[18+] Every good story has an end [Ft. Tessa]

Les vacances de mars, ce sont toujours les plus compliquées pour moi. Parce que je ne peux pas rester simplement au dortoir de l'école. Et si jusqu'à présent je me suis toujours arrangé pour passer ces quelques jours chez des camarades de classe, cette année, c'est différent. Retour officiel à Sendai. Retour prévu et pour lequel il n'a pas fallu m'enlever à l'aéroport j'entends. Mais ce n'est pas pour autant que mon séjour est plus agréable. Pas de dégât majeur, ce qui est pas mal, mais comme il fallait s'y attendre, l'ambiance est difficile à supporter. Si je devais y passer les deux semaines initialement, j'ai craqué bien avant et j'ai fini par demander (supplier) à Akira si je ne pouvais pas emprunter son appart pour le reste des vacances. Ce qu'elle a finalement accepté.

Mais je ne suis pas rentré sans plans pour autant. Bien sûr, depuis que je sais que Tessa doit partir pour Tokyo à la rentrée prochaine, j'ai beaucoup de mal à penser à autre chose. Et l'idée de ne pas la revoir avant la reprise des cours ne me plaisait pas du tout. Quand j'ai su que j'avais un endroit où dormir à Kobe, je n'ai pas perdu de temps pour lui envoyer un message et lui annoncer la nouvelle, lui proposant dans le même temps une dernière sortie sur Kobe. Une sortie où elle n'aurait rien à gérer. Pas même la date que je lui indiquais d"entrée de jeu : rendez-vous le samedi 31 à 19h à la plage. Et au programme... Un nouveau (et dernier) restaurant !! Bah oui. On n'a toujours pas eu le temps de tous les tester, alors on peut bien en faire un de plus.

Pour cette occasion, j'ai choisi un établissement super bien noté, avec vue sur la mer, ambiance relativement classe, sans nécessiter une tenue à cent mille yens pour pouvoir entrer non plus. Le but est de pouvoir en profiter sans être à cheval sur tous les protocoles non plus ! Et comme je sais parfaitement que Tessa est du genre hyper ponctuelle, je m'arrange même pour avoir cinq bonnes minutes d'avance à notre point de rendez-vous, pour être bien sûr qu'elle n'ait pas à m'attendre !

L'air est encore assez frais en cette période, mais on en a fini avec les températures hivernales, ce qui est très agréable. D'autant plus avec ce petit vent qui vient de la mer et qui m’ébouriffe les cheveux à mesure que les secondes défilent. Quelques personnes passent et je me surprends à apprécier cet instant où je ne fais rien d'autre qu'admirer le paysage. Ce n'est pas vraiment dans mes habitudes que de me perdre de la sorte dans la contemplation du monde qui m'entoure.

Pour autant, mes yeux ne manquent pas l'arrivée de Tessa, ce qui refocus immédiatement toute mon attention. Mon visage qui n'avait qu'une expression neutre pour ma séance d'observation retrouve tout son éclat alors que je m'approche d'elle pour la saluer. Ça ne fait pourtant pas si longtemps qu'on s'est vus la dernière fois (pour la remise des diplômes en fait) mais ça me fait vraiment du bien de la revoir maintenant.

Tenue de Milan:

Comme toujours, Tessa est super bien habillée ! Difficile de croire qu'elle ne doit plus avoir sa garde robe complète sous la main. Mais évidemment, je ne vais pas m'en plaindre. Parce que non, je ne peux pas m'empêcher de regarder quelques secondes cette robe dont les plis flottent au rythme de ses pas. Alors, même si l'ombre de cette "dernière soirée" plane au dessus de nous et pourrait rendre l'atmosphère morose, j'ai décidé de chasser les nuages pour ce soir et de seulement en profiter ! Et le large sourire qu'elle affiche en arrivant près de moi m'y aide parfaitement.

- "Quel genre d'organisateur est-ce que je serais si je te faisais attendre ?!"

Je  plaisante légèrement en lui répondant. Bien sûr que ce n'est pas mon principal point fort, mais ça ne m'empêche pas de faire l'effort de temps en temps. Même si j'aurais préféré tout garder secret (mais c'était sans compter sur les multiples questions et justifications de Tessa), j'ai quand même réussi à ne pas tout dévoiler. Alors bien sûr que je n'avais pas envie qu'elle poireaute sans savoir quoi faire !

- "Et comme il y a quand même un peu de vent et que je ne voudrais pas que tu attrapes mal juste avant la rentrée, je te propose qu'on aille tout de suite découvrir l'endroit où on va manger ce soir !"

C'est avec un ton très professionnel et en lui tendant le bras tel un super gentleman que je m'apprête à la guider un peu plus loin. Pas très loin en fait. Le restaurant n'est qu'à deux minutes à pied. Un bâtiment récent à la façade impeccable, la décoration est très typique japonaise. Oui, pour ce soir, j'ai décidé de rester classique. Des plats tout ce qu'il y a de plus japonais, mais réputé pour la qualité de leurs ingrédients et de leur service. Mais le mieux, c'est la petite salle à l'étage, côté mer, qui donne presque l'impression d'être directement sur la plage. Salle dans laquelle j'ai évidemment insisté pour qu'on soit placés ce soir.

J'affiche un grand sourire tout fier de moi. Eh, ce n'est pas tous les jours qu'on peut dire avoir impressionné Tessa Yorke !! Oui c'est vrai, je me suis peut-être un peu plus bougé que d'habitude pour organiser cette soirée. Mais il faut dire que je n'ai pas très envie de voir Tessa partir comme ça, sans rien avoir fait avant son départ. Et puis, avec les vacances que j'ai passées, ça m'a aussi fait du bien de pouvoir me plonger dans autre chose que les discussions sans fin entre mon frère et mon père !

- "Oui, malheureusement le soleil n'a pas voulu décaler son horaire de couché pour nous. Pourtant je lui ai demandé !"

Je plaisante, bien sûr. Cela dit, c'est sûrement une bonne chose. J'ai beau m'être mis en condition à me répéter que je sors toujours avec Chandini, qu'avec Tessa notre relation doit rester sur les bons rails, que ce n'est surtout pas le moment de tout foutre (encore) en l'air, eh bien... C'est difficile d'ignorer qu'elle me plait toujours. Alors oui, je déclenche moi-même cette tentation, mais si je peux éviter de la faire atteindre un niveau insoutenable pour moi, c'est quand même mieux.

- "Ahah nan, en vrai j'ai tout donné pour ce soir, mais tu n'imagines pas combien de temps ça m'a pris ! C'est épuisant ! Et tu gères bien mieux que moi."

Peut-être que j'exagère légèrement, mais ce qui est sûr, c'est que moi, je ne regrette absolument pas toutes les fois où Tessa m'a permis de découvrir de nouveaux restaurants (qui étaient totalement hors de mon budget surtout à l'époque).

- "Mais si on doit parler de mes qualités d'organisateur, j'ai peur qu'on soit vite à cours de matière... Dis moi plutôt comment est-ce que c'est là bas, à Tokyo ! Tu as déjà tout amené j'imagine ?"

Je sais qu'elle doit partir ce soir alors, oui, j'imagine que tout est déjà en place dans son futur logement. Et tout en posant cette question, j'attrape l'une des cartes mises à notre disposition et commence par regarder ce qu'il y a à boire. Parce que je ne compte évidemment pas faire les choses à moitié ce soir.

Je souris doucement suite à la description que Tessa me fait de l'endroit où elle emménage. Connaissant Emily, ça ne m'étonne absolument pas. J'ai bien eu des occasions de voir à quoi ressemblent ses standards. Et pour que même Tessa en vienne à dire que c'est énorme, c'est que ce n'est pas qu'une façon de parler.

- "Ah bah ouais, entre une simple chambre à partager et un demi étage, c'est sûr que le choix est vite fait !"

Si je ris légèrement en faisant cette remarque, je ne peux m'empêcher de ressentir à nouveau ce petit désagrément au niveau de ma poitrine à l'évocation de cette nouvelle école. Je sais. Je sais que ça doit venir dans la conversation de ce soir. Je suis prêt. Je peux faire avec. Mais ça n'empêche que j'ai toujours autant de mal à me faire à l'idée.

La serveuse (oui c'est une femme cette fois) vient rapidement prendre nos commandes pendant qu'on discute de ce changement d'environnement imminent. Après que Tessa ait fait sa demande je donne à mon tour mes choix. Une bière ainsi qu'un plat à base de brochettes. Relativement classique ouais, mais j'y peux rien, j'ai toujours préféré la viande au poisson. Et les odeurs présentes à l'intérieur ne m'incitent pas à changer d'option.

- "Et, comment tu te sens toi, vis à vis de toutes ces nouvelles choses ? Tu dois être un peu impatiente de voir comment ça se passe dans ta nouvelle école ?"

Je sais bien que tout le monde n'est pas forcément à l'aise avec ces "changements de vie". Mais je me doute bien que le choix de Tessa de changer d'école pour sa dernière année n'est pas uniquement basé sur une volonté de se rapprocher d'Emily. Après tout, Tokyo a sûrement les écoles les mieux réputées dans sa branche.

Évidemment, Tessa a l'air très bien renseignée sur ce qui l'attend à Tokyo. Et pourtant, elle arrive tout de même à douter de ses facultés à s'intégrer correctement dans son futur établissement. Ce qui ne m'étonne pas vraiment cela dit, mais objectivement...

- "Eh, t'as quand même fini major cette année ! Je suis sûr que quel que soit le programme, tu t'y fera très bien ! Et que tu auras toujours d'aussi bon résultats. Puis Tokyo est tellement grand, tu trouveras forcement des gens avec qui tu t'entendras bien !"

Oui, je suis sûr qu'elle s'en sortira très bien. On poursuit ce repas en parlant principalement de Tokyo, de sa nouvelle école, et je ne me fais pas prier pour lui poser de multiples questions, que ce soit sur son emploi du temps ou sur le quartier dans lequel elle va désormais vivre. En agrémentant le tout de ma vision toujours un peu trop optimiste (basée sur les quelques rares fois où j'ai pu mettre les pieds à Tokyo). Ce qui m'évite aussi de trop me focaliser sur l'autre partie qu'implique ce départ, à savoir qu'il faudra que je me contente principalement d'échanges à distance.

Je ne laisse évidemment pas le moindre grain de riz dans mon assiette (qui s'est vidée un peu trop vite à mon goût) alors bien sûr, quand on nous apporte la carte des desserts, je ne la refuse pas ! Je me vois parfaitement terminer le repas par une big coupe glacée !

- "Et... Tu n'aurais pas préféré rentrer en Angleterre pour ta dernière année ? Je veux dire, toute ta famille va être loin maintenant non ?"

Je regarde par la fenêtre à côté de laquelle on se trouve tout en posant cette question. Évidemment que moi ça m'arrange de me dire qu'on pourra toujours se voir relativement facilement une ou deux fois dans l'année. Mais, c'est vrai que je me demande un peu pourquoi est-ce que, quitte à partir, elle n'a pas finalement choisi de suivre ses parents en Europe.

C'est vrai. J'ai toujours tendance à oublier que Tessa n'a pas autant de latitude décisionnelle que ce que je m'imagine constamment. J'ai pourtant eu plusieurs occasions de m'en rendre compte. Et puis, l'explication qui suit est en réalité très logique. Je ne sais pas bien comment fonctionnent les études à l'étranger, mais en fait, il n'y a pas de raison que ce soit pareil qu'au Japon. Alors oui, sûrement que terminer dans le même pays est le plus évident.

- "C'est vrai. Ce n'est pas si évident de changer si près de la fin. Tu auras bien le temps de voir où tu veux aller une fois que tu auras ton diplôme en poche !"

Je ne sais pas non plus comment fonctionne le milieu dans lequel elle veut évoluer, mais vu comme elle est passionnée, je ne m'inquiète pas pour elle. Je suis persuadé que quel que soit son choix, elle se débrouillera très bien ! En revanche, je n'avais pas du tout vu le sujet revenir vers moi.

- "Eh bien..."

Oui, évidemment que je serai toujours là ! Ca, c'est probablement ce que j'aurais dit instinctivement à quasi tout le monde. Sauf que je n'ai pas forcément envie de lui mentir maintenant. Et, je crois qu'elle en sait suffisamment sur ma situation pour ne pas en avoir besoin.

- "Je n'en ai aucune idée. Ce n'est pas vraiment moi qui aurait le dernier mot. Mais, je crois que j'aimerais bien rester, oui."

Évidemment que j'essaierai de négocier d'une façon ou d'une autre pour ne surtout pas avoir à rentrer sur Sendai. Cela dit, c'est compliqué de voir aussi loin.

- "J'ai encore du mal à me dire que ça fiat déjà trois ans que je suis ici, j'ai l'impression que mon arrivée est encore hyper récente ! Je me sens bien ici, j'ai pas forcément envie de partir ailleurs. Mais, quand il n'y aura plus les cours, qu'il faudra bosser pour de vrai.... J'sais pas trop ce que ça va donner. Heureusement, ce n'est pas pour tout de suite !"

Heureusement, ou pas, je n'en sais rien à vrai dire. C'est très bizarre de me dire que je vais passer cette année sans Tessa. Alors, peut-être que cette simple idée que, une fois nos études terminées, on puisse se rapprocher à nouveau a réussi à me toucher un peu trop. Je ne devrais pas. Mais d'ici là, il y a sûrement beaucoup de choses qui auront changé !

Tessa est arrivée bien avant moi à Kobe. D'ailleurs, je me souviens encore très bien de cette conversation qu'on avait eu alors que ça fait plus d'un an. Il faut croire que le temps passe plus vite quand on est bien quelque part. Alors bien sûr, j'espère fortement qu'elle sera bien dans sa future école. Que les cours lui plairont, qu'elle pourra faire ce qu'elle veut, et surtout qu'elle rencontrera des gens avec qui elle sera à l'aise. Peut-être même trouver enfin un mec avec qui se poser. Cette pensée me noue un peu la gorge. C'est étrange comme sensation. D'avoir à ce point envie qu'elle puisse partager ce bonheur avec quelqu'un et d'un autre côté... Non, je n'ai pas le droit d'éprouver cette ce genre de désaccord.

Heureusement, quand elle me parle de cette possibilité de se programmer un autre rendez-vous pour dans un an pour qu'on puisse faire le point sur ce qu'on aura fait durant l'année à venir, ça suffit à me sortir de ce genre de pensées. Oui, ça ne sert à rien de penser à tout ça maintenant, on pourra très bien en parler en temps voulus ! Un an, même si ça passe vite, il s'en passe des choses !

- "Oh ouais, ce serait une trop bonne idée !! On pourra voir tout ce qui a évolué dans nos vies pendant cette année ! Eheh j'ai déjà hâte que tu me racontes toutes tes aventures tokyoïtes !!"

Parce qu'à Tokyo, il y en a des choses à faire ! Et en trainant avec Emily, je suis sûr qu'elle ne va pas s'ennuyer ! Et tout en spéculant sur ce qui pourrait arriver pendant les douze à mois à venir, notre glace descend petit à petit. Si bien qu'arrivé à la dernière bouchée, eh bien, je crois que je commence vraiment à caler. Ouais, mine de rien, le plat était assez conséquent et la glace aussi !

Sauf que ce n'est pas franchement à mon estomac que je pense à ce moment là. Non, c'est plutôt à ce restaurant qui arrive sur la fin. Bien sûr, je savais que je n'aurais pas spécialement envie de lui dire au revoir juste après être sortis. Alors quand on en a tous les deux bien terminés, que j'ai réglé la note arrivée à notre table, je me lève tout en proposant à Tessa.

- "Ca te dit qu'on aille faire un tour avant que tu ne partes ? Ou alors tu as envie de faire quelque chose en particulier ?"

Oui parce que après tout, si c'est sa dernière soirée, autant qu'elle choisisse ce qu'elle a envie de faire !

- "Ok, ça m'va !"

C'est peut-être un peu bizarre, mais en même temps, ça me convient beaucoup mieux comme option qu'un "bon bah, salut, amuse toi bien !". Quand on sort du restaurant, la température a forcément un peu chuté, et le vent de bord de mer ne réchauffe pas beaucoup plus, mais ça reste supportable. A cette heure là, il y a encore un peu de monde qui se balade, profitant des derniers jours de vacances probablement. C'est vrai que cet endroit a quelque chose d'apaisant. Mais quand Tessa me fait remarquer que la soirée passe trop vite, je ne peux qu'être d'accord.

- "Moi aussi. Ça fait bizarre de se dire que, ça y est, c'est le dernier soir."

Dernier soir qu'elle a accepté de passer avec moi, et c'est vrai que ça me fait sûrement un peu trop plaisir. J'aimerais que les minutes défilent plus lentement, mais comme on n'a pas de prise sur le temps, je préfère me concentrer sur ce qui se passe actuellement pour en profiter. Je sais qu'on se reverra mais, quand même, ce n'est pas pareil.

- "Je crois bien que, cette année va être un peu bizarre sans toi. Ca va me manquer de ne plus me faire rappeler à l'ordre !"

Je rigole légèrement en prononçant cette phrase, comme pour montrer que ce n'est pas totalement sérieux. Et comme on arrive au niveau du sable de la plage, j'en profite pour enlever mes chaussures et remonter le bas de mon pantalon.

- "Mais, c'est surtout toi qui va me manquer."

Ma voix réussi à se faire posée, calme, comme si j'arrivais à accepter cette situation. Ce n'est pas vraiment le cas, évidemment, mais j'ai bien eu le temps de me faire à l'idée que c'était comme ça, et que je n'avais aucune prise là dessus. Alors, ça ne sert à rien de rendre les choses plus difficiles.

Un léger sourire étire mes lèvres lorsque Tessa m'affirme que je vais également lui manquer. Ces derniers mois, il s'est passé tellement de choses entre nous. Des hauts et des bas. Des moments où j'avais seulement l'impression de vivre un rêve à ses côtés et d'autres où on tombait davantage du côté du cauchemar. Mais ça m'a permis de me rendre compte ce que ça veut vraiment dire que de tenir à quelqu'un. Parce que malgré les difficultés, je n'ai jamais voulu abandonner pour autant. Et ça, ce n'est pas tous les jours que ça m'arrive.

- "Ahah mince, c'est vrai, j'avais pas pensé au téléphone !"

Même si l'ambiance réussi à se faire au moins superficiellement détendue, je ne peux pas enlever ce poids qui se forme dans ma poitrine. Alors je me concentre sur la sensation des grains de sable qui glisse sous mes pieds, se frayant un chemin entre mes orteils. A la fois doux mais un peu piquant. L'odeur de la mer et le bruit des vagues qui viennent doucement s'échouer sur le bord de la plage. Autant d'éléments apaisants qui m'aident à aborder un peu mieux notre situation.

Lorsque Tessa me pose cette question à laquelle je ne m'attendais pas vraiment, je redresse un peu plus la tête pour me rendre un peu plus compte de la vue qu'on peut avoir d'ici. C'est vrai que c'est toujours particulier la version de nuit, avec toutes ces lumières qui composent ce nouveau paysage. Je m'assieds à côté de Tessa avant de répondre, enfonçant mes mains dans le sable, un peu derrière moi, de sorte à pouvoir m'y appuyer tout en regardant plus haut.

- "Quand je suis arrivé à Kobe, les premières semaines, ça m'arrivait souvent. Ce choix de vie que j'avais fait me faisait tellement peur que je ne dormais presque pas, alors... Oui, plus d'une fois je me suis perdu des heures à observer la ville aux heures où tout le monde dort. J'aimais bien me trouver un point un peu surélevé, c'est vrai que la plage ne m'attirait pas spécialement. Mais, c'est la première fois que je prends le temps de la regarder dans des conditions plus agréables. Et... C'est très différent de mes dernières impressions."

Je laisse échapper un léger soupire. Ces souvenirs ne sont pas parmi les plus joyeux que je puisse avoir, mais malgré mon anxiété des premiers jours lors de mon arrivée dans cette ville et mes difficultés d'adaptation, aujourd'hui, je ne regrette absolument rien. Je sais que c'était le meilleur choix à faire. Je ramène finalement mon regard sur Tessa et me redresse légèrement pour que ma main la plus proche puisse se poser sur la sienne.

- "Et toi ? Tu as déjà pris le temps de le faire ?"

Même si ces souvenirs désormais lointain ne font pas partis de mes meilleurs à Kobe, je me plais désormais suffisamment dans cette ville pour qu'ils restent seulement à l'état de souvenirs. Je sais que c'est ce qui me permet d'être aussi bien aujourd'hui alors, je les accepte. En y repensant, c'est probablement ce qui m'a permis de développer ces sentiments vis à vis de Chandini, qui m'a évité de sombrer totalement à cette époque. Je ne m'en serai sûrement jamais sortir sans elle. Avec Tessa, ça a été très différent. Il m'a aussi fallu du temps pour réaliser mais, je ne saurai pas expliquer comment est-ce que j'en suis arrivé à ce résultat. Parce que oui, sentir ses doigts qui viennent se mêler aux miens me rappel bien vite que j'ai beau sortir avec Chandini et en être heureux, je reste incapable d'ignorer à quel point Tessa m'attire elle aussi.

Mais l'ambiance posée me va bien. Rester là, assis aussi simplement à côté d'elle, même si cela précède plusieurs mois sans la voir, ça me fait aussi du bien. Et si je pensais la connaitre assez bien après tout ce temps passé ensemble, je me rends compte qu'il y a encore certaines choses que j'ignore. Comme ce goût pour le ciel de nuit, ou ce fameux tableau qu'elle évoque. Je ne m'y connais clairement pas assez en peinture pour être capable de visualiser à quoi est-ce qu'il ressemble, mais je garde le nom dans un coin de ma tête pour pouvoir vérifier plus tard. Pas très compliqué à retenir en plus.

- "Je ne savais pas que tu aimais autant ça ! C'est vrai que c'est apaisant. De se rendre compte de l'immensité de ce qui nous entoure. Comme si chacun de nos problèmes pouvait paraitre dérisoire en comparaison de tout ce qui se trouve autour. Je ne me balade pas vraiment en dehors de la ville, mais si j'ai l'occasion d'aller vers le mont Rokko, je m'en souviendrai !"

Mes yeux quittent le ciel pour revenir se poser sur Tessa. Je n'ai pas osé faire la moindre remarque sur sa tenue ou son apparence à son arrivée, craignant que ce soit déplacé ou d'instaurer d'entrée de jeu une certaine gêne, mais je ne peux pas m'empêcher de la trouver particulièrement belle ce soir. Peut-être parce que je veux pouvoir me souvenir de chaque détail de cette soirée quand elle me manquera. Je recule doucement ma main d'appui pour arriver en position allongée sur le sable, tout en attirant Tessa vers moi.

- "Tu sais que maintenant que tu m'as dit ça, je risque de penser à toi à chaque fois que je vais regarder les étoiles ?"

Et je crois que quelque part, ça me fait un peu plaisir.

Je ris doucement à sa remarque.

- "Je ne garantis pas de toujours me souvenir de tous tes bons conseils. Il va falloir qu'on se revoit de temps en temps pour ça !"

Non, bien sûr que ce ne seront pas à ce genre de paroles que je risque de repenser. Ce sera bien plus de ce genre d'instants dont je préfèrerai me rappeler. Son odeur, la sensation de son corps contre moi, ses cheveux, dans lesquels mes doigts viennent d'ailleurs se mêler légèrement.

- "En revanche, il n'y a aucun risque pour que je t'oublie."

Je prononce cette phrase plus bas, plus sérieusement aussi. Je suis toujours incapable de comprendre comment est-ce que notre relation a pu évoluer de cette façon. On m'a tellement répété que le jour où je tomberai amoureux, je ne verrai plus personne d'autre autour. Faut croire que les choses ne sont jamais aussi simples. Bien sûr que j'aimerais ne pas me contenter de ce simple câlin. La sentir contre moi, son corps s'élevant doucement au rythme de ma respiration, ce serait presque une torture que de ne pas pouvoir aller plus loin. Mais je n'ai pas du tout envie qu'on s'éloigne pour autant.

- "Et puis, j'espère bien te revoir suffisamment pour ne pas en avoir l'occasion !"

Ca a beau être toujours aussi compliqué entre nous, je n'ai sûrement pas envie de couper les ponts avec elle pour autant. Au contraire. Je ne sais pas si ce sera plus simple pour autant, et je m'en fiche. Quand je suis avec elle comme ça, je sais que je ne veux pas m'en passer. Tout comme je sais que je ne devrais pas penser ce genre de chose. Mais je crois que je commence à me faire à l'idée. Je n'arriverai jamais à avoir une vie amoureuse tranquille et classique.

Parmi tous les moments où j'aurais adoré avoir un contrôle sur le temps pour le ralentir, celui-là fait clairement parti des principaux. Non, je n'ai aucune envie que les minutes défilent. Je voudrais pouvoir rester comme ça, le dos posé sur le sable de la plage, Tessa posée contre moi, ses cheveux qui viennent me chatouiller le cou à mesure que je m'amuse avec quelques unes de ses mèches. Mais puisque ce n'est pas possible eh bien, je me contente de profiter de tout ce dont je peux, me laissant pleinement aller à ressentir toutes ces émotions que je peux avoir quand je suis avec elle. Tant pis pour les barrières de sécurité.

- "Oui, bien sûr qu'on pourra toujours s'appeler en visio. Mais, j'imagine que tu vas être très demandée et tu auras sûrement beaucoup de choses qui vont t'occuper aussi. Je n'ai pas très envie de trop te déranger non plus."

Évidemment que j'adorerais pouvoir l'appeler régulièrement. Mais je sais que sa famille va sûrement lui prendre déjà beaucoup de temps au téléphone, et puis les amis qu'elle laisse ici aussi. Sans compter les cours et toutes les occupations qu'elle trouvera forcément à Tokyo, j'imagine bien que son emploi du temps va être surchargé.

Alors quand elle ajoute préférer me voir en vrai, je ne peux qu'être d'accord avec elle. Mon regard qui plonge dans le sien, son visage au dessus du mien, me fait un peu tourner la tête en même temps que je sens mon cœur qui accélère sa course progressivement dans ma poitrine. Je connais parfaitement ce signal. Mais je n'ai pas envie de le faire taire. Ce soir, je ne veux pas avoir à me forcer à faire semblant. A faire comme si j'avais désormais réussi à passer au delà de tout ce que j'ai pu ressentir pour elle. Et, manifestement, que je ressens encore.

Ma main remonte à sa joue, se posant délicatement en même temps qu'un sourire discret se dessine sur mes lèvres. Je devrais ressentir cet espèce de chamboulement habituel entre le bien et le mal, entre ce qu'il faut et ce que je veux, comme à chaque fois qu'on s'est retrouvé un peu trop proches depuis ce début d'année. Pourtant, c'est étrangement un calme difficilement croyable qui s'empare de moi à cet instant. Comme si mon esprit avait décider d'abandonner la lutte. Ou avait accepté de me foutre la paix pour les quelques instants qu'il nous reste à passer ensemble.

- "Moi aussi."

J'avance davantage ma main, jusqu'à ce que mes doigts puissent se glisser sur sa nuque, y appliquant une légère pression, juste assez pour l'inciter à rapprocher son visage du mien tout en l'accompagnant. De cette façon, je veux seulement pouvoir à nouveau l'embrasser. Me rappeler encore une fois le goût de ses lèvres avant qu'elle ne soit bien trop loin pour que je puisse avoir besoin de résister à la tentation. Je suis parfaitement conscient de ce que je fais à cet instant. Plus d'une fois j'y ai pensé. Pensé à ce que ce serait si je craquais. Si je franchissais cette limite qui m'obligerait à me poser des questions sur la suite de ma relation avec Chandini. Qui ne ferait que compliquer (encore) les choses. Mais à aucun moment, je n'ai pensé que je puisse être aussi serein et sûr de moi.

Si je sais parfaitement ce que je fais à cet instant, je n'ai en revanche aucune idée de la façon dont Tessa peut percevoir ce geste. Si mon intention est très claire, mon geste reste posé, mesuré, lui laissant l'occasion de refuser à n'importe quel moment. Mais ça n'arrive pas et finalement, nos lèvres se retrouvent. Je mentirais si je disais que je n'avais pas pensé à ce moment plus d'une fois malgré les interdictions morales. Quand je peux enfin l'embrasser, la sentir réceptive à ce contact, ma tête se vide instantanément, ne reste plus que le plaisir qui découle de ce baiser qui se fait de plus en plus prononcé. Plus rien n'existe autour de moi. Il n'y a plus que Tessa, son odeur, son toucher, toutes ses sensations qui envahissent mes sens.

Alors, quand elle se recule, rompant cette connexion vers un autre monde qui s'était créée, c'est difficile à accepter. Bien sûr, elle a raison. Et bien sûr, des excuses toutes prêtes pour l'inciter à poursuivre malgré tout, j'en ai quelques unes en réserves. "C'est notre dernière fois". "Foutu pour foutu". "Ca restera entre nous". "Je suis le seul responsable". "Est-ce que c'est vraiment ce que tu veux ?". "Je crois bien qu'en fait, je t'aime". ... Non, je n'ai pas le droit. Plutôt que de dire des choses qui n'arrangeront pas notre situation, et qui risquent juste de rendre la suite plus compliquée, je laisse quelques secondes de silence s'écouler, le temps de réussir à redescendre, à faire le point avec moi-même.

C'est avec un petit sourire désolé que je hoche finalement la tête.

- "Oui, tu as raison. C'était sûrement une mauvaise idée dès le départ, mais, de notre premier baiser à ce dernier, je ne regrette absolument rien. Je suis désolé. C'est difficile de me dire que... Je ne pourrais plus être tenté de faire ça ensuite. Je sais bien que je ne devrais pas mais..."

Je pousse un léger soupire, sachant qu'il est préférable que je coupe la suite de mon raisonnement maintenant. Mais c'est compliqué. Je me mordille légèrement la lèvre, essayant de retrouver un chemin plus stable.

- "Si c'est ce que tu veux alors, je n'insiste pas."

C'est difficile à accepter. Après avoir eu droit à ce nouvel aperçu de notre synergie, devoir tout couper aussi brutalement, ça me demande un énorme effort. Et c'est uniquement parce que, pour une fois, je me concentre sur les conséquences, que j'arrive à ne pas initier quoi que ce soit qui nous rapproche à nouveau.

Non, clairement la réponse de Tessa ne me donne pas envie de la laisser reprendre ses distances. Sa main sur ma joue, je veux continuer à la sentir. Je passe mes bras autour de sa taille lorsqu'elle revient contre moi. Je sens ma poitrine qui se gonfle à nouveau. C'est beaucoup trop difficile. La sentir si proche de moi. Savoir qu'elle en aurait également envie. Et ne rien pouvoir faire. Je vais vraiment finir par croire que les relations de couple ne sont pas faites pour moi.

- "C'est adorable de penser à moi mais, il me semble qu'on a déjà eu cette discussion. Penser à toi et à ce que tu veux, c'est bien aussi."

Je repose ma tête contre la sienne tout en prononçant ces mots. Bien sûr que ça me fait plaisir, et quelque part, je lui en suis reconnaissant. Parce qu'elle n'aurait pas eu besoin de faire grand-chose pour que je craque bien avant. Et que je ne me contente pas d'un simple baiser. Moi qui pensait que ma relation avec Chandini serait simple et évidente le jour où j'arriverais à passer ce cap. Je me suis encore complètement planté.

- "Bien sûr que ça va être super dur. Encore plus après ce que tu viens de me dire. Mais je ferai avec ! Je ne vais sûrement pas t'attendre à l'entrée de l’hôtel si tu m'autorises à venir dans ta chambre !"

Je reprends mon ton plus joueur. Bien sûr que ce n'est pas vide de sens ni totalement innocent. Je dépose un bisou sur son front, à défaut de pouvoir plus, puis me redresse, tendant la main à Tessa en même temps pour l'aider à son tour. J'en profite pour enlever comme je le peux le sable qui s'était accroché à mes vêtements et dans mes cheveux.

- "Allez, en route ! Faudrait pas qu'ils s'inquiètent de ne pas te voir arriver à Tokyo !"

Je n'ai aucune idée de comment est-ce qu'elle a prévu son départ pour Tokyo, mais c'est tout ce que je trouve à dire sur le moment. Non, parce que si je m'écoutais, je resterais là encore un long moment à profiter de ses bras sur la plage. De ses bras et de ses lèvres qui me manquent déjà. Je ne suis pas sûr que l'option hotel soit vraiment plus safe mais, bon, on verra là bas hein.

Le fait qu'elle n'ait pas vraiment d'heure maximale pour partir ne va sûrement pas m'aider hein mais... Là tout de suite, je m'en fiche. Non, de toute façon, c'est déjà un peu trop tard. Je sais très bien que quand Tessa sera partie, je m'en voudrais. J'y repenserai. Encore et encore. Sauf que comme toujours, ce qui peut se passer après ne m'intéresse pas beaucoup en comparaison de ce qui peut se passer maintenant. Et maintenant, je vois juste Tessa qui est de plus en plus irrésistible face à moi. Alors bien sûr que je préfère l'accompagner et profiter entièrement de cette dernière soirée que d'attendre tout seul bêtement dans mon coin.

Et une fois arrivés dans sa chambre, je sais que la suite va être hors de contrôle. Oui, évidemment. De se retrouver rien que tous les deux dans cette chambre d’hôtel, ça réveil quelques souvenirs de notre première nuit tous les deux. Des souvenirs qui me donnent bien trop envie de les rafraichir. Alors quand elle me propose de m'assoir...

- "Ok."

Lol, ok, bien sûr que non. Mais je fais un effort. Je m'assois sur le bord du lit et la regarde terminer de préparer ses affaires. Encore une fois, je ne peux que remarquer à quel point elle est incroyablement bien organisée. Et bien trop attirante. Mes yeux n'arrivent pas à la quitter, observant chacun de ses mouvements. Est-ce que je vais vraiment rester là à la regarder partir sans rien faire ? Alors que j'en meurs d'envie ? Alors qu'elle m'a avoué il y a quelques minutes ne pas avoir envie elle non plus, qu'on se force à rester à une distance respectable l'un de l'autre ? Bien sûr que non, et inévitablement, je finis par me relever avant qu'elle n'en ai totalement terminé avec ses affaires.

- "Tessa..."

Je me rapproche d'elle pour lui attraper la main avant de l'attirer doucement vers moi. Mon calme et mon assurance de la plage ont volé en éclat, et cette fois, c'est bien la maelstrom qui s'agite en moi, affolant mon coeur au passage. Parce que là, si on doit en venir à s'embrasser, ce sera beaucoup plus compliqué de m'arrêter. Et évidemment, le simple fait d'envisager cette possibilité crée de nouvelles images dans mon esprit. Des images que j'ai terriblement envie de voir se réaliser.

- "Je t'assure que je n'en avais vraiment pas l'intention que je t'ai invitée ce soir mais, là... Je savais bien que ce ne serait pas facile évidemment, et qu'il faudrait que je fasse gaffe sauf que, c'est vraiment plus fort que moi, tu me plais beaucoup trop, je n'y arrive pas... Je ne pensais pas que je puisse continuer à me sentir aussi bien avec toi. Quand on s'est embrassé là, c'était juste... Tellement incroyable et, je sais qu'on ne devrait pas, que je ne devrait pas mais... Est-ce que... Je. peux recommencer ?"

J'en ai fait des conneries, mais celle-là fera probablement partie des plus importantes. Je ne sais pas bien si c'est pour cette raison que je me sens aussi fébrile, ou bien si c'est à cause de cette fameuse dernière nuit à côté de laquelle je ne veux pas passer. Je voulais vraiment réussir à passer une soirée classique, lui dire au revoir comme deux amis sont censés se le dire. Mais il faut toujours que j'arrive toujours à tout faire foirer.