[U-101] C'est pas ce que tu crois ! Enfin... | Himuro

C’est bientôt noël. Dans les dortoirs, ça ne parle plus que du voyage au ski. Nobu n’en peut plus. Il ne supporte pas cette effervescence de joie et d’excitation. Le ski, il n’y ira pas. De toute manière, il n’y est jamais allé. Ce n'est pas qu’il n’en a pas envie, c’est qu’il n’en a pas les moyens.

Il a fini ses examens la semaine précédente. C’est comme s’il était déjà en vacances. Il pourrait rentrer, profiter de sa famille. Mais il a pris ses tickets de train pour un peu plus tard. Noël, il a prévu de le faire dans son bar gay préféré, avec Hikaru Ito, sa famille de substitution. Hikaru, c’est la personne qui lui a fait découvrir le Drag. Il lui a tout appris. Du maquillage, aux perruques, en passant par les talons. Nobu n’avait pas mieux à faire. Il ira à Ine retrouver ses parents et son frère pour fêter la nouvelle année.

Hiraku et Nobu ont vu grand pour cette année. Noël sera mémorable ! C’est la quatrième fois seulement que Nobu sera complètement costumé lors d’une soirée du bar gay. Parfois, il se maquille mais garde des vêtements masculins. Ils ont tout prévu ensemble : les chaussures rouges, les collants façon “sucre-de-canne”, la robe de mère noël, et la jolie perruque blanche. C’est Hiraku qui garde ces accessoires, ici, Nobu n’ose guère conserver son matériel de Drag Queen.

Sauf, le maquillage.

Quelques palettes de couleur, des bouteilles de fond de teint, et des faux cils. Tout ça, caché sous le lit de Nobu, dans une boîte opaque. Nobu a rencontré son colocataire pendant le mois de septembre. Il est sympa, Himuro. Les deux ne causent pas souvent ensemble, mais sont très cordiaux. C’est parfait. Nobu craignait de tomber sur une personne extravertie, ou bruyante. Néanmoins, le souci lorsqu’on ne discute que très rarement, c’est qu’il est difficile d’imaginer les idéaux de son colocataire. L’étudiant en littérature ne sait pas du tout si Himuro est homophobe. Alors, après de mauvaises expériences dans sa précédente université, il préfère ne pas faire de vague et de tout garder caché.

Mais ce soir, il s’est précipité. Après avoir fait un test maquillage, en profitant de l’absence d’Himuro, il a oublié une palette et un tube de rouge à lèvres sur son bureau. Les deux objets, bien en évidence, sont complètement sortis de la tête de Nobu, qui, allongé sur son lit, et un livre ouvert dans les mains, salue son colocataire lorsqu’il rentre dans la chambre :

«  Hey, t’as passé une bonne journée ? »

Le colocataire a l’air fatigué, lassé, exténué. Nobu le décrit des yeux. Il a complètement lâché son roman, posé sur le lit à côté de lui. Il le reprendra plus tard. Il ne reste plus que quelques chapitres, et il aimerait bien les terminer avant la nuit.

« Ouais, ça va. »

Nobu, comme son colocataire, n’est pas très bavard. Il n’est pas du genre à détailler les activités de la journée. Un “ouais, ça va”, assez évident. De toute manière, même s’il n’allait pas bien, il ne le dirait pas. Il sait gérer ses émotions tout seul, comme un grand. Il n’a besoin de personne pour éponger ses larmes.

« Il te reste encore beaucoup d’exams ? »

Himuro a raison. Le boulot, ça draine. Heureusement pour Nobu, il n’a que deux matières, donc seulement deux examens. L’étudiant en sciences est peut-être un peu plus bosseur, donc un peu plus crevé. Nobu ne regrette vraiment pas les années lycée. Bachoter, ce n’est pas ce qu’il préfère. Il a toujours bossé, pour obtenir des résultats satisfaisants, et rendre ses parents fiers, mais il est bien plus satisfait aujourd’hui. Il travaille uniquement sur des sujets qui lui plaisent. C’est bien moins pénible.

La discussion pourrait s’arrêter là. Himuro retourner à ses études, et Nobu à son bouquin. La main sur la tranche, l’étudiant en littérature était prêt à glisser de nouveau dans sa littérature et laisser son colocataire tranquille.

Jusqu’à son “heu”.

« “Heu”, quoi ? »

Le ton de Nobu n’est pas agressif, mais assez froid. Il aime quand on va droit au but.

Nobu respecte la force de travail d’Himuro. Lui, il ne pourrait jamais, donner autant de temps pour l’école. Et pourtant, s’il est à l’Université c’est bien grâce à ses parents. Ou à cause de. Il ne saura certainement jamais le déterminer. Malheureusement, Nobu n’a pas choisi d’étudier. Donc, quitte à ne pas choisir, faire ce qui plaît ! Littérature, anglais. Et c’est tout. Parfois, il louche sur les cours de sociologie, mais maintenant que l’année est presque achevée, ça ne vaut pas le coup. Pas question de se retaper une année pour de la sociologie ! S’il a besoin d’étudier, il le fera dans son coin, ou dans la bibliothèque, c’est bien suffisant.

« Tu as raison, je devrais peut-être penser à ça, moi aussi. »

Mais il ne le fera pas. En fait, Nobu a bien du mal à s’imaginer le futur. Himuro, il est en sciences, en médecine, il a un chemin tout tracé vers le futur. Nobu n’est pas certain du chemin qu’il compte emprunter. Il aime le journalisme, et se donne beaucoup au club depuis qu’il s’est inscrit. Mais il a l’impression que c’est dur, beaucoup trop dur, pour sa plume. Il est plutôt fiction, et a du mal à rendre le réel perceptible sans y ajouter un peu d’artifices.

La palette sur le bureau. La palette sur le bureau, Nobu l’avait oubliée. Alors, quand Himuro en parle, il se bloque. Il aimerait ne pas se braquer, et être chaleureux. Il n’y a rien de pire que de se braquer, dans ce genre de situation. On donne l’air d’être coupable ! Il essaie de jouer la comédie : « Ahaha, tu m’as cramé. » Nobu ne traîne avec personne. Per-sonne. Surtout pas de jolies filles. Mais tant qu’à faire, autant utiliser cette excuse, elle est toute trouvée. « Je suis désolé, je sais que c’est pas sympa de ma part, mais j’ai profité de ton absence la dernière fois pour ramener une fille. » Il hausse les épaules, il espère être crédible, mais sa voix tremble un peu, et son discours est un peu trop forcé. Il ferme son livre, et se lève, pour se rapprocher du bureau et ranger la palette, et le rouge-à-lèvres. «  J’vais le lui rendre la prochaine fois que je la verrai. »

Et maintenant, faites qu’il ne demande pas de détails sur la fille.

Oh eh merde. C’est comment une fille ? A quoi ça ressemble ? Qu’est-ce que ça aime ? Nobu se sent tout con. C’était quand, déjà, qu’il a regardé une fille ? Genre vraiment regardé ? En se disant qu’il pourrait peut-être essayer de faire comme tout le monde. Il ne s’en souvient plus. Peu social, quand il était au lycée, il n’a pas vraiment d’amies à montrer. Quoi, que, il y a bien une fille qu’il a croisé sur le campus…

« C’est une petite blonde, un peu le genre fâchée contre le monde. »

Il le dit avec un petit sourire. Le genre de sourire de connard, qui voudrait sous-entendre “je l’ai pécho”. Sauf que la petite blonde, fâchée contre le monde, n'est pas le genre à vouloir de lui. Il le sait, ils se sont croisés dans un bar gay.

« On s’est juste croisés comme ça, dans un bar. »

Ce n’est pas un mensonge, juste une omission. Pas besoin de définir le genre d’établissement, ni son accoutrement.

« Donc j’en sais rien pour ses potes, désolé. » Par contre, Nobu prend l’information de la rupture, et essaie de changer de sujet à son avantage : « C’est quoi ton type de meuf ? On sait jamais, que j’en croise des sympas à ton goût, on pourra organiser un double date avec une de ses copines. »

Nobu espère sincèrement que ça n’arrivera jamais. Un double date. Avec des filles ?!

Nobu aimerait faire mine d’être déçu, mais il ne s’essaie même pas à cette feinte. Trop en faire, c’est cramé, n’est-ce pas ? Il n’y a rien de pire qu’un mauvais acteur. Alors, il préfère rester le plus neutre possible et hoche la tête.

Il ne dit pas dommage. Et puis il n’appuie pas sur le double date. A vrai dire, cette situation lui va très bien. Il aurait été dans une bien mauvaise situation si Himuro avait été plus curieux et désirant de rencontrer sa demoiselle.

Et voilà qu’il se serait retrouvé attablé avec la première Drag Queen du coin. Une femme est une femme ? Non ?

Nobu l’écoute attentivement à son histoire. Il lui doit bien ça. Et puis il a l’impression que son colocataire a envie de lâcher tout ce qu’il a sur le cœur. Peut être que c’est à ça que sert l’amitié. Mais Nobu n’y croit pas vraiment. Il est mieux tout seul.

« J’suis vraiment désolé pour toi, mec. »

Qu’il lui dit quand même, avec un air poli. Il est compatissant, mais il a pas envie de prendre son colocataire en pitié. Il a l’impression que ce serait pire. Himuro n’a certainement pas envie de ça. Et même si Nobu ne sait pas bien pourquoi il lui a fait cette confidence, il veut respecter sa fierté.

Après cette courte discussion, les mots s’arrêtèrent assez vite. Finalement, Nobu est content que la conversation s’arrête là. Il se permet de retourner à son livre, de tourner les pages, et de rencontrer bien confortablement dans son récit, jusqu’à la fin de la soirée.