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Mathéo Takahashi
A l'université ; 2è année
Mathéo Takahashi
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Mathéo Takahashi

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Jeu 7 Mar 2024 - 23:39
Des cartons empilés, le poids de l'amour, des livres


Fin juillet

« Désolé. Nous ne recherchons personne pour le moment mais je peux prendre votre cv et reconsidérer votre candidature si nous venions à avoir besoin de quelqu’un »

Humble, Mathéo s’incline en tendant son CV de ses deux mains au dirigeant de la librairie. C’était la septième qu’il visitait. Malheureusement, la bonne augure promise par le chiffre ne suffit pas à trouver le travail de ses rêves. Tant pis, se dit-il en sortant des lieux, fatigué d’avoir piétiné dans tous Kobe depuis le matin. Il aurait aimé travailler entouré de livres, histoire d’allier labeur et plaisir. Dans son imaginaire, il était bon pour conseiller les clients. Il se voyait très bien gérer une caisse et travailler en réserve lui aurait peut-être permis de découvrir de nouvelles œuvres inédites. Tristement, force est de constater que les libraires de Kobe se passent très bien de lui. En même temps, se dit-il en reprenant la route, cela n’a rien d’étonnant : il comprenait très bien tous ces étudiants qui avaient déjà sauté sur l’occasion avant lui. Il s’y prenait sans doute trop tard.

Lorsque Naoki avait émis l’idée de prendre un appartement et d’en faire une collocation suite aux nouvelles mesures promises par l’université, Mathéo avait trouvé l’idée alléchante. Jusqu’ici, avoir un toit propre ne l’avait jamais intéressé, cela n’avait jamais été une possibilité. Ses parents n’ayant pas les moyens, il savait impossible de trouver suffisamment d’heures à libérer sur son emploi du temps pour un emploi qui lui permettrait de gagner suffisamment pour louer un appartement. Plus encore, l’idée de vivre seul ne l’enchantait guère. Il passait déjà tout son temps à étudier, la solitude avait ses limites. Son corps aussi. Seul, enfermé dans un studio, il bûcherait plus que de raison. Vivre avec un ami, en revanche, lui avait paru plus raisonnable. Cela malgré toutes les difficultés qu’une collocation peut amener. Et puis, surtout, Naoki travaillait déjà. Avec leurs deux petits et potentiels salaires, il n'était pas bien certain de ce qu'ils pourraient obtenir mais à eu deux, il pouvait espérer ne pas avoir à sacrifier trop de ses études pour vivre en paix. En regardant son dernier CV, Mathéo soupire. Il lui faudrait déjà réussir à se faire embaucher quelque part s'il souhaitait louer sa liberté. Cette demie journée n’avait servit qu’à cela, en distribuer. Il range le survivant dans sa pochette, il lui en faudrait d’autres pour s’occuper des konbini de Kobe. Heureusement, la perspective d’un endroit sécurisé dans lequel retrouver Seito sans craintes a raison de sa fatigue et de la lassitude qui commence à l’incomber. En rentrant, il traîne des pieds mais son esprit virevolte dans les nuages. Tant pis s’il lui fallait vendre des hot-dog abominables, déguisé en mascotte, ce ne serait pas cher payé pour offrir un cocon vacataire à son petit-ami.

« Jeune homme, excusez-moi ! »

L’étudiant s’arrête. Sur le côté, une vieille dame s’agite pour se faire remarquer. Tout de suite, il accoure, pensant qu’elle pourrait avoir un problème. « Est-ce que je peux vous aider ? » demande-t-il en s’inclinant légèrement pour la saluer. « Je suis vraiment désolée de vous embêter comme ça mais voyez-vous, je viens de recevoir ce colis et le livreur était un vrai malotru, il a refusé de l’apporter à l’intérieur et l'a laissé sur le pas de la porte. C’est un carton bien lourd à porter pour mes vieux os. Je sens que je me suis encore déplacé une vertèbre en essayant ! Aaaaayaya » soupire la vieille femme en s’étirant le dos, une main calée contre les reins. Mathéo n’en revient pas, qui oserait laisser une personne âgé dans cette situation ?? Il n’y a pas besoin de lui dire deux fois, il s’élance vers le carton, pose sa pochette dessus et le soulève. Ouuush. « E-En effet, il est bien lourd. » commente-t-il en cherchant une meilleure prise. « C’est le poids de l’amour ! » lui répond l’Obasan. « Le poids de l’amour… ? » répète Mathéo, circonspect. « Hm-hm ! Venez, vous pouvez le déposer à l’intérieur. Merci beaucoup, c’est agréable de pouvoir compter sur la jeunesse »

L’entrée ne paye pas de mine, la devanture est sale. La poussière a presque entièrement recouvert le nom de la boutique, on le distingue à peine. La porte, de style traditionnel, donne l’impression qu’elle pourrait tomber d’une simple brise. Il se demande dans quoi il s’embarque encore en y entrant. Dès le premier pied posé à l’intérieur, il comprend pourquoi le livreur avait refusé d’y déposer le colis : c’est chose impossible. Le sol est si surchargé de cartons qu’il reste à peine de quoi circuler et on en a déjà empilé bien trop pour qu’il soit raisonnable d’en ajouter un, cela pourrait mettre la vieille dame en danger. Celle-ci se faufile pourtant avec aisance dans son labyrinthe cartonné. « Par ici, s’il vous plaît ».

Mathéo soupire, discrètement, il n’a de toute façon plus le choix désormais. Il pousse dans ses retranchements la force de ses bras pour soulever tant que possible le carton, le temps de se faufile entre les autres, puis le laisse redescendre à hauteur raisonnable, péniblement. Urgh. « Là, vous pouvez le poser ici, merci bien ! » lui montre la vieille femme. Sa pochette glisse sur le sol alors qu’il essaye de récupérer une meilleure prise pour continuer sa route, à l’endroit indiqué. Il n’y prête pas attention, bien trop soucieux pour cette pauvre dame. « Vous êtes sûre que vous voulez que je le pose ici ? Il pourrait tomber » , cherchant des yeux un endroit plus adéquat, il finit par demander : « Si je vous le mets par ici, ce ne serait pas mieux ? ». Elle accepte facilement sa proposition, bien heureusement. Il réalise alors qu’il a perdu son survivant et s’empresse de le chercher des yeux mais déjà la vieille femme l’a ramassé et le lui tend. « Merci » répond-t-il à sa politesse, observant les lieux autour de lui. Derrière les piles de cartons et de poussière, il semble y avoir des étagères tout aussi encombrées, de livres cette fois. Un peu gêné, il demande : « Excusez-moi mais… pourquoi cet endroit est-il si encombré ? »

La femme aux cartons se laisse tomber les fesses sur l’un d’eux, visiblement épuisée par l’effort qu’il avait lui-même accompli. Très simplement, elle lui répond : « Ce sont des livres ». Le mystère du poids phénoménale de son carton s’en trouve percé à jour mais cela n’en dit pas plus sur le comment ces livres se retrouvaient à prendre poussière. « Vous les stockez ? » demande-t-il alors, avec une certaine logique. « Oui, seulement le temps que je puisse tout ranger. Je voulais refaire le stock du magasin mais voyez-vous, mon pauvre mari est décédé au début de l’année et il était en bien meilleure forme que moi. Sans lui, entretenir notre boutique est bien plus difficile que je ne l’aurais pensé... » soupire-t-elle. Les yeux tristement baissés sur les genoux, elle tente pourtant de retrouver sa consistance. « Mes petits-enfants aimeraient que je ferme boutique et vienne vivre avec eux à la campagne mais je suis une femme de la ville ! La campagne, pfff, qu’est-ce que j’irai y faire ? Cette petite boutique, c’est toute ma vie. Cela prendra le temps que cela prendra mais je la maintiendrai en vie. Mon pauvre Soshiro aurait le coeur brisé s’il me voyait la fermer depuis l’au delà. Il avait 20 ans lorsqu’il l’a ouvert et c’est lui qui a tout refait ici. C’était un sacré bricoleur mon Soshiro...»

Mathéo referme ses doigts sur sa pochette. Malgré son ton dynamique et son vieux corps énergique, le visage de la vieille femme est sans doute le plus grand livre de cette petite boutique, on y lit dessus comme s’il était ouvert : de la peine et de la solitude l’on marqué de leurs encres. Le coeur de l'étudiant se serre, elle a l’air si fragile, courbée sur son carton. « … Est-ce que vous avez envisagé d’embaucher quelqu’un, peut-être… ? » il ose demander. Aussitôt, elle proteste « Non, non ! Je n’ai besoin de personne ! C’est déjà bien assez difficile de gérer la boutique, je n’ai pas envie d’avoir à être sur le dos de quelqu’un toute la journée ! Et puis, j’aime avoir la paix. Je ne supporterai pas que quelqu’un me traîne dans les pattes chaque jour non plus ». Mathéo hésite. L’espace d’une seconde, il se ravise, prêt à repartir mais il finit par se dire que perdu pour perdu, tout reste à essayer. Rassemblant son courage, il tente le tout pour le tout. « … Je… Je suis étudiant en littérature à l’université de Kobe. J’étudie aussi le français et la philosophie…. Et… à vrai dire, je recherche un emploi à temps partiel. J’aurais aimé travailler dans une librairie mais toutes celles dans lesquelles j’ai postulé ce matin m’ont remerciées. » explique-t-il, prudemment, de peur de se faire envoyer sur les roses. Au lieu de ça, il attire l’attention de la vieille dame qui dresse les yeux sur lui. « … Je pense être un jeune homme responsable et sérieux. Je suis calme et je sais être silencieux… Si vous vouliez bien considérer ma candidature, je serais ravie de travailler pour vous et de vous aider. » conclut-il, s’inclinant de nouveau. La dame aux cartons soupire en se remettant sur ses deux pieds, elle semble embarrassée et lui tourne le dos. « Il y a beaucoup trop à faire ici pour un jeune homme, regarder moi tout ça. Il faudrait ouvrir tous ces cartons, répertorier tout leur contenu et je n’ai pas d’ordinateur, vous savez ? Tout se fait à la main ici. Pour être en mesure de tout ranger ensuite, il faudrait déjà pouvoir nettoyer, trier et mettre à jour tout ce qui est déjà présent sur les étagères également. Je ne vous parle pas de la remise, son état n’est pas au mieux non plus. Et puis, mes clients sont des habitués, ils sont très sélectifs et ont le coeur poétique. N’importe qui ne peut pas leur convenir. »

« … Ah… Et bien… » souffle Mathéo, un peu déconcerté par sa réponse. S’agissait-il d’une tentative de le décourager ou au contraire d’une liste de tâche à effectuer ? « Je suis quelqu’un de travailleur, cela ne me dérange pas. Et je suis en bonne forme, je pourrais faire tout cela. Votre devanture aurait besoin d’être nettoyée aussi… si je peux me permettre... » il ose, un peu timide malgré tout. « … oui, je refusais que mon mari ne monte sur un maudit escarbot » acquiesce la libraire. « Pour vos clients, je ne peux savoir à l’avance si je leur conviendrais ou si je saurais les contenter mais je peux m’engager à faire de mon mieux et à travailler dur jusqu’à ce qu’ils puissent m’accepter. S’il vous plaît, je vous prie de considérer ma demande ». D’une main, il libère le cv emprisonné dans sa pochette pour le lui tendre, s’inclinant de nouveau. La vieille dame le réceptionne. Plissant les yeux, elle en commence la lecture. « Bien, bien, je vais y réfléchir. » lance-t-elle en s’éloignant. « Merci beaucoup » lui adresse Mathéo en se redressant. Ils échangent de dernières salutations puis il s’en va, se refaufilant entre les cartons. Bien... ce serait sûrement un énième échec mais il aurait au moins la satisfaction d'avoir pu tout distribuer.

Avant qu’il n’ai pu atteindre la porte, il entend pourtant derrière lui. « Takahashi-san ! Vous pourriez commencer aujourd’hui ? ». Son coeur accélère, ses pieds pivotent et ses muscles lui donnent un dernier élan pour revenir sur ses pas. Le sourire aux lèvres, il acquiesce avec ferveur. « Oui ! »
 
KoalaVolant


#terminé

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