[Terminé] Derrièr' mon loup, Je fais ce qui me plaît, me plaît | Maya

Nobu hausse les épaules. Maya est un peu anti-sociale, en fait. L’image du “parfait japonais” ne semble pas lui convenir. Nobu peut comprendre. La pression est très forte pour les hommes, mais bien davantage pour les femmes. Il faut être parfaite, douce, gentille, pas trop intelligente, mais un peu quand même, avoir la fibre maternelle, de bonne ménagère aussi, être sexy, mais pas trop... Le rejet total de Maya est justifié. Nobu, lui, aurait bien aimé avoir les clés pour être le “parfait japonais”. C’est reposant, d’être comme la société le demande.

« J'sais pas si j’suis battu par la vie. C’est peut-être juste l’alcool qui me rend triste. »

Parce que si, en effet, la femme ce n’est pas possible, les enfants, Nobu l’aimerait bien. C’est mignon, cette idée de partage. Traverser les âges ! Mais au Japon, ce n’est pas chose évidente. Il a entendu parler, sur internet, de familles homoparentales. Il n’imagine pas le sort que ses camarades réserveraient à son enfant. Faire un gamin pour qu’il soit martyrisé... Ça vaut bien l’coup.

« Laisse, vraiment. »

Nobu reste pour le moment désinvolte, et prend une gorgée de sa boisson. Il préfère que les inconnus les laissent tranquille, lui et ses histoires. Surtout ses histoires de cœur. L’amitié, c’est précieux pour le jeune homme, parce qu’elle est rare. Alors, pour une fois qu’il a un ami, pas question de le lâcher pour une histoire de cœur.

Alors, quand Maya commence à se lever, Nobu se redresse, d’un coup, et d’un air beaucoup moins gentil, lui dit : « J'ai dit laisse. » Son ton est dur, et son visage renfermé. Il pourrait vraiment s’énerver. « Maintenant, tu te mêles de tes affaires, merci. »

La soirée tourne vinaigre, et Nobu l’apprécie beaucoup moins, cette demoiselle.

Blâmer son inaction ? Mais Nobu, qui peut se blâmer de bien des choses, n’a rien à voir avec ça. Il ne comprend pas l’envie de la demoiselle de s'immiscer dans sa vie. Comme s’ils se connaissaient. C’est bien pour ça que Nobu n’en a pas, d’amis. Ils veulent toujours trop en faire. L’étudiant gère. Il en est persuadé. Il sait ce qu’il veut, et ce qu’il ne veut pas. Il sait, par exemple, qu’il ne veut pas entamer de relation avec sa Drag Mother.

« Je sais c’que j’veux, c’est tout. Moi, j’te demande rien du tout. »

Il hausse les épaules. C’est pas comme si son spleen avait à voir avec cette relation amoureuse à sens unique. Son spleen, c’est tout le reste. Nobu a accepté que la chimie de son cerveau avait eu raison de lui. Qu’il ne serait jamais heureux et naïf. C’est comme ça, c’est pas grave.

Et surtout, ce n’est pas une relation amoureuse, qui ne durera pas plus de quelques mois, qui changera quoi que ce soit.

« Et, oui, à ce sujet je pense que c’est comme je veux. Si toi, tu as envie de tout faire pour que la personne dont tu es amoureuse t’accepte, c’est très bien pour toi. Moi, j’ai juste pas envie de relation. Là, tout de suite, j’ai d'autres choses à faire qu’être amoureux. Ça prend du temps, de toute façon. »

Et de l’argent, mais ça, Nobu évite de le dire.

Tout faire ? De toute manière, Nobu aimerait qu’elle ne fasse rien du tout. Il sait qu’il n’est pas commode, mais la gamine lui hérisse les poils. Il aurait bien voulu lui donner raison, mais ce n’est pas possible. Quoi qu’il advienne, il ne peut pas parler avec Hikaru, et c’est comme ça. Il ne le veut pas. Il a besoin de conserver cette relation avec lui. En plus d’être un de ses seuls amis, c’est aussi sa famille de substitution. Ses parents ne connaissaient pas son homosexualité, et c’est à ça que sert ce genre de bar alternatifs. Une Drag Mother, c’est une forme de maternité. Perdre Hikaru, ce serait perdre bien plus qu’un pote. Et il ne peut pas se le permettre.

« C’est même pas une question d’études…»

Il soupire. Nobu voit bien qu’elle ne veut pas lâcher cette affaire. Et peut être qu’au final, ça pourrait bien la calmer. Alors, pour changer le sujet, il concède.

« J’étudie la littérature japonaise. Rien de bien fou-fou. »

Et ça suffira. Elle ne va pas lui demander où, quelle année, quand et pourquoi, non plus !

Oui, fatigant. Crevant. Exténuant. Nobu ne peut que hocher la tête. Il aimerait bien que ce soit plus simple, la vie. Pouvoir se trouver une petite nana, et flirter avec elle. Il n’essaye même plus, les meufs. Il sait que c’est mort avec elles. Pas question de briser le coeur à des pauvres demoiselles qui ont un quelconque espoir. Elles ne lui plaisent pas. Parfois, il se dit que c’est ce qui mettra la puce à l’oreille de ses parents. Il leur ment, de temps en temps. “Oui, j’ai rencontré une fille”. Et deux semaines après “On a rompu, ça ne marchait pas”. Ils ne cessent de le lui demander, mais Nobu n’amène jamais de petite amie à la maison.

« Littérature, c’est un cursus des plus classiques, quand même. »

Ah, il voit où elle veut en venir, la petite dame ! Elle veut maintenant le nom de l’université ! Nobu essaie de se regarder dans le miroir derrière le bar. Il sait qu’il est méconnaissable, mais on ne sait jamais. Sa peau brune n’est pas si commune. Et ça pourrait être un sacré indice.

« Et t’es où, toi ? »

Avant de parler de son université, autant savoir la sienne. Si ce n’est pas la même, ce sera plus simple de mentir. Il pourra faire semblant. Dire qu’ils sont bien dans le même campus. Et que c’est drôle qu’ils ne se soient pas croisés ! Si elle parle de Kobe, c’est une autre paire de manches.

Est-ce que ça l’intéresse ? Nobu a l’impression d’avoir été pris dans son propre piège. Alors qu’il était persuadé n’en avoir rien à faire, maintenant il veut le savoir. Il aimerait être sûr de ne pas être le seul homosexuel dans son université. S’il se fie aux probabilités, évidemment qu’il ne peut pas être le seul. Mais avoir un visage, une personne, à laquelle s’accrocher, c’est bien plus rassurant.

« Ouais, finalement.»

Et le couperet tombe. Elle est bien dans son université. Et Nobu ne sait pas vraiment si c’est une bonne chose, ou une mauvaise. D’une part, il a peur. Peur qu’elle puisse le reconnaître. Il tient tellement à son anonymat que ça le bloque dans le quotidien.

Et en même temps, c’est peut être l’occasion d’avoir une alliée. Une personne sur qui compter. Avec qui partager un secret. Il n’a jamais eu la chance d’avoir des amis LGBT, avec lesquels il peut parler des difficultés de vivre dans cette société japonaise contraignante. Et même s’il espère pas tout de suite la croiser, parce qu’il a besoin de temps pour vraiment se lier d’amitié, il aimerait bien pouvoir la voir, dans le paysage. Ce serait rassurant.

Alors, finalement, il décide de ne pas mentir. « Tu avais raison. » Mais il ne veut pas être aussi précis qu’elle. « Même fac, même campus, mais en littérature, donc…

Ils ont même peut être des cours en commun !

« Pour l’année… » Nobu hésite. Mentir serait tellement simple. Mais maintenant qu’il en est aux confidences, autant être sérieux. Si jamais ils venaient à se rencontrer dans le campus, il ne voudrait pas la froisser. Il ne faut pas donner des raisons de se faire détester. Surtout quand c’est par une personne qui connaît notre plus grand secret. « En seconde. » Et puis, Nobu n’est arrivé qu’il y a quelques mois, à la rentrée de septembre. Il a été surpris par les amphithéâtres, pleins. Sauf si la blonde le cherche, elle ne peut pas tomber dessus par hasard.

« Et pour ce qu’il en est du prénom… » Là dessus, Nobu est assez ferme. « Je vais rester Aomame pour ce soir. Mais si tu me trouves sur le campus, je te le dirai. » Oh zut, ça sonne presque comme une quête, ça. « Du coup, je ne te demanderai pas le tiens, par réciprocité. » Et puis, même s’il la croise, il ne risque pas de lui parler.

Mais il sait, qu’il sera rassuré, en la voyant, de se dire ne pas être le seul. Elle est assez rentre dedans, et manque peut-être de jugement, mais elle a l’air sincère. Il a envie de se fier à son instinct, cette fois.

Un peu plus loin, Hiroki l’appelle. Il veut le présenter à d’autres Drag Queen. « Bon, je vais devoir te laisser. » C’est le jeu lorsque l’on se déguise et se maquille. Et puis, après tout, il a bien besoin de sortir de cette discussion. On verra bien si Maya arrive à découvrir qui est Nobu, sans ses hauts talons et sa perruque.