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Illy
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Illy

Epreuve 6 : Illy [Lacrimosa] Empty Epreuve 6 : Illy [Lacrimosa]

Dim 16 Oct 2022 - 14:53
Illy [Cyr]

Cyr:

Introduction

Sa table est un capharnaüm. Trois feutres de bleus différents roulent distraitement entre des stylos, une fiole d’encre turquoise et un pinceau. Un pastel emballé à l’arrache dépasse de sa trousse, avec une poignée de tubes de gouache. Cyr plante sa plume dans ses cheveux pour les retenir – plus ou moins – ouvre le sujet.

« Discuter, est-ce renoncer à la violence ? » lui demande l’intitulé. Il se fige.

- Oui, souffle le rêve en lui.
- Non, objecte le traumatisme trahi en lui.
- Peut-être, fait la part de lui dont on a fait un compromis.



I. « La violence commence là où la parole s’arrête » - Marek Halter


Si « la violence est ce qui ne parle pas » (Gilles Deleuze) alors, par la réciproque, ce qui parle ne serait pas violence. On distingue ainsi le langage des armes et de la force à celui des mots : les pourparlers sont distincts de la guerre, la plume n’est jamais épée - sauf lorsqu’elle est plume d’un ange, peut-être.

A. Le Léviathan ou le renoncement de la violence pour une société de discussion

Avec le Léviathan, Hobbes théorise un renoncement d’un Homme par nature violent en faveur de la construction de la société.
Paradoxalement, le Léviathan étatique d’Hobbes est à la fois violence en puissance et promesse de protection : dans son ombre, il est possible – et uniquement possible, sous peine de sanctions – de discuter. En abdiquant son droit à la violence, l’Homme cesse d’être un loup pour l’Homme et devient humain.
La parole, individuelle ou portée par le juge et les institutions, devient norme sociétale grâce au renoncement collectif à la violence.

B. La polis grecque, idéal de la parole sur la violence

Exemple et fondement démocratique – le mot est vieux comme un rêve poussiéreux, pour lui qui est né après que toutes les sociétés se soient écroulées –, la cité grecque donne la parole à tous ses citoyens. La loi du plus fort recule au profit d’une loi du collectif. La cité se construit littéralement autour de la parole de ses citoyens : l’agora où chacun peut prendre la parole est le cœur de la ville, qui elle-même n’existe que par son peuple. Ainsi, Athènes n’est pas Athènes, en grec : elle est la cité des Athéniens.

C. J’entends les Séraphins et soudain, je pourrais croire à la paix

Il regarde le sous-titre écrit sur son brouillon. La sous-partie est remplie de tout ce qu’il arrive à dessiner mais pas à dire : le sourire doux d’un ange penché vers le spectateur, auréolé d’or et d’un bleu qui lui évoque la liberté, les six ailes de ceux que Dieu envoie, avec des voix qui vous feraient croire à la paix. Tout autour, des plumes texturées au blanco volent et son auréole dessine les constellations nouvelles que son monde laisse voir, depuis qu’ils ont à nouveau un ciel – un vrai ciel, avec des planètes et des soleils qui ressemblent à un rêve devenu réalité.

Et la parole est certainement un renoncement à la violence sur les lèvres des Séraphins, mais il est le fils que l’on a ramené de force et il a perdu cette innocence il y a longtemps. Alors il raye le sous-titre et poursuit d’une plume qui ne tremble qu’un peu :


Pourtant « tout pouvoir est violence » (Gilles Lamer).


II. Renoncer à la violence, à quel prix ?


L’idée même de contrat social sous-entend un échange, un prix payé et reçu pour l’abdication de la violence. Or, s’il semble en théorie viable, ce contrat peut être en pratique trop cher payé, voire respecté seulement par un côté.

A. La paix, la paix à tout prix

« La paix, la paix à tout prix, nous clament tant de braves gens qui, en se conjoignant, aux lâches, aux amis des brutes et aux antisémites ordinaires peuvent s'ils n'y prennent garde, assurer le triomphe des forces du mal et de la régression. » Et avec ça, Alexandre Adler a tout dit. Certains renoncements sont des défaites, il le sait dans sa chair, d’une façon intime et terrible. La discussion est peut-être une forme de non-violence, mais elle ne protège pas toujours de la violence pour autant : parfois, elle renonce face à la violence et non à la violence.

B. La violence institutionnelle : une abdication unilatérale de la violence

La polis grecque est un idéal – mais un idéal qui ferme les yeux sur ses femmes, ses esclaves, ses étrangers. Une abdication de la violence décidée collectivement ne signifie pas que la collectivité dans son intégralité soit épargnée par la violence que la société peut elle-même générer. On pensera ainsi à la ségrégation – des personnes de couleur pré-Pandémonium, des Manticores après, par exemple, ou encore aux violences infligées à certaines populations marginalisées par les organes étatiques.

C. Mais il faut être deux pour discuter alors qu’être seul suffit pour supplier

Il expire, pâle comme une porcelaine sur le point de se briser. Sur sa plume, ses doigts tremblent et sèment des gouttes d’encre. Entre ses côtes, ses cauchemars et sa claustrophobie grattent aux barreaux de sa cage thoracique.

Il y a un présupposé terrible, dans l’idée charmante que l’on puisse renoncer à la violence pour avancer vers un idéal : il faut une violence à abdiquer. Et lui…
Lui est né entouré de Caduties dotés de pouvoirs destructeurs – avec un pouvoir inoffensif.
Lui a été ramené de force, quand il a fui la violence des siens – avec l’idéal pour seule armure.
Alors lui, il sait ce que ça fait, d’être celui qui supplie, derrière une porte fermée, quand la discussion vous est refusée et que vous n’avez pas de force à opposer.



III. Le verbe est violence.


Etymologiquement, « discuter » vient du latin « discutere », pour « abattre, fendre, briser » et il l’entend à chaque fois que sa famille demande, des intonations comme des lames sur leur langue, « est-ce que tu discutes mes ordres, Cyr ? ». Dans son origine même, la discussion donc est joute oratoire, violence sans force.

A. Les discours de haine

Au fil de l’histoire, nombreux ont été les orateurs à mettre la rhétorique au service de la violence. Ainsi, le racisme a toujours eu et a malheureusement encore des figures de proue qui prônent ouvertement l’asservissement des Manticores ou encouragent le lynchage des hybrides. Ces attitudes sont alors non seulement le préambule de violences mais peuvent constituer une violence à part entière.

B. Les violences verbales

Certains régimes d’avant la destruction du monde prévoyaient dans leurs textes de loi la condamnation des agressions parlées sous diverses formes : injures, harcèlement même sans contact physique, diffamation… La médecine comme la loi cimentent ainsi l’existence de ces violences verbales. Loin d’en être distincte, la parole peut devenir intrinsèquement un avatar de la violence.

C. Mon père parle comme une frappe chirurgicale.

Le surveillant le regarde bizarrement quand il renverse des tâches de gouache rouge sang sur ses feuilles – délibérément malgré ses doigts tremblants. Les blancs font des crocs et des yeux comme des tranchants de lame. En transparence, dessous, les mots se devinent, fébriles et triste :
Vous ne pourrez savoir qu’en l’entendant. Mon père parle comme une frappe chirurgicale. Il dit « je le fais pour ton bien, Cyr » et soudain, le Bien n’est qu’un mot qui perd sa majuscule, qu’une subjectivité jetée à terre. Un absolu qui aurait dû être beau et qu’on asservit.



Conclusion

Il a laissé des empreintes digitales de gouache plus ou moins volontaires un peu partout sur sa copie. Au-dessus de la deuxième partie, une tour de Babel penche, ses étages composés de calligrammes en plusieurs langages tanguant dangereusement. Massant ses poignets où 4 heures de dissertation et des années de réprobations ont laissé des douleurs invisibles, il conclut :

Discuter n’est pas toujours renoncer à la violence – et ce n’est jamais la certitude que la violence renonce à vous.
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