[L-6] L'inconvénient d'être plus rapide que la lumière est de devoir vivre dans les ténèbres

*Aucune extravagance ne peut surpasser l'extraordinaire, pourtant l'extraordinaire n'est rien sans extravagance.* pense Cassius, visiblement enchanté par une idée qu'il trouve bien audacieuse. Plutôt qu'une idée, il convient de préciser que son intention réfère mieux à farce et attrape. Ses pensées s'enveloppent de malice presque philosophique, tissée dans une fine vilenie. Son but est simple, choyer son colocataire d'attention dont il ne veut pas. Rejet sans véhémence ne saurait satisfaire contradiction et perversion.

Tout paré en beauté dans un uniforme propre et élégant, Cassius revient d'une certaine absence après un passage en ville, bouquet de fleur à la main. Un assemblage floral composé de roses pâles et de beaucoup de feuillage, signifiant bien des choses, dont celle qu'il ne masque pas : la déclaration. Ce bouquet a un aspect féérique et "timide", "doux", contrastant avec son destinataire vigoureux. Idéal pour confusionner un esprit sans affection.

Cassius se demande déjà quelle tête fera Itsuki mais il se refuse à l'imaginer, car il n'attend que de goûter au trouble que lui procurera ce cadeau.

De retour aux dortoirs, il se dirige jusqu'à leur chambre dans laquelle il entre après n'avoir frappé que très brièvement.

— Itsuki-kun, je suis revenu. dit-il sur un ton badin.

Son visage radieux déchante aussi vite que lui, dès qu'il s'aperçoit qu'une demoiselle est à l'intérieur de la pièce, et non pas son vert-pin ténébreux. Une fille qu'il est loin de ne pas reconnaître puisqu'il s'agit de la sœur d'Itsuki. Pendant un court instant, juste nécessaire à plisser légèrement les yeux à l'observation de la déception, Cassius semble songeur. Son expression se transforme doucement en faible sourire en coin, le regard alors oblique. Elle n'est pas là sans raison, cela n'échappe pas à Cassius, lequel entre alors car sa présence ne change pas son désir initial.

S'approchant de la jeune fille, il lui apporte ce magnifique bouquet de fleurs. De fait, il se sépare bien vite du bouquet qu'il lâche capricieusement à la nouvelle arrivante, puisqu'il plaque simplement le bouquet au plus près d'elle, de sorte à inciter à accepter cet égard.

— Un plaisir de pouvoir enfin te rencontrer. fait-il sans y accorder les sentiments. Il déclare ça presque à la va-vite, sans substance ni sincérité et le laisse bien savoir, à tel point que ça en est indécent au plus sensible. Mains derrière les dos il joint, la toisant de haut, sourire artificiel et distant.

Cassius lève les yeux et penche un peu la tête sur le côté avant de croiser les bras, l'air songeur et vague. Le bouquet ? Bien sûr qu'il n'était pas pour elle. Et le lui demander ne rend la chose que plus évidente, ce à quoi Cassius décide d'agir en bonne conscience et en bonne conséquence. Quelles étaient les chances pour qu'une charmante demoiselle doute d'un charmant bouquet offert par un charmant jeune homme ? *Les étoiles s'alignent on dirait.* pense-t-il ironiquement en se pinçant le coin des lèvres.

— Y a-t-il quelqu'un d'autre ici ?

*Non.* rhétorise Cassius, prenant Gabriella au ridicule pour plus bête qu'elle ne l'est. Le ton n'est pas agressif, il est au contraire très accommodant. Et la question n'est pas laissée au simple hasard, par la même, il cherche évidemment à préciser que le bouquet ne peut être qu'à une seule autre personne.

*Une petite peste, mais comme c'est touchant.* déplore-t-il sciemment dans sa tête. Cassius reste froid et silencieux en écoutant la demoiselle rejeter sa faveur ouvertement. Mais elle semble habile et très sûre d'elle dans cet apparat. Raison de plus pour Cassius de chercher à la briser dans son propre jeu. Alors qu'il parait totalement désintéressé, tandis qu'il entame des pas erratiques dans la pièce, il rétorque cependant.

— Ça alors... ! Je pensais que les gens normalement constitués acceptaient les fleurs qu'on leur offrait en cadeau de bienvenue mais je me suis peut-être trompé de tradition. déclare-t-il en haussant les épaules, exagérant son navrement. Par là, ses yeux sont écarquillés et sa mine presque décomposée.

Cassius s'arrête soudain. Il a alors le dos tourné à Gabriella, il fait donc volte-face doucement, la toise de nouveau et son visage change radicalement d'expression, s'en est troublant.

— Ça serait dommage de le jeter à la poubelle cela dit, fait-il en imitant les précédentes paroles insolentes de cette gamine. Sa mauvaise foi resplendit à travers son speech condescendant, derrière ses lèvres narquoises et ce regard dubitatif prenant de haut. — Tu peux l'offrir à quelqu'un d'autre si tu veux, ça ne me dérange pas. Si tu n'as pas d'idée...

Cassius reste vague exprès. Il s'approche doucement du bureau d'Itsuki, contre lequel il s'appuie sur les rebords, puis il tapote du doigt la surface de la table. Son choix de se poser là n'est pas hasardeux, c'est même de la provocation. Basique et subtile.

— ... je peux te conseiller. conclut-il à voix basse, pour extraire de la confidence surjouée. Un bien vil sourire se dresse et ses yeux se plissent légèrement sous tant de manigance.

Cette insolence qui naît de la méfiance est comme une maladie qui s'infiltre jusque dans les os, les pourrissant, puis distordant le comportement et, de fait, exposant une sorte d'invulnérabilité que l'esprit veut imposer au prix du bon sens. *L'affliction car elle est affligeante.* aime penser Cassius, témoin de cet effet.

Cette gamine effrontée en fait la bonne illustration. Elle a définitivement une dent contre lui. Chaque interaction devient plus virulente à chaque fois, Cassius sait quel plafond atteindra cette conversation. Il ne commente pas la partie où elle la ramène une fois de plus sous les paroles de pimbêche. Il balaie sa main en arrière par dessus son épaule, par renoncement à cet échange stérile. Il la laisse parler.

Alors qu'elle a le dos tourné vers son armoire, Cassius en profite pour s'approcher d'elle. Il plaque subitement sa main contre l'armoire, le bras tendu par-dessus sa colocataire, comme s'il la coinçait, sans la bloquer réellement toutefois, la toisant par l'occasion. Cassius dresse alors un étrange et faible sourire fermé, les yeux attendris d'amusement se plissant légèrement. Car il l'est. Et son visage devient aussi charmant que troublant dans une expression imprégnée de telle finesse.

— Pourtant je trouve que ce bouquet te va très bien. Tu es comme un petit bouton de rose. Adorable. dit-il sous une voix à l'augure de murmure angoissant.

*Ou déplorable.* nargue-t-il intérieurement.

Gabriella et son frère, Montoro, ne sont pas de la même fratrie pour rien. Toutefois, leur instinct de protection est différent. Gabriella a quelque peu le cran en trop, ce qui rend le statuquo bien plus délicat. Ce n'est donc pas pareil qu'avec ce cher Montoro, que l'opposition rend plus tacite et élégant. Avec Gabriella, ce n'est que le mépris face à une perspective décevante que Cassius pressent déjà.

*Petit rouge-gorge. Petit oiseau qui piaille beaucoup.* rectifie Cassius dans le fil de sa pensée. Sa hargne fait qu'il la trouve vraiment mignonne, finalement. Bien que cette mignonnerie soit déviante à souhait.

N'ayant aucun sérieux pour les avertissements piquants de la demoiselle, Cassius joue dans sa finesse.

— Ouh. Je dois commencer à m'inquiéter ou à m'écarter ?

Bon gentleman qu'il est, quand ça l'arrange, Il choisit malgré tout de ne pas coincer trop longtemps Gabriella. Il s'éloigne de quelques pas pour la libérer de cette situation. Il hausse les épaules, fier d'un air insolent sur son visage, en contrepartie de la question impertinente de la brune. Le doute n'est-il pas permis ? Cassius le permet.

— Ce que tu préfères, évidemment.

*L'affliction à son beau fixe.* pense Cassius tandis qu'il force un sourire poli, penchant la tête, dès que Gabriella lui évoque Itsuki. Jouer avec cette peste est amusant pour un temps, cependant la jeune fille n'en devient que plus agaçante et écervelée. Maintenant qu'il a obtenu le barème de la difficulté, il n'a plus qu'à faire ce qu'il désire aux dépens de cette ridicule fratrie qui vient s'opposer à lui. Les exigences de Gabriella sont aussitôt balayées par Cassius.

— Et maintenant le complexe de la diva. déplore-t-il ouvertement, suivi d'un lever d'yeux affligé, tout sourire effacé de son visage devenu inhospitalier.

Cassius reprend le bouquet débarrassé négligemment sur le bureau puis il réarrange doucement les fleurs ayant heurté la table.

— Il ne faudrait pas qu'on me diagnostique le daltonisme, ce serait terrible pour gagner ton cœur. commente-t-il de sarcasme, accentuant sur le terrible.

Il pose ensuite, et délibérément, le bouquet sur le bureau d'Itsuki.

La voilà qui se met à parler de règles. Cassius a envie de rire sous un sentiment qui n'a rien de pur, faute d'être vertueux. Et l'entendre demander ça sans réfléchir à l'usage de ses mots le laisse définitivement railleur. Pour lui, Gabriella est comme un petit chaton qui fait pipi en espérant marquer son territoire sur celui de grands fauves. Son visage le montre bien par son expression de mièvre navrement, très malsain.

— Il y en a un certain nombre mais puisqu'elles sont tacites, on ne peut pas vraiment en parler. C'est le principe. déploie-t-il tout méprisant.

La déclaration n'a rien d'honnête, elle démontre surtout de la bêtise que relève la question posée par une idiote. *À question conne, réponse conne.*

— Bien sûr, si tu as des suggestions tu peux les graver dans la pierre pour que ce soit explicite. encourage Cassius, bien qu'il ne soit toujours pas sincère, engageant plutôt la moquerie ouverte.

*Plus grande sera la chute.* se dit Cassius alors qu'il voit son bouquet être jeté dans la corbeille. Un geste qui ne le surprend guère venant d'une peste, malgré que cela n'en demeure pas moins pathétique et méprisable. Cassius soupire dans une lassitude qui accompagne son désarroi.

Ce qu'elle raconte est très intéressant car la pertinence atteint le fond zéro. Ce à quoi, Cassius a sa façon d'envoyer chier.

— Tu sais ce que j'aime chez toi ? demande-t-il avec un sourire en coin n'augurant rien de bon pour elle.

Il marque une courte pause avant de donner la réponse généreusement.

— Ton frère Itsuki Naito. accentue Cassius.

Un, pour la contredire, deux, pour asseoir sa détermination je-m'en-foutiste d'excellence.

Un inévitable mouvement d'yeux levés lui est arraché à l'écoute de paroles si mièvres. *Oh pitié, je vais pleurer.* se désabuse Cassius. Il se mord la lèvre inférieure pour se retenir de rire, cependant il laisse une expression de navrement sur son visage, sourire railleur en prime. Les propos qu'elle tient sont si niais qu'en dépit du pincement de lèvres, Cassius se met à pouffer.

— C'est trop mignon... traîne-t-il d'attendrissement factice.

Puisqu'elle lui dit clair-cristal ce qu'elle pense des intentions qu'il aurait, Cassius ne prend pas au sérieux sa déclaration. Il méprise ce sentiment familial qu'elle décrit bêtement, qu'il ne connait pas et ne reconnaît pas.

— Si mignon qu'il est normal de vouloir faire partie de cette petite famille, non ? déforme-t-il habilement. — Après tout, la famille s'agrandit, les oiseaux quittent le nid, etc, etc.. explique Cassius, certain que cette gamine saura où il veut en venir.

Les bonnes excuses, les bons prétextes, que se trouve cette gamine sont pathétiques. Ses paroles ont la fréquence d'une radio désuète, le son d'un vieux disque rayé, si niaises sont-elles qu'il espère pour elle qu'elle ne les pense pas. Sans quoi, un exorcisme de la mièvrerie est fortement recommandé. Son navrement se traduit par ce regard las, qu'il soulève à son encontre, le menton affaissé. Tandis qu'elle bavarde si fièrement, Cassius imite les mouvements de sa bouche en marrionnettant une guignole de sa main. C'est prouver à quel point il la prend au sérieux. Néanmoins, il l'écoute bel et bien, s'employant automatiquement à la contredire par sarcasme, qu'il transforme en des suggestions qui l'arrangent lui.

— Serait-ce une invitation pour m'inciter à essayer, très chère sœur ?