui plaît pas du tout. Une critique, un livre, qu’il aurait préféré déchirer. “Ah non, Nobu, il faut que tu donnes envie, dans ton article”. Comment donner envie de lire une bouse pareille ?
Il rale, rale, mais il doit bien avancer. Et son ventre rale, rale, il est affamé. Nobu se lève, finalement, énervé. C’est décidé ! Il va aller jusqu’au kombini, attraper son onigiri ! Et il va bouder l’article…
… Du moins jusqu’à la prochaine pause.
Et il avance vers la porte du club. Il a le pas décidé, et l’air fier. Et la porte s’ouvre. Et la porte s’ouvre, mais ce n’est pas lui qui tient la poignée. C’est un homme. Un homme au regard noir. Un homme qui le cherche. Lui. “Nobu”.
« Euh… Oui ? C’est moi ? »
Sa phrase, comme une question. Bien sûr, que c’est lui. Mais en sous-texte : “Que me veux-tu ?”. Nobu fait un trait sur l’onigiri. Il va crever de faim toute la journée.
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Content warning : langage cru, vulgaire dont homophobe
comme des garçons en colère
Club de journalisme
Tu le sais, j’aime avoir le ton léger. Je porte peut-être des bracelets à piques, je peux avoir des airs un peu méchants quand je regarde mal, mais je ne suis vraiment, mais alors vraiment pas un gros dur. En fait, tout l’inverse. Un rien me décourage un peu trop facilement et je peux rester dramatiquement assis contre un mur pendant des heures à penser au sens de la vie et à pourquoi j’ai dit bon appétit au livreur.
Bref.
Aujourd’hui, cher journal, j’ai le seum. Outre quelques petites réflexions mauvaises dans mon enfance, je ne peux pas dire qu’on m’ait harcelé pour qui je suis. Que ce soit pour ma couleur de peau ou ma sexualité, ou quoi que ce soit dans le genre, on m’a laissé relativement tranquille tout ma vie. Jusqu’à aujourd’hui.
« Tu es nouveau à Kobe High School ? Un trentenaire qui vient reluquer les jupes des mineures encore au lycée ? Tu as envie de donner tes meilleurs conseils de gros pédo ? Alors n'hésite plus, gros dégueulasse ! Le club de journalisme t’accueille le mardi, mercredi et vendredi à partir de 16h ! Pour parler entre pds, demande Nobu ! »
J’ai trouvé ce mot dans mon casier pas plus tard que ce matin en allant chercher un biscuit. Premièrement, je ne suis pas nouveau ici, mais si c’était que ça. Parce que oui : il y a d’autres accusations bien plus graves à démentir sur ce bout de papier. En fait, le simple fait de me défendre dans ce foutu journal que je tiens pour me vider la tête me dégoûte et me donne la nausée. Évidemment que je ne suis pas un connard de pointeur !
Je prends sur ma pause de midi pour aller clarifier ce point en particulier, vu que ça ne semble pas clair pour tout le monde. Quand j’arrive près du club de journalisme, la porte est entrouverte et il n’y a qu’une seule personne à l’intérieur. J’avoue que mes gestes respirent un brin la colère qui m’habite mais je tâche de ne pas me montrer trop agressif non plus, sait-on jamais que je me trompe de cible.
« C’est toi Nobu ? »
J’ai oublié de dire bonjour. On verra ça plus tard. Le momentum est passé.
by emme
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Le jeudi 2 février 2018
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comme des garçons en colère
Club de journalisme
En te disant que je ne suis pas un gros dur, je ne t’ai pas menti. C’est-à-dire que j’ai beau surplomber ce « Nobu » (enfin, Nobu présumé pour le moment), je ne fais pas exactement le fier. Je ne dois pas me fier aux apparences : il suffit de me regarder deux minutes, j’ai les épaules carrées, les mâchoires bien définies, l’air un peu méchant avec mon cache-œil pourtant, je peux t’assurer cher journal que je baisse les yeux quand on me regarde mal dans la rue.
Ceci dit, je n’ai pas l’impression qu’il soit prêt à m’en foutre une aussi facilement alors je tâche de garder contenance et de ne pas baisser le menton.
Il se trouve que c’est vraiment lui. Je suis encore plus perdu parce que j’ai un peu de mal à y croire. Il n’a pas l’air de savoir qui je suis, ni ce que je lui veux. Alors pourquoi aurait-il déposé un mot comme ça dans mon casier ? Néanmoins, avant de tirer quelque conclusion hâtive, je sors le papier froissé de ma poche, le déplie et le lui tend entre deux doigts.
On pourrait croire que je veux lui demander de sortir avec moi et que je suis trop timide pour le lui dire à voix haute, mais premièrement, il a l’air un peu trop jeune et deuxièmement, j’ai l’air trop énervé pour ça.
by emme
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Le jeudi 2 février 2018
Un papier. Rien qu’un papier. On vient le chercher pour un bout de papier, en pleine pause midi, alors qu’il est affamé ? Nobu a envie de râler. De toute manière, il n’a rien à faire au club à cette heure. Il aurait dû ignorer le visiteur, et lui donner un autre nom. Nobu aimerait ne pas être Nobu, parfois, pour pouvoir fuir. Mais maintenant, c’est trop tard, alors il prend le papier, et il le lit.
Il lit les mots, et il les reconnaît. Enfin, presque. Il lit ces mots qui copient les siens. Et tout à coup, la faim disparaît. Il n’y a plus que la peur. Mais c’est quoi, ce mot ? « Je... » Pourquoi ? « Je ne comprends pas. » Il le relit, encore et encore, en essayant de comprendre le sens des phrases. Mais il n’y a une partie qui commence à l'obséder : “parler entre pds”.
Il n’aime pas ce mot, et il n’aime pas qu’il lui soit associé. Et c’est la deuxième fois, en moins d’un mois. Ça n'aura pas tenu longtemps, sa tranquillité à Kobe. L’étiquette d’homosexuelle lui colle à la peau, et il ne la supporte plus du tout.
« C’est pas moi. » Et puis, après tout, dans le mot, lui-même est insulté. Nobu ne fait pas du tout attention à la dégaine de Nassim. Il ne regarde que le papier. Rapidement, il fait un détour jusqu'à son bureau pour attraper une petite annonce. Sa petite annonce. Avec ses vraies phrases :
Tu es nouveau à Kobe High School ? Tu veux partager ton parcours avec les autres étudiants du campus ? Le club de journalisme vous accueille le mardi, mercredi et vendredi à partir de 16h ! N’hésitez plus, et demandez Nobu !
« Je suis vraiment désolé, mais je ne sais pas qui tu es. » Ni qui est la personne derrière le petit mot.
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Club de journalisme
Honnêtement, plus je pense à ce fichu mot, plus je ne comprends pas pourquoi est-ce qu’il m’énerve autant. Il ne dit que des conneries qui, je le sais, sont fausses à mon sujet. Je pense que la seule fois de ma vie où je me suis peut-être comporté de manière inappropriée, c’est quand j’ai vu passer l’un des professeurs d’anglais du lycée (Stoker-san, je me suis renseigné, figure-toi) qui doit avoir le double de mon âge et qui a furieusement réveillé mes daddy issues. Et quand je parle de me comporter de manière inappropriée, je veux dire que j’ai juste papillonné des yeux de temps à autres en le voyant passer. Rien de plus.
Je digresse. Et je me rends compte que même si j’ai toutes les cartes en main pour réfuter les mots vulgaires couchés sur ce papier au moins tout aussi vulgaire, ça n’enlève rien à mon irritation. J’essaye néanmoins de m’adoucir parce que je décèle sans trop de mal la confusion sur le visage de ce « Nobu ». Je ne baisse pas ma garde non plus parce que je sais très bien comment certains hommes peuvent être vicieux entre eux, et d’autant plus quand ils sont gays, mais ça, je tâcherai de le passer sous silence car je n’aime pas vraiment taper sur ma propre communauté même si elle le mérite bien souvent.
D’autant plus que je ne sais pas si ce qu’il est écrit sur ce papier est vrai concernant mon pair. Autant je n’ai aucun souci avec ma propre sexualité, autant je n’ai aucun mal à voir à quel point ce peut être un problème ici. Et loin de moi l’envie de foutre la merde dans la vie d’autrui en leur forçant le coming-out, contrairement à certains.
Je tâche de me calmer quand « Nobu » dément l’accusation et croise les bras, dans l’expectative quand il me ramène un autre bout de papier. Je hausse les sourcils, puis je l’attrape. Et effectivement, ce que j’y lis me rappelle quelque-chose. Sûrement parce qu’on m’a probablement déjà distribué le mot il y a de cela un moment et qu’il était en partie sorti de ma tête. Comme les trois quarts des choses qui y passent, d’ailleurs.
Pour autant, je ne bouge pas d’un centimètre et je barre toujours la route. Ce n’est que du faux-semblant et je me sens coupable de me comporter ainsi. « Nobu » dit très certainement la vérité. Et si c’était juste pour se foutre de ma gueule, j’aurais sûrement laissé passer. Mais là…
« C’est super grave ce qu’il y a écrit sur ce papier, dis-je, sérieux. Est-ce que tu sais qui l’a écrit ? »
Je soupire. Quelle que soit sa réponse, il y a une chose que je serai forcé de faire en sortant d’ici.
« Je ne peux pas laisser ce truc passer. Je vais en parler au CPE. Alors si ce n’est pas toi et que tu sais quelque-chose, j’ai besoin que tu me le dises. »
En prononçant ces mots à ce moment-là, je ne pense absolument aux conséquences que pourrait avoir le fait de montrer une telle chose à un membre du personnel. Je suis peut-être naïf car je n’ai jamais eu trop de problème de ce côté-là depuis mon arrivée au Japon, mais je pars du principe qu’impliquer l’autorité dans cette histoire est une meilleure idée que de ne rien faire et de subir.
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Le jeudi 2 février 2018
Ba-bam. Le cœur de Nobu bat au ralenti. Ba-bam. Il en oublierait presque de respirer. Ba-bam. Il ne supporte pas être sur le banc des accusés.
Nobu est de ceux qui n’a jamais fait de vagues. Jamais. Il n’est pas particulièrement bienveillant, et préfère tourner la tête plutôt que de confronter aux situations difficiles, mais jamais, au grand jamais, il lui viendrait à l’idée de les initier. Garçon, il avait vu ses camarades se faire moquer, toiser, insulter. Il n’avait rien dit. Et il n’avait rien fait. Au fond, il les voyait comme faibles. Il suffit de se défendre.
L’année dernière, de simple témoin, Nobu est devenu victime. Faible. Il n’avait aucune arme pour se défendre. Gay. Pédale. Tarlouze. Il a entendu tous ces mots. Il les a supporté, jusqu’à qu’ils s’installent entre son cœur et sa peau. Maintenant, ces mots, ils font partie de lui.
Arrivé à Kobe, il aurait voulu les effacer. Que personne ne puisse savoir s’il est homosexuel. Mais ses convictions se sont rapidement effacées quand il a voulu rencontrer des garçons. C’est difficile de supporter la solitude. Il a fait attention, pourtant, à rentrer dans des bars queer cachés, éloignés de l’Université. Et pourtant. Pourtant, on l’a attrapé. Plutôt, pris en photo. Il l’a vu, Nobu, la photo. Et il s’est détesté en la voyant. Gay, Pédale, Tarlouze. Il ne peut pas s’en défaire.
« Je… » Nobu sait. Il sait bien qui l’a pris en photo. Il a vu sa tête, sa sale tête, et il a entendu sa voix. Depuis, à chaque fois que Nobu a croisé son agresseur dans les couloirs, il a baissé la tête. Il a peur. « Je… Ne… Non.»
Il n’est pas convaincant, parce qu’il n’est pas convaincu. Au fond, il sait qu’il devrait en parler. Mais à Osaka, le corps professoral n’a rien fait. Fallait pas être gay ! Quelle idée. Alors, il a du mal à croire que la CPE de Kobe fasse mieux.
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comme des garçons en colère
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On m’a déjà dit que je mentais particulièrement mal. Et je n’irai pas jusqu’à juger du talent de ce Nobu pour cet art théâtral, mais en ce moment-même, il ne me livre pas sa meilleure performance pour sûr. Est-ce que je peux vraiment lui en vouloir ? Après tout, les insultes homophobes sont si courantes (surtout entre garçons) que ce n’est pas rare qu’elles bottent en touche et ne soient prononcées avec pour seul objectif de blesser, et non pas pour dénoncer une vérité plus ou moins bien dissimulée.
Et je l’ai déjà dit auparavant : je suis un homme superficiel. C’est comme ça, je n’y peux rien. Je ne m’y tiens pas parce que je ne suis pas un con non plus et que j’ai été particulièrement bien éduqué, mais je me fais tout un tas d'aprioris sur les gens seulement de par leur apparence (qui se révèlent bien souvent faux, la preuve en est que mon gaydar est cassé et ne fonctionne qu’une fois sur dix). Beaucoup de texte pour dire quelque-chose d’affreusement simple : je n’ai pas l’impression que Nobu soit « pédé » comme l’a dit le charmant auteur du petit mot.
Enfin bref, je fais face à un dilemme et pas des moindres. J’ai le choix entre aller me faire voir si je le veux bien ou bien insister. J’admets que la première option est relativement simple, aisée à mettre en pratique parce que je n’aurais qu’à faire un joli demi-tour et me débrouiller avec mes menaces homophobes et diffamatoires ; parce que si jamais je ne l’ai pas assez répété : je ne suis pas un foutu pointeur, je hausse déjà assez souvent le sourcil quand mon ou ma partenaire d’une nuit me dit qu’iel a vingt-deux ans. Alors des mineur.e.s ?!
Je prends une grande inspiration. Je ferme les yeux le temps d’un instant pour remettre de l’ordre dans mes idées et je soupire avant de lui répondre :
« Ça me fait vraiment pas plaisir de dire ça mais j’ai l’impression que tu mens. Et okay, si t’as pas envie de te mouiller avec cette histoire, alors je rayerai ton nom sur le papier et je dirai que je l’ai trouvé comme ça dans mon casier. Mais moi, je vais pas me laisser faire. Est-ce que tu sais qui l’a écrit ? Répété-je, sans le quitter des yeux une seule seconde. »
Je jure devant Dieu que j’essaye de tout cœur de ne pas avoir l’air menaçant en prononçant ces mots. Je dois même avoir l’air d’une victime en ce moment-même (et je le suis, techniquement), en plus de sembler désespéré.
by emme
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Le jeudi 2 février 2018
Nobu aurait aimé que Nassim le laisse tranquille. Qu’il parte. Qu’il lui laisse un peu d’espace vital. Rien qu’un tout petit peu ! Assez pour pouvoir respirer. Parce que depuis qu’il est entré dans la pièce, il a la sensation de manquer d’air. Il ne veut plus se confronter à l’homophobie. Non pas qu’il puisse l’éviter, elle semble lui coller à la peau, mais qu’il n’a plus la force de se battre.
Il a donné, à Osaka ! Il a voulu montrer les dents, il a voulu gonfler les pecs, il a voulu s’assumer, mais ça n’a pas marché. Plus il affirmait être fier d’être gay, et plus on se foutait de sa gueule. Depuis, il tente une autre stratégie. L’évitement, pour le moment, est plutôt efficace.
Mais Nassim n’a pas choisi cette option. Et Nobu s’en mord les doigts. Il a l’impression d’être engueulé, comme un gamin, et il en a marre. Il boue, à l’intérieur. Il boue parce qu’il se sent complètement impuissant. Mais il ne veut pas exploser, il doit se contenir, alors, il dit, simplement.
« Je n’ai aucun moyen d’en être sûr. » Et il soutient le regard de Nassim. Et cette fois, ce n’est pas un mensonge. Il aimerait s’arrêter à ça, mais finalement il craque. « Et puis même si je te le dis ? Ça changerait quoi ? Tu penses que la CPE en aurait quelque chose à foutre ? Elle va faire comme tous les autres. Comme partout. Et comme d’habitude. Elle va s’excuser vite fait. Elle va dire qu’elle fait son possible. Puis elle va ranger le dossier sous tous les autres. Cette fois, j’ai même pas de preuve ! Alors, si ça n’a pas marché avec une plainte solide, ça ne marchera pas avec du vent. »
Son ton ne monte pas, mais il s’emballe. Plus il parle, et plus son débit s’accélère. Une sorte de rap ridicule, sans aucun rythme. A demi-mot, il avoue avoir déjà vécu tout ça. Il commence à lâcher, sur cette histoire d’homosexualité. Il veut vivre caché, mais apparemment ça ne sied à personne.
Une année de plus à s’en prendre plein la gueule. Nobu en a marre.
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Je ne m’y attendais pas. Une part de moi tente brièvement de refouler la culpabilité qui souffle son haleine putride partout où elle le peut autour de moi, mais l’autre sait qu’il est déjà trop tard et que le mal est fait. Le simple fait qu’il accepte de me répondre après n’avoir insisté qu’une seule fois me laisse bouche bée et je l’écoute, sidéré.
Et je me fais la réflexion que mon gaydar est définitivement cassé. Mais je balaye très vite cette pensée et je finis par froncer les sourcils et soupirer. Ça faisait longtemps que je n’avais pas fait face à un tel pessimisme et j’admets qu’il me prend de court. Je suis peut-être naïf, je suis très certainement naïf, même, mais je ne peux pas m’empêcher de vouloir secouer ce mec. Évidemment, je n’oserai jamais faire une chose pareille, pas même le regarder de travers à vrai dire. Je n’ai qu’à m’imaginer que je le fais et l’image qui me traverse me satisfait partiellement. C’est mieux que rien.
« Comment tu peux en être aussi sûr ? Et puis c’est quoi ta solution alors ? Tu baisses la tête et tu te laisses faire ? »
Je me rends compte que je sers les mâchoires. Et les poings. Je me fais violence pour reprendre mon calme, fermant les yeux un très court instant avant de détourner le regard. Je fais partie de ces gens qui ont eu de la chance. Pas seulement au Japon, mais dans la vie tout court. Pour autant, ça ne veut pas dire que je ne sais pas ce que c’est l’homophobie. En plus, ce n’est même pas ce qui me dérange le plus dans ce mot à la con, là, tout de suite. Mais je ne peux pas hiérarchiser les problèmes alors j’encaisse.
« Et tu crois que ça va marcher longtemps comme ça ? Tu donnes la main et ils te prendront le bras ! »
Je ne mesure pas tout de suite la portée de ce que je dis. Honnêtement, je suis juste en colère et gérer mes émotions dans l’immédiat relève de l’impossible et me demande des ressources dont je ne dispose pas.
« Si tu n’as pas envie d’essayer, alors je peux rien faire pour toi. Moi je sais que si je laisse passer ça, ce sera juste un moyen de leur dire que c’est okay, qu’ils n’ont pas franchi une ligne et qu’ils peuvent continuer et même aller plus loin. Et ils feront pareil avec toi. J’ai pas envie d’attendre qu’on vienne me tabasser et de psychoter dans les couloirs de la fac’ en sachant que le connard qui a écrit ce truc est quelque-part dans la foule l’esprit tranquille. »
by emme
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Le jeudi 2 février 2018
Il en a assez, Nobu. Il en a assez de devoir se justifier. Et pourquoi on ne lui fout pas la paix, un peu ? Il n’a pas besoin qu’on le materne, on n’a pas besoin qu’on lui explique. Il sait qu’il est lâche. Nassim n’est pas le premier à le lui dire. Et plus on le lui dit, et plus ça l’énerve.
En arrivant à Kobe, Nobu avait pris le manteau du lâche, pour être tranquille. Le problème, quand tu es trop ouvertement homosexuel dans un lieu qui ne t’accepte pas, c’est le regard des autres. Il y a les violents, les récalcitrants, et puis il y a les autres.
Les regards positifs, Nobu ne les a pas supporté non plus. Les petits coups de coude tendres, les regards insistants, les “tu es super courageux”, et les “je n’arriverai jamais à le dire, moi”. Nobu n’est pas courageux. Et lui non plus ne voulait pas en parler. C’est juste arrivé, comme ça, sans qu’il ne le supporte.
Il ne veut pas être un héros, il ne veut pas être un martyr, il veut juste qu’on lui foute la paix.
Alors, quand Nassim l’engueule, comme un malpropre, ça l’énerve. Il aimerait rester tranquille, et lui demander de partir. Mais il en a marre. Et puis ces derniers jours ont été trop durs. « Arrête ! » Il aimerait que ça coupe les mots de Nassim. Mais il a certainement déjà terminé son discours. Et il lâche. Il abandonne. Mieux vaut lui donner ce qu'il veut, plutôt que se prendre toute sa verbe. Il en a marre qu'on le prenne pour un con. Les gays, les hétéros. De toute manière il n'est pas assez bien pour tous. Ni assez courageux pour personne. « J’ai juste un peu trop donné, j’ai pas le courage de faire plus. J’ai pas l’nom, du type, si c’est ce que tu cherches. J’ai juste vu sa tronche, une fois. Vite fait. J’ai pas voulu savoir plus, honnêtement j’ai eu peur qu’il se sente attaqué et qu’il fasse passer le mot. »
Nobu soupire. Ce n’est pas comme s’il n’avait pas déjà passé le mot. Ce qu’a reçu Nassim dans son casier, c’est dégueulasse. Le plus âgé a été insulté comme Nobu ne l’a pas été. Alors, bien sûr qu’il est touché. Bien sûr qu’il veut réparation.
« J’sais pas si ça peut t’aider. Mais il fait à peu près cette taille là. » Quelques centimètres que plus que Nobu, vraiment pas grand. « Il a la tête de n’importe qui, en un peu plus naze. Brun, yeux noirs, lunettes. Je pense que si j’le croise, je le reconnais. Mais je l’ai pas croisé. »
Ou il ne l’a pas regardé. Depuis qu’il a été victime de blackmailing, Nobu rase les murs.
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comme des garçons en colère
Club de journalisme
Quand Nobu me somme de me taire, je ne le fais évidemment pas. Je termine ce que j’ai à dire avant de lui laisser la parole. Loin de moi de ne pas le croire lorsqu’il me dit qu’il a trop donné, mais ce qu’il peine à comprendre c’est que cette fois-ci, il n’y a pas que lui à prendre en compte dans l’équation.
Et je puise dans des ressources inespérées pour me retenir de lui lâcher un « C’est tout ?! » quand il me cède les quelques informations dont il dispose, c’est-à-dire : rien de concret. Nobu ne connait pas le nom de ce petit con de provocateur, pas plus qu’il n’en a une description physique qui me permettrait de le reconnaître dans les couloirs. À moi ou au personnel de l’établissement. Je ne suis pas du tout avancé. J’ai l’impression d’avoir poussé cette discussion anxiogène et angoissante trop loin pour rien et ça me frustre au-delà de l’imaginable. Je sais d’ores et déjà que l’appel avec ma mère quand je lui raconterai tout va durer des heures et qu’elle sera épuisée à la fin.
Néanmoins, je tâche de garder mon calme car, comme Nobu l’a dit, il a assez donné. Je ne sais pas de quoi il parlait, mais je vois bien la détresse dans lequel cette conversation l’a mis. Et honnêtement, je ne l’ai pas fait de gaieté de cœur. Ça ne m’amuse pas de mettre les gens dos au mur comme ça, tout le contraire. Maintenant, je me sens comme une merde et je m’en veux. Je devrais m’excuser mais c’est là que le petit diable sur mon épaule me chuchote qu’il l’a quand même bien cherché et qu’il n’avait qu’à dire la vérité d’entrée de jeu, il me dit que je ne suis pas fait de bois et que moi aussi j’ai des émotions, que si je me suis comporté ainsi, c’est peut-être parce que je n’avais pas le choix.
Je chasse très vite ces pensées et je croise les bras, blasé mais bien plus calme :
« D’accord. Okay. Je… sais pas vraiment si ça mènera à quelque-chose parce qu’il y a beaucoup de types bruns avec des yeux noirs et des lunettes par ici mais j’imagine que c’est mieux que rien. »
J’ai fait exprès de spécifier après le « si ça mènera à quelque-chose » parce que je n’avais pas envie de me retaper tout le discours sur l’incompétence du personnel de l’établissement. À la place, je passe une main dans mes cheveux et je le regarde un instant. Et je finis par soupire et envoyant valser le petit diable sur mon épaule après un moment de silence.
« Je suis désolé de t’être tombé dessus comme ça. J’étais en colère, mais je n’aurais pas dû. »
Ma mère m'a bien éduqué malgré tout. Enfin, je pense.
by emme
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Le jeudi 2 février 2018
Tête. Épaule. Genoux. Orteils. Nobu est crispé. Tout son corps est en alerte, comme si le ciel pouvait encore lui tomber sur la tête. Tout son corps est en alerte, et même ses poings sont serrés. C’est ridicule, parce qu’il ne sait pas taper. Il n’a jamais tapé ! Il est des fuyards qui préfèrent l’usage de leurs jambes à l’usage de leurs poings. Et au final, il s’en est toujours bien sorti. Quel plaisir il y a à casser la mâchoire des autres ?
Il y a bien une fois où il en a ressenti le besoin. Mais il s’en est empêché. C’est la tronche de l’autre connard qui l’a outé à toute son Université. Il n’a plus jamais supporté de voir sa belle gueule. C’est le pire. Un beau garçon, à qui tout réussit, et qui se permet de détruire les autres. Et dire qu’ils étaient potes.
Nobu ne sait plus quoi dire, il ne sait plus quoi faire. A Nassim, mais à tous les autres. Parfois, il a l’impression que de se cacher est vain, parce qu’on le découvre toujours. C’est pas sa faute, merde, s’il est homosexuel. S’il pouvait kiffer les meufs, bien sûr qu’il le ferait.
Il n'a pas essayé. Il n’en a même pas envie.
« C'est moi. Désolé. » C’est tout ce qu’il peut répondre, avec sa mâchoire encore crispée. C’est nul d’être désolé, mais il l’est, sincèrement. Il aurait bien voulu en savoir un peu plus sur son agresseur. Un nom, un âge, une classe. Ou un seul des trois. Parce qu’au fond :
« Tu sais, j’aimerai bien y croire, à ce que tu dis. Au fait que la vie scolaire va nous aider, qu’on va retrouver le pauv’type, et qu’on va nous accepter comme ça. Moi j’aimerai mieux. J’en ai marre de faire semblant. Vraiment. » Nobu ne supporte pas le regard de Nassim, il regarde le sol, parce qu’il est bien plus rassurant. « Vraiment, j’aurai bien envie d'le faire taire. Mais j’ai peur surtout. J’ai peur que y’en ait d’autres, qu’ils fassent pareil, et que ma vie, ce soit un éternel enchaînement de connards »
- InvitéInvité
comme des garçons en colère
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Je sais ce que Nobu me rappelle avec son pessimisme et son mauvais caractère. Un mauvais bouquin tragique où tout le monde meurt à la fin. Et moi, j’aime les fins heureuses. Celles où le héros trouve l’amour, a de beaux enfants, achète une belle maison sur la côte avec vue sur la mer et s’épanouit dans la plus belle des vies qui soient.
J’avoue être quelque peu surpris quand je l’entends s’excuser. En soi, lui n’a rien fait de mal. Il ne va pas inventer des informations qu’il n’a pas, ce serait juste contre-productif. Je laisse un soupir s’échapper de mes lèvres et m’apprête à le remercier pour tourner les talons, sauf que je n’ai pas encore bougé quand il en rajoute une couche. Une fois de plus, j’ai l’impression d’entendre un disque rayé. Ça me rend amer, légèrement. Mais, et je ne cesserai de le répéter, j’ai été bien élevé. Alors je l’écoute. Aussi un peu parce qu’il me fait de la peine. Quand j’ai dit que j’avais eu de la chance, je parlais de choses graves. On ne m’a jamais fait de chantage, on ne m’a jamais harcelé, ni même tabassé ou quoi que ce soit qui s’en approche de près où de loin. Je me souviens de crachats à cinq heures du matin à la sortie d’une boîte de nuit, de commentaires à vomir sur mon apparence, et je suis presque sûr qu’il y en a eu d’autres, mais que rien ne m’a suffisamment marqué pour que je devienne aigri comme Nobu semble l’être. Je suis fier de ce que je suis. Je n’ai pas envie de m’excuser devant personne et d’agir comme si j’étais en marge.
C’est à ce moment-là que je me dis qu’il faut que je me fasse violence. Mon expérience n’est pas un reflet de la réalité. J’ai peut-être été un peu dur dans mon jugement, je le suis encore inconsciemment quand je dis qu’il est aigri. Est-ce qu’il n’a pas raison de l’être, au fond ?
Inutile de faire perdurer la mascarade, ceci dit. Quand Nobu emploie un « nous » bien placé, je sais qu’il sait et il sait que je sais. À quoi bon se voiler la face entre nous, comme il l’a si bien dit ?
« Je m’attends pas à ce qu’ils se bougent le cul, si c’est ce que tu veux savoir, dis-je en croisant les bras, résigné. Je pense pas qu’ils le feront. Mais c’est une question de principes. Si tu n’as pas de principes, si tu montres pas les dents, même un tout petit peu, tout le monde pense que c’est invitation à t’écraser. Et je dis pas qu’on essayera pas de le faire quand même malgré ça. Mais… parfois… »
Je soupire. Je ne pense pas que j’ai besoin de finir ma phrase, alors je décide de ne pas le faire. Il faut croire que ce garçon est un sorcier parce que je me mets à sortir des phrases de vieux mec aigri à mon tour.
« La vie est un éternel enchaînement de connards. C’est juste pas tous les mêmes et nous, on a le droit à un supplément, ajouté-je en haussant les épaules. Je détourne légèrement le regard. Moi aussi j’ai peur. »
On ne croirait pas, mais c’est juste parce que je parle beaucoup. Vraiment.
by emme
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Le jeudi 2 février 2018
Il a peur. Nobu n’en revient pas. Nassim a peur. Et pourtant, qu’est-ce qu’il a l’air de s’en foutre. C’est pas seulement une histoire de gay, ou pas gay. C’est le genre de type que Nobu admire. Le genre de type qui porte ce qu’il veut, qui se teint les cheveux dans la couleur qu’il veut, qui se permet de porter des bijoux, et ce comme si c’était normal.
Et au final, c’est peut-être là que réside le problème. “Comme si” c’était normal. Nobu a intégré l’homophobie. Il l’a tellement intégrée qu’il a encore le réflexe de se sentir bizarre, alien, extra-terrestre. S’il se tait, et s’il se cache, c’est parce qu’il ne se sent pas fier.
A quoi bon être fier ?
Il est de ces hommes qui préfèrent ne pas manifester lors des prides. Il est de ces hommes qui ne fréquentent des garçons que dans les bars qui le permettent, ou dans les chambres d’hôtels peu regardantes. Il est de ces hommes qui ont intégré que la punition était normale. Et que même s’il en a assez, qu’elle est bien méritée.
« T’as vraiment… Peur ? Toi ?»
C’est con, comme question, terriblement con. Et il le sait. Il aimerait pouvoir être plus lumineux, mais en fait il est un peu sidéré. Comment un homme, qui semble si sûr de lui, comme Nassim, prêt à se défendre pour une toute petite lettre de rien du tout, peut avoir peur ?
Comment peut-on avoir peur quand on est fier ?
Est-ce qu’on a le droit d’avoir peur et d’être fier ?
Nobu se sent comme bousculé. Il a eu l’habitude de se cacher, mais peut être que ce n’est qu’une solution stupide. Peut-être que Nassim a raison, et qu’il faut bomber le torse. Jouer à leur jeu. Leur faire peur.
Que la peur change de camp.
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comme des garçons en colère
Club de journalisme
Je t’avoue que je suis un peu paumé, là. Il y a quelque-chose qui a changé dans le regard de Nobu, cher journal. Je ne saurais pas te dire exactement ce dont il s’agit, mais je ne peux pas l’ignorer non plus. C’est presque tangible. Et je dois dire que je ne comprends pas tout de suite ce qui a bien pu mettre ce pauvre garçon dans cet état.
Tout prend sens quand il ouvre de nouveau la bouche. Et je dois admettre que je reste bouche bée un instant, battant des paupières. C’est tout ? C’est tout ce qu’il fallait faire depuis le début ? Je me rends compte que je le regarde avec les mêmes yeux de merlan frits que ceux auxquels j’ai le droit depuis quelques secondes. Je déglutis, un peu difficilement, je l’admets.
« Je… oui ? C’est si… bizarre que ça ? »
C’est un peu sorti tout seul. Et ce n’était clairement pas aussi élaboré que je l’aurais voulu. Je prends une grande inspiration et laisse mon dos s’appuyer contre le mur le plus proche. Je n’ose toujours pas vraiment le regarder. Une part de moi se demande s’il me demande ça pour se foutre de ma gueule et l’autre m’assure que ce n’est pas le cas. Je suis presque sûr que la démarche derrière, c’est qu’il est en train de se rendre compte qu’avoir peur et ne pas se laisser faire sont deux choses qui ne sont pas exclusives. Mais je n’y peux rien, et mes pensées intrusives gagnent la manche alors que je jauge son attitude de loin. Qui sait ? Il est peut-être tant imprégné des comportements qu’il dénonce qu’il est capable de les reproduire inconsciemment. Je finis par fermer les yeux et soupirer. Bien-sûr que non, ce n’est pas ça.
Enfin, c’est ce que j’espère quand je dis :
« Prends le problème dans l’autre sens. Si… tu étais face à quelqu’un qui était dans le même cas de figure que toi, c’est ce que tu lui dirais de faire ? De baisser les yeux et d’encaisser juste parce que le système ira pas dans son sens ? Je… pense pas… non ? Alors pourquoi est-ce que tu donnerais de meilleurs conseils aux autres qu’à toi-même ? »
Je sais pertinemment que ce sont presque des questions rhétoriques et qu’elles ne sont peut-être pas adaptées à la réalité. Mais je l’ai déjà dit : c’est une question de principes. C’est un objectif, c’est… une sorte d’utopie à ne pas perdre de vue, en soi. Si l’on ne fait pas tout ce qu’on peut pour s’améliorer de jour en jour, alors on ne s’améliore pas. Et on ne peut pas devenir quelqu’un de plus fort, ou de meilleur si l’on ne voit pas plus loin que ses limites.
En tout cas, c’est ce que je me répète inlassablement.
« J’ai eu de la chance et on m’a jamais poussé dans mes retranchements. Peut-être que je parlerais pas comme ça si on m’avait… je sais pas. Frappé, exclu, enfin… des trucs graves quoi, finis-je par dire avant de finalement trouver le courage de le regarder de nouveau dans les yeux. Peut-être que moi aussi je voudrais juste qu’on me laisse tranquille quitte à ce qu’on me marche dessus. Mais j’essaye de me dire que ce serait pas le cas et que je me défendrais. »
Je parle trop. J'y peux rien.
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Le jeudi 2 février 2018
Il lui pose une colle.
Parce que Nobu ne sait pas comment il aurait pu réagir, dans l’autre situation. En fait, idéalement, il aimerait lui répondre par la positive. Bien sûr que c’est grisant, de s’imaginer inspirateur. Mais Nobu, c’est un négatif. Il a l’impression que cette image lui colle à la peau, et qu’il ne pourra pas vraiment s’en détacher.
Vraisemblablement, à la place de Nassim, il aurait laissé couler. Il n’aurait rien fait, et il n’aurait rien dit. Il aurait simplement laissé l’autre partir tête baissée, flippé, caché. Être homosexuel, c’est vivre sans en parler. C’est pas lui qui l’dit, c’est son père. Nobu l’a jamais vraiment considéré comme homophobe. C’est juste un type lambda, un type qui sait pas ce que c’est qu’un gay, sauf ceux à la TV nationale. Il trouve ça bizarre, un peu ridicule, il en rigole sans méchanceté, tout en espérant que ça n’arrive pas à ses gamins.
Alors, Nobu ne peut pas répondre. Il n’y arrive pas. C’est trop dur d’encore se flageller. Il se flagelle parce qu’il est gay. Il se flagelle parce qu’il n’est pas assez courageux. Parce qu’il n’est pas un modèle. Alors il se tait.
« J’espère un jour, raisonner comme toi. »
Il a été frappé, insulté, exclu. Mais c’est pas une raison de rester dans sa coquille. Il le sait mais il ne sait plus vraiment comment avancer. Il est seul parce qu’il ne sait même plus vers qui se tourner. Nobu n’est pas du genre psy, et tout ça. Ce sont des conneries, ça marche même pas. Il n’est pas non plus du genre amis, ses potes n’ont pas à connaître tous les penchants de son âme. Alors il amasse, amasse, amasse, jusqu’à ne plus en pouvoir.
Mais il aimerait bien lâcher, pour une fois.
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Club de journalisme
Le jour, la nuit, Nobu, moi. Il n’est pas spécialement loquace. Je ne peux pas lui en vouloir. Ce n’était… eh bien, ce n’était pas plaisant. Pas du tout. J’ai déjà eu d’autres discussions dans le même genre avec d’autres personnes mais tout était différent. Les circonstances, la façon dont le sujet est venu sur la table. Là, je pense que ni lui ni moi n’étions prêt pour quelque-chose comme ça aujourd’hui. Et je dois dire que je m’en veux un peu de l’avoir traîné là-dedans alors que j’aurais pu le laisser tranquille et deviner qu’il n’était pas l’auteur du mot. Ce n’était pas bien dur à comprendre, quand j’y pense.
Je hausse les épaules, essayant de paraître détaché même si je n’arrive plus vraiment à le regarder dans les yeux.
« C’est pas une course. Et puis ça se force pas. J’imagine que c’est encore plus dur quand on a… des blessures encore ouvertes. »
Je ne veux pas être indiscret, j’essaye, je le jure. C’est juste plus fort que moi et puis, je l’ai aisément deviné à la façon qu’il a de se mettre sur la défensive. Un peu plus et il hérissait le poil et me feulait dessus. Je suis peut-être stupide sur les bords, mais je sais reconnaître de la peur quand j’en vois.
Alors je soupire. J’ai dit que Nobu n’était pas loquace. Le souci, c’est ce que ça déclenche chez moi. Je suis déjà une pipelette en temps normal mais dans ces moments de tension, j’ai tout simplement horreur du silence. Il m’étouffe et me donne l’impression de perdre pied, de laisser du temps à mon parti pour me juger des pieds à la tête. C’est peut-être le pire mécanisme de défense qui existe.
« Écoute, je vais… ça fait bien dix secondes que je passe en revue toutes les façons dont je pourrais lui dire que je me casse de là, que je le laisse tranquille et… je vais aller voir la CPE. Je suis désolé de t’avoir entraîné là-dedans. »
C’est à ce moment-là que je sens la porte vibrer derrière mon dos. Je sursaute à moitié pour me décoller de cette dernière, m’excusant brièvement. Le regard sur le visage du gars qui vient de rentrer ne présage rien de bon et j’en conclus assez rapidement qu’il s’agit sûrement de quelqu’un qui est au club de journalisme. La tension monte d’un cran sans que je ne sache pourquoi et, dans une tentative désespérée :
« Tu veux venir avec moi ? »
L’intrus n’a pas entendu le début de notre conversation. Je crois. Il n’y a pas de raison pour qu’il se pose les mauvaises questions. Enfin… je crois. J’espère.
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Le jeudi 2 février 2018
Venir ?
Venir.
Venir !
Oui. Nobu a envie de venir. Il en a désespérément envie. Il ne sait pas vraiment pourquoi, mais il en a peut-être même besoin. Il aimerait reprendre espoir, laisser derrière lui le Nobu flippé, le Nobu peureux, le Nobu ridicule qui ne croit plus en rien ni en personne. Parce qu’au fond, il aimerait bien avoir un peu de Nassim en lui. Il a finalement peut-être besoin de ça, de prendre confiance, et se défendre.
Il ne sait pas comment, il ne sait pas par quoi commencer, parce que ça fait longtemps qu’il a baissé les bras, mais il se doit de saisir cette chance de mettre le pied à l’étrier. Parce que même si ce n’est pas une course, il faut bien le commencer, ce marathon.
Hey, Nobu, ça va ? Un camarade du club vient de rentrer. Alors Nobu essaie d’effacer les marques de gravité sur son visage. Il endosse un instant le masque qu’il préfère porter pour simplement répondre : « Oui, merci ! Je vais m’absenter un petit peu, tu diras au président que je finirais l’article plus tard, j’ai une urgence. »
Et il se retourne, déterminé, vers Nassim :
« Je viens. »
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Là, je ne peux pas cacher ma surprise. Je sentais bien que quelque-chose avait un peu basculé en Nobu, sans réussir à mettre le doigt dessus pour autant. Et je suis d’autant plus estomaqué de le voir donner le change à son camarade aussi facilement. Des fois, j’aimerais bien ne pas me transformer en pâquerette dès que la situation m’échappe un tout petit peu. Nobu aimerait raisonner comme moi, et moi j’aimerais garder la face comme lui, d’une certaine façon.
Je ne peux pas vraiment retenir le petit sourire qui se glisse au coin de mes lèvres quand il accepte de venir. Je ne sais pas trop pourquoi je souris honnêtement, ça ne dure pas bien longtemps : peut-être une, deux secondes maximum. Et puis je tourne les talons pour m’éclipser de la salle du club de journalisme. Il y a un moment de flottement durant lequel je regarde Nobu du coin de l’œil. Sans réellement comprendre ce qui m’y pousse, je ne peux juste pas m’en empêcher. Une curiosité étrange me prend mais je tâche de la garder pour moi. Ce n’est peut-être rien de plus que de l’empathie, mais une part de moi aimerait pouvoir fouiller dans sa tête et savoir ce qui semble l’avoir brisé. Je ne sais même pas à quel point il l’est, pour être honnête. C’est aussi à ça que je mesure à quel point il sait bien donner le change : il y avait une fausse note dans sa partition tout au plus, une mince fêlure que j’aurais presque pu manquer si je n’avais pas, moi aussi, ces peurs gravées partout sur moi.
« Pourquoi est-ce que tu as changé d’avis ? »
Je ne parle pas très fort. Les couloirs ne sont pas très fréquentés à cette heure-ci, mais pas déserts non plus. On ne sait jamais. Moi qui suis plus loquace d’ordinaire, je ne trouve rien d’autre à lui demander. La question est sous sa forme brute, celle qui a germé dans ma tête sans artifice aucun.
by emme
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Le jeudi 2 février 2018
Il ferme la porte du club derrière lui, et immédiatement, l’angoisse lui bouffe le ventre. Il ne sait pas du tout dans quelle galère il est parti se fourrer. Parce qu’au fond, malgré tout, il a toujours peu d’espoir en l’Académie. Il se doute que la CPE ne pourra rien pour lui, pour Nassim, ni pour Naoki qui avait eu aussi le droit à des drôles de menaces.
Et puis, aller jusqu’au CPE, c’est aussi se confronter à sa propre homosexualité. Est-ce qu’il a besoin de parler de son orientation sexuelle pour se défendre ? Certainement que non. Pourtant, il a l’impression que l’homophobie est tellement banalisée qu’il va falloir qu’il se défende, qu’il fasse remarquer combien il est touché, pour pouvoir être pris au sérieux.
Parce que oui, il est touché. Il aurait eu envie d’être un bonhomme, un dur, le genre d’homme qu’est son père, sur qui tout passe. Mais il n’y arrive pas. Hier, son corps l’a lâché dans une drôle de crise de panique. Il n’a pas bien compris, sur le moment, d’à quoi elle était dûe. Mais c’est sûrement à cause de cette pression que l’homophobe lui a mis sur les épaules.
Ils avancent dans les couloirs, d’abord dans le silence. Nobu n’en est pas vraiment gêné. En fait, il est habitué à vivre dans sa tête et dans ses pensées. Mais Nassim lui pose une question.
« Je… Je ne sais pas vraiment. » Il réfléchit à rebours ces derniers jours. Cette décision est plus impulsive qu’autre chose. « Je crois que j’ai envie d’être considéré. »
Tant pis si la réponse n’est pas celle attendue. Tant pis si c’est un simple “je ne peux rien faire pour vous”. Au final, Nobu a surtout envie d’être écouté, entendu, que l’on prenne sa plainte. Il a envie d’exister, et qu’on le lui laisse cet espace.
Les deux comparses passent par la rangée de casiers, avant d’arriver jusqu’au bureau du CPE. Un jeune homme, petit, aux cheveux bruns et aux lunettes carrées range ses chaussures. Nobu a l’impression de le reconnaître. Il s’arrête un instant, avant de reprendre la marche. Non, il doit halluciner. C’est juste un mec comme un autre, il peut pas accuser n’importe qui d’harcèlement.
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comme des garçons en colère
Club de journalisme
Je crois que c’est un bon début. Je sais qu’on ne peut pas changer quelqu’un en quelques mots seulement, et je n’aurais jamais la prétention de le faire. J’ai rencontré Nobu aujourd’hui. Je n’avais jamais entendu parler de lui auparavant. Je ne vois pas dans quelle mesure je pourrais seulement espérer avoir un impact, même minime, sur quelque-chose qui semble si ancré en lui.
Pourtant, j’admets, avec une pointe de honte et d’égoïsme, que j’en ai eu un. Même minime. J’aime pense que c’est peut-être le cas en entendant ses mots. Qui n’a pas envie d’être considéré ? Et puis, c’est une chose de le vouloir, mais agir en conséquence en est une autre. Alors à sa réponse, je hoche la tête, cherchant mes mots le temps d’un instant avant de finir par dire :
« Ce qui compte c’est d’être considéré par les bonnes personnes. Parfois ça ne vaut juste pas le coup. Mais je comprends ce que tu veux dire. Être constamment en train de jauger l’autre pour savoir si on a le droit… d’exister, je prononce le mot avec un certain dégoût, c’est épuisant. »
Je soupire. J’ai peut-être l’air détaché, mais ce n’est vraiment qu’une impression. Je suis loin d’être détaché. Je suis même investi de toute mon âme dans une histoire qui devrait me glisser sur les épaules. Je n’ai rien à prouver, rien à me reprocher. J’entends presque la voix fière de ma mère dans un coin de ma tête qui me rabâche que ma valeur est une constante invariable. Je sais que je ne suis pas le meilleur avec les mots, elle ne l’est certainement pas non plus mais parfois, j’aimerais pouvoir greffer mes souvenirs dans la tête des autres. J’aime m’imaginer que s’ils voyaient ce que j’ai vu, alors ils changeraient peut-être d’avis. Ils ouvriraient les yeux. C’est physiquement impossible, je le sais cher journal. Nul besoin de me le rappeler.
Je n’ai pas besoin de chasser les pensées intrusives, elles s’envolent d’elles-mêmes quand je vois Nobu arrêter son regard sur un élève qui traîne dans le coin. Je me retourne presque aussitôt, vraiment pas discret et un peu curieux. La description commune que Nobu m’a fait plus tôt me revient et je me tourne de nouveau vers l’intéressé, avant de lui dire à voix basse :
« Tu crois que c’est lui ? »
Il y a beaucoup de bruns à lunettes qui font un mètre soixante-dix.
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Le jeudi 2 février 2018
Est-ce que c’est lui ? Nobu n’en sait rien. Il a beau le dévisager, plisser des yeux, rien n’est moins sûr. Putain ! Il s’énerve lui-même. Il était certain de pouvoir le reconnaître dans les couloirs. Mais c’est qu’il faisait sombre, quand ils se sont vus. Si seulement il pouvait mettre la main sur la photo de Naoki. Là, il aurait une preuve.
« J'crois, mais j'suis sûr de rien. »
Et c’est bien là le problème.
Si Nobu est bien sûr d’une chose, c’est qu’il ne gagnerait en rien à pointer du doigt le mauvais coupable. Il sait qu’à force de crier au loup, plus personne ne l’écoutera.
« Non, laisse tomber. »
Il s’apprête à reprendre la marche, vers le bureau de la CPE, quand son regard croise celui du brun à lunettes. Et sa réaction est plus que suspecte. Il fait un pas en arrière, tout de suite, ouvre grand les yeux. Et son expression. De la haine. De la culpabilité.
Oh, cette expression, il la reconnaît.
« C’est lui. »
Il aimerait avancer, marcher jusqu’à lui, lui tartiner toute sa haine, mais en fait, il n’y arrive pas. Il reste bloquer, à le regarder, tandis que le coupable commence à fuir, maintenant qu’il est démasqué.
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comme des garçons en colère
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Je me fige sur place. En fait, je n’ai même pas besoin que Nobu confirme nos craintes mutuelles car elles se dessinent d’elles-mêmes sur le visage du type en question. J’ai dit que j’avais une mauvaise mémoire des visages. Et c’est vrai. Si je n’attrape pas ce mec maintenant, je risque de ne pas être capable de le retrouver dans les couloirs. Et il fait un pas en arrière. Puis deux. Je vois Nobu qui ne bouge pas, je le regarde dans les yeux un instant, fronce les sourcils et je n’ai pas le temps de dire quoi que ce soit.
C’est peut-être une preuve de lâcheté que je me sente capable d’aller courir après cet enfoiré uniquement parce qu’il a l’air plus petit et plus frêle que moi. C’en est même très certainement une. Aurait-il été plus grand, plus large, j’aurais baissé les yeux, peut-être essayé de le prendre en photo discrètement et j’aurais continué ma route. Mais là, mon corps est pris d’une impulsion que je suis loin de maîtriser et qu’importe ce que fait mon comparse, je dévie ma route pour aller vers l’autre garçon. Il ne lui en faut pas plus pour se mettre à courir. Alors je fais pareil. Je ne cours pas vite, je ne suis pas sportif, je serai probablement essoufflé et ridiculisé à l’arrivée mais je ne vais pas laisser ce chien s’échapper si facilement.
« Reviens ici ! »
Il y a peut-être un 7mar qui m’a échappé à la fin de ma phrase, mais honnêtement, je suis juste trop en colère pour réfléchir à ce qui sort de ma bouche en ce moment-même. J’espère juste que Nobu ne s’est pas enfui. Je ne lui en voudrai pas. Mais une part de moi espère que ce n’était pas que du vent, ce qu’il m’a dit. Même si je sais bien qu’il y a une nette différence entre élever la voix et poursuivre ses oppresseurs dans les couloirs de la faculté.
by emme
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Le jeudi 2 février 2018
Figé. Oh merde ! Nobu se sent figé. Parce qu’il a peur, tellement peur. Il a aucune idée de ce qu’il peut bien faire, face à ce type. Déjà, parce ce type fait sa taille. Pauvre Nobu n’a pas eu la chance d’être grand. La faute à maman, la faute à papa, aussi. Chez les Yoshimoto, ils sont tous petits. Ensuite, parce qu’il ne sait pas se battre. C’est de sa faute, ça. Il a toujours préféré la fuite à la confrontation. Que ce soit direct ou crochet, pas question d’user de ses poings, alors il ne saurait pas quoi faire.
Mais Nassim s’élance. Lui, il n’est pas figé. Lui, il ne semble pas avoir peur. Il s’élance, simplement, et il lui gueule dessus, quitte à ce qu’on l’entende dans les couloirs, quitte à ce que des curieux s’intéressent à la situation. Comme s’il n'en avait rien à foutre des mouches à merde qui gravitent autour des histoires.
Sûrement que oui, il n’en a rien à foutre.
Et Nobu ne sait pas vraiment quel élan le pousse, mais il le suit. D’abord, en trottinant, puis en courant. Il ne manque pas d’endurance, il ne manque pas de vitesse, non plus. Il a l’habitude de courir, en fuite. C’est la première fois qu’il pourchasse.
Et pendant qu’il court, y’a une drôle d’énergie qui le prend à la gorge. Une boule. De la haine. Elle monte, monte, à chacun de ses pas. Et il se rapproche, encore et encore, double Nassim, pour arriver vers le lunetteux. Et plus il se rapproche, plus dans sa tête, un florilège d’insultes. Il l’attrape, le pousse contre un mur, le regarde.
Puis là, il sait plus quoi dire. Il est silencieux, comme un con, à le maîtriser, ne lui laissant aucune chance de fuite.
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Club de journalisme
Tu sais que je ne suis pas particulièrement rapide. De manière générale, je ne suis pas une flèche en sport. Je me dis qu’il faudrait que j’y fasse quelque-chose : je me dis souvent ça, d’ailleurs. Cette année, j’admets qu’avec le retour aux études, je n’ai pas eu le temps de m’inscrire à la salle ou même dans un club de sport. Peut-être l’année prochaine, avec de bonnes résolutions. Je ne suis pas sûr que ça aurait changé quelque-chose au fait que le mec que je course trace sa route bien plus vite que moi. Et j’ai beau râler dans ma barbe, ça n’y fait rien. La distance devient plus importante et… je vois Nobu me dépasser comme une flèche. Une part de moi se disait qu’il ne trouverait pas le courage, comme tout à l’heure. Et je sais que je ne devrai pas me réjouir de quoi que ce soit dans cette situation, il n’y a rien de beau dans la vengeance. Mais je ne peux pas m’en empêcher et quand il le rattrape pour le plaquer contre le premier mur qui se présente, je trouve un nouveau souffle pour les rattraper, mes jambes et mon corps comme plus légers. C’est l’adrénaline. Je le sais.
C’est pour ça que je prends un instant pour souffler alors que je m’approche à mon tour. Aucun mot ne sort d’aucune bouche et je sais d’expérience que c’est mauvais signe. Je ne connais pas bien Nobu (depuis moins d’une heure, en vérité) et même si je ne l’imagine pas du genre violent, je ne peux pas savoir. Je pose une main sur son épaule, sans trop savoir pourquoi. Le calmer ? Essayer de le ramener sur terre ? Lui montrer qu’il n’est pas tout seul ?
Dans un geste simultané, je sors le papier de ma poche et je le plaque sur la poitrine de mon assaillant sans le quitter des yeux. Il y a un fond de peur mêlé à du dégoût dans son regard. Si j’étais fou, je serais en train de sourire et comme je dois me retenir de le faire, je me demande si une part de moi-même n’a pas déjà sombré. Je ne savais pas ce que ça faisait d’avoir l’ascendant quand on a l’autre à l’amende. Je le découvre aujourd’hui et coupablement, je comprends les connards. Ça donne envie d’en être un.
« Tu veux que je te le lise à voix haute ?
— Je ne comprends pas, je-
— Tu cours vite pour quelqu’un qui ne comprend pas. »
Aurait-il été seul avec Nobu (ou moi), serait-il dans le même état ? Paniqué, à questionner ses choix de vie désastreux ? Je l’ignore. Mais étrangement, je n’ai pas honte de profiter de notre supériorité numérique.
« Qu’est-ce que vous me voulez ?! »
by emme
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Le jeudi 2 février 2018
Il se défile. Nobu ne sait pas vraiment à quoi il s’attendait. Bien sûr, qu’il se défile. Il aurait aimé que ça se passe autrement. Être assez intimidant pour que le garçon dévoile tout, tout de suite, sans même avoir besoin de le lui demander. Qu’il s’excuse, qu’il se mette à genoux, qu’il supplie pitance. Mais en fait, rien de tout ça. Il continue de tout nier en bloc. Et d’un coup Nobu se demande, est-ce que c’est vraiment lui ? Et voilà, il a fait une erreur. Il commence à voir des méchants partout, et se met à agresser des innocents à son tour…
Des innocents qui fuient quand ils le voient.
Qui fuient quand on l'interpelle.
Qui courent, même.
Non. Pas possible. Nobu ne s'est pas trompé. Eh merde ! Qu’est-ce qu’il aimerait avoir la photo prise ce soir-là. Mais c’est dans le téléphone de l’autre garde. Naoki ou je ne sais plus quoi. Ils n’ont pas vraiment discuté, depuis ce soir-là. Nobu n’a pas osé lui demander une preuve de cette soirée. Il n’a rien, vraiment rien pour accuser ce mec. Pourtant, il sait. Il se souvient des traits de son visage. Il se souvient de cette mine apeurée. C’est déjà celle-là qu’il arborait lorsqu’ils se sont rencontrés, la première fois.
« On avait passé un deal, tous les deux... » Il se reprend. « Enfin, tous les trois. Si tu recommençais, c’était fini pour toi. »
Enfin, fini, Nobu ne parle pas de bagarre ou de poings. En fait, il s'agissait d’une menace bien plus pernicieuse. Nobu et Naoki ont pris une photo dans laquelle ils piègent l’harceleur. Sa position lui donne l’air d’enlacer Nobu, dans une relation pas tout à fait hétérosexuelle. Bien sûr, Nobu n’a aucun moyen de diffuser cette photographie, mais il peut bluffer.
« Et t’as recommencé. Alors ? »
Pas de sourire. Pas d’autre expression non plus. Nobu est froid, comme la neige. Le garçon a toujours aussi peur. Même un peu plus peur, encore.
« Pardon, pardon, c’est la dernière fois, pour de vrai. C’est juste que je l’ai vu, et j’me suis dit encore un. Y’en a de plus en plus. Et vous vous assumez en plus. C'est pas normal, ça. Normalement faut se cacher. Vous devriez pas être fiers. C'est pas bien ce que vous faites. »
La dernière fois, mon oeil.
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Content warning : langage cru, vulgaire dont homophobe
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Il arrive un instant où j’ai envie de les laisser régler leurs comptes. Je ne l’ai pas lâché, non. Pas une seule seconde. Il est coincé entre ma poigne et le mur. Ni Nobu, ni moi ne l’avons lâché du regard ne serait-ce que pour lui offrir une seconde de répit. Pourtant mon cœur bat fort dans ma poitrine, j’avoue paniquer un peu, si quelqu’un nous voyait, nul doute qu’on serait dans la merde. Je ne me laisserai faire pour rien au monde bien entendu, mais il faut appeler un chat un chat : ce qu’on fait là s’appelle de l’intimidation. Et j’aurais peine pour ma conscience si je ne ressentais pas une pointe d’euphorie malaisante et très étrange me faire garder la tête haute, le regard méchant.
Mon problème, c’est que je n’ai pas la retenue froide de Nobu pour ma part. J’ai envie d’être graphique, de lui faire comprendre la teneur exacte des propos qu’il conduit.
« Ça te gêne, c’est ça ? Ça te fait quelque-chose de voir deux mecs s’embrasser ?
— Quoi ? Non c’est-
— Vas-y, dis-moi. C’est quoi qui te fout la trouille ? Je suis devant toi maintenant, t'as plus trop envie de me traîter de pédé ? Ou de pointeur ?
— J’ai pas la trouille ! Vous êtes dégueulasses !
— Ah ouais, t’es sûr de ça ? T’es pas un peu jaloux plutôt ? T’aimerais pouvoir faire p- »
Je ne trouve jamais le temps de finir ma phrase parce qu’il essaye de se défaire de ma prise. Il a autant de force qu’un enfant et sa tentative échoue lamentablement, mais son geste me fait revenir à la réalité et dépasser le voile rouge qui m’aveuglait il y a encore quelques secondes. Je prends une grande respiration.
« On l’amène à l’administration ? dis-je en direction de mon camarade d’infortune. »
S’il faut que je traîne ce petit con par le col jusque là-bas, je t’assure cher journal que je n’aurais aucun scrupule à le faire et j’admets, coupablement, que j’y prends un certain plaisir alors même que je me pensais encore non-violent il y a moins d’une heure.
by emme
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Le jeudi 2 février 2018
Toute cette histoire de deal, c’était une connerie. Nobu s’en rend compte, maintenant. Mais bon, qu’est-ce qu’il aurait pu faire d’autre ? Et puis, il n’était pas tout seul. Sur le moment, ça lui a semblé pas si mal. Pas pire. Et aujourd’hui, il a la sensation d’avoir manqué quelque chose. Peut-être d’un poil de maturité. Qu’est-ce que vaut une photo, face à un signalement, en bonne et due forme, d’une agression.
Parce que oui. Maintenant Nobu veut bien l’accepter. C’est lui qu’on agresse. Et ce, même si la position actuelle semble dire tout le contraire.
Il relâche la pression, et laisse Nassim parler. Parce que Nassim, il a l’air plus mature que lui. Est-ce qu’il est plus vieux ? Nobu ne sait pas vraiment l’dire. Il n’a jamais été très bon pour deviner les âges des personnes.
Et quand il propose de l’amener à l’administration, Nobu qui avait été pourtant si récitant au début de la journée répond, sans une once d’hésitation : « Oui, allons-y.»
Pas besoin de poser davantage de question. Après avoir un peu insisté, le gars finit par les suivre. Il est certain que la plainte ne sera pas prise en compte. Il n’a pas l’impression d’avoir fait une erreur. Mais Nobu s’en fout. Tant pis si c’n’est pas entendu, à minima il aura parlé. Ce sera consigné, quelque part, jusqu’au jour où on voudra bien les entendre comme des victimes, et pas comme des fautifs.
Nobu toque à la porte, et est reçu. Il raconte son histoire, Nassim la sienne, et finalement le troisième garçon. Chacun son tour. Chacun sa voix.