– « Aaaaah... Juillet. Juillet, juillet, juillet. », soupira-t-il en regardant vers le ciel, couché dans l'herbe, à l'ombre d'un arbre.

S'il y a bien un mois de l'année qu'il n'appréciait pas, c'était juillet. En soi, il n'avait rien fait de mal ce mois casé entre juin et août. C'est vrai : il n'en pouvait rien. De plus, ce n'était pas de sa faute si les hommes avaient décidé de partager l'année en mois et encore moins s'ils avaient eu l'idée de génie de faire en sorte que les grandes vacances commencent à ce moment précis ! Mais bon dieu, qu'est-ce que Ryuji détestait le mois de juillet.

Il ne s'y passe rien, en tout cas pour lui. Hormis des jobs d'été, les grandes vacances servaient d'énorme schisme dans son année scolaire, une période déprimante pendant laquelle ses amis partaient en voyage un peu partout au Japon si pas ailleurs, une période pendant laquelle sa mère était affreusement occupée, le condamnant à passer de longues journées en compagnie de sa soeur et de son père. 

Il sourit en coin en repensant à ces étés chez ses parents. L'eau avait coulé sous les ponts depuis, il était devenu adulte, avait entrepris une carrière enrichissante et avait même fini par se reconvertir dans l'enseignement. Et c'est bien ça le problème, cette année était la première où, de nouveau comme à l'époque, il allait connaître les affres de l'ennui de juillet... Mais de l'autre côté de la barrière ! En effet, les professeurs suivent peu ou prou le même rythme que celui des étudiants. S'il ne voulait pas mourir d'ennui pendant les six prochaines semaines, Ryuji devait absolument trouver une occupation.

*POF*

Alors qu'il réfléchissait aux jobs qu'il allait pouvoir faire cette année ou aux liens qu'il allait pouvoir tisser avec ses collègues, il fut sorti de sa gamberge par une grossière boulette de papier qui lui tomba sur le coin de la figure après avoir rebondi sur une poubelle voisine. Il se redressa, observa distraitement les alentours et finit par ouvrir la boulette, découvrant le début d'un croquis de paysage. Pas dégueulasse, clairement améliorable mais pas de quoi le froisser et le balancer aux ordures !

Il se releva, le papier en main. Il commença à scruter les points d'observation possibles dans le parc du campus, la main posée sur son front tel un marcheur voulant repérer l'horizon. Il remonta la piste hypothétique de cette boulette de papier et tomba sur une jeune femme, probablement étudiante, qui eut l'air gênée à son approche. 

– « C'est à vous ? » dit-il en se penchant vers elle, son visage caché dans l'ombre de son corps.

Vu de l'extérieur, cette situation pourrait paraître très anxiogène. Il espérait au fond ne pas la faire fuir. D'une, ce serait totalement con et de deux, cette rencontre représentait probablement sa seule interaction de la semaine, hormis ses obligations de professeurs – vous savez, dispense et surveillance d'examens...

– « Et alors ? » répéta-t-il en levant un sourcil.

Ryuji, pourtant pas si grand que ça, se trouvait devant une petite chose menue avec visiblement un caractère bien trempé. Vu l'endroit, c'était fort probable que ce petit bout de femme soit une étudiante, dommage car il aurait pu lui proposer d'aller boire un verre après ce genre d'incartade. Il les aime avec du caractère, comme son père avant lui au final. La partie pragmatique de son cerveau lui mit un taquet derrière le crâne pour le ramener à la réalité: jusqu'à preuve du contraire, c'était une étudiante et lui un prof, conduisons-nous comme tel. 

La petite chose se tenait debout devant lui, à vue de nez elle ne dépassait pas le mètre soixante, mais elle était assez grande pour la fixer droit dans les yeux et avec une certaine assurance. Encore un peu et ils auraient pu se retrouver front à front comme lors d'un duel d'égo. Si son adversaire n'avait pas été une fille, Ryuji aurait pu prendre cette posture et voir lequel des deux était le plus fort. Vu le contexte, ce n'est pas vers cet univers du multivers que nous nous dirigeons.

Il se redressa, passant sa main dans les cheveux et afficha un sourire fier, presque dédaigneux. Il n'allait décemment pas se laisser faire par une gamine, encore moins pendant le pire mois de l'année pour lui.

– « Je vais vous apprendre deux choses... », il prit profondément sa respiration avant de commencer son exposé : « Premièrement c'est très impoli de balancer des boulettes de papier sur les gens qui se reposent calmement dans un parc. Ensuite, c'est dommage parce qu'il n'était pas si mal ce croquis, enfin maintenant il est fichu parce que vous l'avez lâchement jeté vers l'oubli mais bon... »

Il lui tendit la feuille dépliée mais encore salement froissée, toujours avec cette posture de paon fier et droit comme un i.

Mais attendez, on dirait qu'elle a fini par descendre de ses grands chevaux la petite ! Incroyable. Même Ryuji ne l'aurait pas cru ni vu venir celle-là. Lorsqu'elle pointa le trou dans le dessin, il releva le second sourcil. En effet il était trouvé mais il n'y avait pas mort d'homme, pas de quoi le jeter. Il y a tellement de choses à faire avec un dessin, même troué. D'autant plus que celui-là était encore utile. Quant au trou, c'était une erreur d'impatience, plusieurs coups de gomme  trop insistants. Une erreur de débutant, même. 

Le saviez-vous ? Il existe une technique imparable pour gommer efficacement un dessin sans le froisser ni défoncer le support. Il suffit de poser son index et son majeur à plat sur la feuille et de gommer dans la surface entre ces deux doigts écartés. La pression et la tension des doigts exercées sur la feuille évitera qu'elle se plie et se froisse. C'était une astuce que sa mère lui avait apprise et qui marchait tout le temps. Enfin, dans les parfaites conditions de température, de pression et surtout sans prendre en compte la probable frustration et l'énervement du dessinateur bien évidemment.

Pendant qu'il repensait à son anecdote et alors qu'il se préparait à lui prodiguer, à son tour, ce conseil précieux, il l'a vit saisir la feuillet se diriger vers la poubelle la plus proche. Coupé net dans son élan, il ne se laissa cepednant pas désarçonner et, le plus naturellement possible, il partit prendre place sur le banc duquel elle s'était levée plus tôt, croisa sa jambe à l'horizontale sur l'autre et prit une pause décontractée, désinvolte, avant de l'interpeler.

– « Ok vas-y, balance ton dessin. Mais à la seule condition que tu le recommences et que tu me montres comment tu t'y prends. », annonça-t-il fièrement en s'adossant au banc. « Je parie que t'as pas les balls de le faire. »

Mais quel caractère de cochon, celle-là ! Elle lui rappela sa soeur, une vraie furie quand elle s'y met. Finalement le dessin finit au fond de la poubelle de l'oubli. Retour à la case départ... Ryuji l'observa revenir vers lui, crachant son fiel par petites doses à chaque fois qu'elle ouvrait la bouche. Il ignorait ce qui l'avait mise dans cet état mais la cocotte était bien chaude et risquait d'exploser sans prévenir au moment où il s'y attendrait le moins. Typiquement le genre de situation qui réveillait son côté taquin, manque de bol pour elle.

Pousser les gens à bout, même les inconnus, c'était un peu une passion chez le professeur de design. Des années d'entrainement avec sa soeur, sa mère et son père, perfectionnement de la technique en cours et maîtrise totale durant ses études supérieures. S'il n'était pas déjà ceinture noire, il s'en rapprochait déjà pas mal. Puisqu'ils n'étaient pas entre les quatre murs d'une salle de classe et surtout, sans témoins potentiels, il allait pouvoir profiter de l'occasion pour la titiller encore un peu. De toute façon elle finira par le remercier une fois son vase vidé, il en était sûr. Difficile voire impossible de dessiner efficacement avec un esprit embrumé par des fulminations, ce qui semblait être le cas de la jeune fille. Il déglutit au moment où elle vint se poser sur le banc, conscient qu'il allait dépasser les bornes et que ses tympans s'en souviendraient...

– « C'est dommage pour une jeune fille de s'énerver comme ça, surtout pour un dessin certes fade mais encore rattrapable... », dit-il en regardant la poubelle au loin avant de tourner la tête en sa direction et de poursuivre : « Surtout quand la dite jeune fille porte un parfum aussi doux que le tien. Pétales de roses ou je me trompe ? »

Et ça gomme, gomme, gomme ♫

Feat. Nissa Tanaka

20 juillet 2017

Et voilà, Ryuji avait atteint ce qu'il attendait et la fille avait fini par se lâcher un coup. Bon, ça n'a pas réellement eu l'effet escompté et elle s'était levée comme une furie avant de partir ; peut-être que la remarque sur le parfum était de trop. C'est même sûr et certain en fait, quel idiot celui-là ! S'il ne voulait pas se mettre à dos une étudiante et surtout mettre en péril sa réputation de jeune professeur il devait rattraper le coup, d'une manière ou d'une autre. Foutue distance sociale qu'il n'est pas capable de doser comme il le faudrait...

– « A-Attends ! », balbutie-il en se levant et en tendant une main désespérée en sa direction.

Il se mit à la suivre, en essayant d'avoir l'air le moins menaçant possible et surtout, ne pas avoir l'air d'un stalker ou je-ne-sais-quoi. En chemin il se tourne vers les quelques badauds qui ont assisté à la scène et se répand en excuses, leur signifiant qu'ils se méprennent sur tout ce qui venait de se passer devant lors yeux. Une fois à sa hauteur, chose assez facile vu sa petite taille et les longues jambes de Ryuji, il attire son attention et finit par cracher le morceau.

– « Hey, désolé, je voulais absolument pas paraître louche ou quoi... Ca va peut-être empirer mon cas mais je suis prof de design ici, ton dessin m'a interpelé et j'ai eu envie de te donner un coup de main comme on m'a aidé quand j'avais ton âge... On est en pleins exams en ce moment et ce serait con qu'une frustration t'empêche de produire de l'art. Franchement, je suis désolé... je m'y prends comme un pied. » souffle-t-il d'une traite, en particulier la partie sur son rôle au sein des lieux. Il sentait réellement que cette information allait creuser sa tombe.

Et ça gomme, gomme, gomme ♫

Feat. Nissa Tanaka

20 juillet 2017

... elle venait de s'arrêter net et de se courber en avant pour s'excuser platement, comme les japonais savent si bien le faire. Ce n'était pas la réaction que Ryuji attendait. Au mieux il l'avait imaginée moins sous pression mais toujours agacée, ses petits poings serrés au bout de ses petits bras tendus le long de son corps, peut-être le visage rougi de honte ou de colère ; mais absolument pas qu'elle prenne cette posture qui ne cadrait absolument pas avec le comportement qu'elle avait eu depuis leur rencontre. Il sourit légèrement, peut-être touché par ce changement soudain de caractère, bien que gêné de l'avoir mise dans cette position.

Oh mais ce n'est rien ! Enfin si, ça m'a profondément blessé et j'ignore si je parviendrai à m'en remettre mais je l'ai bien cherché., dit-il en secouant nonchalamment ses mains.

Il glissa ses mains dans ses poches à la recherche de son briquet et de ses cigarettes mais se figea sur-le-champ lorsqu'il se souvint qu'ils se trouvaient dans le parc du campus ; pas réellement le meilleur endroit pour s'en griller une, encore moins lorsqu'on représente le corps professoral d'une université plutôt prestigieuse dans le genre. Il avait esquivé de peu la mort prématurée de sa réputation, ce n'était pas pour griller tous ces efforts en commettant un nouvel impair. Il patientera jusqu'à la sortie ou bien sur la route vers son appartement. Il garda cependant les mains dans les poches, adoptant une posture plus décontractée et tranquille, avant de poursuivre.

Du coup, ma proposition de dessin a-t-elle plus de valeur maintenant ? Je ne veux absolument pas forcer, bien entendu ! C'est à toi de voir...

Et ça gomme, gomme, gomme ♫

Feat. Nissa Tanaka

20 juillet 2017

Le changement de comportement de cette fille, qui quelques minutes était une vraie furie qui aurait totalement pu enfoncer profondément son poing dans le visage de quiconque et désormais se conduisait avec énormément de respect et de honte, étonna grandement Ryuji. Des personnes changeantes il en avait croisées, il en connaissait et pire encore: il était souvent qualifié comme en était une également ! Il fit son maximum pour ne pas paraître trop décontenancé devant cette étudiante – il avait eu des doutes sur cette information mais avec l'attitude qu'elle venait d'observer le doute était quasi-nul. Il sortit les mains de ses poches.

Tu as le droit de me le dire si je suis lourd avec cette histoire de dessin, tu sais., dit-il en secouant les épaules, les bras levés [HRP: la "meh pause"]. On peut aussi opter pour une autre activité... En tout bien tout honneur évidemment, cela va sans dire. Malgré ma remarque sur le parfum, je suis loin d'être un pervers ou quoi que ce soit.

Une autre activité... il n'en avait aucune idée. C'était avant tout une façon pour le professeur de design de laisser un peu plus de mou à cette élève, histoire de laisser la pression descendre et de revenir à une situation neutre au pire, et plus favorable au mieux. Il n'attendait ni n'espérait pas en faire une amie, cela serait assez bizarre et probablement mal vu par les autorités académiques ; sans parler des parents de l'étudiante ! Il avait juste pas mal de temps libre en cette période d'épreuves trimestrielles juste avant les vacances et était resté sur sa faim, "scolairement parlant". S'il pouvait occuper son temps d'une part et apporter son aide à une étudiante d'autre part, ce serait d'une pierre deux coups ; joindre l'utile à l'agréable dans un sens. Reste à savoir si l'étudiante en question allait être réactive ou non.

Et ça gomme, gomme, gomme ♫

Feat. Nissa Tanaka

20 juillet 2017

"J'ai une idée !", dit-elle avant de faire signe à Ryuji de la suivre. En général ce genre de début de phrase impliquait le commencement d'une aventure, à la Tolkien avec Bilbo le Hobbit s'enrôlant dans une mission-suicide pour récupérer une antique cité naine et les trésors qu'elle contient. Le professeur ignorait si l'étudiante – dont il ignorait encore le nom d'ailleurs ! –, allait l'emmener dans ce genre d'aventure ou s'il s'agissait d'un traquenard vil et vicieux. Après tout avec les étudiants, on n'est jamais deux fois trop prudent.

Malgré tout, et surtout après leur rencontre pour le moins fracassante, il se prit au jeu et décida de la suivre. Il lui fit un sourire cordial lorsqu'elle se retourna pour s'assurer qu'il la suive, il trouva ça presque mignon en fin de compte. Ca lui rappelait vraiment les quelques escapades vécues avec sa soeur, qui ne devait pas être beaucoup plus âgée qu'elle d'ailleurs... et vu leur caractère respectif, elles pourraient même bien s'entendre ces deux-là. Il parvint à la rattraper et à marcher à sa hauteur lorsqu'elle se mit à faire la conversation.

Oh, moi ? Je suis arrivé au début de cette année scolaire, en avril du coup., dit-il en gardant cet air chaleureux et nonchalant à la fois. On peut dire que je suis un bébé prof, même si c'est clairement pas mon premier job, ahah.

Leur chemin les mena en-dehors des limites du campus, en direction d'un kombini où il lui était déjà arrivé de faire quelques emplettes avant et après les cours qu'il donnait, en général pour choper quelques snacks ou l'un ou l'autre rafraichissement, décidément utile en cette période. Bien souvent il regrettait de ne pas avoir de flasque pour dissimuler une bière bien fraiche, mais ce serait jouer avec le feu. Autant cela peut passer inaperçu dans une académie de seconde zone ou dans une école de village, comme l'une de celles où il était intervenu pour organiser des stages, autant dans un établissement de la même envergure que celui qu'il venait de rejoindre, cela ne passerait sûrement pas.

Oh bah je connais ! Figure-toi que leur glace pilée est inc-

Il n'eut pas le temps de finir sa phrase que l'étudiante était déjà au comptoir pour en commander deux, une pour elle et l'autre pour lui. Elle sembla quelque peu perdue face à l'éventail de parfums proposés. Il y avait quasi de tout, des goûts typiquement japonais à d'autres plus "occidentaux", comme ceux à base de cola, dont raffolait Ryuji. Récemment il s'était épris de glaces à l'eau goût café, un parfait compromis entre la saveur forte du café et le rafraîchissement de la glace. Une autre fois il avait tenté la glace à l'eau de mer, après avoir trouvé drôle qu'ils en fassent mention dans un jeu vidéo auquel il avait joué. Autant dire que l'expérience ne fut pas aussi incroyable que prévu !

Alors, tu as choisi ? J'hésite entre goût cola et café. S'ils proposaient les deux je sauterais dessus sans même réfléchir., dit-il en se rapprochant d'elle et du comptoir, plongeant sa main dans une barbe imaginaire.

Il réfléchit encore quelques instants au goût choisi avant de s'arrêter sur le goût café. Il n'en avait pas bu aujourd'hui, à cause des températures estivales qui lui montent facilement à la tête. Ingérer un café n'aurait rien arrangé du tout, bien au contraire. Il s'était rabattu sur du soda mais rien ne vaut l'arôme fort de grains de café torréfiés, une sorte de fétiche hérité de sa mère, grande amatrice de ce qu'elle appelait l'or noir. Il sourit en se rappelant de la fortune dépensée par ses parents dans l'acquisition d'une machine à café broyant les grains et dont le bruit sourd réveillait toute la maison, une sorte de signal qu'il était temps de commencer la journée. Il se souvint aussi de la tasse préférée de sa mère, qui indiquait subtilement le moment où il était opportun de lui parler : une jauge réactive à la chaleur changeait de couleur en fonction de celle-ci, et autour d'elle il y était inscrit "pas maintenant" ou "encore un peu", avant le fameux "ok vas-y". Sa soeur et lui l'avaient baptisée "la jauge de maman ours" car leur mère n'était pas très connue pour être avenante dès le matin, la faute à des nuits très courtes à retoucher des clichés.

Prends celui que tu veux, c'est moi qui t'invite., dit-il en sortant son portefeuille de la poche arrière de son jean.Je te dois bien ça après ce putain de quiproquo dans le parc, Mademoiselle... ?

Il devait au moins connaître son nom de famille, car si elle lui avait déjà divulgué, il ne s'en souvenait simplement pas, et ça deviendrait vite gênant de continuer à se parler sans s'identifier comme il se doit. Imaginez qu'ils finissent par se croiser à l'avenir lors d'un cours ou une activité du club de photo, bien qu'il n'ait aucun souvenir d'avoir déjà vu son visage dans aucune de ces activités.

Je vais en prendre un au café au final, et toi ?, demanda-t-il, toujours souriant.

Et ça gomme, gomme, gomme ♫

Feat. Nissa Tanaka

20 juillet 2017

Pendant qu'ils discutaient, l'employé avait servi les deux pots de glace pilée. Le professeur de design prit celui de l'élève et le lui donna, avant d'emporter le sien et de laisser de quoi payer les deux rafraîchissements, en niant totalement les probables plaintes de Nissa. Il la poussa gentiment vers la sortie du kombini sans attendre qu'elle ne réplique. Une fois dehors il prit une gorgée de ses glaçons au café et manqua de se geler le lobe frontal.

Moi c'est Ryūji Yamashiro, enchanté ! Et donc... avant de finir ici j'ai été animateur dans un studio d'animation, j'ai été directeur artistique, intervenant pour des ateliers créatifs dans des écoles, ..., énuméra-t-il en se tenant le front, en grimaçant un peu.T'en fais pas pour la glace, Tanaka, c'est pour me faire pardonner pour tout-à-l'heure. Au pire tu me glisseras une cannette de café à la prochaine occasion, promis je ne prendrai pas ça comme tentative de soudoiement !, ajouta-t-il en riant, imaginant la scène.

Remarque, une simple cannette ne suffirait pas à lui faire faire remonter une note à l'un de ses cours... une pâtisserie par contre, lui-même n'était pas certain de pouvoir résister à la tentation. C'est que Ryuji a la dent douce, comme ils disent, alors une sucrerie aurait totalement le pouvoir de le faire changer d'avis sur quasi n'importe quel sujet, en particulier quelque chose d'origine française, lui qui avait pu goûter les desserts de chez sa maman, sans jamais n'avoir eu l'occasion d'y aller même pour un court séjour, un souci de visa et surtout de famille française assez peu encline à un mariage mixte de l'autre côté du monde.

Tu aimes le lycée ?, demanda-t-il en l'observant du coin de l'oeil. Tu sais déjà ce que tu feras après ça ?

Et ça gomme, gomme, gomme ♫

Feat. Nissa Tanaka

20 juillet 2017

Il marqua une pause lorsqu'elle lui demanda dans quel studio il avait précédemment travaillé. Il pourrait tout lui dire mais cela n'arrangerait absolument pas la réputation qu'il s'était faite avec cette jeune étudiante : en effet, avouer que l'un de ses premiers emplois consistait à être animateur clé dans un studio d'animation pour adultes, il y aurait de quoi provoquer la panique chez n'importe quelle étudiante normalement constituée... ou bien l'admiration chez certaines d'entre elles, mais autant chercher une aiguille rouillée dans une tonne de foin.

Oh... j'ai surtout fait de la sous-traitance en freelance, tu sais, des petits studios, assez peu connus au final., souffla-t-il entre deux gorgées, en tentant d'esquiver le sujet. Mon boulot de D.A. était plus passionnant ! J'ai papillonné un peu partout mais jamais loin du dessin. J'ai bossé un peu dans la mode, encore un peu dans l'animation, j'ai travaillé dans le privé avec des marques, dans le public avec des municipalités, chez moi à Okinawa, ...

Il énumérait ses précédentes expériences entre deux gorgées, en comptant sur les doigts de sa main libre, changeant de temps en temps le gobelet de place pour éviter de se geler la main. L'écart de température entre ce délicieux café glacé et l'atmosphère extérieur était trop grand. Il recentra sa concentration sur Nissa lorsqu'elle finit par répondre à ses questions à lui. Il n'était pas rare de ne pas savoir où on allait aller, il se souvint que lui-même à l'époque était un peu perdu, d'où cette année sabbatique qui lui permit d'amasser de l'argent tout en prenant le temps de bien peser le pour et le contre de chaque avenir se traçant potentiellement devant lui. Il aurait pu suivre un cursus en biologie, s'engager à l'armée comme son père ou encore devenir ingénieur au final.

Pas de pression, tu sais. A ton âge j'ai carrément décidé d'aller travailler pendant une année pour prendre mon temps et gagner des sous. Et au final ça m'a servi... les Beaux Arts ça coûte cher.

Et ça gomme, gomme, gomme ♫

Feat. Nissa Tanaka

20 juillet 2017

Ah... Les parents... Si elle s'imaginait que les négociations de son année sabbatique s'étaient passées dans accroc, elle se mettait le doigt dans l'oeil jusqu'au coude, malheureusement. Lorsqu'elle évoqua la pression familiale qu'elle semblait subir, il se remémora ses propres pérégrinations de l'époque.

Il se souvint des longues discussions avec son père, souvent musclées, où le ton montait bien souvent. Il se rappela des assiettes qui volaient, des empoignades... Enfin, ce n'était qu'au début. Après qu'il eut présenté l'équivalent d'un business plan bien rodé, son paternel finit par lâcher prise et le laisser faire ce qu'il souhaitait au fond.

Pression familiale, hein ? Tu sais, on s'est littéralement battus avec mon père quand j'ai annoncé que je ne voulais pas suivre ses traces. Un délire., dit-il en avalant une autre gorgée de sa glace pilée, le regard un peu dans le vide.

La pression familiale c'est ce qu'il y a de pire quand on veut entreprendre des études. Le pire au fond, c'est qu'ils ne pensent bien souvent pas à mal et qu'ils veulent surtout le meilleur pour leurs enfants, et Ryūji était certain que c'était également la même chose pour les parents de Nissa. Sentant le malaise se poindre, il opta pour un changement de sujet.

Et à part froisser des dessins, tu as des passions ? Tu fais partie d'un club ou tu fais un sport ?

Et ça gomme, gomme, gomme ♫

Feat. Nissa Tanaka

20 juillet 2017

Opération changement de sujet : succès ! Au final, ça l'arrangeait aussi. Même si l'eau avait coulé sous les ponts et que ses deux parents étaient désormais ravis et heureux, il préférait ne pas trop trop ressasser le passé ; il avait déjà trop vécu dans le passé et pas assez dans le présent et vers le futur.

Il avala encore une gorgée de glace et sourit comme un benêt, le café avait fini par faire effet et coulait dans son sang. Enfin ! Ce petit shoot glacé allait pouvoir lui permettre de tenir le reste de la journée, tout en le soulageant des températures estivales. Il avait déjà peur pour le mois d'août, il espérait au fond de lui que les températures seraient plus clémentes... Mais bon, au fond il savait pertinemment qu'il allait encore se faire avoir. Pendant ce temps, la petite s'était vaguement livrée sur ses passions. Le club de karaté... forcément ! Il se rendit compte qu'il avait bien fait de désamorcer la situation, il aurait pu finir avec un coup très bien placé et se retrouver à l'infirmerie ou pire : à l'hôpital !

J'adore Internet. J'ai grandi avec après tout, je me souviens encore des vieux modems pourris et du bruit infernal qu'ils faisaient quand tu décrochais le téléphone en surfant..., dit-il en riant, avant d'enchainer : Le club de karaté ça ne m'étonne pas du tout, du peu que je te connaisse !

Il aurait pu déballer toutes ses passions mais ce n'était pas le sujet, puis de toute façon ce n'était pas comme s'ils allaient débuter une grande relation de franche amitié non plus, ils restaient professeur et étudiante, même s'ils ne partageaient pas de classe a proprement parler. Ryūji ignorait si ce genre de rapprochement, même en tout bien tout honneur, serait bien vu par la direction, après tout il n'était la que depuis quelques mois seulement.

Je suis référent du club de photographie, figure-toi !, annonça-t-il très fier. J'avais eu envie de m'occuper de celui d'arts plastiques mais la place était déjà prise malheureusement...

Et ça gomme, gomme, gomme ♫

Feat. Nissa Tanaka

20 juillet 2017

Il se retint de rire trop intensément en entendant le bruit infernal des débuts d'Internet, trop de mauvais souvenirs de sa mère lui hurlant d'arrêter d'utiliser l'ordinateur ; ensuite il se plia aux questions pour y répondre, après tout il lui devait bien ça. Il serra les fesses au moment d'expliquer les raisons pour lesquelles il voyait bien Nissa dans le club de karaté.

Comment dire... Tu as l'air plutôt sportive, tu fais de belles enjambées pour quelqu'un de ta taille et j'ai ressenti une sorte d'énergie autour de toi quand je t'ai adressé la parole. Je me suis dit "cette fille, elle peut casser des bouches.", dit-il en finissant pour de vrai sa glace pilée.

Il se dirigea naturellement vers la poubelle la plus proche pour jeter le gobelet, il en profita pour regarder l'heure sur son téléphone et surveiller si le moindre message lui était parvenu. Sans surprise, aucune nouvelle de personne, ni de ses parents, ni de sa soeur, ni de n'importe quelle prétendante. Bon, après tout, il n'avait aucune prétendante en réalité. Pourquoi attendre ce qui ne viendra jamais ? Il grommela en fourrant ses mains dans ses poches, enserrant son briquet entre ses doigts, puis revint à hauteur de Nissa.

Sugimoto, Sugimoto... Ca me dit quelque chose, mais je t'avoue que je me contente surtout d'ouvrir le local, de fermer le local, de vérifier si aucun sale gosse n'a piqué de matos, c'est qu'il y en a pour une fortune là-dedans. Ca m'emmerderait qu'on me fasse rembourser le matériel endommagé ou manquant..., souffla-t-il, maussade.

Il ne s'était pas spécialement plus investi que ça dans la vie du club, il s'était limité à ce qu'il venait de livrer à l'étudiante. Il allait changer ça une fois le deuxième trimestre lancé. Il avait de grands projets, comme une expo photo, des shootings, des sorties culturelles si le budget de l'école le permettait, mais il en doutait: ils avaient mis le paquet pour rendre les accès plus praticables pour les PMR, il ne devait plus rester grand-chose pour les loisirs. S'il allait devoir mettre de sa poche, il s'y plierait si la sortie en valait le coup, tout dépendrait de la motivation des étudiants.

Le sujet du web semblait l'intéresser grandement... mais au fond, que fait un homme d'une trentaine d'années sur Internet ? Enormément de choses, plus de la moitié étant tout-à-fait saine, l'autre, n'en parlons pas. Jouer au casino en ligne n'est absolument pas une activité dont on est fier, encore plus en tant que professeur d'université et encore pire quand l'on s'est déjà forgé une réputation pas très glorieuse en quelques temps...

Essentiellement des recherches, je regarde ce qui est tendance, ce qui se fait en matière de mode, de graphisme, de design, je me tape plusieurs épisodes de séries et d'anime, des tutos de cuisine aussi, ..., énuméra-t-il avant de se pencher légèrement vers elle, en collant sa main tendue contre sa bouche comme pour lui confier un secret : Il m'arrive aussi de passer des soirées, voire des nuits, sur les jeux en ligne mais chuuuuut...

Et ça gomme, gomme, gomme ♫

Feat. Nissa Tanaka

20 juillet 2017

Sa justification sur son club avait fait mouche, c'était un peu l'effet recherché. Il pouffa aussi de rire après sa tentative d'intimidation, il la trouvait très cute cette Nissa, elle lui rappelait décidément de plus en plus sa soeur ; l'air de tsundere en moins. Depuis son arrivée il l'avait déjà imaginée en train de déambuler dans les couloirs, à le poursuivre en lui lançant des surnoms gênants ou en jouant trop le jeu de l'étudiante modèle. La connaissant, en plus, elle serait capable de prendre le cours de design ou de rejoindre le club de photo rien que pour l'emmerder et lui taper l'affiche. Sacrée Futaba...

Nissa eut l'air désolée pour lui lorsqu'il parla du club de photo, c'est vrai que sa description n'était pas à son avantage et qu'il avait plutôt l'air d'un gardien des clés que d'un vrai référent. Pourtant il avait essayé de le redynamiser mais c'était un club qui fonctionnait assez bien en roue libre, les membres étaient tous de gentils gamins responsables et passionnés, c'était tout ce qui comptait au fond. Il prit sa question comme une ouverture pour lui parler de ses projets, peut-être que ses liens avec des membres pourraient l'aider dans sa démarche ?

C'est en projet ! J'aimerais proposer à Mlle Kawaguchi la prof de cinéma d'intervenir et nous apporter un peu d'assistance sur le côté prises de vue. Au final je gère pas mal le côté post-production, mais je n'ai pas ses connaissances à elle. Elle serait parfaite comme intervenante, non ?, dit-il avec un ton enjoué, comme si le Feu Sacré l'habitait subitement.

Peut-être que c'était la solution à ses soucis avec ce club ? Cela attendra la rentrée de septembre de toute façon, peut-être aura-t-il l'occasion d'en toucher deux mots à sa collègue, entre deux cocktails ou deux attaques de photocopieuses... Il eut un frisson en repensant à cette scène, quel bordel sans nom. Lorsque Nissa l'imita pour lui parler du spot de libre dans leur équipe, il sursauta : jamais il ne s'attendait à ce genre de proposition venant d'une étudiante de son âge, il avait plutôt l'habitude du rejet de ses cadets, qui le traitaient comme on traite les boomers.

Figure-toi... que je n'ai jamais touché à Divinity. Voilà, c'est dit. Et je suis généralement un joueur plutôt solo, mais pourquoi pas ? Enfin, si ce n'est pas contraire au règlement, bien sûr.

Et ça gomme, gomme, gomme ♫

Feat. Nissa Tanaka

20 juillet 2017

S'il savait de quel club s'occupait sa collègue ? Bien-sûr : elle était référente du club d'arts plastiques, la place qu'il avait envisagé occuper lors de son arrivée ici. Alors en guise de réponse la plus logique à ce choix, il prit en charge le club de photo, qui se rapprochait beaucoup plus de sa spécialité à elle qu'à la sienne à lui, bien que des liens existent entre les disciplines bien évidemment.

J'ignore si elle serait disponible mais j'espère qu'elle le sera ! Nous verrons ça à la rentrée, elle a l'air d'être une femme active avec pas mal d'activités..., lui répondit-il, pensif.

Elle le sortit de sa gamberge en revenant à la charge sur son jeu. Certes il était joueur mais n'était guère intéressé par les jeux de rôles à l'occidentale, il était un fier défenseur du savoir-faire nippon et choisissait quasi-exclusivement d'octroyer du temps de cerveau disponible aux productions "locales": des JRPG aux dating sims et autres visual novels, tout y passait tant que l'histoire ou le gameplay étaient bons. C'était un joueur qui avait besoin de se sentir investi dans le récit et ressentir les personnages pour vraiment profiter d'un jeu, c'est pourquoi les jeux de tir ou de stratégie ne l'intéressaient guère.

Allez on tente le coup, si jamais on me frappe sur les doigts parce qu'on passe nos soirées en ligne, tu entendras tes oreilles siffler !, lança-t-il en récupérant le tag de Nissa et de rire en le lisant. Mais ça vient d'où "Nitraillette" ? C'est... original ! Si c'est un surnom la personne qui te l'a donné doit avoir beaucoup d'humour et être très créatif !