[TERMINE]How can I say this without breaking ?

Aucun regret de l'avoir rencontré ; d'un signe de la main, on dit au revoir à Yuna qui part de son côté. On a bien sympathisé et rigolé, toutes les trois cet après-midi.

Pourtant, c'était mal parti. Arrivées en avance avec Maya, j'appréhendais sa venue, la tête plein de doutes. La peur de disputer, de bafouiller sans cesse, ou même de faire mauvaise impression, tout y était.

Mais dès son apparition, tout mon stress s'envola. Son premier sourire en nous voyant, était contagieux, ses yeux tout aussi pétillants de malice. Elle était drôle, mais surtout très belle... je faisais un peu pâle figure à leurs côtés, moi qui suis si banale.  

Les heures avaient filés comme des rapides. Et lors d'un instant – où Maya était absente, Yuna m'avait saisi par les épaules, et m'avait chuchoté dans le creux de l'oreille. Sous couvert du secret, j'en perdis mes couleurs avant de les hisser plus fort.

On avait fait style de rien au retour de Maya, et tout le long du reste de la journée. Mais maintenant, en me retrouvant seule avec elle, tout me revient en tête. Jouer et manger, m'avaient empêché d'y penser, en plein déni. Et si tout ça était faux ?

« Je comprends pourquoi tu l'apprécies autant, c'est une chouette fille »

Une simple phrase pour percer le silence.

Un peu paumée dans mes pensées, j'entends à peine la confirmation de Maya, et sa réflexion sur ses amies. Une drôle façon de penser sur le sujet. En rencontrer une est loin de vouloir dire à quoi ressemble les autres, non ?

« Tes autres amies ? Enfin, je veux dire... T'as rencontré Tsu', mais ça ne veut pas dire que tu connais mieux Hina... tu vois ce que je veux dire ? »

Ou, encore une fois, on n'est pas sur la même longueur d'ondes ?

« Parce que, sinon, je ne peux m'empêcher d'imaginer ton entourage remplie de copies conformes de gothiques blondes, drôles et bien foutues. »

Un petit rire léger accompagne ma réflexion.

Oh. D'un coup, avec la précision, ça semble un peu plus clair ! La suite de ses paroles m'arrache un sourire... j'aime bien quand elle fait de l'auto-dérision comme ça.  C'est rafraîchissant, et bien plus plaisant qu'une réflexion acerbe.

« Tu es sûrement la dirigeante ? D'où le Maya l'abeille ! »

On a déjà dû lui faire la blague un millième de fois, mais c'était trop tentant. Puis, elle enchaîne et me voilà perdue à sa dernière réflexion :

« La tenue ? Quelle tenue ? »

Je regarde autour de moi à la recherche de ce dont elle pourrait parler. Et là, je tilt, comme si j'étais prise sur le fait. La tenue de Yuna était belle, tout comme sa propriétaire. Même si elle a nettement plus de forme par rapport à Maya, ce n'est pas ce qui m'a plu.

« Oh ? Ah ! Euh, je ne sais pas trop, pourquoi ? »

Serait-ce un brin de jalousie dans sa voix ?

Pas assez vieille ? Ça me fait me demander quel âge peuvent avoir ses autres amies, et si je suis la plus jeune fréquentée. Déjà, il y a quatre ans entre Maya et moi, ce qui est beaucoup d'années à mon âge. Mineure et majeure, c'est loin d'être ouf.

« Elle a quel âge ta plus vieille amie ? Et la plus jeune ? »

C'est certes un peu bizarre comme questions, mais ça m'intrigue vraiment. Peut-être pour ma rassurer un peu, savoir de ne pas être la plus gamine du lot. Enfin bref, Maya plaisante sur l'invocation du diable. Et je demande vaguement :

« Vous sacrifiez des mecs vierges au lieu des filles ? »

Sa phrase sur sa beauté me fait réagir derechef :

« Dis pas ça, t'es super jolie ! »

C'est sorti un peu tout seul, sous l'indignation qu'elle puisse penser ça d'elle. Avec le recul, je me sens un peu gênée d'avoir contredit Maya avec autant de passion... mais c'est la vérité la plus sincère qui soit.

On attaque le sujet de la tenue. Je ne saurai pas vraiment les départager. Toutes les deux ont un style très marqué, dans le style gothique. Seulement, celle de Yuna était vraiment très sombre, sans vrai touches de couleurs alors :

« Je dirais la tienne, y a quelques notes de couleurs, et je préfère ça qu'une tenue toute noire »

Maya me fait remarquer de n'avoir jamais vu les tenues achetées avec elle. Je n'ai pas envie de lui mentir mais je sais, bien au fond de moi, si je lui dis dans quelles occasions j'ai porté cet habit, je pourrais m'attirer ses foudres, mais :

« J'ai déjà porté une fois, une des robes »

S'il te plaît, ne me demande pas avec qui.

Seulement deux ans ? Un peu rassurée de ne pas trouver des couguars dans son entourage, je l'écoute parler de sa connaissance la plus jeune. Pourquoi pas...  Il y a bien des adolescents matures, parfois plus de certains adultes.

« Vous vous êtes connues comment ? »

Ma réflexion de la trouver jolie, la fait rougir. Et en écho, mes joues s'habillent en vermeil. On continue de marcher jusqu'à l'arrêt de bus, où j'avoue m'être habillée avec une des robes achetées à ses côtés. Ça part vraiment mal.

« En ville dans un salon de thé, avec un étudiant, Oswald, un grand rouquin avec une cicatrice sur le nez. Il est parti de l'université, depuis »

Il y avait eu un sacré quiproquo avec lui...

Attentive, j'écoute Maya me parler de la première année, et implicitement sa bonne action. Elle avait du courage cette fille, ou plutôt tête brûlée d'avoir franchi le portail après le couvre-feu. Typiquement un truc que je ne ferais jamais.

Maya reconnaît la description, et me demande si j'ai trouve cette 'date' fun.

« C'est un peu flou, mais ce n'était pas un date. Je lui ai bien fait comprendre »

Parce que lui, il était clairement là pour ça.

« C'est juste que... Lors de la panne d'ascenseur, je buvais un Bubble Tea, et ça avait l'air de l'intriguer. Alors je lui ai proposé de lui faire découvrir une autre fois... enfin voilà... »

Il était effrayant un peu, mais pas avec moi.

Un peu paniquée de la tournure prise par la conversation, je me sens plus très à l'aise dans mes converses. Maya ironise sur le date, un commentaire explicite. Oui, je l'ai invité, et alors ? Je n'ai pas couché avec ce mec, pas comme... bref.

Je retiens une réplique acerbe, avant de lui répondre :

« J'ai invité aussi Kawaguchi-san à boire un Bubble Tea. Donc, pour toi, ça veut dire que j'ai eu un date avec la professeure ? »

Je m'insurge un peu de la voir me contre-dire ainsi. Peut-être aurais-je du me taire, et laisser cet événement mourir, mais ça aurait été contre mon caractère. Alors, je serre un peu les dents en silence, en la voyant nettement faire du boudin.

Je soupire, éreintée d'une nouvelle dispute.

Mes oreilles sifflent face à tant de mauvaise foi. Si elle pouvait croire un peu plus ma parole, les choses seraient bien plus simples. Je sens mes yeux se piquer de larmes devant cette injustice. À croire que je vais payer toute ma vie ce que je lui ai dit.

Ce n'est pas son problème ? Je l'attrape par le bras pour la faire forcer à s'arrêter de marcher et se tourner vers moi :

« Il n'y a qu'une seule personne avec qui je veux avoir des dates... et c'est... c'est... »

Le mot se bloque à la barrière de mes lèvres.

Ma tête sonne comme un tambour, sur lequel on taperait avec ferveur. Je tire un peu sur le col de ma veste Teddy, pour mieux passer l'air. Les mots ne veulent plus sortir, et je reste bêtement à lui tenir le bras, sans appuyer trop fort.

« ... Yuna... »

Le seul mot réussissant à s'échapper. Je prends une grande inspiration avant que ça parte en très gros quiproquo...

« Enfin... je veux dire que... Yuna m'a mis dans le secret pour tes sentiments »

Sauf qu'à la base, on parlait des miens. Elle devrait tout de même comprendre, elle n'est pas idiote. C'est juste difficile de le dire à haute voix, en pleine rue comme ça. Voilà pourquoi je n'arrive pas à dire ce que je veux... je suis un cas désespéré.

Je lui lâche doucement le bras, vaincue.

Non, non, non ! Ce n'est pas du tout ce à quoi je m'attendais. J'ai osé croire que tout lui serait limpide. Mais comment ça pourrait l'être après tous ses dramas inutiles, et mon rejet ? Il est sûrement déjà trop tard. Ai-je seulement le droit d'y penser ?

Quand je l'ai repoussé, j'étais loin d'être prête, mais maintenant avec le soutien de Tsu', Hina, c'est différent. J'ai toujours cette trouille au ventre d'être un jour être découverte et renié dans l'instant. Pourtant, je sais que si, au cas où ça arrivait, j'aurais un toit sur la tête, et des gens sur qui compter.

Mais... est-ce que Maya voudrait vraiment de moi ? J'ai l'impression de ne pas être assez bien. Elle s'excuse, et je n'ai envie qu'une seule chose : la prendre dans mes bras, et m'excuser à mon tour. Mais on est en pleine rue... et sous plein de regards.

« Ne t'excuse pas.... je ne t'en veux pas, au contraire... »

J'essaye de réparer les choses, entre nous.

En silence, je suis le raisonnement de Maya, où il l'emmène et s'il arrive à recoller le puzzle. Les pièces s’imbriquent, une à une, jusqu'à ce que Maya sorte son téléphone et me montre ce qui est écrit. Je pâlis un peu en lisant.

J'ai vraiment dit ça ?

Sûrement, oui. Au début, je me sentais mal... mais ce n'était pas l'idée d'être aimée qui me dérangeait, mais celle d'aimer une fille. C'est une bonne différence de taille. Je lève les yeux du téléphone pour croiser celui de la blonde. Je hoche la tête à deux reprises.

Je panique un peu en réalisant la direction prise par la conversation. Et tout ce qu'elle pourra engendrer. J'ai aussi très peur d'être rejetée, ou que ça se passe mal entre nous... mais le bus arrive pour me sauver de cette boule de stress qui monte au creux de la gorge.

On s’assoit vite dans le fond, côte à côte.

Ah. Elle n'a donc pas capté la continuité de la conversation, où je me suis vraiment mal expliquée. Si bien qu'elle ne sent pas visée, sûrement une protection contre les faux espoirs. Ou alors, elle ne s'attend pas à ce que j'ai un culot pareil.

À sa question, je me mords les lèvres. Si je lui dis là, comme ça, dans le bus, comment ça va se conclure ? Je n'ai aucune idée de sa possible réaction, et depuis quelques temps, j'ai tendance à m'attendre au pire avec Maya. Alors je tapote sur mon téléphone :

Plus tard, en privé

Le trajet n'est pas si long, elle peut bien retenir son souffle quelques minutes de plus. Je n'ai pas envie de la faire pleurer, crier ou que sais-je encore... dans sa chambre, ce sera bien plus simple de lui avouer la vérité, caché des yeux curieux.

J'espère surtout être la bonne pour t..

J'efface rapidement ce lapsus pas si révélateur, à la hâte.

Pour elle

Elle a sûrement raté ma petite bourde.

Un poil soulagée – elle n'insiste pas, je hoche la tête à sa demande. La suite me fait autant rougir que mal au cœur. Une chic fille ne tiendrait pas des propos pareils. J'aimerai faire le vœu de ne jamais plus la décevoir, ou la faire pleurer...

Même si je n'en fais pas la promesse, je ferai de mon mieux !

La suite du trajet est un peu flou. Plus le temps passe, et plus je vois trouble en m'imaginant lui avouer à nouveau mes sentiments. Des scénarios plein la tête, rarement drôles, parfois tristes, souvent énervés. Rien ne me convient, et j'en pousse un soupir.

Et avant que je le réalise, on est déjà dans sa chambre.

« Ah euh... oui ? »

Je ferme la porte derrière moi, et m'adosse au bois, un peu perdue. Je ne suis pas douée pour les fioritures... j'ai l'âme d'une scientifique, pas d'un poète. Alors sans ambages, je l'invite à s’asseoir sur son propre lit, avant de prendre la parole, debout au milieu de la pièce :

« La fille, c'est t-t-t-to-to-to-toi »

C'est si nul au point d'avoir le feu aux joues.

Ça y est, je me décompose. À cause des mes bafouillements, Maya n'a pas compris ma déclaration. Peut-être étais-je trop pressée, c'était peut-être trop tôt. Ou trop tard. Je tire sur les manches de ma veste, avec appréhension et embarras.

Il faut que je me calme.

J'ai envie de me vider un verre d'eau sur la tête, comme si j'étais en train de courir un marathon. C'est dur de garder le rythme, et ne pas me péter la figure d'épuisement. Parce oui, lui dire à haute voix, ça m'a sapée toute ma force vitale.

Alors je gesticule un peu sur place, à tordre mes doigts dans tous les sens, en quête de courage. Je ne peux plus reculer, c'est peut-être ma... notre dernière chance. Sans un mot, sans un regard, je sors prestement de la pièce en fermant derrière moi.

De-là, je me laisse doucement glisser contre la porte, jusqu'au sol. Je me sens déjà un peu mieux, mais je ne dois pas traîner. Si Maya me suit, et déboule dans le couloir – déjà je risque de me ramasser, mais mon infime courage restant serait pulvérisé.

Message envoyé, tout peut enfin exploser.

Adossée à la porte, je bascule à son ouverture, et deux bras réconfortant me ramènent à l'intérieur. Maya a lu le message, elle sait. Je ne peux plus me débiner. Dans le creux de l'oreille, elle me dicte de le dire.

Mes yeux glissent sur sa bouche quelques instants, avant de fermer les paupières. Ses lèvres me paraissent hors d'atteinte. Je n'ai pas le courage de les cueillir pour lui montrer à quel point je tiens à elle, malgré tous ces accrochages.

Alors je la serre contre moi en retour, pendant quelques secondes qui se transforment en minutes. Je suis bien là, comme ça, sans étiquette sur notre relation. Sans être sous le regard désabusé de mes parents, ou des curieux à la rumeur facile.

Désormais paisible, les mots franchissent mes lèvres :

« J'ai juste envie d'être... avec toi... »

Ce qui est si simple et si compliqué à la fois.