(Flashback) Deep Blue

La cloche annonçant la fin des activités du club de natation venait de retentir. Les camarades de Kazane sortaient de l'eau, leurs corps ruisselants étincelant sous les derniers rayons du soleil.
La nouvelle arrivante les regarda quitter le bassin un à un, les yeux remplis de pensées lointaines. Ils plaisantaient et riaient en se dirigeant vers les vestiaires, leurs voix s'atténuant à mesure qu'ils s'éloignaient.

Mitsugu se redressa à la surface, essuyant l'eau de son visage, et leur fit un signe de la main énergique.

-« À demain ! »

Lança-t-elle d'une voix claire, souriante. Quelques-uns lui répondirent, d'autres se contentèrent d'un signe de la main avant de disparaître dans les vestiaires.
La nageuse solitaire attendit que le dernier soit sorti avant de replonger dans l'eau, reprenant ses longueurs avec une détermination nouvelle.

L'eau de la piscine était tellement douce et accueillante, un endroit dont la fille de Tsushima comptait bien faire eson refuge.
Kazane s'élança en brasse, glissant sous la surface de l'eau parfumée de chlore.

La demoiselle aimait tellement la sensation de l'eau qui l'enveloppait, la pression sur son corps, le silence apaisant dont seul l'élément aqueux avait le secret. Elle ferma les yeux, se laissant guider par ses mouvements réguliers, chaque coup de bras et de jambes la propulsant en avant.

A travers les baies vitrée de la pscine, on pouvait voir le soleil déclinait lentement, teintant l'eau de nuances dorées et orangées. Les rayons se faufilaient à travers la surface, créant des motifs scintillants sur le fond carrelé du bassin. Chaque coup de bras semblait disperser les éclats de lumière, les faisant danser autour de Mitsugu.
Celle-ci se sentait transportée dans un autre monde, loin des soucis de la vie actuelle.

Ses poumons commençaient à brûler à mesure qu'elle continuait son apnée. Kazane aimait cette sensation, ce défi personnel qu'elle se lançait à chaque longueur. Mais finalement, le besoin d'air devint trop pressant. Elle remonta à la surface, prenant une grande bouffée d'air, ses poumons protestant mais satisfaits.

La championne de Tsushima se redressa pour quelques instants, observant le ciel à travers les grandes vitres entourant la piscine, admirant ave mélancolie le crépuscule assombrir le ciel tandis que le soleil partait se coucher.

Puis, sans perdre de temps, la demoiselle se lança dans une série de longueurs en crawl, ses mouvements plus rapides et plus déterminés. Elle sentait ses muscles travailler, chaque fibre de son être brûlant sous le coup de l'effort.

Après plusieurs allers-retours, elle s'arrêta au bord de la piscine, s'agrippant au rebord pour reprendre son souffle. C'est alors que la grande japoanise remarqua qu'elle n'était pas seule.

Aliénor de Clairefontaine, une nouvelle arrivante, comme elle, était encore là.
Kazane l'avait vue lors des séances précédentes, mais elles n'avaient jamais vraiment eu l'occasion de discuter.

Aliénor se tenait au bord du bassin et la nageuse solitaire vint à sa rencontre en nageant rapidement telle une torpille envoyée sur un navire ennemi.
Quelques peu essoufflée, mais souriante, la demoiselle dis alors, dans un echo :

-« Tu es encore là, Clairefontaine-san ? »

Les mots d'Aliénor mourrurent dans l'echo de la piscine presque vide.


« Après… Je peux m’en aller, si je te dérange ! »

Kazane secoua la tête, un sourire apaisant se dessinant sur ses lèvres.


-« Pourquoi tu partirais ? La piscine ne m'appartient pas aha. »

Mitsugu nageait vers le bord de la piscine, ses mouvements fluides tranchant à travers l'eau comme une lame. Les éclaboussures douces brillaient sous les derniers rayons du soleil, créant des étincelles dorées autour de sa silhouette filidorme. En s'approchant du bord, elle aperçut le visage de son interlocutrice, qui semblait quelque peu hésitante, presque timide, une légère confusion se reflétant dans ses yeux bleu profond.

Une fois arrivée à la fin de se longueur, la grande japonaise s'agrippa au rebord de la piscine, laissant son corps flotter légèrement avant de se hisser hors de l'eau.
Elle observait sa senpaï avec une curiosité tranquille, remarquant la rougeur naissante sur ses joues.

La lycéenne s'asseya à côté d'Aliénore, retirant d'abord son bonnet de bain ainsi que ses lunettes de natation. Sa bouche se mua en une légère grimace lorsqu'elle sentit le couvre-chef tirer sur ses cheveux avant d'enfin libérer la tignasse qui était entravée par un chignon peu élégant/

Enfin, Kazane détacha l'élastique retenant ses cheveux, libérant sa longue chevelure noir corbeau. Ses cheveux, encore humides, tombèrent en cascade sur ses épaules , dévalant son dos pour atteindre le milieu de son, créant un contraste frappant avec sa peau pâle.

Le soleil déclinant continuait de projeter une lumière dorée sur leurs visages, et Mitsugu leva les yeux vers le ciel avant de se redresser. Elle s'étira longuement, ses bras s'allongeant vers le ciel, ses muscles se détendant après l'effort.

- « J'aime bien rester plus longtemps à la piscine... À Tsushima, j'avais carrément les clés de l'endroit et je m'entraînais longuement... »

La sportive baissa les bras, ses yeux marrons clairs devenant soudainement lointains. Le souvenir de Tsushima, son ancienne vie, surgit dans son esprit avec une clarté douloureuse. Elle se souvenait des longues séances d'entraînement, de la tranquillité de la petite île, de la chaleur de ses amis et de sa famille. Un sourire mélancolique effleura ses lèvres, mais il ne parvint pas à dissiper le voile de tristesse dans ses yeux.

La demoiselle observait son reflet onduler à la surface de l'eau, ses traits adoucis par les remous délicats de la piscine. Les derniers rayons du soleil couchant teintaient l'eau d'une lueur dorée, et elle se sentit submergée par un mélange de nostalgie et de sérénité. Ses yeux sombres fixaient l'image tremblotante de son visage, chaque mouvement de l'eau déformant légèrement son reflet.

Elle détourna son regard du reflet pour le poser sur Aliénore, présente à côté d'elle, ses cheveux blonds platine encadrant son visage pâle.
L'asiatique tendit la main vers Aliénore, un sourire sincère se dessinant sur ses lèvres.

-« Ça te dit, on nage ensemble ? Pas pour la course, pour le plaisir... Et tu me diras comment c'est, comment la France. »

Aliénor, gracieuse et légère, remit son bonnet de bain avec une grimace qui arracha un sourire amusé à Kazane. Cette fille avait une manière bien à elle d’ajouter une touche de noblesse à chaque geste, même les plus anodins, comme replacer ce fichu bonnet qui meutrissait toute les chevelures.

Mitsugu fit de même, attrapant son propre bonnet de bain, toujours un peu réticente à l’idée de l’enfiler. Elle le fit glisser sur sa longue chevelure noire, dissimulant avec réticence les mèches soyeuses qu’elle appréciait tant.
Elle grommela pendant que le bonnet glissa en place, emprisonnant ses cheveux, tirant quelque peu sa chair.
La nageuse attrapa ensuite ses lunettes de bain, qu’elle posa soigneusement sur ses yeux, ajustant la sangle  pour s’assurer qu’elles ne bougeraient pas... Maintenant que sa vue était sous le joug du verre bleu de ses lunette, elle était prête à rejoindre la française qui se dirigeait déjà vers l'eau.

Aliénor, elle, choisit une descente délicate de l’échelle, chaque mouvement empreint de cette grâce innée qui semblait la caractériser...
Kazane, elle, préférait la voie directe. Une fois prête, elle se propulsa sans hésitation dans le bassin, son corps plongeant gracieusement, fendant la surface lisse avec une précision presque mécanique.

Le monde devint soudainement plus dense, plus silencieux. Les sons extérieurs furent étouffés par l'eau, ne laissant plus que le battement régulier de son cœur et le bruit doux et rassurant des bulles d’air s’échappant de son nez.
La japonaise descendit rapidement vers le fond de la piscine, le corps tendu comme une flèche, savourant la fraîcheur de l’eau qui glissait à nouveau contre sa peau. Une fois au fond, elle plia les genoux, ses pieds prenant appui sur les carreaux bleutés pour donner un puissant coup qui la propulsa vers la surface. Elle remonta en quelques secondes, émergeant dans une gerbe d’eau qui se dispersa autour d’elle comme une pluie scintillante.

L'adolescente reprit sa respiration, remplissant ses poumons d’air chloré tout en écoutant la voix douce de sa senpai. La française semblait perdue dans une réflexion mélancolique alors qu'elle parlait de son pays natal, la France.

-« La France… qu’est-ce que je peux en dire… Que c’est… un pays qu’il faut voir absolument, au moins une fois dans sa vie. »

Ces mots avaient une profondeur qui attira l’attention de Kazane, son ton empreint d’une nostalgie douce-amère. Elle sourit légèrement, laissant échapper un rire léger, non pas moqueur, mais complice... Elle ne connaissait que trop bien ce sentiment actuellement.

Il y avait quelque chose de fascinant à voir Aliénor se remémorer ainsi sa patrie, un lieu que Mitsugu ne connaissait qu'à travers les films, les cours d'histoire, et… un étrange phénomène touristique qu’on lui avait un jour décrit.

-« Je ne connais ce pays que par les films, les cours d'histoire et le syndrome de Paris, aha. »

Elle s’exprima en nageant en brasse, ses mouvements fluides, rythmés, rompant la surface de l'eau avec une aisance naturelle. Entre deux brasses, elle tourna légèrement la tête vers Aliénor, un sourire espiègle jouant sur ses lèvres.

-« Puis-je t’appeler Ali-san ? Je n'ai pas envie de massacrer ton nom de famille qui est sûrement si beau dans ta langue natale. »

La jeune-femme voulait surtout montrer son respect envers l’identité de sa camarade, même si elle se permettait ce petit surnom affectueux. Elle attendit patiemment la réponse d’Aliénor, continuant de nager à ses côtés, sans effort apparent pour maintenir leur rythme synchronisé. Lorsqu’elle obtint une réponse, Kazane acquiesça d’un léger hochement de tête avant de continuer.

La piscine était vide à cette heure-là, et le silence, hormis le clapotis de l'eau, donnait à cet échange une intimité que l'asiatique adorait tant.
D'habitude, elle aurait voulu garder ce moment en solitaire. Toute compagnie aurait précipité son départ... Mais aujourd'hui, Mitsugu se sentait sociable.

La demoiselle nageait sans se presser, ses bras et ses jambes s'accordant à la perfection pour la maintenir à flot. Elle aimait cette sensation de légèreté que l'eau lui procurait, comme si les soucis terrestres disparaissaient, ne laissant que l'instant présent.

« Tu te sens bien au Japon ? J'espère que tu es heureuse dans notre beau pays… »

Demanda-t-elle, sa voix adoucie par une pointe de curiosité sincère.

Aliénor était toujours un mystère pour elle. Elle ne la connaissait pas vraiment, et pourtant, il y avait cette curiosité croissante, ce désir de comprendre ce qui se cachait derrière ce sourire doux et cette voix mélancolique.

En atteignant l'autre bord de la piscine, Kazane se laissa glisser sous l'eau avant de se retourner d’un mouvement fluide.
La fille de Tsushima émergea de l'eau avec la même grâce silencieuse, se positionnant pour entamer le retour aux côtés de l'occidentale.

La question qui brûlait les lèvres d’Aliénor résonnait encore dans son esprit. Que pourrait-elle bien lui raconter sur elle-même ? Il y avait peu à dire, et pourtant, Kazane n’était pas du genre à se livrer facilement.

« Que veux-tu savoir sur moi ? Il n'ya a rien d'interessant à savoir tu sais...»

Lança-t-elle finalement, sa voix claire tranchant doucement dans l’air tiède.

Pour une raison qu'elle ne comprenait pas totalement, Kazane ressentait une légère appréhension. Ce n'était pas dans ses habitudes de parler de sa vie, encore moins avec quelqu'un qu'elle connaissait à peine. Il y avait cette part d'elle qui préférait garder une certaine distance, ce masque glacial qu’elle portait comme une seconde peau.

Après quelques secondes de silence, durant lesquelles ses pensées tourbillonnaient, elle prit une légère inspiration et se décida à poursuivre. Son ton, d’abord hésitant, se fit plus froid tandis que son sourire disparaissait de ses lèvres.

-« Enfin, je ne vais pas t'embêter avec ma vie tout à fait banale et ennuyeuse. »

Elle soupira doucement, ses yeux rencontrant ceux d’Aliénor. Mitsugu utilisait souvent son côté froid comme un moyen de détourner l'attention, une façon subtile de dévier les conversations qui pouvaient s'approcher un peu trop près de ses pensées les plus profondes. Et pourtant, même en disant cela, elle ressentait une pointe de regret, comme si elle aurait voulu en dire plus, mais qu'une petite voix intérieure la retenait, la poussant à garder ses distances.

Les éclats dorés du soleil sur l'eau semblaient refléter l'ambivalence de ses sentiments.

D'un côté, elle appréciait la compagnie d’Aliénor, cette nouvelle venue, comme elle, semblait si sympathique. De l'autre, elle ne pouvait s'empêcher de se protéger, de s’abriter derrière cette façade sérieuse.

Kazane continua de nager, ajustant légèrement son allure pour rester en phase avec Aliénor, attendant la réaction de sa camarade avec une curiosité masquée par son sourire en coin.

Si Kazane l'avait voulu, elle aurait pu nager plus vite, bien plus vite. Son corps, forgé par des années d’entraînement intensif, réclamait cette vitesse. Ses muscles vibraient d’une envie profonde de se dépasser, de sentir l’eau s’écraser contre elle à chaque brasse, chaque coup de pied, chaque roulade sous-marine. Mais aujourd’hui, elle retenait cet instinct, se forçant à s’aligner sur le rythme plus lent d’Aliénor.

Quand la française, d’une voix hésitante, lui montra son désaccord, Kazane se sentit d’abord surprise. Elle écouta, fixant l’eau devant elle, chaque mot résonnant dans l’espace entre elles comme un écho distant.
Sa senpai laissait transparaître une détermination qui toucha Mitsugu.

Cette dernière n'était pas habituée à recevoir autant d'attention personnelle, à être perçue comme quelque chose d’autre qu’une simple PNJ dans la vie d'autrui, une ratée pour sa mère... Une hystérique névrosée.

« Mitsugu-san, tu es flamboyante, énergique, admirable… »

Ces mots firent naître une étrange sensation dans sa poitrine. L’entendre ainsi complimentée lui semblait irréel, comme si Aliénor voyait quelque chose en elle qu’elle-même avait perdu de vue depuis longtemps. Était-elle vraiment cette personne que Clairefontaine décrivait ?

Kazane continua de nager, son visage impassible malgré le tourbillon d’émotions qui bouillonnait en elle. La demoiselle savait qu’elle devait répondre, mais les mots restaient coincés dans sa gorge. Elle voulait dire quelque chose de simple, quelque chose qui ne trahirait pas la tempête intérieure qu’elle ressentait. Alors, elle lâcha, d’une voix mesurée, presque comme une évidence :

-« C'est normal de s'intéresser à toi, tu sais... De Clairufontainu-San...»

Elle tourna légèrement la tête pour jeter un coup d’œil à Aliénor, qui flottait toujours à ses côtés. Elle semblait si différente, et en même temps, si similaire. Il y avait cette vulnérabilité dans son regard, cette ouverture que Kazane ne pouvait pas ignorer.
Aliénor était charmante, belle d’une manière authentique, loin des standards rigides que Mitsugu connaissait ici, au Japon.
Son origine française la rendait immédiatement captivante aux yeux des autres, et sans même s’en rendre compte, De Clairefontaine devait attirer l’attention de tous autour d’elle.

Pour Kazane, c’était un contraste frappant : Aliénor, avec sa beauté exotique et son histoire fascinante, semblait briller de mille feux, là où elle-même se sentait éteinte, invisible dans cette nouvelle école, perdue dans la masse.

-« Les gens ici te trouvent sûrement intéressante rien que par le fait que tu es française...Mais au-delà de ça, tu sembles vraiment être quelqu'un de bien...»

Puis, lorsqu'elle sentit que c'était à son tour de parler d'elle, la jeune-femme esquissa un sourire timide avant de replonger la tête sous l’eau. Chaque brasse devenait plus lourde, plus difficile, non pas à cause de la fatigue, mais à cause de l’émotion qui montait en elle, menaçant de déborder.

L'adolescente ne voulait pas que la Française voit à travers elle, qu’elle déchiffre les parties de son âme qu’elle avait essayé de dissimuler pendant si longtemps.

-« Aliénoru de Clairufontainu»

Répéta Kazane, sa voix mal assurée alors qu’elle essayait de prononcer correctement ce nom étranger. Elle s’arrêta, prenant une grande inspiration.

-«Je… Je viens d'une île appelée Tsushima.»

Rien que de dire le nom de son île natale fit surgir un flot de souvenirs dans son esprit : les longues plages de sable blanc, les montagnes verdoyantes, la mer infinie qui bordait chaque horizon. Tsushima, c’était chez elle. C’était là où elle avait grandi, là où elle avait tout connu. Mais maintenant, cela lui semblait si loin, comme un rêve évanescent.

-« J'y ai vécu toute ma vie, jusqu’à ce que mes parents divorcent…»

ajouta-t-elle, ses mots se faisant plus hésitants. Elle s'arrêta brusquement, plongeant sous l’eau pour échapper à l'étau qui se resserrait autour de sa poitrine. Là, dans l’élément où elle se sentait le plus à l’aise, elle tenta de noyer cette douleur, de la dissoudre dans le silence liquide. Lorsqu’elle refit surface, elle prit une grande respiration, reprenant son récit.

-« Mon père… est officier au sein des forces d'auto-défense japonaises. C'est pour ça que j'ai dû quitter l'île, quitter le lycée où j’avais une bonne place… quitter mes amis. Elle s'arrêta un instant, sa voix se brisant légèrement. Et maintenant, je me retrouve ici, dans cette ville immense et froide. Je n'arrive pas à m'habituer aux gratte-ciels défiant les cieux, aux routes noires toujours pleines de voitures grouillantes dessus comme des fourmis sur un cadavre, aux lignes de tram semblalble à des toiles d'araignées m'emprisonnant… Les plages et la campagne me manquent.»

Rageuse, la fille de Tsushima poussa un long soupir, sentant son cœur s’alourdir à mesure qu’elle parlait.
Pour éviter de montrer davantage de vulnérabilité, Kazane accéléra légèrement son rythme de nage, mais pas trop. Elle ne voulait pas distancer Aliénor, ne voulait pas rompre ce lien qui semblait s’être tissé entre elles au fil de leur conversation. Mais elle avait besoin de bouger, besoin de faire quelque chose pour évacuer cette tension émotionnelle qui menaçait de l’étouffer.

-« Je ne sais pas… commença-t-elle, sa voix à peine audible au-dessus du léger clapotis de l’eau. J’ai l’impression d’être invisible ici. Tout le monde a l’air de si bien s’adapter, de savoir exactement ce qu’ils veulent faire de leur vie. Moi, je suis juste… là.»

Elle se mordilla la lèvre inférieure, regrettant presque d’avoir dit ces mots à haute voix. Mais Aliénor méritait la vérité. Après tout, elle avait été honnête avec elle, alors pourquoi Kazane ne pouvait-elle pas faire de même ?

Finalement, elle tourna la tête vers sa camarade, cherchant son regard dans la lueur dorée qui baignait la piscine.

-« Mais toi, Aliénor… tu es différente. Peut-être que toi aussi, tu te sens perdue ici, mais tu es forte. Tu as cette passion qui brûle en toi, cette énergie…»

Kazane achevait la dernière longueur de la piscine, ses mouvements gracieux dessinant des vagues légères à la surface de l’eau. Le soleil d’après-midi qui perçait par les baies vitrées illuminait sa silhouette élancée, comme si chaque éclat se joignait à ses efforts pour sublimer ses gestes. Avec l'agilité d'une créature marine, Mitsugu fendait l’eau, le corps parfaitement aligné, sa respiration calme et régulière, tandis que ses bras se projetaient vers l’avant avec détermination. Elle s'était toujours sentie dans son élément dans l’eau, où chaque longueur devenait un exutoire pour ses pensées agitées. Ses muscles tendus par l’effort relâchaient peu à peu la tension accumulée, et dans cet instant suspendu, elle ne faisait plus qu’une avec l’eau.

Lorsqu’elle toucha enfin le bord de la piscine, elle ralentit son allure, savourant la sensation apaisante de l’eau s'écoulant sur sa peau. Son souffle était encore rapide, mais elle se sentait revitalisée. Telle une sirène réapparaissant à la surface après une longue plongée, Kazane émergea de l'eau avec une grâce naturelle qui semblait presque irréelle.

La demoiselle agrippa fermement le rebord du bassin et s’en extirpa en une seule impulsion fluide, son corps se redressant gracieuseent. Ses longs membres glissèrent hors de l’eau, et elle se redressa, pieds nus sur le carrelage froid qui faisait contraste avec la tiédeur bienveillante de la piscine.

La japonaise posa un instant les mains sur ses hanches, le souffle haletant, puis retira lentement son bonnet de bain. Le tissu élastique révéla peu à peu son front, ses tempes, et enfin ses cheveux noirs, prisonniers d’un lien, qu’elle défaisait avec un geste presque cérémoniel.
Une cascade de mèches d’un noir de jais dégringola sur ses épaules et dans son dos, encore humides et brillantes sous les derniers éclats dorés du jour. La lourde chevelure, telle une crinière de corbeau, sembla capturer chaque reflet de lumière.
L'adolescente secoua légèrement la tête, libérant complètement ses cheveux.

Elle s’agenouilla ensuite près du bord, pliant ses genoux avec souplesse sur le carrelage frais. Ses yeux sombres, semblables à deux perles d’obsidienne, se posèrent sur Aliénor, encore dans l’eau, ses longs cheveux flottant paresseusement autour d’elle, caressés par les rayons agonisants du soleil du crépuscule qui recouvrait Kobe.

Kazane, baissant les yeux un instant sur la surface miroitante de l’eau, étira une main vers Aliénor, paume ouverte, l’invitant à la rejoindre. Son sourire, sincère et légèrement espiègle, illuminait son visage fatigué par l’effort, mais toujours marqué par une détermination farouche. Il y avait dans ce sourire une chaleur unique, celle qu’elle réservait à ces rares moments de vulnérabilité partagée.

-« J’ai beaucoup de défauts… »

Commença-t-elle d’une voix calme mais assurée, son ton adouci par l’intimité du moment. Ses doigts trempés frôlèrent l’eau afin d'établir un contact tangible avec Aliénor, mais aussi comme pour souligner la sincérité de ses paroles.

-« Mais je ne suis ni menteuse ni une raconteuse de ragots. Alors sache qu’avec moi, tu peux tout me dire sans que cela sorte de notre intimité. »

Mitsugu plongea un instant son regard dans celui de la française, afin de lui transmettre, sans besoin de mots supplémentaires, la profondeur de son engagement. Il n’y avait pas de jugement dans ces yeux sombres, mais une compréhension silencieuse, une promesse d’écoute et de soutien, sans aucune trace de superficialité. Elle savait ce que c'était que d’être vue pour ce qu’on paraît, et non pour ce qu’on est vraiment, et elle voulait offrir à Aliénor cet espace sécurisé où elle n’avait pas besoin de masquer ses failles.

Puis, dans un éclat cristallin, l'asiatique éclata de rire, un son léger et mélodieux qui sembla résonner contre les murs de la piscine, une explosion de joie inattendue dans cette atmosphère empreinte de confidences. Elle pencha légèrement la tête, faisant tomber quelques mèches humides sur son visage, et se redressa doucement, s'appuyant sur ses talons avec cette aisance propre à elle.

-« Si tu acceptes mon côté brut de décoffrage et trop franche ! »

Le ton décontracté de la phrase ne trahissait en rien la profondeur de l’offre qu’elle venait de formuler. La demoiselle n’était pas du genre à promettre des choses qu’elle ne pouvait pas tenir, et sa nouvelle camarade devait savoir que cette franchise, cette brutalité parfois, venait toujours d’un lieu de loyauté absolue.

Elle n’avait peut-être pas les mots les plus doux ou les gestes les plus réfléchis, mais elle savait être vraie. Et à cet instant, elle lui offrait, sans filtre, cette vérité brute qui la caractérisait tant.

Son rire finit par s'estomper, laissant place à une atmosphère plus calme, empreinte de complicité. Kazane restait là, accroupie, tendant toujours la main vers Aliénor, comme une invitation non seulement à sortir de l’eau, mais aussi à entrer dans un cercle de confiance partagé.