[L-3] Toc, toc, qui est là ? | Kazane

Quand papa a voulu jeter une énorme boîte de chocolats à la poubelle, Lou l’a empêchée. Une si jolie boîte, rouge, en forme de cœur. Alors, oui, c’est un drôle de cadeau, de la part d’un client, et il n’est pas fan des pralinés, mais pas question de le jeter ! Le père n’a pas voulu se lancer dans une guerre qu’il savait sans fin, alors il a abandonné la boîte de chocolats à Lou… Qui s’est retrouvée pantoise.

En fait, elle non plus n’est pas une grande fan des pralinés. Et puis une si grosse boite, pour elle toute seule ?

Lou réfléchit, réfléchit, sans la chambre de sa maison de famille, cette soirée de dimanche et elle finit par prendre une décision : demain soir, elle ira toquer à la porte de Maka et lui offrira les chocolats. Alors, pas besoin d’en faire tout un drame, elle lui dira que c’est parce que papa allait le jeter… Mais finalement Lou a envie de faire ce petit geste. Les grosses boites en forme de cœur, c’est fait pour les amoureuses, n’est-ce pas ?

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Le lendemain, Lou a pensé toute la journée à la jolie boîte de chocolats et à Maka, et aussi à sa réaction. Elle est parfois un peu naïve, la gamine, alors elle s’imagine sa copine toute touchée, toute contente, et prompt à manger une tonne de pralinés noisette.

Alors, quand sonne la fin des cours, puis la fin des clubs, Lou se précipite dans les dortoirs. D’habitude, elle traîne dans la cantine jusqu’au bout du repas, mais cette fois, pas question d’attendre. Elle dévale les escaliers et toque à la porte de la chambre de sa copine, la L-3.

« Hey ! Maka ! »

Non, ce n’est pas Maka. Ce n’est pas Maka ! Elle est où Maka ? Parce que Lou se sent toute bête avec la grande boîte rouge, en forme de cœur, fermement tenue entre ses mains. Eh merde, alors ! Lou n’avait pas prévu cette situation. Comme si l’élue de son coeur vivait seule, dans son dortoir. N’importe quoi. Elle sait, pourtant, que toutes les lycéennes vivent à quatre. Elle-même a la chance unique de se taper madame Kaoru…

Et puis, Maka a déjà parlé de ses colocataires, avec lesquelles elle s’entend bien. Enfin, avec qui ne s’entend-elle pas ? C’est une personne si agréable. A croire qu’elle ne peut que se faire des amis.

Longs cheveux bruns, l’air un peu polie, voire froide. Il semble que cette coloc’ là, c’est Kazane Mitsugu. Maka n’en a pas beaucoup parlé à vrai dire. Bon, Lou, plus qu’à s’excuser, partir la queue entre les jambes et envoyer un sms à ton amoureuse pour savoir si elle rentre… Plus que…

« Que-quoi ? »

Sa quoi ? Sa quoi que comment pourquoi Kazane lui pose cette question ? Les joues de Lou virent au rouge instantanément, et elle tente de le cacher en penchant la tête. Oh merde. Non, elle ne pensait pas se cramer si vite, d’une manière aussi simple et ridicule. C’est pas possible, elle a promis !

Elle râcle sa gorge, avant de rire un bon coup. C’est un pas un rire sincère, mais comment Kazane pourrait le savoir ? C’est pas comme si elles se connaissaient : « Ahahaha ! Non ! C’est à cause de la boite c’est ça ? » Elle continue son rire bizarre. C’est que ça en devient gênant, mais Lou qui ne sait pas bien mentir est comme empêtrée dans son malaise.

« C’est juste que c’est que… Ce sont des pralinés que mon papa voulait jeter à la poubelle ! » Allez, rattrape toi sur une vérité. « Eh comme je sais que Maka aime bien ça… »

Mouais, pas sûre que ça puisse vraiment la sortir d'affaires.

Lou le sent bien. La brune n’y croit pas à un mot à ses justifications. C’est nul ! C’est pourtant de bonnes justifications, non ? Après tout, une fille, avec une fille, ce n’est pas d’accoutumée. Et pourquoi elle assume tout de suite qu’elles sont amoureuses, et pas juste bonnes copines. Aux bonnes copines aussi, on offre des cœurs. La preuve aux colliers de BFF ! Deux cœurs brisés qui se rejoignent... Si ce n’est pas de l’amitié, plutôt que de l’amour.  

Ou peut-être que ce n’est pas tant la forme de l’objet qui est déclarative, mais ce que dégage la jeune adolescente. Sa gêne, palpable. Son besoin de tout justifier. N’aurait-il pas été plus simple de simplement répondre “Non”, à Kazane, sans plus d’explication. Plus on parle, plus on se dévoile.  

Mais malheureusement pour Lou, elle n’est pas capable de se taire.  

Alors, quand elle avance dans la chambre, et se rapproche lentement de la place de Maka – qu'elle connaît, ce n’est pas sa première visite à sa copine –, elle répond à la question de Kazane : « Moi c’est Lou-chan, mais inconnue-chan ça m’va aussi. »  

Elle s’assoit finalement sur le lit de Maka, soigneusement, en faisant attention à ne rien froisser, et plonge son regard dans celui de Kazane, qui semble toujours la regarder. Pourquoi elle la mate comme ça ? Lou n’aime pas beaucoup trop ça.  

Pas qu’elle pense à mal, c’nest pas le genre de la demoiselle... Mais elle reste bloquée sur l’histoire de l’homosexualité. Peut-être que c’est l’une de ceux qui n’aiment pas les filles qui aiment les filles ?

« Y'a un problème ? » Qu’elle demande alors, pas d’un ton trop méchant, mais quand même assez agacé. « J'ai un truc sur la figure ? »

Heureusement pour Lou, Kazane semble plutôt préférer l’apaisement à la bagarre. Ou heureusement pour Kazane ? N’oublions pas que la gamine a une ceinture avancée au karaté ! Et même si elle ne l’a jamais utilisée en dehors du tatami, il ne faut pas la pousser non plus ! Les excuses de la plus vieille à pour effet de calmer tout de suite Lou, qui se permet un petit sourire et un hochement de tête. Bon, si c’est juste une histoire de visage familier. Après tout, Kazane a peut-être rencontré Mathéo, son frère, ou encore Anna, les trois ont des traits communs. Ou même, l’a croisé au détour d’un couloir, ou alors qu’elle quittait leur chambre après une visite à Maka. C’est que Lou n’a pas vraiment d’opposition là-dessus. Le campus est grand, mais on croise toujours les mêmes personnes.  

« Y’a pas de mal, ça me rassure. »

Et Lou regarde ailleurs. En fait, elle ne réfléchit plus à grand-chose, elle a la tête vide, et se contente d’observer. Elle aime bien l’ambiance du dortoir, et se surprend à être un peu envieuse. Elle n’est pas proche de ses colocataires. Il y en a deux qui semblent être plus de passage qu’autre chose, et qu’elle ne fréquente que pour dire bonjour et aurevoir, et Kaoru, pour laquelle elle ne fait pas d’effort particulier. Elle ne la déteste pas, mais elles ne semblent à priori rien n’avoir en commun.  

Ici, d’abord, y’a Maka. Et même si ce serait peut-être bizarre de dormir au même endroit tout en cachant leur secret, ce serait sympa de pouvoir la voir souvent. Et puis, y’a les copines de Maka, qui ont l’air gentilles. Et même cette Kazane, qui quoi que brute de décoffrage et un peu froide semble pas non plus vilaine.  

Lou se demande à quoi ressemble une bonne ambiance de dortoir. Enfin, une aussi bonne que ce qu’elle avant. Elle regrette la séparation des chambres par genre, et de ne plus pouvoir embêter Seito avec les cours de littérature ; et elle regrette que Tsumugi soit à l’Université maintenant, dans une chambre à deux. Ils lui manquent beaucoup.  

Au nom d’Alya, la tête de Lou remonte aussitôt, et elle s’exclame :  « Oh tu connais Alya !! » Lou a beaucoup d’amitié et de tendresse pour l’étudiante en sport. Malheureusement, elles se rencontrent moins qu’il y a quelques mois. La faute aux emplois du temps, peut-être. Alya, c’est l’une de ces filles que Lou prend comme une grande sœur de cœur. Elle a pris soin d’elle à plusieurs reprises. Et alors qu’elle allait reprendre sur Alya pour discuter de leur relation...

« Hey !! J’suis pas une menteuse !! »

En fait, si. Lou le sait bien que cacher son secret, c’est mentir par omission. Et pourtant, ce qualificatif la dérange énormément, elle déteste se considérer comme quelqu’un qui ment. Elle a toujours préféré l’honnêteté, même brusque, même douloureuse, au mensonge. Mais là, ce n’est pas elle qui a choisi, c’est la demande de Maka. Et les promesses, c’est sacré.

Enfin, y’a des promesses que Lou se permet de briser au nom de l’honneteté.

Pas celle-ci.

« On était dans la même classe l’année dernière, donc on s’est rencontrés comme ça. »

Elle apprend la leçon : pas besoin d’en dire plus, d’expliquer comment elles sont devenues super copines, et rien de plus, répondre et se taire ensuite. Si se justifier la rend menteuse, alors autant rester factuelle.

Oh. Alya et cette Kazane sont meilleures amies. Un petite boule s’installe dans l’estomac de Lou. Pas de la jalousie, plutôt de la tristesse. Elle se rend bien compte que depuis quelques mois, Lou n’a pas pris beaucoup de nouvelles d’Alya. Elle aimerait dire que c’est la faute aux études, la faute à l’amour, ou la faute au temps. Mais pas vraiment. C’est juste qu’elle a pas assez pensé à son amie. Alors, apprendre qu’Alya a une meilleure copine, dont elle ne connaissait même pas le nom, la blesse un peu. Elle aurait dû être davantage présente pour elle. Elle aurait dû.

Elle respire un poil, en essayant de chasser cette image de son esprit. Bon, ce soir, c’est promis, elle va lui envoyer un petit message, ou essayer de la croiser quelque part dans les couloirs. Il faut qu’elle puisse s’excuser de l’avoir un peu laissé de côté.

En fait, c’est qu’elle aimerait tout lui dire. Sur Maka. Sur tout ce qui lui prend la tête, l’énergie et l’esprit depuis maintenant quelques mois. Mais elle n’arrive pas à casser la promesse qu’elle a fait à sa petite copine et au fond elle se doute… Si elle parle à Alya, Alya va comprendre.

De la même manière que Kazane a compris.

C’est quoi son problème, à être transparente de cette manière ? Même les inconnus peuvent lire sur son visage. Elle aimerait savoir se faire un peu plus discrète. Lou déteste le penser, mais elle n’aime pas cette situation, dans laquelle elle doit faire semblant d’être qu’une amie de Maka. Elle ne l’aime pas, mais elle la préfère à être seule. A lâcher sa petite copine. A ne plus pouvoir passer de beaux moments avec elle.

Un petit craquement dans sa voix trahit la peine de son coeur lorsqu’elle répond à Kazane :

« J’veux bien, le Taiyaki. »

Oh, merde. Elle pourrait presque lâcher une larme tant ses yeux sont humides. Alors Lou essaie de se reprendre, et fait mine d’éternuer, pour se donner le droit de laisser un peu les sentiments couler. Puis elle rigole, un peu trop fort, mais on pourrait croire que c’est du vrai :

« Terrible les pollens, en cette saison. »

Et elle se penche finalement sur les gâteaux, pour chasser tout le reste de son esprit, et remonte le regard vers Kazane pour lui demander :

« Quand tu dis maison, c’est toi qui les a fait ? »

Lou sourit doucement, quand Kazane rentre dans son jeu. Elle se doute bien que son éternuement est trop fort, trop faux. Mais elle aime à croire que la colocataire de sa copine a bien compris sa gêne, et se préfère à la laisser tranquille. Lou aimerait mieux savoir gérer ses sentiments. Mais elle est comme ça. Quand elle est heureuse, ça déborde, alors quand elle est triste, ça déborde aussi. Heureusement pour elle, elle est bien plus souvent joyeuse que l’inverse.

Alors, elle prend le paquet de mouchoir, en murmurant un léger : « Merci. » Et la conversation se termine là.

Parce que la pâtisserie est bien plus intéressante que les larmes, Lou se permet de s’y intéresser davantage. Elle aime manger ce qui est fait pas les mains - et souvent le coeur - des autres. Il y a un goût différent lorsqu’on y met le temps. Elle en est persuadée. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles elle aime se perdre devant le four de sa cuisine, à imaginer tout un tas de recettes qui termineront dans le ventre de ses proches.

Souvent, ses parents, mais parfois, ses amis aussi.

…Pourtant, jamais des inconnus. Et elle trouve assez chouette que Kazane s’ouvre à elle de cette manière. Ou alors, la lycéenne n’y met pas autant de cœur. Et c’est avec un grand sourire, sincère, et les yeux en amande que Lou répond :

« C’est bon ! » Elle aurait pu s’arrêter là. Juste, c’est bon. Mais elle veut aller un peu plus loin. Pas besoin d’étaler sa science, et de relever le goût un peu trop gras et sucré du chocolat, ou de la pâte qui pourrait être un poil plus croustillante. « Le chocolat pourrait être un peu plus fort, mais c’est super réconfortant. Je suis impressionnée que ce soit la seule que tu saches faire, c’est vraiment pas si simple, et puis ça demande quand même des moules adaptés ! »

Lou aime bien les gaufres, et autres biscuits de ce type, mais elle ne s’y ose finalement assez rarement. Imprégnée par la cuisine française, elle préfère tartes et entremets.

Mais alors qu’elle pensait pouvoir parler tranquillement de pâtisserie, et de passion commune, en attendant le retour de Maka, voilà que Kazane en remet une couche. Lou est un peu déçue, elle qui pensait que la lycéenne avait compris sa gêne ! Elle manque à la question d’avaler de travers une bouchée de Taiyaki, tousse un peu.

« Pourquoi tu penses que je mens ? Tu forces. Si je dis que c’est une amie, c’est une amie. »

Qu’est-ce qu’elle veut, en fouinant ?

Lou n’aime pas être ferme. Et Lou n’aime pas hausser la voix. A la limite, que s’il faut se battre contre des méchants. Des grands méchants. Du genre, garçons au coin de la rue qui préfèrent regarder sous la jupe qu’être galant. Fin l’un comme l’autre, Lou les trouve lourds. Et elle ne se gêne pas pour le leur faire remarquer.

Mais sinon, elle préfère rigoler. Plus passive que agressive, elle essaie de contourner le problème. Parler d’autre chose, dire des conneries… Et la plupart du temps, ça fonctionne. C’est que les japonais sont souvent timides, et c’est très bien comme ça. Lou a commencé à comprendre comment fonctionne ce pays et ces habitants, et elle s’y accommode plutôt pas mal. Alors voilà qu’une japonaise - une vraie japonaise, dans ce lycée international - lui change toutes ses habitudes.

Et comme quoi, être ferme, ça marche plutôt pas mal.

« Yep, je suis au club de cuisine ! »

Lou aimerait sourire, mais elle n’y arrive pas vraiment. Elle ne s’était pas rendue compte de toute la colère qui était remontée dans sa poitrine, lorsqu’elle a voulu fermer la conversation. La colère ! C’est un drôle de sentiment qu’elle ne souhaite pas ressentir. Alors, elle essaie de s’engouffrer tête la première dans le sujet qui la passionne :

« Tu pourrais trouver un chocolat un peu plus pur… » Mais même là, elle n’a pas vraiment la flamme. « Mettre un peu moins de sucre aussi ? Ou alors l’associer avec un autre goût qui lui donnerait du relief, une noisette par exemple. » Et elle ne sait plus vraiment quoi dire de plus. Enfin, si, les idées de recettes fusent, mais elle ne souhaite plus tellement en parler.

Elle souhaite attendre Maka, surtout. Et celle-ci n’arrive toujours pas. En fait, elle a la sensation d’avoir choisi le mauvais jour, le mauvais moment. Alors elle se redresse et fait un petit signe poli à Kazane. « Le temps file, je pense que je vais juste laisser la boite sur le bureau de Maka. Tu pourras lui dire que je suis passée ? » En évitant de la nommer comme sa “petite-copine”, si possible.