[Terminé] Jeu de masques | Maya

Nobu sort son téléphone de sa poche. Il pianote sur son navigateur afin de trouver une photographie. Quand il tombe sur une jupe qui lui convient, il tend son téléphone vers Maya. Il ne la laisse pas attraper le cellulaire, il préfère que personne ne touche à ses affaires, mais vu l’angle, elle n’aura aucun mal à voir la photo.
« Regarde ! » Sur l’écran du téléphone, Maya peut voir une photo de mode. Un homme porte une Jupe et un pull col roulé. L’ensemble noir a quelque chose de moderne que Nobu aime beaucoup. Il apprécie la simplicité de la silhouette et de la tenue. « Alors, évidemment que ce modèle n’est pas abordable. Mais y’a des marques qui le copient. »

Et sinon, suffit de se servir dans la mode des femmes. En fait, la jupe de Jean Paul Gaultier, c’est rien d’autre qu’une jupe droite, longue, aux couleurs neutres. Le genre de jupe qui ne moule pas vraiment le corps, et qui n’a pas la féminité d’une patineuse. Nobu est certain que s’il s’assumait vraiment, il en porterait. Mais pour le moment, il est encore trop effrayé par tout ça.

Il range son téléphone dans sa poche. Maya a raison, encore, mais il se contente de hausser les épaules. En fait, il n’a pas vraiment envie de se battre seul non plus, il a juste besoin de faire son petit bout de chemin.

« Et un club queer, ici, à Kobe High School, tu crois que ça pourrait exister ?»

Oh oui que c’est classe. Nobu opine. Il aimerait tellement pouvoir porter ce vêtement, pouvoir être complètement à l’aise avec le genre, avec l’habit ! Mais il ne faut pas rêver. Si le crossdress est relativement accepté, c’est pas une tranche restreinte de la population. Et si Kobe High School semble assez ouverte pour une Université japonaise, ce n’est peut être pas une bonne idée de jouer avec le feu.

Et puis, Maya a bien raison. Pas question de regarder le prix d’un Jean-Paul Gaultier. Même son prêt à porter est importable. Du moins, pas pour Nobu, dont le portefeuille est de plus en plus serré chaque jour. Peut-être qu’il devrait prendre un petit boulot pour l’année prochaine ? Il a promis à ses parents de se concentrer sur ses études, mais ça ne ferait pas de mal.

« J’suis sûre qu’en sachant coudre on peut faire une jupe équivalente pour moins cher? »

Enfin, il faudrait pour ça que Nobu apprenne à coudre, et à vrai dire, il n’y est pas encore.

Et le sujet change sur le club de Kobe, Nobu est d’accord, personne n’est prêt. Il faudrait peut être le déguiser, ne pas l’appeler club LGBT, passer du temps à faire autre chose, mais se retrouver de manière secrète pour pouvoir discuter des difficultés des étudiants queer dans l’établissement.

Nobu a plein d’envies, et plein de rêves dans la tête, mais il baisse un peu les bras.

« T’as raison, c’est trop difficile. »

Il aimerait vraiment pouvoir penser le contraire.

Ah ! Nobu aurait bien aimé tomber sur une couturière hors pair. Malheureusement, Maya est bien obligée de souligner ses limites dans la matière. Alors, Nobu ne relève pas, et se contente de hausser les épaules. Il se demande s’il y a un club de couture, et dans le cas contraire, où est-ce qu’il pourrait faire une petite annonce pour trouver un prof dans ce domaine ?

Parce que non seulement pour la jupe Jean-Paul Gautier, Nobu aurait bien besoin d’un coup de main pour apprendre à désigner ses propres tenues. Les vêtements, c’est ce qui coûte le plus cher en tant que Drag Queen. Alors oui, c’est toujours possible d’aller à H&M et Uniqlo, mais les tenues qu’ils proposent sont bien moins originales que celles que Nobu imagine.

« Oh, la, non alors ! Pas question. Je vais pas m’amuser à trouver une troisième université. »

Et puis, pas sûr que ses parents soient contents de s’être sacrifiés pour ça.

Et voilà, les deux comparses sont tout devant le konbini. Nobu s’arrête devant les portes, avant d’entrer dans le shop pour demander à Maya : « Je vais acheter à manger, tu veux prendre quelque chose aussi ? »

Ou leurs chemins se séparent là ?

Nobu hausse les épaules. Il imagine que Maya fait un trait d’humour. En bon japonais, Nobu n’est pas certain d’être très à l’aise avec tout ce sarcasme. A vrai dire, il espère bien que l’adage ne le concerne pas. Deux sans trois, c’est bien quand c’est pour de bonnes nouvelles. Pour des universités ! Pas questions. Pour le moment, les cours ici se passent bien, les professeurs ont un bon niveau, et Nobu maintien d’excellentes notes. Peut-être que plus le temps passe, moins il a le temps pour écrire à côté, mais ce n’est pas que la littérature lui déplaît, c’est juste qu’il est occupé.

« Un gars ? Je ne comprends pas bien pourquoi on parle d’un gars.»

Nobu est bien plus concentré sur lui que sur autre chose. Les gars, c’est bien, mais à part Hikaru, il n’a pas vraiment le temps pour tomber amoureux. Et puis, s’il parle de fringues, c’est plus pour lui que pour les autres. Il a envie de pouvoir s’aimer d’abord, se sentir à l’aise avec lui-même.

Les deux s’engouffrent dans le petit konbini. Elle a raison, tant qu’elle est là. Naturellement, Nobu s’avance vers le rayon salé. Ce n’est pas vraiment un bec sucré. Il attrape quelques onigiris, thon piquant, poulet, et un aux algues kombu, ça lui rappelle la maison.

« Ah ! » Un gars, dans ce sens ! Il n’y avait pas pensé. Il aimerait pouvoir les faire par lui-même. C’est tellement satisfaisant de pouvoir rendre réel une image que l’on a dans sa tête. « Ou pour m’apprendre. »

Il continue son trajet dans les rayons, pour récupérer une boisson. Il opte pour un thé vert, non sucré. C’est qu’il aime faire attention à ses macros. Il est du genre à compter ses calories, et à ne pas prendre trop de sucres raffinés. D’une, parce que c’est pas à son goût, de deux, parce qu’il tient à garder des performances convenables en piscines. Pas qu’il ne fasse de compétitions, plutôt qu’il a peur de perdre en aisance une fois retrouvée la mer de son village natal.

« Des onigiris, et du thé. Toi ? »

Il se penche un peu pour voir ce qu’elle a dans ses mains, puis, quand elle lui a répondu. En attendant dans la queue pour payer, il lui répond, simplement :

« Rien, j’ai personne avec qui le fêter. Peut-être que j’irai à un événement du bar. Et toi ? Un grand geste romantique de prévu ? »

Un jour, peut être, il pourra se permettre de jouer le grand jeu aussi.

Le résultat n’est pas le même, tout le contraire ! Savoir faire, c’est être autonome. Ce n’est pas seulement l’histoire d’une jupe, ou d’une robe. C’est tout un style de vie. Savoir coudre, c’est se permettre de s’extraire de la fast fashion. C’est se permettre de porter des vêtements qui sont d’habitude taillés pour les grands, pour les maigres. C’est de préférer les couleurs criardes quand on est à la mode du pastel. Coudre, c’est la liberté ! Et Nobu est un peu envieux d’une telle liberté.

Pourtant, il ne répond pas, et préfère simplement opiner. Il n’a pas envie de rentrer dans un débat qui n’en est pas un. Au fond, il est sûr que Maya est d’accord avec lui, c’est juste une histoire de formule. Pas besoin d’être tatillon pour une histoire de formule.

Quand elle mentionne sa déception, encore une fois, Nobu hausse les épaules. Qu’est-ce qu’il peut répondre ? Le premier déçu, ça ne peut être que lui. Quoi que, il n’est pas vraiment à la recherche du grand amour. Sinon, il serait certainement en train d’éplucher les réseaux sociaux. Ce n’est pas des hommes qui manquent sur Grindr, surtout à l’approche de la Saint Valentin. Tout le monde espère son petit moment d’amour. Il ne peut même pas espérer non plus des chocolats d’amitié, et là, c’est tout de sa faute. Il n’est pas le meilleur des amis, et n’a pas cherché à développer ses relations.

« Oh, super. Tu vas faire quoi ? »

Et oui, parce que malgré tout, Nobu s’intéresse. Il se demande comment deux femmes fêtent la saint valentin. Est-ce qu’elles s’out ? Est-ce que c’est un vrai moment romantique, ou une sorte de moment entre copines ?

Nobu roule des yeux. Evidemment qu’elle allait répondre une connerie du genre. Nobu trouve Maya gavante. C’est elle qui est la première à être curieuse, et quand lui essaie simplement d’être sympathique, et de s’intéresser à sa vie, elle le renvoie chier. Non, définitivement, ce n'est pas agréable. C’est un peu le jeu du chaud et du froid. A un moment, elle est sympa et elle veut savoir comment il va, à l’autre moment, elle est sur la défensive et lui parle comme un chien. C’est chelou d’être comme ça. Relax Max.

Mais encore une fois, Nobu ne répond pas vraiment. Il se contente de hausser les épaules. Au final, c’est plus simple. Ce n’est pas le genre à adorer la dispute, et s’il disait tout haut ce qu’il pense tout bas, il ne ferait que se crêper le chignon. Autant faire semblant d’en avoir rien à faire.

Il passe à la caisse en premier. Il donne ses onigiris à la caissière, avant de les récupérer. Il y a une promo, sur le quatrième, s’il le prend, mais il refuse. Ce serait trop, pour ses macros. Tout est rangé dans un petit sac en plastique - mauvaise pour la planète, mais pratique pour les mains -, et Nobu se met un peu de côté pour attendre que Maya paye ses bonbons et le rejoigne.

Ils sortent du Konbini.

« Bon, eh bien. Bonne saint valentin alors ? » Normale ou pas normale. « Et.. » Il louche sur les bonbons. « Bon appétit… » …I guess ?

Il a bien envie de dévorer son déjeuner tout seul dans le parc, avant de reprendre les cours.

Nobu hoche la tête. Il espère qu’il sera sur scène aussi. Dernièrement, ça devient de plus en plus agréable de faire des shows. D’une certaine manière, ça le libère. Il ne performe que depuis deux mois mais il sent l’amélioration. Il est loin d’être aussi bon qu’Hikaru, mais ça va venir, il est persuadé. Alors, il la remercie, le plus sincèrement possible.

« Merci beaucoup. »

C’est toujours bon, de prendre des bonnes ondes. Et puis, ils se séparent. Il la salue, d’un geste de tête poli, avant de partir avec ses onigiris pour trouver un coin calme où manger. Il a besoin d’un peu de repos, et de solitude, pour recharger les batteries et se remettre à fond pour les prochaines heures de classe.

C’est toujours étrange les rencontres avec Maya. Mi doux, mi amer. Elle est particulière, mais il faut admettre qu’après lui avoir parlé il se sent toujours un peu plus tranquillisé au sujet de sa propre homosexualité. Elle pourrait être une alliée, si jamais.

#terminé