Strike de pose | ft. Maya [Terminé]

Seize heures. Les salles de classe sont vides. Plus un étudiant, plus un professeur. Il n’y en a qu’une, qui n’est pas complètement déserte. Moon est assise nonchalamment sur l’une des tables de la pièce qu’elle a réservé. Elle a fait des pieds et des mains pour accéder à ce petit havre de paix. Une salle de classe rien que pour elle et pour Maya. Rien que pour lui apprendre les fondamentaux de l’acting.

Il a fallu batailler, pour expliquer l’importance de ce cours privé. Heureusement, le caractère explosif de Maya fait du bruit. Dans la salle des professeurs, les rumeurs circulent vite. Et évidemment, la bagarre entre Maya et Nolan n’a pas fait exception.

Objectif pédagogique de ce cours supplémentaire : apprendre à Maya à gérer ses émotions et se calmer en prenant la posture de l’actrice.

Moon n’a prévu presque aucun matériel. Un appareil photo, des accessoires, quelques textes de théâtre, au cas où elles en aient besoin. Elle a donné des devoirs à Maya, à faire avant leur première entrevue. Quelques lignes de l’ouverture d’Antigone d'Anouilh, qu’elle doit apprendre par cœur. Très classique, rien de difficile, mais nécessaire pour pouvoir commencer avec quelque chose.

Maya entre.

Et elle a l’air plus heureuse que jamais. Et c’est presque surprenant de la voir dans cet état. C’est que Moon a pris l’habitude de voir une petite blonde un peu triste, ou un peu en colère. Mais pas aussi enthousiaste.



Elle ne peut s’empêcher de se demander : est-ce que ça va mieux, la situation de son amie ? La dernière fois que les deux femmes se sont rencontrées, il y avait cette histoire de bisou. Moon n’a pas oublié, et même si elle ne souhaite pas en savoir plus, la perspective d’une histoire qui s’est bien terminée la met en joie.



Un large sourire. Moon pousse légèrement sur la table pour se redresser. Elle fait quelques pas vers Maya, se rapproche.



Avant toute chose, s’assurer que les devoirs ont bien été faits. Sinon, punition !

Créon et Antigone débattent. Pour ne pas laisser Maya seule face à son texte, Moon joue le rôle du père. C’est que cette pièce, elle la connaît par cœur. Plus habituée à Ismène qu’au patriarche, elle tient tout de même la cadence. Combien de fois a-t-elle lu ce texte ? Des dizaines, des centaines, des millions de fois ! Elle rêve, un jour, de pouvoir le tenir sur scène. Il faudrait qu’elle arrête d’emballer ses rêves dans du papier et prenne le courage de les affronter.



Le prologue en est à sa fin. Le rideau pourrait se fermer. Moon termine sa longue tirade, et Maya la ponctue. Alors que la représentation est finie, la professeur de cinéma applaudit du bout des doigts.



Emphase sur “début”.

Evidemment, Moon n’a pas choisi Antigone par hasard. Même si elle apprécie l’écriture d'Anouilh, et connaît bien la pièce, il fallait trouver quelque chose qui puisse correspondre à Maya. En dehors de l’absurdité de Feydeau, rien n’est aussi parlant que les soucis relationnels d’Antigone.

Alors, c’est peut être la raison pour laquelle Maya s’empare si bien de son personnage. Du talent ? C’est peut être exagéré, mais Moon trouve que la jeune femme est naturelle. Elle a peut-être tellement l’habitude d’être expensive que le théâtre n’est pas difficile.

C’est la confiance, peut-être, aussi. Maya dégage quelque chose d’assez envoûtant. Moon l’a tout de suite remarqué, lors de leur première rencontre. Malgré sa petite taille, elle en veut, elle prend de l’espace. C’est un personnage, avant d’être une femme. Elle existe trop fort, trop vivement.



Moon n’est pas tout à fait juste. A vrai dire, elle espère que ses étudiants font un peu plus que de recracher ses cours. Il y a quand même l’importance de lire entre les lignes, de conserver les informations qui nous plaisent pour faire de la culture scolaire notre propre culture.

Mais aujourd’hui, Moon se permet d’être un peu excessive dans ses mots. Parce que Maya a naturellement décidé d'interpréter les mots plutôt que de les réciter, c’est qu’au fond, elle a compris tout l’intérêt du théâtre.



Est-elle entrée dans la peau de son personnage ?

Moon ne relèvera pas. Elle aussi, comme tous les autres, ne se souvient pas de tous les cours qu’elle a appris. Alors, pas question de faire la leçon. C’est toujours blessant, lorsqu’on est professeur, de savoir que l’on ne touche qu’une infime partie de ses étudiants, mais s’il est possible d’avoir marqué ce n’est qu’un dixième de la matière grise de ces petites têtes brunes, c’est mieux que rien.

Et puis, heureusement il y a ces genres de moments intimes et particuliers, qui sont beaucoup plus intenses, profonds. C’est dans ce genre de moment que l’on apprend le plus des étudiants et qu’on peut les toucher. Et pas question de laisser Maya s’en sortir avec sa réponse. Ce n’est pas satisfaisant. Elle a forcément ressenti quelque chose.



Et même un mélange de tout cela.

Les bras croisés, les hanches posées sur une table négligemment, Moon hoche la tête. C’est bien, Maya semble s’ouvrir un peu plus. C’est important, de parler ainsi de ses émotions. Surtout lorsque l’on joue. C’est nécessaire d’être sincère avec soi-même, pour ne pas se perdre dans ses personnages. Il faut garder un espace nécessaire entre ce que l’on incarne, et ce que l’on est. Ne jamais se perdre, pour mieux s’oublier.



Moon ne parle qu’au féminin, mais bien sûr il est possible de jouer des hommes, de se glisser dans leur peau, mais Maya n’en est certainement pas encore à ce stade. Déjà qu’elle se concentre sur l’empathie avec les personnages féminins, avant de s’intéresser aux masculins. Il n’y a aucun doute : ça ne pourrait que l’aider à gérer sa misandrie. Mais il ne faut pas mettre la charrue avant les boeufs.

Décidément, Maya a aujourd’hui décidé d’être indécise. La jeune fille, qui est parfois étonnante d’impulsivité, semble empêtrée dans ses pensées. Il y a forcément quelque chose. Maya s’est bien construite avec des modèles. Féminins, comme masculins. Pas question de lui mâcher la réponse et de la lui donner ! Il faut que la jeune fille fasse ses devoirs.



Bien au contraire, Moon est un peu déçue de ne pas avoir réussi à rendre ce lieu et ce moment sympathique. Elle voudrait que Maya se sente assez bien pour pouvoir se sentir libre de parler sans filtre. Alors, une idée : Moon peut bien lui donner ses propres modèles.



Il y a certainement aussi quelques rôles que Moon aurait voulu camper. Comme une super héroïne ! Une amazone !

Un léger sourire étire les lèvres de la professeur de cinéma. Définitivement, elle n’arrivera pas à sortir quelques noms de la bouche de Maya. Sauf, peut-être, Mulan. C’est le seul personnage que la seule étudiante daigne prononcer. Peut-être le seul qu’elle a vraiment en tête ? Difficile de le croire, pour une étudiante en littérature. Lorsque l’on est plongé dans les livres, on a souvent des tas de personnages avec lesquels on vit.



Évidemment que Blanche Neige ou Aurore son nunuches. C’est d’ailleurs tout le principe. Elles viennent d’époques où les femmes avaient besoin d’être belles et serviables, avant d’être fortes et intelligentes. Bien sûr, Mulan, ce n’est pas la même chose. C’est davantage le reflet d’une époque moderne aux princesses plus indépendantes.



On est bien loin des nunuches, n’est-ce pas ? Alors, oui, il y a encore bien souvent les compagnons qui font des têtes mignonnes, des proportions corporelles fantasmées, et des chansons un poil naïves. Mais après tout, ce sont surtout des films pour enfant !

Assez parlé de Disney. Les princesses, c’est intéressant, mais Moon n’envisage pas de faire chanter et réciter Libérée, délivrée à la petite Maya. Alors, si celle-ci n’a pas d’idée, Moon va lui trouver quelques personnages dans lesquels se plonger. Elle se tourne vers son sac, le pose sur la table pour en sortir quelques pièces de théâtre : Bérénice de Racine, Incendies de Wajdi Mouawad et Lucrèce Borgia de Victor Hugo. Trois femmes et trois époques très différentes.



Et au coeur de ces trois pièces, trois femmes.

La France ? Si elle l’aime ? Oui. Définitivement. Et après tout, elle aime à croire que le fantasme du gentleman galant français existe. Ne serait-ce qu’un tout petit peu. Alors oui, c’est un peu un comble d’espérer voir un gentleman quand on refuse d’être une princesse. Et Maya l’a bien soulevé. Mais tout le monde a ses contradictions.



Et notamment des histoires de femmes. Bien sûr, la littérature japonaise n’est pas en reste. Mais Moon a davantage été marquée par Emma Bovary que par Tomoko. Et pourtant, elle a dévoré Le Miroir des courtisanes. Drôle d’affaire, quand même, se sentir plus proche d’une normande qui rêve de Paris, que d’une japonaise. Deux femmes au destin tragique.

Peut être que Moon aime bien la tragédie.

Sûrement, même.



Est-ce qu’il y en avait un mauvais, de toute manière ? Si Moon a choisi cette pièce, ce n’est pas par hasard. Elle aurait voulu être à Paris en début d’année 2016. De janvier à avril à la Comédie française se donnait en spectacle Guillaume Gallienne et le reste de la troupe dans une réadaptation de la pièce par Podalydès. Un florilège de grands noms du théâtre français contemporain. Elle n’aurait rien compris, mais peu importe. Moon connaît suffisamment Lucrèce Borgia pour ne pas avoir besoin de parler la langue de l’auteur. Qui sait, peut-être qu’ils joueront la prochaine fois qu’elle se rendra à Paris ?



Moon fouille dans le livre, pour trouver une tirade que Maya pourrait interpréter. Et finalement, elle s’arrête sur la plus évidente :



Moon joue le jeu, elle entre véritablement dans la peau du personnage. Elle se sent comme parée de bijoux, vêtue d’une robe épaisse en velours chaud, et d’une immense honte d’être mariée à un homme aussi odieux que Don Alphonse. Mais Moon s’arrête. Pas question de faire toute la tirade. Pas que ce soit trop long, mais qu’elle a déjà pris des cours de théâtre. Elle tend plutôt le texte à Maya :

Moon n’est pas criminologue pour un sou. Elle n’est pas particulièrement fan de ces émissions de True Crime, à la “Faites entrer l’accusé”, qu’elle trouve davantage tapageuses que pertinentes. Mais si elle a de véritables lacunes dans la compréhension des mécanismes comportementaux poussant les hommes à devenir mauvais, elle est d’accord avec Maya. A priori, difficile de croire qu’un enfant naît véritablement méchant. Elle a un esprit logique, Moon. Bien sûr qu’il doit y avoir des particularités neurologiques chez certains, mais la méchanceté ce n’est pas un traité inné. Moon croit beaucoup en l’acquis.

La professeur de cinéma remarque le petit sourcil que soulève Maya. Alors, oui, ce n’est pas un petit texte ! Mais qui a dit que le théâtre était une chose facile ? Certainement pas Moon ! Bien sûr, là n’est pas l’idée de dégoûter son étudiante du jeu. Mais plutôt de la pousser dans ses limites. Elle a bien compris que la blonde n’est pas du genre expansive. Elle ne parle pas beaucoup de ses émotions et semble ne pas énormément intellectualiser son jeu. Alors, pour pouvoir lui donner des directions, il faut la voir jouer.

Rien de mieux qu’une tirade.

Première surprise : il semble que Maya a le bon réflexe. Si sa voix exaspérée semble un peu trop puérile pour une femme aussi despespérée que Lucrèce Borgia, Maya semble avoir cherché dans son répertoire. Elle ne se contente pas de simplement lire le texte avec quelques intonations. Elle essaie définitivement de jouer. Moon attend que l’étudiante ait terminé la tirade pour doucement applaudir. Il faut toujours commencer par féliciter.



Moon se redresse doucement et se rapproche de Maya pour récupérer le texte. Elle pointe quelques passages du livre.



Quelques pas en arrière.

Oh, Moon aussi aime bien ce genre de personnage. En fait, elle a souvent l’impression que c’est un archétype qui plaît à tout le monde. A la fois aux fans de drame, et aux filles en recherche de modèles féminins. Même si, pour Lucrèce Borgia, la fin est davantage tragique qu’inspirante. On est loin des It Girl et des Girl Boss qui popent sur tout instagram.

Moon n’a pas encore saisi la barque d’Instagram. Il serait temps ! Enfin, elle a bien un compte, avec quelques photographies. Pêle mêle : des plats, de jolis paysages, quelques tableaux dans des musées. Mais elle ne remonte jamais son feed et n’a pas encore été frappée par l’importance de ces nouveaux influenceurs. Même si elle sait bien qu’il s’agit d’un corps de métier en construction et qu’il ne faut certainement pas les sous-estimer.



…Avec le petit Nolan. Ouf, un peu plus et elle l’aurait dit ! Elle se reprend.



Plus de bruits de couloir, surtout. C’est qu’une jeune lolita au caractère bien trempé, ça fait parler. Moon croise les bras, et regarde attentivement son élève reprendre l’exercice. S’il y a bien quelque chose qu’elle ne peut pas lui retirer, c’est sa motivation. Pour le moment, Maya n’a rechigné devant rien. Même si les intitulés peuvent sembler difficiles, elle prend tous les défis à bras le corps. Et rien que pour ça, Moon est assez satisfaite.

Mais Maya n’a pas tout à fait compris ce que Moon pensait par colère pudique. Et les yeux de la jeune fille deviennent davantage tueurs qu’attristés. Ses lèvres plus sadiques que honteuse. La femme fatale se transforme dans une forme de yandere. Mais Moon n’arrête pas l’étudiante, elle la laisse terminer, sûrement se rendre compte de son erreur. Oui. Il n’y a plus de doute. Lorsqu’on est moins confiant, notre jeu s’épuise. Et c’est le cas pour Maya, qui semble davantage réciter que jouer. Elle a bien compris le souci.



Et alors qu’elle raconte, Moon s'éprend petit à petit de ce personnage. Et finalement, une image vaut mieux que mille mots, alors elle fait l’exemple, et récite le premier paragraphe de la tirade, pour montrer à Maya comment faire.

L’exercice ne laisse définitivement pas Maya de marbre, qui semble avoir bien des difficultés à gérer ses émotions. Pourtant, c’est bien là tout le but de ce cours particulier. Enfin, pour Moon. Elle a bien vu que la jeune étudiante avait besoin d’un coup de pouce pour devenir la parfaite jeune femme en société. Et pourtant, malgré ce but caché, elle ne peut s’empêcher de grimacer à la remarque de la blonde.



Parce que même si Maya a un tendance à sur-réagir, Moon n’aime pas du tout cette auto-critique. Comme si, à force d’entendre cette critique, la jeune femme avait fini par complètement l’accepter.



Parce que le pire, c’est que Maya pourrait être sérieuse, sous ce voile d’humour. Enfin, Moon espère que c’est de l’humour. Parce que si elle souhaite vraiment atteindre à la vie de quelqu’un, ce n’est pas un peu de théâtre qu’il lui faut.



Ce qui n’est bien ni pour l’un, ni pour l’autre.



Et en tant que femme, encore plus en tant que femme de la cour avec un peu d’argent, pas question de s’enfuir avec un sac à dos faire le tour du monde. Surtout quand on s’appelle Lucrèce Borgia et qu’on est considérée comme l’une des plus belles femmes de son époque.

Pour le théâtre ? Moon lève un sourcil. Elle n’en est pas si certaine. Elle a déjà vu Maya s’énerver contre des hommes, et ce à deux reprises. D’abord avec le petit Nolan, puis avec les lourdeaux dans la rue. Autant pour les deuxièmes… Moon veut bien croire que c’était justifié, mais avec Nolan ! Maya a une certaine tendance à exploser. Disons qu’elle ne sait pas vraiment se calmer.

Pas que Moon pense la jeune femme folle. Bien au contraire. Par contre, elle a la sensation que l’étudiante a bien des difficultés à gérer ses sentiments et que ça pourrait lui faire du bien d’apprendre à avoir du recul sur elle-même. Parce que même s’il y a “pire”, elle se doute que Maya ne se satisfait pas complètement des regards de travers et des bruits de couloirs. Parce que oui, elle a déjà entendu parler d’elle, jusqu’à la salle des profs, et pas toujours avec tendresse. Même Ryuji semble se crisper lorsque Moon évoque le nom de la lolita.



… “Réputation” ? Moon n’est pas sûre que le mot soit très agréable à entendre, alors elle arrête sa phrase là. De toute manière, Maya a bien compris de quoi elle faisait allusion.



Et Moon a malheureusement trop souvent écouté ce vieil adage selon une femme doit sourire et pas s’énerver. Alors, c’est un peu trop ancré en elle. Même si ses amies la trouvent un peu trop moderne, un peu trop voyante, trop femme fatale, Moon est loin d’être la femme déconstruite qu’elle aimerait être. Elle porte encore trop d’attention à être vue comme une fille respectable. Mais ça, un jour, elle arrivera peut-être à le déconstruire.



Ce qui est toujours plus simple à dire qu’à faire. Il suffit de penser à sa relation avec Takumi : Moon en a subi, des réflexions agressives, presque racistes, et des situations d’une grande violence. Et pourtant, elle est restée, jusqu’à qu’il la jette, jusqu’au mariage avec sa femme.

Moon esquisse un petit sourire. Au fond, elle sait bien que Maya a raison. Evidemment qu’il est dommage de s’abandonner complètement, peu importe la situation. Bien souvent, il semble plus simple de ne rien faire et de s’oublier dans des relations malsaines. Parce que c’est effrayant de briser le mur, de bouleverser son quotidien. C’est un pari risqué, encore aujourd’hui, de divorcer quand on est une femme. Mais parfois, c’est nécessaire pour se retrouver.



Et c’est certainement une qualité. Au fond, Moon est un peu fascinée par ce franc-parler de Maya. Elle a quelque chose de très perturbant. Qui passe ou qui casse. Elle est tout le contraire que ce que Moon était à son âge. Elle n’aurait jamais osé aller à l’encontre de l’avis d’un professeur, ni d’imposer son idée. Mais Maya ose.



Moon soupire légèrement.



Un petit rire, tout bien pensé :



Moon n’est pas certaine de savoir avec une telle assurance ce à quoi elle croit, et ce pour quoi elle se battrait.

Moon hausse les épaules. Bien sûr, elle aime son travail. Des fois, elle dit “plus que tout au monde”. Surtout lorsqu’elle déjeune avec des vieilles amies de Tokyo. Aimer son travail, c’est comme un passe-droit : lorsqu’on est carriériste, on a une excuse pour ne pas être en foyer à trente ans.

Mais au fond, elle est bien comme tout le monde. Elle crève de dire qu’elle donnerait tout son amour, son temps, sa vie, pour sa famille. Celle qu’elle a choisie. Elle aimerait terriblement aimer assez fort pour pouvoir tout lâcher. Mais ce n’est pas le cas. Peut-être qu’elle idéalise l’amour, mais elle n’est jamais tombée sur le bon. Celui qui lui ferait un enfant.

C’est cliché, et Moon le sait, mais elle a la sensation que ce serait pour un gamin, qu’elle serait le plus engagée. Elle le sent dans ses tripes, sans vraiment pouvoir l’expliquer : elle veut que quelqu’un lui survive, et puisse à son tour perpétuer la vie.



Pas question de communiquer sa tristesse, alors Moon joue la comédie et rigole légèrement à la fin de sa phrase. Ses yeux, rieurs, se plient dans de petits croissants de lune. Moon sait bien que ses émotions sont fausses, mais Maya n’a aucune chance de le déceler. C’est que la professeur de cinéma joue bien, et il faut la connaître davantage pour la percer à jour.

Comme pour s’échapper de cette situation, elle glisse un oeil vers la grande horloge qui trône en haut de la pièce :