[U-3]Heu salut comment tu vas ça fait longtemps non .... ? [Tessa </3]

Lundi 12 février fin d'après midi

Après avoir passé pas mal de temps sous la douche suite à l'entrainement de basket, je retourne doucement vers le bâtiment principal, beaucoup trop de choses m'obstruent l'esprit en ce moment. Par ce que oui, on se rapproche dangereusement de saint Valentin et cette année, je ne suis plus célibataire. Ce qui change pas mal de choses ! A vrai dire, c'est même la première année de me vie que je vais passer cette fête en étant en couple. Jusqu'à présent, je m'arrangeais toujours pour être seul à ce moment là. Déjà parce que je suis sûr que ça doit permettre d'avoir plus de chocolats ! Et puis c'est toujours le bon moment pour avouer de pseudos sentiments à une nouvelle personne. Enfin, ça c'était avant hein !

Non, maintenant tout est différent. Et c'est bien. Je crois. C'est juste que, c'est toujours un peu compliqué pour moi de m'adapter à cette nouvelle situation. Bien sûr que je suis très heureux de pouvoir passer tout ce temps avec Chandini sans avoir à réprimer quoi que ce soit. C'est beaucoup mieux que notre pseudo relation amicale. J'adore pouvoir la câliner quand j'en ai envie. La surprendre en l'embrassant discrètement au détour d'un couloir. Pouvoir passer un week end complet rien qu'avec elle sans que ce ne soit bizarre ensuite. Le problème vient davantage de quand je suis tout seul. Comme en ce moment.

Mais pour le moment, j'arrive à me focaliser sur l'organisation de cette soirée spéciale. Et pour ça, il me faudrait plus d'argent. Sauf que mon frère profite bien trop de ce pouvoir qu'il détient et ça me gonfle ! Des fois je me dis que c'était peut-être plus simple de continuer à demander des rallonges à mon banquier ! Pendant que je réfléchis à un nouvel axe de négociation pour pouvoir payer ce resto qui coûte un bras (ouais je sais, mes goûts de luxe reviennent assez vite dès que je peux le faire discrètement), je ne sais pas trop pourquoi, mes pas ma ramènent vers la salle de club d'arts plastiques. Mon cœur manque un battement lorsque je me rends compte que je suis juste devant la porte. Porte fermée évidemment, à cette heure là, il n'y a plus personne.

Cette nouvelle donnée vient changer l'ordre de mes réflexions. Parce qu'avec Tessa, rien ne s'est arrangé depuis cet après midi catastrophique. Il faut dire que je n'ai rien fait pour que ça s'améliore. Et cette fois, je suis à peu près sûr qu'elle fait bien en sorte de m'éviter. Mais je ne peux pas lui en vouloir. Et en même temps, je crois bien ne pas avoir le droit de lui envoyer un message ou de l'appeler. Et puis même, pour lui dire quoi ? J'ai pourtant essayé ce jour là, de limiter au maximum la casse. J'ai vraiment essayer de dire les choses. D'être le plus honnête possible. De ne pas me contenter de fuir cette fois. Et pourtant.... Je me demande souvent si le résultat n'aurait pas été moins terrible si j'avais seulement fait comme d'habitude. A ne rien dire. La laissant seulement découvrir ma nouvelle situation d'elle-même. En tout cas, ça aurait probablement été moins compliqué à supporter que de voir son visage à mesure que la discussion avançait. Oh, elle a tout fait pour rester digne et ne rien laisser paraitre. Mais on se connait trop maintenant. Bien sûr que j'ai compris que je l'ai fait fait souffrir. Et je m'en veux. Mais qu'est-ce que j'aurais dû faire ?

Alors que ces souvenirs douloureux recommencent à tourner en boucle dans mon esprit, mes yeux se posent sur un carnet au sol, manifestement tombé du sac de son propriétaire, à l'angle du couloir qui ramène vers les chambres. Je m'agenouille pour le ramasser. Et si j'avais pour intention de le ramener aux objets trouvés, ma curiosité me pousse à tourner quelques pages. Des dessins. Mon cœur recommence à accélérer. Parce que très vite, je reconnais cette signature en bas de chacun d'entre eux. Non, aucun doute, il appartient à Tessa.

Qu'est-ce que je fais ?

Cette question reste en suspend dans mon esprit de longues secondes, me laissant seulement planté là, debout, dans ce couloir. Si je suis mon plan initial, elle le retrouvera et on n'aura pas besoin de se faire à nouveau face. Mais en même temps... C'est peut-être l'occasion rêvée. Je n'en aurais sûrement pas d'autre. Mes pas m'amènent un peu contre ma volonté vers les dortoirs. Parce qu'au fond de moi, je suis juste en panique totale. Tout oublier et faire comme s'il n'y avait jamais rien eu entre nous serait la solution la plus simple. Et celle que j'aurais prise en temps normal. Alors pourquoi pas cette fois ?

Je n'ai pas le temps pour une introspection plus poussée que je me trouve déjà devant la porte de sa chambre. Est-ce que je le fais ? Il est encore temps de faire demi tour. Mais j'ai intérêt à me dépêcher. Parce que je vais juste paraitre louche si quelqu'un me croise là. Je prends une grande inspiration et toque quelques coups sur la porte. Après tout, j'avais essayé de me préparer au mieux la dernière fois et ça n'aurait pas pu être pire. Alors qu'est-ce que je perds à y aller totalement à l'impro ? Allez, un petit effort pour le sortir ce sourire classique, parce que maintenant, il est trop tard pour changer d'avis.

Tenue Milan:

Mes yeux sont un peu trop rivés sur la poignée et le décompte commence dans ma tête. A dix, je peux me dire qu'il n'y a personne, quel dommage, je n'ai plus qu'à faire demi tour. Mais non. Je n'ai pas l'occasion d'aller jusqu'au bout de ma deadline que je vois la poignée descendre. Tout s'embrouille à nouveau dans ma tête et je ne sais pas ce que je vais bien pouvoir dire. Les bras le long du corps, le carnet dans une main, j'oublie totalement son existence quand je vois le visage de Tessa qui apparait à mesure que la porte s'ouvre.

Et je n'ai pas le temps de dire quoi que ce soit que ses mots me glacent immédiatement. Peut-être que j'aurais dû réfléchir à une phrase d'accroche. Quelque chose à dire sans lui laisser l'opportunité de commencer. Est-ce que ça aurait changé quelque chose ? J'essaie de garder ce même sourire, mais je sens bien qu'il a du mal à rester attaché sur mon visage. Même lui préfère fuir. Aïe, ce n'est pas le moment.

- "Hum, salut, je...."

Qu'est-ce que je fais là déjà ? Il y a beaucoup trop d'informations qui se percutent les unes aux autres dans ma tête, et cette tenue que je ne reconnais que trop bien n'aide absolument pas à ce que je fasse le tri. Je n'ai vraiment pas l'habitude de me retrouver ainsi paralysé. Pourquoi est-ce que c'est si difficile cette fois ?

- "Je suis venu parce que..."

J'avais envie de te voir. Oui, objectivement c'est la raison première. Si je n'en avais pas eu envie, j'aurais trouvé bien d'autres solutions. Allez, pas question de flancher. Ça fait déjà plus d'un mois que cette situation dure entre nous. Un mois, c'est long. Il est temps d'essayer de faire changer les choses !

- "Je suis tombé là-dessus et, je suis désolé mais, je crois bien qu'il t'appartient."

Je rassemble toute la détermination dont je suis capable pour tendre devant moi, à deux main, le carnet qui m'offre cette opportunité. J'arrive à retrouver le semblant de sourire qui avait essayé de se faire la malle suite à cette entrée en matière plutôt directe. Ne pas la laisser s'emparer de son bien pour me fermer la porte au nez en suivant. Je me doute que c'est ce qu'elle aura envie de faire. Mais je dois réussir à lui parler. Je crois que je ne suis vraiment pas fait pour affronter les situations conflictuelles.

Il faut vraiment que j'arrive à me reprendre, parce qu'à ce rythme là ça va encore être un échec total. Je profite du moment où Tessa regarde son carnet pour tenter d'inspirer un grand coup. Elle est évidemment loin d'être aussi avenante que l'année dernière, mais elle ne me repousse pas directement non plus, alors il faut que j'essaie. Même si je ne sais toujours pas très bien dans quel ordre il convient de faire tout ça.

- "Oh, je l'ai trouvé..." près de la salle du club d'arts plastique.

Oui, c'est ça, mais je me rends aussi compte que c'est un peu bizarre. Ce n'est pas franchement le chemin le plus direct pour revenir du gymnase jusqu'aux dortoirs. Mais bon, je ne me vois pas lui raconter n'importe quoi non plus alors, après une légère pause, je finis par répondre.

- "Près de la salle d'arts plastique, il avait dû tomber de ton sac."

Et du coup, c'est encore plus bizarre. J'esquisse un petit sourire légèrement gêné et passant distraitement une main à l'arrière de ma tête en enchainant suffisamment vite pour passer à autre chose.

- "Tu sors ce soir ?"

J'essaie de reprendre un air aussi naturel que possible pour poser cette question qui n'est évidemment que dû à sa tenue. C'est vrai que je n'ai aucune idée de ce qu'elle peut faire dernièrement. Est-ce qu'elle a changé ses habitudes pour sortir plus souvent le soir ? Et même si c'était le cas, est-ce que c'est censé m'importer ? Je pensais vraiment que ce serait plus simple après tout ce temps passé sans la voir mais je me rends compte que je me plantais totalement. Encore une fois.

J'essaie. Je fais vraiment mon maximum pour paraitre aussi détendu et naturel qu'à mon habitude. Mais c'est bien la première fois que cet exercice d'ordinaire si simple me parait tellement compliqué. Sûrement les souvenirs de notre dernière discussion sont-ils encore trop frais finalement ? Mais il est de toute façon trop tard pour faire demi tour alors je ne peux qu'aller de l'avant. Relancer la discussion sur cette robe (ou en tout cas à cause de cette robe) n'est peut-être pas l'idée la plus intelligente que je puisse avoir. Mais j'attrape les idées comme elles viennent. Et quand une veut bien se pointer, je n'ai pas de quoi faire le difficile.

Je hoche la tête lorsqu'elle m'explique pour son père. Est-ce que ça me soulage ? Je n'en sais rien. D'un côté, ce serait bien plus simple si elle me disait seulement avoir elle aussi un mec, ou au moins en fréquentait un (ou plusieurs je m'en fiche). Mais là encore, je sais que c'est purement égoïste. Une simple façon de diminuer ce sentiment de culpabilité qui n'arrive pas à me quitter quand je la vois. Et d'un autre côté... Est-ce que c'est vraiment ce que je veux ? Quoi qu'il en soit ce n'est vraiment pas le bon moment.

- "Oh, ok. C'est super chouette que vous puissiez déjeuner ensemble en semaine !"

Ça au moins, je sais que je le pense sincèrement. J'ai toujours été admiratif de sa relation avec ses parents et en particulier avec son père. Même si c'est probablement l'une des choses que me faisait aussi un peu flipper à cette époque où tout était encore différent entre nous.

Je tente de trouver mes mots pour éviter de seulement finir par un "bon bah, à plus alors" qui serait la pire fin possible, mais contre toute attente, c'est Tessa qui vient à ma rescousse en proposant ce thé. Je relève un regard quelque peu étonné vers elle, ne m'attend clairement pas à cette possibilité, mais c'est rapidement un sourire bien plus classique chez moi qui revient prendre possession de mon visage. Parce que, oui, ça me fait beaucoup trop plaisir de ne pas seulement l'entendre écourter au maximum cet échange.

- "Yes carrément !! Enfin, si ça ne te dérange pas bien sûr."

Oui je sais, elle n'aurait probablement pas proposé si elle n'avait pas voulu que je dise oui MAIS je panique ok, je fais comme je peux là !!!

- "Ou, heu, merci. Oui, c'est sûrement plus adéquat... En tout cas, ce serait avec plaisir !"

Je suis perdu. Déjà. Ça promet.

Ouah. L'ambiance s'annonce être à la même température que ce thé proposé. Mais on va dire que ce n'est déjà pas si mal. Je saurai faire avec. J'essaie de ne pas me focaliser sur ce soupire qui me touche pourtant beaucoup trop et entre comme elle le propose. Non, évidemment que je ne m'attendais pas à ce qu'elle saute de joie en me voyant.

- "Merci."

Oui, c'est la seule chose que je peux dire sur le moment. Parce que je n'ai aucune idée de la façon dont je dois me comporter ou de ce qu'il convient de dire dans ces situations. C'est sûrement la première fois que j'essaie de rattraper une relation compliquée au lieu de seulement me contenter de l'oublier. Ce qui est assez déroutant, parce que généralement, mes réactions sont seulement dictées par mes expériences passées. Au final, l'improvisation n'est pas franchement mon domaine de prédilection, contrairement à l'image que je peux renvoyer.

Alors, je m'assois seulement sur ce lit. Normalement, je lui aurais plutôt demandé où sont les affaires pour pouvoir l'aider à préparer, lui proposant même que ce soit elle qui se pose en attendant. Mais pas là. Ce nouveau mur qui s'est dressé entre nous si subitement m'en empêche.

- "Ce sera parfait !"

Même mon enthousiasme habituel a du mal à se frayer un chemin jusqu'à mes intonations de voix. Et quand je cherche un sujet d'actualité à évoquer pour tenter de donner un chemin tranquille et moins malaisant à ce semblant de conversation, le seul qui me vient à l'esprit, c'est la saint Valentin qui approche. Ahah. Nop. Sûrement pas ! Pourquoi est-ce qu'il ne peut pas y avoir autre chose à saisir actuellement ?

- "Tu... Tu commences à prévoir des trucs pour les prochaines vacances ?"

Ok, c'est loin. Genre, dans plus d'un mois, après les exams qui arrivent dans quelques semaines (déjà !!). Mais je n'ai rien de mieux !

J'aurais pu enchainer sur cette information. Lui demander des nouvelles d'Emily. De comment les choses se passent en Angleterre. Oui, tout est réuni pour continuer à ne surtout pas affronter ce qui me préoccupe réellement. Mais est-ce que repartir de cette chambre sans avoir à un seul moment mentionné le vrai problème aurait un intérêt ? Est-ce que ça me permettrait réellement de pouvoir à nous faire face à Tessa sans ressentir toute cette culpabilité par la suite ?

Je n'ai pas le temps d'y penser beaucoup plus qu'elle me fait clairement comprendre ne pas avoir envie de perdre son temps pour rien. Je ne peux pas affronter son regard. Pas tout de suite. Alors j'opte pour la solution de facilité, mes yeux se plongeant au fin fond de ma tasse, observant les couleurs fruitées se propager par petites vagues dans cette étendue d'eau.

- "Ce ne serait pas une si mauvaise chose j'imagine, mais..."

Mais quoi ? Je prends une légère inspiration avant de redresser mon visage, observant Tessa quelques secondes. Pendant tout ce temps qu'il m'a fallu avant de sortir avec Chandini, j'ai toujours eu peur qu'elle finisse par trouver un autre homme dont elle tomberait amoureuse, ne me laissant plus d'autre choix que cette place d'ami que j'avais égoïstement imposée. Pas à un seul moment je ne me suis douté que c'était de mes propres sentiments dont il fallait que je me méfie. Mais de toute façon, il est trop tard.

- "C'est vrai qu'en trouvant ton carnet, je me suis dit que, peut-être, c'était aussi l'occasion de te demander comment tu allais ? Réellement ?"

Mon cœur cogne a nouveau bien trop fort dans ma poitrine, mais cette fois, le stress en est en partie responsable. Jusqu'à présent, jamais je ne me suis inquiété de savoir comment une de mes ex, ou de celles que je pouvais fréquenter, pouvait aller. Je passais à autre chose, c'est tout. Pourtant, cette fois, je n'ai pas envie de faire les choses comme d'habitude. Je n'y arrive pas. Je ne suis pas vraiment sûr que ce soit mieux pour autant. Mais, peut-être que je peux au moins essayer ?

Évidemment. Je ne m'attendais pas à ce que Tessa me donne une réponse différente. En revanche, j'étais loin de penser qu'elle enchaine de la sorte. Ses mots, pourtant simples et dénués de toute agressivité, me font pourtant un peu trop mal. Je ne sais pas comment on mène ce genre de discussion. Je n'ai aucune idée de la direction que je prends. Alors, cette fois, je m'en remets uniquement à mon instinct, à ce que je peux réellement penser, ressentir, laissant de côté mes manigances et prévisions habituelles.

- "C'était pas juste sans importance non, pourquoi... Pourquoi tu crois que je suis venu t'en parler alors que j'aurais juste pu attendre que tu t'en rendes compte toute seule, et faire comme si tout était parfaitement normal ?"

Je sais très bien pourquoi est-ce que je fais toujours semblant pour tout. Mes émotions, je n'ai jamais su les contrôler, c'est beaucoup plus facile quand je les laisse seulement enfouies bien loin. Mes doigts qui se resserrent autour de ma tasse sont assez révélateur de mon manque de contrôle actuel. Pourtant, ma voix se fait toujours aussi douce.

- "Je sais... Et je suis sûr que tu le sais aussi. Que c'était pas aussi simple que deux nuits sans plus mais... Tu as raison. On est issus de mondes tellement opposés, il n'y aurait jamais pu y avoir d'avenir entre nous. Ça n'empêche pas que je puisse toujours m'inquiéter pour toi alors, tu as le droit de me dire que non, ça ne va pas, que tu m'en veux ou, que je t'ai déçue. Parce que j'ai bien compris que tu n'en parleras à personne."

Tout bouillonne en moi, comme si j'étais sur le point d'imploser. Je ne maîtrise rien. Mais évidemment, ce n'est pas de la colère. Non, je n'ai aucune raison de l'être. Je suis seulement beaucoup trop triste de cette situation. J'ai bien remarqué à quel point Tessa prend toujours tout sur elle. Elle n'est pas du genre à s'étaler sur ce qu'elle peut ressentir ou ce qui peut la blesser. Je suis sûr que Keito ne se comporterait plus de cette même façon avec moi si elle lui avait seulement dit la moitié de la vérité. Et pourtant, il est son meilleur ami.

Je ne sais pas très bien à quoi je m'attendais. A rien en fait, puisque tout ce que je peux dire actuellement est prononcé sans que je n'arrive à réfléchir à quoi que ce soit. Tout s'embrouille dans ma tête et je ne sais plus ce que je dois faire. Ce que je dois dire. Ou non. Chacun des mots que peut prononcer Tessa vient s'encrer en moi. Je ne regrette pas de sortir avec Chandini. Alors pourquoi est-ce que c'est si compliqué à encaisser ?

Je me concentre sur ma respiration, essayant de garder un semblant de contrôle. Mes yeux faisant quelques allers retours entre ma tasse et ceux de Tessa, ce n'est que lorsqu'elle a fini que je prends une gorgée de ma boisson après avoir acquiescé. Ce qui me fait prendre conscience que j'ai la gorge terriblement sèche.

- "Si tu as quelqu'un à qui en parler, alors, ok."

Oui, je me doute de l'identité de ladite personne, mais je ne vais pas chercher confirmation. Est-ce que je peux considérer le sujet clos ? Je n'ai réellement plus aucune légitimité à tenter de savoir comment elle prend tout ça ? Je dois juste accepter ses réponses sans chercher plus loin ? Bien sûr que je préfèrerais l'entendre me crier dessus pour tout ce que j'ai fait de travers. J'aurais sûrement moins l'impression que cette fracture béante entre nous est irréversible. Mais peut-être qu'il n'y a en réalité rien à faire ?

- "Je veux bien arrêter de te poser ces questions, si c'est ce que tu veux. Est-ce que, ça veut aussi dire... Qu'on en reste là ? On arrête de se voir ?"

Je dois faire un effort colossal pour la regarder en posant cette question. Alors pour ce qui est du sourire habituel, ce n'est pas la peine d'y penser. Je n'ai pas envie d'avoir à faire semblant. Continuer à faire comme si tout allait bien. Je m'étais sûrement un peu trop habitué à sa franchise avec moi. Ses façon sans détours de me faire remarquer que je faisais de la m*rde. Je n'arriverai pas à la voir garder ce visage parfaitement neutre avec moi.

Je ne sais pas par quel miracle ma voix ne me trahi pas au moment où je pose cette question, parce que tout en moi se brise doucement. Poser une question dont je ne veux pas attendre la réponse, ça non plus ce n'est pas dans mes habitudes. Parce que non, bien sûr que je n'arriverai pas à encaisser un "oui, mieux vaut arrêter là" sans ciller. Les secondes s'étirent interminablement et je n'en peux déjà plus de ce silence alors que je viens juste de finir de mettre des mots sur ce qui me préoccupe réellement.

J'observe Tessa qui se lève. Je n'ai aucune idée de ce que je dois en déduire. Est-ce que c'est positif ? Négatif ? Normalement, je suis assez doué pour comprendre les intentions des gens derrière de simples gestes. Mais là, je suis bien trop impliqué par la situation pour réussir à prendre suffisamment de recul. Je ne peux que la suivre des yeux. Et ce n'est qu'au moment où elle s'assied à côté de moi que mon souffle se débloque et que ma respiration accepte de reprendre sa course normale.

Sa tête contre mon épaule me procure une sensation d'apaisement immédiate. J'ai l'impression d'être un gamin que l'on prend dans ses bras alors qu'il vient de faire un cauchemar. Évidemment, ce n'est pas aussi simple, ce que la réponse de Tessa exprime bien. Mais en comparaison de tous les dénouements que j'avais envisagé jusque là, ses mots sont absolument réconfortants. Je penche légèrement ma tête sur le côté, de sorte à ce qu'elle soit à peine calée contre celle de Tessa. Je prends quelques secondes, autant pour profiter de cet instant qui pourrait bien n'être qu'éphémère, que pour tenter de mettre un peu d'ordre dans les mots qui me viennent.

- "C'était bizarre parce que, je ne lui avais pas vraiment demandé son avis, mais, là, ce n'est pas pareil. Moi non plus, je n'ai pas envie qu'on arrête de se voir."

Je sens mon cœur qui recommence à cogner un peu trop fort dans ma poitrine. Bien sûr que toute cette situation est (encore) de ma faute. Mais, peut-être que si cette fois on veut aller dans la même direction, peut-être, que ça pourrait bien se passer ? Du moins, c'est ce que je veux croire.

- "Ce n'est pas parce que ce n'est pas comme avant que ce sera forcément moins bien. Il faudra sûrement retrouver un peu nos marques, mais on peut toujours continuer à passer du temps ensemble et à se retrouver autour des meilleures pâtisseries ! Bon, on évitera peut-être juste d'aller faire les boutiques ensemble au début !"

J'arrive à prononcer cette dernière phrase en retrouvant mon ton taquin habituel. Et si je me rends compte de la maladresse de cette phrase lorsque je la prononce, le simple fait de me sentir à nouveau un peu plus moi, capable de ce genre de légèreté pour la première fois depuis plus d'un mois, compense largement cette pointe de désagrément qui essaie de revenir à la charge.

Sur le coup, je ne sais pas trop comment prendre sa réponse. Elle ne sait pas trop quoi ? Si elle veut qu'on continuer à trainer ensemble de temps en temps ? Qu'on se retrouve rien que tous les deux ? Si j'associe la fin de sa phrase, c'est de cette façon dont j'ai envie de l'interpréter. Mais si je sais très bien avoir une volonté pitoyable, je pensais en revanche Tessa capable de maintenir le cap de la droiture contre vents et marées. Je ne l'imagine pas une seule seconde capable de me laisser faire quoi que ce soit en sachant que je sors avec Chandini. Et pourtant...

Un peu pris de court par toutes ces questions qui s'affolent dans ma tête, recommençant à rendre mon rythme cardiaque bien trop rapide, je décale légèrement ma tête pour pencher mon visage vers elle et pouvoir la regarder. Elle craint d'éventuels dérapages... Oui, j'ai beau retourner cette phrase dans tous les sens, ça sonne vraiment comme si elle envisage cette possibilité. Et il n'y a pas des masses de raison pour qu'elle ne soit pas aussi catégorique sur l'impossibilité d'un tel dénouement que je pensais bien plus l'entendre prononcer.

Je crois que c'est beaucoup trop à gérer pour que mon cerveau réussisse à s'aligner, puisque sans aucune raison évidente, c'est seulement un fou rire qui me vient. Un rire libérateur, qui me permet d'évacuer toute cette pression, tout ce stress, toute cette incertitude qui m'assaillent depuis que je suis tombé sur ce carnet. Et tout en riant, je me laisse tomber le dos sur son matelas. Ce n'est qu'après quelques longues secondes nécessaires à ce que j'arrive à contrôler ce rire qui était uniquement nerveux que je reporte mon attention sur Tessa. De ma main la plus proche j'attrape la sienne pour l'attirer contre moi à nouveau.

- "Tu me fais vraiment passer par toutes les émotions ! Ca fait... Non, en fait je crois que je n'avais jamais vécu ça !"

C'est dangereux. Sûrement. Est-ce que je ne fais pas exactement ce que je viens de dire qu'il nous faudrait éviter de faire pendant un moment ? Peut-être. Mais j'ai seulement envie de la prendre dans mes bras. Alors, oui, c'est exactement ce que je fais. Sans aucun geste qui ne puisse être déplacé pour autant. Seulement pour la sentir à nouveau contre moi.

- "J'ai aucune idée de ce qui peut se passer. Tout comme je ne sais pas ce qu'il faut faire. Ni même si j'ai pris la bonne décision. Tout ce que je sais, c'est que tant que tu ne me mets pas clairement en dehors de ta vie, je n'ai plus du tout envie de supporter ce silence total. Et pour le reste, eh bien... On verra, comment on gère. Comment les choses se passent. Et, au besoin... On avisera ?"

Non, je n'envisage sûrement pas de tromper Chandini. Mes sentiments pour elle sont réels. Et je n'ai aucune intention de la blesser de la sorte. Je le sais, parce que contrairement à toutes mes ex, je ne me lasse jamais de sa présence bien qu'elle soit la seule que je fréquente depuis plus d'un mois. Pourtant, il faut que je me rende à l'évidence. Je n'arriverai pas à accepter de laisser se creuser ce fossé entre Tessa et moi, même si ça signifie être soumis à cette tentation d'aussi près. Je veux bien prendre le risque.

J'ai bien conscience qu'encore une fois, je ne fais pas ce qu'il faudrait. Que mon nouveau rôle de petit ami devrait me contraindre à limiter au maximum ce genre de contact avec Tessa. Qu'il faudrait seulement que je pense à Chandini. Mais, non. Je n'en ai pas envie. Je ne veux pas me forcer à agir d'une façon dans laquelle je ne me retrouve pas. Même si ce n'est pas bien.

On pourra dire ce qu'on veut, sentir toute cette tension préalable s'évaporer grâce à ce simple câlin ne fais que me conforter dans mes choix. Tant pis si c'est dangereux. Avoir Tessa contre moi me fait beaucoup trop de bien pour que je puisse regretter. Évidemment elle aussi se rend bien compte de la situation dans laquelle on se trouve. Et la connaissant, je ne suis absolument pas étonné par ses paroles.

- "Je suis désolé de t'imposer ça... Mais, merci. Ca me fait très plaisir que tu acceptes."

J'ai parfaitement conscience de ma part de responsabilité de tout ce qui se passe depuis que notre relation a commencé à sortir des sentiers battus. Si j'avais su faire les choses correctement, on n'en serait pas là aujourd'hui. Alors, oui, je sais qu'elle aurait été tout à fait en droit de me demander de sortir de sa vie pour de bon.

Je passe mon bras un peu mieux autour de ses épaules pour pouvoir la serrer un peu plus contre moi. Profiter de ce moment de calme après la tempête. En espérant que ça n'en présage pas une autre de si tôt.

- "Je suis sûr qu'on y arrivera !"

Qu'on arrivera à quoi ? A continuer à trouver des solutions à tous les potentiels problèmes qui vont arriver par la suite. Oui, je sais que le chemin qu'on emprunte actuellement n'est plus du tout balisé. Mais, le hors piste, ça peut être cool aussi.

Je suis assez soulagé par les paroles de Tessa, c'est vrai. Évidemment, ce n'est pas ce qui va régler les problèmes en lien direct avec notre relation plutôt bancale d'un côté, et mon nouveau statut de l'autre. Mais pour le moment, c'est déjà un grand pas en avant par rapport au silence total de ces dernières semaines, alors oui, c'est seulement un sentiment de bonheur qui s'empare de moi actuellement. Il faut dire que l'espace d'un instant, j'ai bien cru que ça allait se finir aussi brutalement entre nous.

Je hoche la tête pendant qu'elle se recule, reprenant à nouveau son indépendance, laissant un léger air frais se frayer un chemin là où elle se tenait un peu plus tôt. Mais bien sûr, je ne vais pas chercher à la retenir. Non, je me rends bien compte que j'ai déjà de la chance d'avoir eu droit à ce court câlin. Et, elle a tout à fait raison. On ne devrait pas. On ne devrait pas beaucoup de choses, c'est vrai. Peut-être que tout l'enjeu sera de trouver un équilibre acceptable au milieu de tous ces interdits que, pour beaucoup, j'ai déjà envie de briser.

- "C'est vrai, ce serait dommage que le thé soit trop fort !"

Je sais que ce n'est qu'un prétexte. Et, quelque part, ça me fait plaisir. Alors bien sûr que je reprends cet argument pour en assurer malgré tout le légitimité. Je me rassois donc bien plus simplement sur le matelas, le cœur plus léger et de nouveau bien plus détendu que ce que je ne pouvais être en arrivant ici.

- "Alors, maintenant, j'ai le droit de te demander ce que tu as fait en ce début d'année ?"

Oui, ça veut dire qu'on reprend un peu plus comme avant non ?

L'ambiance pesante s'allège doucement. A moins que ce ne soit le poids que j'avais sur la poitrine qui s'enlève, me permettant de respirer plus librement ? Quoi qu'il en soit, le résultat est le même. Je me sens plus à l'aise pour reprendre mes échanges avec Tessa comme je pouvais en avoir l'habitude. Sans avoir l'impression de jouer les équilibristes sur un fil coupant à des centaines de mètres au dessus du sol.

- "C'est déjà pas mal !! T'as vraiment passé un week end en montagne ? Genre, à dormir dans une tente ? Ou à la belle étoile ?!"

Oui, c'est vrai que ça m'étonne un peu. J'avais plus l'image de Tessa qui tient à son confort minimal. Comme quoi, on peut toujours en apprendre !

- "Et c'est trop cool le shooting !! C'était qui la star ?"

On ne sait jamais, des fois que ce soit une super célébrité !! Parce que là, pour le coup, je ne serais pas étonné d'apprendre qu'elle connait certains people que la plèbe ne peut approcher si facilement !

- "Et moi... Bah pas grand chose non plus eheh ! J'ai essayé de me dégager un peu plus de temps les week ends tout en évitant habilement tous les appels de mon père. Il recommence à être de plus en plus relou ces derniers temps, mais ça devrait lui passer !"

C'est bien plus mon frère que mon père, mais ici tout le monde me croit fils unique alors la version père sera très bien. Quant au fait que ça lui passera.... Bon bah j'en suis bien moins sûr, ou plutôt, il trouvera rapidement un autre moyen de revenir m'embêter.

Un léger rire m'échappe quand Tessa fait mention du ryokan. Effectivement, je ne sais pas pourquoi j'ai été chercher aussi loin.

- "Ah, bah oui, bien sûr."

Si je n'avais pas spécialement envie de m'étendre sur le fait que je tente de passer bien plus de temps avec Chandini ces dernières semaines, utilisant le tour de passe-passe habile de l'autre sujet pouvant éveiller la curiosité, je ne sais pas si je ne reviens pas en eaux dangereuses tout seul finalement. Parce que si a une époque j'étais très doué pour broder mes mensonges au fil de la discussion, usant de mes histoires alternatives sans difficultés, ça fait bien longtemps que je peux me contenter de mettre le sujet de côté à l'aide d'un "non mais on ne se parle plus" qui décourage quiconque d'aller chercher plus loin.

- "Il recommence avec ses mauvaises manies à vouloir gérer toute ma vie à ma place. Tout ça parce qu'il me file des thunes il pense pouvoir me dire ce qu'il faudrait que je fasse."

Évidemment, le fond du problème est bien plus complexe que ça, mais ce n'est pas si éloigné de la vérité non plus.

- "Pourtant, j'avais été assez clair cet été, mais faut croire qu'il s'en fout toujours autant de ce que je peux bien vouloir. Enfin au moins il s'est fait une raison et accepte que je termine mes études de médecine, ce qui est déjà un bon progrès !"

Je ne veux pas plomber l'ambiance non plus alors je tente la petite note plus positive pour terminer, mon ton allant dans ce sens là. Je n'aime pas trop l'idée de mentir à Tessa, encore moins maintenant qu'on vient juste de se réconcilier, mais il y a certaines choses qu'il vaut mieux ne pas savoir. Et pas uniquement pour moi.

Je ne risque pas de contredire Tessa sur ce coup là. C'était vraiment cool de ne plus avoir toute cette pression sur les épaules. Même si devoir trouver l'argent nécessaire chaque jour qui passait en était une autre, je crois qu'avec le recul, c'est encore ce que je préférais. Mais ce n'est pas comme si on me laissait vraiment ce choix.

- "Nan, en vrai, je me plains, mais ça va ! J'imagine que le fais qu'il soit à l'autre bout du pays aide pas mal. C'est juste que... Je sais pas, j'espérais peut-être que notre relation réussisse à évoluer."

Bien sûr, je ne veux pas trop lui en dire non plus. Déjà parce que ce serait dommage de lui donner de nouvelles bonnes raisons de me détester alors qu'on vient juste de réussir à se réconcilier, et même pour elle, je ne crois pas que ce soit un cadeau que de savoir ce genre de chose. Oui, il y a des vérités qui sont bien mieux à garder pour soi.

- "J'avais sûrement de trop grandes attentes mais, ce n'est pas si difficile de l'ignorer en me concentrant seulement sur mes études. Surtout que les exams se rapprochent alors, j'ai déjà des excuses toutes trouvées !!"

Je reprends facilement mon air bien plus joyeux que j'affiche habituellement. C'est vrai que cette année, je n'ai plus aucune excuse pour ne pas avoir des résultats au top !! Et je compte bien en profiter pour arrêter de me contenter du minimum passable. Pourtant, j'ai l'impression que mon cerveau a du mal à se focus sur mes cours en ce moment. Et je ne suis pas sûr que ça va s'améliorer de si tôt.