Herupu! Konpyūtā! ; avec Paul Dubois

Tu le sais déjà, mais je fais partie des jeunes (ou presque) qui ne se retrouvent pas toujours dans ce groupe qu’on appelle donc justement les « jeunes ». Par exemple, j’aime les fringues vintages, j’aime les choses un peu vieillottes du genre les services à thé en porcelaine avec des motifs fleuris un peu fades. Mais ça, ça ne me disqualifie pas toujours de la catégorie « jeunes ». Tout au plus, on me trouve des goûts bizarres, encore que, le vintage revient à la mode alors je serai techniquement de nouveau tendance d’ici peu.

Je digresse.

Ce qui me vaut d’être propulsé dans la catégorie des vieux jeunes, c’est mon incapacité à utiliser la technologie. J’ai un téléphone et il me sert à téléphoner, parfois à prendre des photos, à me perdre sur Instagram et Twitter je l’admets, mais c’est tout. Au moindre problème, je suis démuni. Et c’est la même chose pour les ordinateurs. J’ai dû apprendre la fonction du copier-coller il y a moins de trois ans et je ne rigole pas une seule seconde. Je n’y peux rien : je n’utilise un ordinateur qu’une fois l’an. Évidemment, depuis que j’ai repris les études… je n’ai pas trop eu le choix. Surtout en langues et en sciences humaines de manière générale, internet est quand même bien utile. Je me retrouve souvent à devoir faire valider ce que j’y vois par mes professeurs ou bien d’autres élèves, parce qu’on ne sait jamais avec internet, mais dans les faits… j’en ai besoin. Je ne prends pas mes notes dessus car je suis plus lent que personne avant moi avec un clavier dans les mains.

Aujourd’hui, cher journal, est un jour maudit, car ce bougre ne veut plus coopérer. Il s’éteint et se rallume sans raison, me fait perdre parfois des heures de boulot (et je dis bien des heures, je te rappelle que je frappe lentement). J’ai le choix entre l’amener chez le réparateur, mais je n’ai plus confiance en le capitalisme depuis qu’un garagiste m’a volé presque cinquante-milles yen pour mon scooter. J’ai donc décidé que je ferai plutôt travailler ma patrie : c’est-à-dire l’ingénierie informatique en herbe de mon campus. J’ai posé un petit mot à l’accueil, à la recherche d’un bon samaritain (que je paierai, cela va de soi) qui pourrait voir le couac avec mon ordinateur. Et j’ai trouvé quelqu’un ! Après de brefs échanges par message, nous nous sommes donnés rendez-vous dans la salle commune de son bâtiment. Je n’arrive qu’à moitié fier avec mon fossile que j’ai acheté d’occasion et qui doit avoir bien sept ans, en fait, j’ai presque l’air timide une fois que je le repère dans la salle et que je m’assure qu’il s’agit de la bonne personne.

« Bonjour, dis-je après quelques secondes d’hésitation. Je… je viens pour l’ordinateur. Enfin, sauf si je me trompe. »

Cher journal, je ne me suis assuré de rien. Je n’ai pas la moindre idée de s’il s’agit du bon mec ou pas.

Ah, voilà. Il s’appelle Paul. Ça me revient bêtement quand il se présente mais autrement, j’aurais tout simplement été incapable de me souvenir de son nom. Et je sais que ma mère m’a toujours dit de faire attention aux apparences, et je fais de mon mieux pour écouter ce conseil, je le jure ! Le problème, c’est qu’au fond de moi, je dois l’avouer, je suis légèrement (peut-être un peu plus que légèrement) un mec artificiel. Donc quand je vois les lunettes, le corps un peu frêle (j’exagère, j’exagère vraiment), la peau pâle et… juste l’attitude, en fait, je lui fais immédiatement confiance pour réparer mon ordinateur et je me prépare mentalement à devoir faire semblant de comprendre tout ce qu’il me dit, tout en sachant que je n’y parviendrai sûrement pas. Alors je souris et m’approche de la première surface à notre disposition pour sortir mon ordinateur de sa pochette et le poser dessus, avant de me tourner vers lui et de lui dire :

« Et bien, je ne sais pas trop. En fait, je crois qu’il y a plein de petits problèmes. Déjà, pour l’allumer, je dois faire ça. »

Tout en énonçant ces mots, je fais une manipulation digne d’un code secret, c’est-à-dire : j’appuie simultanément sur la touche du démarrage, la touche entrée et celle du son, puis après je tape frénétiquement sur F11. Et là, c’est parti pour un long silence gênant le temps qu’il démarre. Enfin, non. Je déteste ça, alors je ris nerveusement et je jette un œil à Paul :

« Il prend toujours au moins dix minutes à se lancer. Je dois aller en amphi’ en avance pour être sûr de pouvoir prendre des notes à temps, dis-je en me frottant la nuque, un peu embarrassé comme si je parlais de mon enfant un peu turbulent. Et puis, il est lent de manière générale. Je ne sais pas trop quoi faire pour arranger ça. »

Mais j’espère que lui oui. Pour l’instant, j’évite soigneusement de mentionner aussi qu’il y a trois touches qui ne fonctionnent pas, le pourquoi du comment est-ce que la barre espace a du mal à remonter et colle un peu, et de lui demander pourquoi est-ce que j’ai autant de pubs partout.

Au commencement, j’étais venu pour qu’un bon samaritain répare mon ordinateur. Pas pour qu’un nerd me victimise avec un roast de geek. Enfin, je ne peux pas dire que je ne m’y attendais pas et honnêtement, la façon dont je passe nerveusement ma main dans ma nuque à l’issue de chacun de ses commentaires peu subtils en dit long sur l’état dans lequel je me trouve : à peu près le même que celui de mon ordinateur. Si bien que quand il me demande si j’ai songé à le changer, je détourne le regard avec toute la précaution du monde :

« Je l’ai acheté d’occasion, dis-je avec une toute petite voix. »

Je hoche vivement la tête quand il me demande s’il peut y toucher, parce que c’est pour ça que j’ai déposé l’annonce, quand même. Je le vois éteindre et rallumer l’ordinateur. Évidemment, le silence qui s’ensuit est horriblement gênant et pour une fois dans toute ma carrière, la pipelette en moi ferme sa bouche. Je ne sais pas quoi dire que ne m’enfoncerait pas encore plus que ce n’est déjà le cas.

« Non mais y a pas de soucis. Tu fais… euh… comme tu peux, hein. Il est un peu vieux. Je l’ai acheté en début d’année et je crois qu’il avait déjà six ans. C’est un vieux modèle. »

Quand il démarre enfin, je m’éclaircis la gorge et je prends mon courage à deux mains pour aller tapoter le pad du bout des doigts et ouvrir le navigateur. Il faut bien une longue minute pour qu’il se lance, et le navigateur est blindé de publicités en tout genre. Je tape une recherche toute simple, une recette de cuisine, et je lui montre.

« Il faut que je descende tout en bas pour que ça me montre une recette de cuisine. Sinon, je n’ai que des publicités. C’est ennuyeux quand je veux chercher quelque-chose pour un texte avec les cours, par exemple. Et alors sur les sites, j’en parle pas. Si j’ai le malheur de cliquer à côté du truc que je voulais, ça m’ouvre des fenêtres dans tous les sens. »

C’est là que je me rends compte que j’ai écrit « rctt d gratin de courgtt ». Il manque tous les « e ». Je ris un peu. Toujours aussi nerveusement.

« Ah, la touche « e » ne marche pas. Je… sais pas trop pourquoi. »

Non vraiment. Je ne sais pas. J’ai fait exprès d’enlever autant de miettes de chips que possible avant de l’amener, mais s’il fait sauter la touche, je suis cuit.

Je suis partagé entre le fait de lui dire la vérité et mentir. Si je lui dis qu’il était effectivement dans cet état quand je l’ai acheté, il me prendra pour un idiot qui s’est fait arnaquer, si je lui dis que non, il me prendra aussi pour un idiot mais juste parce que je ne suis pas capable de prendre soin d’un ordinateur. Du coup, je m’éclaircis la gorge et lui répond, un peu gêné :

« Il est légèrement plus lent mais oui. Il n’était pas vraiment dans un meilleur état. Je l’ai eu pour trente-milles yens, un truc comme ça. Je pensais que c’était une affaire, mais j’y connais rien, il semblerait. »

Pas juste « il semblerait ». Je n’y connais rien, point. Disons que j’essaye de garder la face bien que ce ne soit pas chose aisée en l’occurrence.

Vérolé ? Qu’est-ce qui est vérolé ? Je lui souris comme si j’avais compris de quoi il parlait alors qu’en réalité, je n’en ai pas la moindre idée. Ça ne veut pas dire refiler la syphilis ça ? Mon ordinateur aurait la syphilis ? Je décide d’arrêter de chercher parce que ça ne fait aucun sens. C’est peut-être du langage de geek, ça doit sûrement être ça et c’est pour ça que je ne comprends pas. Très certainement en rapport avec les virus, j’imagine.

J’essaye de rire à sa petite vanne même si en réalité, je crois que ce n’est pas juste une vanne. Je crois qu’il y a un fond de vérité, et pas juste un fond de vérité même. Que c’est juste vrai. De l’humour sec, comme on dit. Je soupire silencieusement pour moi-même. Il va falloir que je change cet ordinateur.

Sa question me prend de court et je réfléchis un instant.

« Je m’en sers principalement pour les cours, mais j’avoue que dernièrement, je l’ai utilisé pour regarder des films, en streaming ou en téléchargement. Tu penses que c’est ça ? »

Vu qu’il a commencé à déconner depuis peu, je suis presque sûr que c’est en lien.

Le gros lien qui clignote ? Bien-sûr que oui, j’ai cliqué sur le gros lien qui clignote. Je bats des paupières avant de rire nerveusement, comme s’il venait de se moquer de moi et que je ne savais pas trop comment réagir (ce qui est partiellement vrai, en fin de compte).

« Je n’aurais pas dû ? Enfin, je veux dire, ce serait idiot de mettre le bouton de téléchargement en tout petit dans un coin de l’écran, non ? J’ai l’impression que c’est la base de l’ergonomie de mettre les info’ importantes là où on les voit bien mais vu le résultat… je dois peut-être me tromper. »

Sûrement, même. Je n’y peux rien, je le jure ! Pourtant, je sais faire quelques trucs sur un ordinateur. J’utilise un peu Photoshop (principalement pour retoucher mes photos, et je veux dire par là changer la couleur de mes yeux, rien de plus), je suis un peu présent sur les réseaux sociaux, je sais utiliser Zotero avec mon logiciel de traitement de texte même si j’ai appris à m’en servir il y a peu avec la faculté. Bref, j’estime me débrouiller un minimum. J’encaisse ce qu’il me dit avec dignité ceci dit, même si ça me donne quelques relents amers d’admettre que c’est de ma faute si mon ordinateur est dans cet état. Alors je le regarde faire, jusqu’à ce qu’il me suggère d’apprendre à faire ça moi-même. Je hausse les sourcils.

« Ça, euh… ça te dérangerait pas de m’expliquer ce que tu fais et de m’apprendre sur le tas ? Ça a l’air si simple quand tu le fais, ça peut pas être si sorcier, si ? J’essaierai de me souvenir du maximum… »

Comment ça, pas malin de mettre le gros bouton au milieu ? Plus la discussion avance, plus je suis paumé, sérieusement. J’essaye d’intégrer ce qu’il me dit, mais ça ne fait juste aucun sens à mes yeux. Peut-être que c’est une sorte de logique propre à l’informatique ? C’est comme… la mécanique quantique, ou un truc du style. C’est une science qui ne fonctionne pas comme les autres sciences, ou je sais pas quoi. Peut-être qu’il faut que je fasse pareil, que j’accepte que tout ce qui touche à l’informatique ne tombe pas dans les limites habituelles de la logique ? Je vais… essayer. Mais je ne promets rien.

« Et si rien ne me semble bizarre ? J’ai l’air d’un con. Oublie ce que je viens de dire. »

Je regarde ce qu’il fait, et je le fais attentivement. Je jure aussi, silencieusement, devant Dieu, que je ne mangerai plus jamais de chips devant mon ordinateur. Enlever des vis, ce n’est pas dur. J’ai monté tous les meubles de mon ancien appartement tout seul. Je peux utiliser un tournevis.

« Et l’intérieur ? Il faut pas toucher avec les doigts, si ? Y a plein de… fils soudés, et tout. J’ai peur de tout casser. »

Pas si fragile, pas si fragile… quand tu manges des chips dans une voiture, il n’y a pas de vitesse qui disparaît par magie parce qu’elle est un peu trop secouée. Donc si. Un ordinateur, c’est fragile. En tout cas, c’est trop fragile pour moi. Je crois que je vais juste investir dans une tablette. J’aurais l’air moins con en l’utilisant.

Brûler ? Comment ça brûler ?

« Comment est-ce que je pourrais… brûler quelque-chose dans mon ordinateur ? »

Mouiller, je veux bien. Un verre trop près qui tombe sur le clavier est vite arrivé, mais j’ai toujours fait très attention à n’avoir que des bouteilles pas loin, et des bouteilles qui se ferment. Aucun liquide ne s’est jamais faufilé là-dedans. En tout cas, par ma faute. Je ne parlerai pas à la place du précédent propriétaire.

« Je… j’essaye de trouver quelque-chose à dire. Rien ne vient. Je n’ai pas d’excuse. Je ferai plus attention à l’avenir. »

Et je n’ai qu’une parole alors, oui. Je ferai vraiment attention à l’avenir. Plus de chips ni de pain devant l’ordinateur. J’ai compris. Le message est passé. J’arrête les chips, d’ailleurs. C’est pas spécialement bon pour la santé et on n’est plus en plein hiver, j’ai pas besoin de faire de réserves de graisse et il faut que je perdre mon ventre d’hibernation. Plus de chips, c’est bien.

« Okay. Je le referai pas parce que j’ai quand même peur de tout péter, mais, c’est intéressant. Peut-être, si j’ai vraiment pas le choix… »

Je hausse les sourcils quand il utilise sa petite bombe à air. Je n’avais jamais vu ça avant. Moi je retournais l’ordinateur et je le secouais pour que toutes les miettes tombent.

« On trouve ça où ? dis-je en pointant la bombe du doigt. »

Hm. Non mais, j’entends bien ce qu’il me dit. Mais j’ai quand même peur de tout péter ! Même avec des vidéos. Je parle presque quatre langues couramment. Demandez-moi des trucs sur la grammaire, sur la linguistique, sur la littérature et je répondrai avec une certaine confiance. Demandez-moi de démonter un PC ? Non. Je préfère laisser ça aux professionnels. À ce sujet.

« Et… tu serais d’accord pour que je te l’apporte de temps en temps et que tu le nettoies ? Pas gratuitement, hein. Autant te payer toi plutôt qu’un type en ville. »

Je fais attention aux générations futures et tout travail mérité salaire. Je suis un adulte responsable. Ma mère serait fière de moi.

« D’accord. Je… j’en prendrai une pour le clavier au moins. Mais vu que j’ai décidé de ne plus manger par-dessus mon PC, je pense que ça devrait aller. Enfin j’espère. »

Pourquoi continuer à me voiler la face ? Il le savait sûrement déjà de toute manière. Ce serait comme essayer de camoufler un éléphant dans un couloir. Autant assumer jusqu’au bout.

« Tu penses qu’il tiendra encore combien de temps avant que je doive en changer ? »

Non parce que je suis écolo, certes, et je garde mes appareils jusqu’à leur dernier souffle plutôt que de les changer à tout bout de champ. Mais j’aimerais savoir s’il lui reste quelques années à vivre ou non malgré tout.

Quelques mois seulement ? C’est peu. Très peu. En soi, l’année scolaire est bientôt terminée alors peut-être que je devrais en changer au début de celle qui vient ? Ça ne me semble pas déraisonnable. Je pense. Mais je suis tout de même franchement partagé entre le fait de juste le garder. Je n’aime pas jeter des choses qui fonctionnent encore et je ne me vois pas le vendre. Pas dans cet état déplorable.

« Je vois… »

Je grimace un peu alors que je le regarde manipuler l’ordinateur. Il a sûrement bientôt fini et devrait le refermer sous peu. Je me demande s’il reste encore des choses à faire dessus. J’imagine qu’il va le démarrer pour voir s’il va bien.

« Et… admettons quand je le change quand il aura rendu l’âme pour de bon. Je prends quoi ? Je sais pas si je reprendrai de l’occasion après… ça. »

Je suis bien obligé de l’admettre par souci d’honnêteté envers soi-même (et moi-même, dans ce cas précis) mais cet échange m’épuise. Émotionnellement, je veux dire. Socialement, même. Et pourtant, cher journal, tu me connais. Tu sais que je suis résilient, mais pire que ça, tu sais que je me nourris d’interactions sociales. Que je vois toujours le bon côté d’un échange, que je suis quelqu’un de curieux. Actuellement, je suis juste dépité. Va savoir pourquoi.

« Je vais prendre un mac. Neuf. Comme ça, il m’aura coûté un rein et peut-être que j’y ferai davantage attention. »

C’est une logique de merde et je l’assume. Il y a deux critères qui régissent la valeur étalon du soin que je porte aux choses qui passent entre mes mains : le premier, c’est le critère de propriété. À quel point cet objet est-il à moi ? Cette échelle va de mon doudou aux codes nucléaires. Le second critère… c’est sa valeur. C’est stupide, je sais, mais plus un objet est cher, plus j’y fais attention. C’est davantage la valeur de l’objet qui y est évaluée que son importance à vrai dire.

C’est comme ça, je ne suis pas matérialiste. Je n’y peux rien.

« C’est bien Apple ? Pour les ordinateurs, je veux dire. Tous les informaticiens que j’ai vu dans ma vie m’ont toujours dit que c’était… très moyen. »

Je cache discrètement mon iPhone sous ma manche en disant ces mots.

Je m’attendais à ce qu’il me réprimande sur mon choix mais au final, ça va. Il semble s’être légèrement adouci, peut-être parce qu’il a digéré les chips dans le clavier (enfin, pas littéralement, ce serait immonde sinon). Je l’écoute attentivement ceci dit. Il est vrai qu’entre un iPhone et un téléphone androïd, j’ai toujours eu du mal à appréhender le second. J’ai l’impression que les iPhones sont juste… plus ergonomiques. Moins personnalisables, d’après ce que j’ai pu entendre, mais de toute façon je ne saurais pas personnaliser un téléphone androïd. Alors ça me convient comme ça.

« D’accord. Bon, je suis sans risque vu que je ne code pas, mais je ne peux pas nier que tu as raison. C’est… très cher. J’en prendrai sûrement un reconditionné ou d’occasion. Promis, cette fois-ci je ferai attention. »

Je hausse les sourcils quand il mentionne les jeux-vidéos. Bon, je dois admettre que je l’imaginais très bien être le genre, mais je réservais mon jugement jusqu’ici. Ça me fait sourire mais je ne dis rien de plus à ce sujet.

« Je ne pense pas que je jouerai avec. J’ai une switch ou sinon je vais à la salle d’arcade. Et puis… je connais pas vraiment les jeux sur les ordinateurs. Tu… joues à quoi ? »

Moi tu sais, cher journal, à part Animal Crossing…

« Je l’ignorais. Après, c’est peut-être parce que je vais plus attention à mon téléphone qu’au reste… je n’ai jamais eu de problème. »

En même temps, j’y passe un peu plus de temps. Entre les réseaux sociaux, les bavardages intensifs entre potes, les photos (pas seulement de moi, ou de moi et mes amis en soirée, j’aime bien prendre des photos des choses que je trouve jolies) et peut-être quelques jeux nuls sur lesquels je perds mon temps…

« Oh d’accord. C’est vrai que quand j’y pense, la première fois que j’en ai vu, c’était au Japon. Après, c’est peut-être parce que j’habitais dans un petit patelin… »

Je hoche la tête. C’est vrai qu’il y a aussi des jeux multijoueur, j’oublie d’y penser. Le seul que je connais, c’est League of Legends et j’en ai seulement entendu parler.

« Alors du coup tu es français ? Je n’avais même pas reconnu l’accent ! Ça fait longtemps que tu es ici ? »

Je suis allé quelques fois en France, en voyage avec mes parents. Mais je n’ai jamais rien vu d’autre que l’Alsace et Paris.

Les quelques-unes que j’ai connues en Europe étaient des vestiges ramenés d’Asie ou bien d’anciennes bornes remises à neuf. Je me souviens qu’il y en avait aussi dans les cinémas et ou même les bowlings. Quand j’y repense, c’était amusant. Peut-être qu’il faudra que j’aille faire un tour dans une des salles d’arcade en ville. Depuis mon arrivée au Japon, je n’ai dû m’y rendre peut-être que deux ou trois fois et c’est du gâchis ! En bon animal un peu trop social, je résiste de justesse à proposer à Paul d’y aller avec moi. Après tout, nous ne nous connaissons pas et je suis juste venu pour qu’il répare mon ordinateur.

Plus je l’entends parler, plus je perçois l’accent français, quelque-part caché. Je souris à sa réponse et hausse les épaules.

« J’ai eu du mal aussi au début. Au moins tu te débrouilles. Et puis il n’y a rien de mieux que la pratique pour s’améliorer de ce côté-là. Ça finira par rentrer ! lui dis-je, essayant l’encourager un peu. J’espère que les cours ne sont pas trop durs à suivre. »

Je regarde l’ordinateur puis Paul.

« J’imagine que tu vas faire de l’informatique l’université ? Ou que tu en fais déjà ! »

Je marche un peu sur des œufs avec lui. Je ne saurais pas expliquer pourquoi ni comment. Peut-être est-ce moi qui me prend trop la tête ? C’est sûrement ça. Je ne voulais pas attaquer sa maîtrise de la langue ! Certainement pas ! Déjà parce que ça ne se fait pas, et qu’il faut saluer le multilinguisme de chacun, mais aussi parce que ce n’était juste pas mon intention. Au contraire. Enfin, pas qu’il ait l’air d’avoir mal pris ma remarque (je crois ? je ne suis même plus sûr) mais enfin, cher journal, tu sais comment je suis… je pense trop. Je me fais des films. Bref.

Je suis donc inévitablement soulagé quand nous changeons de sujet et que vient celui des études. Je me doutais de sa réponse mais je lui rends tout de même un sourire parce qu’il est fréquent de ne pas savoir ce qu’on veut faire ou de se tromper. Ça ne me coûte rien de me montrer encourageant alors autant le faire.

« J’espère que ça te plaira. Même si bon, l’informatique c’est vaste. Réparer le matériel et euh… programmer, c’est pas la même chose j’imagine. »

Je suis un néophyte et un gros nul mais je ne suis pas stupide pour autant. Enfin, si, je le suis. Mais je ne mélange pas tout. Le retour de sa question me fait hausser les sourcils.

« Oui, exact. Je fais des langues et de la littérature surtout. Et un peu de philosophie parce que ça me tentait mais c’était une grossière erreur. Déjà parce que du coup maintenant j’ai trop de boulot et en plus avec la langue c’est difficile. Enfin bref, en gros : ne prends pas d’options sinon tu vas le regretter. »

Ah, je ne suis donc pas encore un grand-père, cher journal. Tu m’en vois ravi. Enfin, au moins j’ai appris quelque-chose avec l’électronique. Pour moi, on apprenait aussi ce côté-là en informatique.

Je souffle du nez à la mention de la philosophie.

« Et puis, en fonction du correcteur, la copie sera toujours reçue différemment. C’est une véritable épine dans le pied mais bon. J’aime ça. »

J’hoche machinalement la tête au sujet des matières. Il est plus intelligent que moi, cher journal. Je n’y peux rien. C’est comme ça. Dans la vie, il faut savoir baisser les armes lorsqu’on est vaincu et c’est ce que je fais. D’ailleurs, au sujet d’accepter ses échecs : je jette un œil à mon ordinateur.

« On a presque terminé, non ? »

Je pose la question parce que j’ai l’impression que c’est le cas, mais à tout moment, il reste encore une chiée d’étapes. Honnêtement, j’espère que non. Je me suis déjà suffisamment tapé la honte comme ça.