Contre-Uno | ft. Seito

Sa boite de Uno tout fraichement exportée de France dans les mains, Lou cherche vainement un partenaire au cœur de la salle commune. Un jeu d’enfance. Un jeu facile. Un jeu qui ne nécessite qu’un partenaire pour casser la routine. Dans cette grande pièce remplie de monde, Lou ne trouve pas un visage connu. Reconnu. Et dans sa quête du partenaire parfait, pas question de sauter sur le premier venu.  

Non.

Elle veut partager ce jeu d’enfance avec quelqu’un qu’elle aime bien.  

C’est un caprice de gamine, surtout pour une introvertie comme elle. Au fond, elle le sait bien, elle n’aurait aucune difficulté à embêter ses camarades d’autres niveaux. Et puis, elle pourrait se faire de nouveaux amis.  

Mais maintenant, c’est l’heure au réconfort.

Elle a beaucoup bossé, Lou, du soir au matin. Ce trimestre, plus que jamais, elle souhaite réussir ses examens. A coup de livres de maths, de littérature, et même de physique-chimie, elle se bourre le crâne dans la grande bibliothèque de l’école. Est-ce son échec de l’année précédente ? Est-ce l’image de la réussite de son frère ? Elle ne sait pas bien ce qui la motive. Mais une chose est certaine : bosser, c’est crevant.  

Lou continue son petit tour, banc après banc, chaise après chaise, table après table. Et dans cette mer de visages inconnus, un Seito. Un Seito ! Cet ancien colocataire, prof d’un soir, sauveur de littérature. Lou a mal vécu la séparation des garçons et des filles. D’amis fidèles, elle s’est retrouvée avec des colocataires invisibles. Et voir son visage, ô oui. Il y a là quelque chose de rassurant. Elle se rapproche alors de lui pour lui demander :  

« Mori-kun, est-ce que tu aurais le temps, pour une partie de Uno ? »

Connait-il le jeu ? A-t-il le temps ? Lou ne le sait point, mais qui ne tente rien n’a rien.

De l’enthousiasme. De l’enthousiasme ! La moue timide de Lou se transforme immédiatement en un sourire heureux. L’adolescente n’a pas vraiment eu le temps de discuter avec son ex-colocataire depuis son départ de la chambre, et en période d’examen, elle se doute qu’il a bien d’autres choses à faire que de jouer au Uno.

Mais il semble être content de passer du temps avec elle.

Lou ne veut pas se triturer plus longtemps l’esprit, alors elle s’installe sur le siège en face de l’adolescent, et une fois la table libérée, dépose son jeu de cartes. Elle les bat, les coupe, mélange les 1 avec les 7, les 6 avec les 9. Les règles, elle les connaît par cœur. De par l’enthousiasme de Seito, Lou a l’impression que lui aussi. Donc elle ne lui demande pas confirmation, quand elle divise en deux parts égales le paquet, quand elle commence à distribuer sept cartes de part et d’autre de la table, quand…

« Hein ? »

Elle redresse immédiatement le regard.

« Oh ! M*rde ! » Lou pose une main sur ses lèvres, comme pour effacer son gros mot, avant de reprendre : « Je pensais que tu les connaissais, les règles. »

Un peu fière, de connaître quelque chose que Seito ne maîtrise pas, Lou bombe le torse et explique : « Les chiffres et les couleurs, c’est pas pour calculer, dieu merci. » En réalité, les bons joueurs calculent, mais Lou n’a pas envie de se faire des nœuds au crâne en jouant. « Le but, c’est de ne plus avoir de cartes dans la main. T’as des cartes de couleurs : » elle montre le rouge, le jaune, le bleu, le vert. « Et avec des chiffres. Tu dois poser une carte qui a le même chiffre ou la même couleur que celle du dessus, et si tu n’as rien dans ta main, tu pioches ! » En même temps, Lou fait de petites démonstrations.

« Ah ! Et j’ai presque oublié l’plus rigolo ! » Un petit sourire aux lèvres, Lou fouille dans le paquet de cartes. Il est trop bien mélangé, donc ça lui prend du temps de sortir : un +2, un +4 et une carte choix. « Le +2 il est de couleur, donc tu peux le poser que quand c’est la même couleur, quand tu le poses, l’autre joueur doit piocher, le +4 c’est pareil mais sans couleurs, c’est toi qui choisit la couleur et la carte “choix” te permet de changer de couleur. »

Elle prend une grande respiration. Tout lui semble évident, mais elle se rend compte que ça fait beaucoup d’un coup. Alors, elle propose :

« On fait une première pour du beurre ? »

Et le voilà. Le sourire joueur. Le sourire que Lou attendait. Elle sent dans les yeux pétillants de Seito le signe d’un grand adversaire. L’adolescente veut se prêter au jeu. Voir même mieux, lui donner une ampleur… toute autre.

« Tu penses que tu vas gagner la première ? »

Elle hoche doucement la tête, comme pour provoquer le compétiteur en Seito. Elle mélange les cartes, en même temps, découpe la paquet. Elle sait que ça ne sert à rien, mais Lou aime bien ce petit air de croupier que ça lui donne. Comme si elle pouvait gagner de la crédibilité en jouant avec l’objet. Et finalement, elle distribue les quatorze cartes, sept chacune.

La pioche cachée, elle défie finalement son coéquipier : « Pour vraiment te donner envie de gagner : celui qui perd a un gage. C’est ok ? »

Lou n’est pas du genre timide. Action, comme vérité, elle n’a pas peur des gages et s’y soumet aisément. Néanmoins, ce n’est pas le cas de tous, et elle sait que certains trouvent beaucoup plus d’ambition dans ces petits jeux.

« On peut aussi jouer le hasard. Celui qui a le plus grand chiffre en piochant la prochaine carte gagne : ça te va ? »

Dans les règles, ça parle du joueur le plus jeune. Lou trouve ça un peu déshonorant. Avoir un avantage à cause de son âge ? Pas question.

Elle tire la première carte : « 5 ! Bleu. »

La couleur, on s’en fiche un peu.