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- Yukio OgawaPersonnel ; prof d'histoire-géo■ Age : 29■ Messages : 340■ Inscrit le : 09/05/2021■ Mes clubs :
Mon personnage
❖ Âge : 28 ans
❖ Chambre/Zone n° : 1
❖ Arrivé(e) en : Fin Janvier 2017
18h50, prise de service. Le gamin est là. Il me regarde avec des yeux sournois. Qu'est-ce qui m'a pris d'accepter de m'en occuper ? Le père est parti depuis maintenant deux minutes et trente-huit secondes. J'assure. J'assure grave. Tout va bien se passer. On ne panique pas. TOUT VA BIEN SE PASSER. On ne panique pas. Ce n'est qu'un enfant, il ne peut rien te faire Yukio. Rien à part mettre le feu à l'appartement, et déclencher une inondation, et te renvoyer à la condition instable de ta psychologie mais à part ça il ne peut rien te faire. C'est un mioche, ça va bien se passer.
Pourquoi est-ce qu'il me regarde comme ça ? Quel coup fourré est en train de lui passer par la tête ? Nos regards se jaugent, c'est une sorte de bras de fer. Le premier qui baisse les yeux a perdu. Je ne céderai pas. Si je cède maintenant, ce sera terminé, il aura pris l'ascendant et il me fera des misères toute la soirée. Surtout ne pas baisser les yeux. Il est retors l'animal, il joue de son aspect innocent pour essayer de me faire croire qu'il n'y pas d'enjeu dans cette baston de regard. Vicieux petit lutin, on ne me la fait pas à moi, je suis inflexible. Du haut de tes deux ans, penses-tu pouvoir m'infliger si cuisante humiliation ? Non, non non non non non. On a dit pas les yeux mignons. Pas les yeux mignons, nooooooooooooooooooooon.
19h30, repas du sale gosse. Ma chemise n'a que douze tâches de purée de carottes. C'est de ma faute, j'ai laissé la cuillère sans surveillance pendant deux secondes et six dixième. Erreur fatale, le saligaud s'est servi de mon innatention pour attraper l'ustensile sur le plateau et frapper un grand coup. Je crois que j'ai une projection dans les cheveux, pas eu le temps de me regarder dans un miroir. Qui a le temps d'être coquet quand il est plongé dans la boue des tranchées ? Ici, c'est la guerre, je crois que j'ai aussi pris un éclat dans l'oeil. Ma vision s'est troublée le temps qu'une larme vienne chasser la bouillie de légume. Je ne sais pas si j'ai pleuré à cause de l'acidité de la carotte ou parce que je sais que la soirée ne fait que commencer. J'ai peur: après avoir commis son acte terroriste à coup d'agent orange, le mioche a fait un grand sourire. Je crois qu'il essaie de m'intimider. Il est plus malin qu'il en a l'air. Il va avoir ma peau si je ne suis pas vigilant. J'ai prévu des tours de garde entre mon hémisphère gauche et mon hémisphère droit cette nuit, je refuse de crever ici.
19h58, vidange de couche. Sierra Oscar Sierra Mike Echo Romeo Echo, l'ennemi n'a pas ratifié la CIAC. C'est une guerre sale, une put** de guerre sale. L'adversaire n'a aucun respect pour le droit international humanitaire, il vient de mener une embuscade sur un objectif sans portée stratégique. Je pensais n'avoir aucun fétiche sur le fait de me faire uriner sur le visage. Maintenant, j'en suis certain.
20h14, moment de grâce. J'ai emmené le gamin dans la coursive de l'immeuble pour voir les étoiles. Il m'a souri. Je crois que la paix est possible Maman. Ces gens sont comme nous au fond. Pourquoi la haine a-t-elle creusé un si grand fossé entre nos conceptions de la vie. Moi aussi j'aime manger de la purée. Moi aussi j'aime regarder les dessins animés à la télévision. Ne sommes-nous pas semblables. Ce qui nous rapproche n'est-il pas plus puissant que ce qui a pu nous éloigner ? Mère, j'ai regardé le ciel nocture, et en voyant les astres porter la lumière sur son visage étonné, je crois que j'ai trouvé la voie du pardon. Terminé la violence, je suis déterminé à construire un monde de tolérance, je crois que lui aussi.
20h47, les hostilités ont repris. Cette fois, la bataille a tourné à l'usure. Il refuse que je quitte la chambre tant que je n'aurai pas lu pour la 9ème fois l'histoire de Carabistouille la petite grenouille. La 8ème fois, il m'avait déjà fait croire que c'était la dernière, je commence à avoir des doutes sur sa bonne foi. Je récite désormais l'histoire de Carabistouille de tête, sans regarder le bouquin. Il ne s'en rend pas compte, il ne sait pas lire. C'est l'histoire de Carabistouille qui se trouve bien heureuse dans l'étang, avec ses parents Bêbête la rainette et Jeannot le crapaud. Un soir, Bêbête et Jeannot s'en vont chanter à la chorale de la mare aux canards, laissant Carabistouille seule avec Bavard le gros têtard, chargé de la surveiller. Après de multiples péripéties, au cours desquelles Carabistouille manque de se faire avaler toute crue par Tut Tut la truite pas fut fut, Bavard rend leur progéniture au bons soins de Bêbête et Jeannot. Bavard s'en va, retournant dans le fond de la mare, chargé de souvenirs et un peu triste d'être à nouveau seul. Pourquoi me fait-il répéter ? Faut-il y voir un message ? Une intimidation psychologique ? Bon sang, il est fort.
21h12, retraite consommée enfermée dans la salle de bains. J'ai failli ouvrir de l'alcool, je me suis rappelé que j'étais toujours en service. Le petit s'est endormi je crois. Le silence règne, c'est reposant. Encore cinq minutes et j'irai vérifier. Pour l'instant, j'ai juste besoin de fermer les yeux et de souffler.
21h17, panique à bord, le chiard a décampé, il est plus dans son lit, et je me suis aperçu que j'avais mal fermé la porte en revenant de la contemplation de la voute étoilée. Je suis dedans jusqu'au cou, encore plus qu'à 19h58. Expédition en urgence, faut retrouver le gamin.
21h24, j'ai croisé la voisine du 3ème, la veille bique avec ses perruches en cage, elle rentrait de ses courses et m'a assuré n'avoir rien vu. Pour être tout à fait franc, j'ai pas été totalement honnête sur ce que je cherchais, mais un minus à doudou qui déambule dans les coursives ou dans le hall, elle m'en aurait parlé d'elle-même, je la connais l'ancêtre. Tout ça veut dire qu'il est encore dans l'immeuble. Il faut trouver une méthodologie pour les recherches.
21h33, j'ai bloqué la porte de l'immeuble en coupant le fil de la serrure magnétique, il ne pourra pas sortir. J'ai récupéré les plans et calqué un quadrillage dessus. Plus qu'à épuiser les zones A001 à Z210 jusqu'à trouver le nouveau héros de la grande évasion. Il va pas m'échapper, je vais le débusquer, foi d'Ogawa.
21h58, toujours aucune trace. Dans le doute, j'ai monté un piège dans le hall de l'immeuble, avec des oursons en guimauve comme appât. La bête est maline, mais elle ne pourra pas résister. Au cas où il préférerait ses proies vivantes, j'ai filé un coup de cutter dans l'ourson le plus gros et fait des bruits d'emballage plastique, ça devrait le faire sortir.
22h14, l'attente, toujours l'attente, il ne se montre pas. Il est malin le gnome. Il a du flairer la trappe. J'aurais pas du le forcer à finir sa purée, ça l'a visiblement calé assez pour qu'il ne ressente aucun besoin impératif à se jeter sur de la nourriture. Ou alors il a senti les somnifères glissés dans les nounours, peut-être qu'il a un odorat surdéveloppé. En tout cas, je ne bouge pas, sa vision est basée sur le mouvement.
22h28, j'ai replié le piège, je suis dépité. Il est trop intelligent pour moi. Fin des recherches, je fais de l'hypoglycémie, je remonte.
22h39, vous allez rire. En fait il n'avait jamais quitté l'appartement, il était juste sorti de son lit pour se coller sur le tas de couvertures de sa penderie. J'ai monté un trépan avec une table à repasser, des chaises pliantes et des cordes à linge, je vais le retransborder dans son lit en toute douceur. Surtout, ne pas le réveiller, sinon, on est repartis pour un deuxième tour.
22h42, je ne dirais pas que c'est un échec, ça n'a pas marché. Enfin, à moitié. Disons que le transbordement a réussi mais que dans l'opération, la bestiole a attrapé mon index avec la patte gauche. Il refuse de le lâcher. Si je secoue la main, ça va le tirer de son sommeil. Je vais éviter de bouger et réfléchir à la situation.
22h46, j'ai une crampe. Il faut trouver une solution, et vite.
22h51, j'ai substitué un bout de doudou au bout de doigt, en y allant par étapes, ça m'a pris du temps mais je suis tiré d'affaires.
23h15, fin des combats. J'ai fumé une clope le long de la fenêtre. Je crois que Gareth ne m'en voudra pas, j'en avais besoin. Je suis maculé de purée de carottes, je pue le stress, j'ai la tête verte de Carabistouille qui me revient en tête par flashs à chaque fois qu'il y a un bruit, je tremble, et j'ai un fil de serrure à réparer, mais globalement, je crois que tout s'est bien passé.
23h47, la serrure de l'immeuble est réparée, ça m'a bien pris dix minutes. J'ai trouvé un vieux babyphone pour surveiller le dragon endormi pendant mon ouvrage. Sans vraiment savoir pourquoi, je suis crevé. Si je m'allonge quelques minutes sur le canapé, je ne risque pas de m'endormir, n'est-ce pas ?
23h48, Il est confortable ce canaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa...
- Yukio OgawaPersonnel ; prof d'histoire-géo■ Age : 29■ Messages : 340■ Inscrit le : 09/05/2021■ Mes clubs :
Mon personnage
❖ Âge : 28 ans
❖ Chambre/Zone n° : 1
❖ Arrivé(e) en : Fin Janvier 2017
Chiaki avait ouvert grand ses oreilles tandis que ses yeux étaient déjà mi-clos, comme alourdis par le poids d'une journée harassante. Couvert par le drap coloré d'un lit confortable, le mioche possédait encore dans le regard une certaine étincelle d'éveil, assez de lumière pour avoir réclamé sous peine de bouderie quelques enfantines conteries. Une histoire, longue, répétitive, prenante, comme une piste d'envol vers un sommeil rêveur. Yukio, à nouveau gardien de nuit de la quiétude du petit, n'avait pas besoin d'un livre pour livrer la geste en livrée d'un quelconque prince au pays merveilleux. Présentes dans la tête du professeur comme autant d'animaux en cage, les élucubrations, plus ou moins intéressantes, ne demandaient qu'un abaissement de la clôture du silence pour sortir, et s'épanouir au creux des tympans d'un enfant en quête d'un tremplin jusqu'aux bras de Morphée. D'une voix rassurante, calme, presque paternelle, il débuta son énonciation avec l'affection malicieuse d'un adulte poli par la fréquentation des aspérités d'un quotidien éreintant.
L'histoire se mit à se dérouler, intonation après intonation.
Dans la grande ville de Kobé, où les rues anonymes fréquentaient les flots de passants, se trouvait un enfant facétieux à la bouille d'ange, qui vivait avec son père dans un appartement situé près d'un parc aux cerisiers. Ce petit garçon s'appelait Chiaki, et il était à la fois intelligent et empli d'une empathie toute militante. Se promenant dans les avenues et portant son regard sur les visages des adultes, il percevait bien l'affliction qui habitait l'esprit de certaines et certains. Son talent était une forme de malédiction: partout où il passait, il ne pouvait s'empêcher de constater la tristesse qui remplissait le coeur de ses contemporains. Suprême déception, il n'avait aucun pouvoir qui lui aurait permis de changer quoi que ce fut à cette situation. Il en était réduit à voir la peine dans les âmes sans capacité de l'occulter, et sans perspective aucune de la faire disparaitre. Il ne savait d'ailleurs pas toujours ce qui pouvait bien assombrir les traits des adultes, comment l'aurait-il pu ? Il savait, pourtant, une chose, et pas des moindres: la tristesse, cette maladie infernale, trouvait son siège dans le coeur des personnes, et s'il fallait agir, c'était à ce niveau là.
Un jour, alors qu'il jouait dans le bac à sable du jardin d'acclimatation, il fut témoin d'une scène des plus incroyables. Sur un banc, une mère, seule et jeune, patientait tandis que sa progéniture apaisait ses besoins ludiques en glissant sur un toboggan. Un vilain Monsieur, cagoulé et ganté, passa comme un coup de vent, et lui vola son coeur, s'enfuyant avec son butin, laissant la Maman assise incapable de la moindre affection, et bouche-bée de s'être ainsi faite ravir l'intérieur de sa poitrine. C'est à ce moment que l'incroyable survint. De nulle part, un homme, vêtu d'un costume entièrement blanc, surgit, et envoya le voleur faire un somme d'un croche-pied bien placé. Tout calmement, il récupéra ce qui avait été volé, et s'en alla le rendre à la dame assise sur son banc, qui fut toute heureuse d'à nouveau pouvoir aimer son fils. Sans attendre, l'homme en blanc tourna les talons pour s'en aller.
N'écoutant que sa curiosité, Chiaki se leva sans réfléchir, et courut pour le suivre. Il courait, mais l'homme marchait vite. Il eut le plus grand mal du monde à le rattraper, il faillit bien le laisser le semer, mais alors qu'ils se trouvaient dans un coin peu fréquenté du parc, l'homme cessa sa course, et se retourna. Il parlait avec une voix des plus agréables.
"Pourquoi me suis-tu, jeune garçon ?"
"Je ne sais pas, vous avez l'air de savoir où vous allez."
"Je ne sais pas où je vais, je sais juste ce que je fais."
"Et qu'est-ce que c'est que vous faites ?"
"Je soigne les coeurs brisés, disparus ou liquéfiés, on m'appelle le Docteur Kokoro."
"Docteur Kokoro, enchanté, moi c'est Chiaki, je suis un enfant et je sais lire la tristesse."
"C'est une compétence intéressante mon petit, j'aurais bien besoin d'un assistant doté de ce genre de don. Penses-tu que nous puissions travailler ensemble ?"
Bien sûr, Chiaki, désireux qu'il était d'apprendre à guérir les cœurs, accepta, et devint l'assistant du Docteur Kokoro.
Le Docteur était une personne très particulière. Invariablement vêtu de blanc, il intervenait normalement lorsqu'un adulte était à ce point triste qu'il en pleurait de douleur la nuit. Les larmes qui coulaient alors résonnaient et conduisaient le Docteur à se présenter là où elles avaient été émises. Il soignait alors le coeur de celui qui avait pleuré, puis disparaissait sans attendre de remerciement. De manière assez étonnante, son intervention ne laissait aucun souvenir dans la mémoire de ses patients. Dès qu'il n'était plus là, il était oublié, et la personne qui avait bénéficié de ses soins reprenait sa vie sans garder ne serait-ce qu'une réminiscence obscure de sa rencontre. Bien qu'habillé de manière voyante, le Docteur Kokoro agissait dans l'ombre, ne laissant nulle trace de son passage.
Devenu assistant du Docteur, Chiaki le suivait désormais dans toutes ses interventions, constatant à quel point la magie de son maitre était puissante. Rien ne pouvait lui résister. Dans chacun des foyers où le sort conduisait notre duo à se présenter, la douleur était emportée, absorbée par la main du docteur, et les sourires étaient rendus avec une certaine forme de déférence. Parfois, c'était plus compliqué, et le Docteur devait se muer en chirurgien. Des opérations à coeur ouvert, en quelques sortes, durant lesquelles le petit garçon devait passer sur demande toutes sortes d'outils étranges à son compagnon.
Les consultations les plus simples étaient celles qui concernaient les jeunes filles éplorées d'avoir été laissées sur place par leur amant désormais parti pour une autre. Il suffisait de leur rendre un peu d'amour-propre pour qu'elles se mettent de nouveau à sourire. Pour cela, le Docteur Kokoro leur faisait boire un grand verre dans lequel il avait dissous un comprimé d'amour-propre effervescent. En dix minutes, les choses étaient réglées. Afin de régler le problème de manière un peu plus définitive, et éviter d'avoir à repasser trop souvent auprès des mêmes patientes, le Docteur veillait dans ce genre de cas à prévoir un traitement de fond plus définitif. En l'occurence, l'ablation d'une grande part des illusions pouvant être entretenues au sujet de la gente masculine.
Les choses n'étaient pas toujours aussi simples. La tristesse consécutive à la perte d'un être cher pouvait parfois être impossible à éliminer complètement. Déontologiquement, on ne pouvait pas oter tout souvenir du défunt au patient, malgré la simplicité et l'efficacité du procédé. En pareil cas, le Docteur n'avait vraiment d'autre choix que de prescrire du temps. Le temps, disait-il, est mon dernier remède, il soigne tout, et s'il n'a pas encore soigné, il suffit souvent d'en donner plus.
Les interventions étaient par moments des plus coquaces. Une fois, Chiaki et le Docteur se trouvèrent nez-à-nez avec un homme qui était triste car il avait échoué à avoir la promotion qu'il attendait depuis des années dans son entreprise. La frustration était intense. Chiaki ne voyait pas trop comment il pourrait bien s'en tirer cette fois-ci, mais le Docteur restait calme et confiant. Sans un mot, il sortit, plantant son assistant sur place, qui resta immobile, interloqué. Dix minutes plus tard, il revint avec une liasse de papiers qu'il se mit à remplir consciencieusement, puis qu'il fit signer au patient. Alors que nos deux compères repartaient, Chiaki interrogea le docteur.
"Je ne comprends pas, vous l'avez soigné ?"
"Plus ou moins, il se soignera tout seul."
"Mais ces papiers, c'était quoi ?"
"Une lettre de démission, pour son entreprise, et une lettre de motivation, pour une école de pâtisserie."
"Mais encore ?"
"Il n'était pas heureux dans son travail, même avant d'attendre une promotion, son rêve véritable était d'être pâtissier. Il ne l'avait jamais fait, par peur de l'inconnu. Avec toute cette frustration accumulée, il y avait largement de quoi lui faire sauter le pas."
Une autre fois, alors que Chiaki s'attendait à ce que, comme à l'accoutumée, leur visite soit au domicile d'une personne en sanglots, il n'entendit rien en entrant dans l'appartement où ils se rendaient. Comme à son habitude, le Docteur Kokoro était calme. Prudent, il le suivit, mais fut surpris par la scène qui se joua devant ses yeux. Sans bruit, le Docteur avança dans l'appartement, ouvrit la porte d'une chambre, dans laquelle un homme dormait à poings fermés. Chiaki faillit pousser un cri: le Docteur leva le bras, et l'abattit en un énorme coup sur la poitrine de l'ensommeillé. Ce dernier, réveillé et victime d'une énorme frappe sur le diaphragme, recracha un petit bout de métal qui vola jusqu'aux pieds de Chiaki. Le docteur arriva en courant, ramassa l'objet, et invita son assistant à courir pour éviter de se faire casser la binette par le propriétaire des lieux, qui reprenait son souffle, et avait l'air assez peu content d'avoir été attaqué pendant une nuit tranquille. Lorsqu'ils furent hors de danger, le Docteur annonça:
"C'est bon, maintenant on peut aller chez la patiente."
"Mais pourquoi il fallait d'abord qu'on fasse... qu'on fasse ça ?"
"Le gars lui avait volé la clé de son coeur, fallait qu'il recrache, sinon on aurait rien pu faire."
"Logique."
"C'est quand même fou à quel point certaines personnes refilent ça au premier venu après quelques minutes à peine."
Tout content, il montra l'objet ramassé à Chiaki, il s'agissait d'une petite clé, toute mignonne.
Chiaki resta l'assistant du Docteur Kokoro pendant quelques semaines, observant avec sagacité les agissements de son maître. Au petit matin, il était rendu à la garde de son père et de son oncle Ogawa-sensei, qui semblaient tout ignorer des aventures du petit garçon. Chaque soir, il s'enfuyait rejoindre le Docteur pour de nouvelles interventions.
Un matin, guidé une fois encore par sa curiosité, Chiaki décida de suivre le Docteur Kokoro durant la journée. Depuis leur première rencontre, il n'avait jamais pu apercevoir le lieu où le docteur se reposait, ni même l'endroit où il pouvait bien dormir. Le Docteur devait pourtant avoir, lui aussi, une maison ou un appartement. Après tout, il fallait bien qu'il pose, par moments, sa blouse.
Ce matin-là, alors qu'il était déposé, comme à l'accoutumée, au seuil de sa porte, Chiaki ressortit avec discrétion, et se mit à filer son maître en se camouflant ça et là, comme il le pouvait. Vraisemblablement fatigué de leur dernière activité nocturne, le Docteur ne se méfiait pas, et son assistant put le suivre sans réveler sa présence, et sans trop de difficultés.
La filature dura une bonne vingtaine de minutes, jusqu'au moment où le Docteur s'engouffra dans une petite maison construite sur un bord de route, refermant la porte derrière lui. Chiaki attendit quelques minutes, puis s'avança, et essaya d'ouvrir la porte à son tour, mais elle était fermée à clé. Il pesta quelques secondes, puis se recula, essayant d'entrapercevoir un autre moyen de pénétrer à l'intérieur de la maison. Les volets étaient fermés, les rideaux tirés, mais il eut, malgré tout, un sourire. Une sorte de soupirail ouvert donnait sur ce qui devait être la cave de la maison. L'ouverture était petite, mais pour un jeune garçon tel que lui, s'y glisser ne devrait pas poser problème.
Il se contorsionna légèrement, et entra. Pendant quelques instants, il fut dans le noir complet, le temps que sa vue ne s'habitue à l'obscurité. Après quelques tatonnements, il parvint à se mouvoir dans le noir, et entreprit de monter d'un pas silencieux l'escalier du sous-sol, afin d'enfin découvrir ce qui se trouvait au-dessus. Arrivé en haut, il poussa la porte tout doucement. La maison était silencieuse. Il s'avança.
La maison était on ne peut plus normale, bien qu'un peu vide. Quelques meubles, au plus. Alors qu'il explorait les lieux, il sembla à Chiaki qu'il entendait des pleurs venir du bout d'un couloir. Intrigué, il s'approcha. Devant lui, une porte entrebaillée laissait filtrer quelques rais de lumière. Le son des pleurs provenait bien de ce qui se trouvait derrière cette porte.
Il s'approcha encore, collant son oeil dans l'entrebaillement pour apercevoir l'intérieur de la pièce, éclairée par une lumière tamisée. Il ne put retenir un cri de surprise: dans la chambre qu'il pouvait observer, le Docteur Kokoro se tenait assis face à un miroir, de petits outils à la main, et avec des gestes minutieux, il entretenait toutes sortes de rouages et d'engrenages situés dans son poitrail ouvert, là où aurait dû se trouver son coeur.
Le Docteur, entendant le cri de son assistant, comprit ce qu'il se passait, et éleva la voix avec une pointe d'exaspération.
"Tu ne devrais pas être ici, jeune assistant."
"Désolé Maitre, je voulais savoir."
"Et bien, que sais-tu à présent ?"
"Que vous n'avez plus de coeur ?"
"C'est exact, veux-tu savoir pourquoi ?"
"Je ne voudrais pas vous incommoder, Maitre."
"Tu ne m'incommodes pas. Vois-tu, il y a bien longtemps, la femme que j'aimais et moi avons échangé nos coeurs. Elle m'a donné le sien, je lui ai donné le mien. Le lien que nous avions s'en trouvait ainsi être indéfectible. Elle vivait avec mon coeur, je vivais avec le sien, et j'étais plus heureux que je ne l'avais jamais été. Pourtant, n'avais-je pas fait une erreur ? La femme que j'aimais est morte, tuée par une longue maladie. Lorsqu'elle est partie, elle avait toujours mon coeur avec elle. Bien sûr, j'avais toujours le sien, et dans les premiers temps, j'ai pu vivre avec ce coeur laissé par la femme que j'aimais. Pourtant, à mesure que le souvenir s'estompait, ce coeur là déperrissait. Chaque fois que, dans ma mémoire, la sensation des baisers que nous pouvions nous donner était enterrée par le temps, le coeur qu'on m'avait laissé battait un peu moins. Un jour, alors que j'oubliais l'odeur de sa peau, il a cessé de vivre, et est redevenu poussière, me laissant avec un grand vide dans la poitrine. Les hommes ne peuvent pas vivre trop longtemps avec le coeur d'une personne qui est morte, les choses sont ainsi faites."
"Ne pouvez-vous pas récupérer le vôtre de coeur ?"
"J'aime à croire qu'elle en a toujours besoin là où elle est."
"Par delà la mort, vous laissez votre coeur à celle que vous avez aimé, et vous vous résolvez donc à vivre sans amour."
"Cela fait si longtemps maintenant, je ne sais plus ce qu'est l'amour, mais je sais que j'ai promis de laisser mon coeur dans le cercueil de celle que j'aimais."
Chiaki eut de la peine pour le Docteur. En s'interdisant d'aimer à nouveau, il s'était condamné au malheur. Là était la source de sa profession de foi.
"Docteur, pensez-vous qu'elle aurait voulu votre malheur ?"
"Non, elle aurait souhaité que je sois heureux, je pense."
"Alors, lui êtes-vous plus fidèle en laissant votre coeur à ses côtés, ou en le reprenant pour assurer la réalisation de ce qu'elle aurait souhaité ?"
Le Docteur eut un sourire, puis referma soigneusement sa poitrine, et s'approcha de Chiaki. Arrivé près de lui, il s'agenouilla, et posa sa main sur son épaule.
"Mon cher assistant, je crois que je n'ai plus rien à t'apprendre. Viens, je te ramène chez toi."
Chiaki et son maitre n'échangèrent aucun mot sur le chemin du retour. Le soir venu, le Docteur ne vint pas, ni aucun des soirs suivants. Le petit garçon ne revit jamais le Docteur Kokoro. La vie reprit son cours, au rythme normal d'une vie des plus classiques. Pourtant, Chiaki savait, au fond de lui, chaque soir, avant de s'endormir, que le Docteur Kokoro était là, quelque part, et qu'aujourd'hui, après des années à ne plus savoir, il aimait peut-être lui-même à nouveau.
Yukio éteint sa voix dans un soupir. Le petit dort. Sur son visage, la quiétude ensomeillée des rêves enfantins. L'histoire a fait son office, et le silence est tombé sur l'appartement. Sans faire de bruit, le professeur baille. Il s'étire, puis se lève et s'approche de la fenêtre, songeant aux sentiments contrariés qui habitent son coeur. Son regard se porte au dehors, dans la nuit, personne, la rue est calme. Un homme en costume blanc passe, un rire se fait entendre, lointain.
Yukio déroule le futon posé dans un coin. Il s'allonge, pensif. Alors que ses yeux s'alourdissent, il pose sa main gauche sur sa poitrine. Il le sent taper contre l'intérieur de sa poitrine, comme désireux d'être offert. Quelques millisecondes avant de tomber dans le sommeil, il sourit. Cet appartement n'est pas si mal pour y laisser trainer des affaires.
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