Évidemment, je me doute que cette première question n'est pas celle à laquelle je dois réellement répondre. Et puisque je me retrouve déjà à parler beaucoup trop (mais il n'est pas question que je perde si facilement !) je me contente seulement de hausser les épaules. Qu'est-ce que j'en sais de toute façon. Et puis ça risquerait de vite me gonfler cette façon de croire qu'elle me connait déjà. Non, je crois que notre relation actuelle est déjà située sur un fil tendu d'un bout à l'autre entre deux falaises, pas besoin d'ajouter de secousses supplémentaires pour risquer la chute brutale.

Et pour le coup, je suis assez satisfait de la voir boire en suivant. Bon, peut-être que du coup je suis un poil curieux. Mais c'est normal hein, n'allez pas imaginer un excès d'intérêt de ma part. D'ailleurs, je n'ai pas de difficulté à prendre sur moi pour ignorer ce léger titillement qui pointe en moi, se demandant l'espace d'une seconde ce qui peut bien la déranger autant. D'autant plus qu'une nouvelle question arrive assez rapidement. Et pour le coup.... Est-ce que son objectif secret n'était pas en fait de me faire parler le plus possible ? C'est à dire qu'elle aurait pu poser la question dans l'autre sens, ça aurait plus rapide.

- "Hum, j'aime pas... Qu'ils viennent se plaindre au moindre échec. Qu'ils se permettent de penser tout mieux savoir que tout le monde. Ou, à l’inverse, qu'ils se dévalorisent pour rien, comme s'ils cherchaient en réalité des encouragements sans oser les demander. J'aime pas qu'ils cachent ce qu'ils pensent vraiment derrière des belles paroles, prétextant des conventions préétablies qui leur donnent l'impression que ceux qui ne suivent pas ces standards hypocrites sont mal élevés. Qu'il faut constamment se demander s'ils sont honnêtes."

Je marque une pause, constatant que je me suis peut-être un peu trop emballé, parlant de plus en plus vite. Oui, il vaut mieux que je m'arrête là.

- "Enfin, tous ces trucs là en gros."

Comme quoi, il suffit juste d'être dans de bonnes conditions pour que j'arrive à me montrer sociable. Enfin, à peu près. Parce qu'on passe mine de rien un certain temps installés à ce bar, et après un léger temps de mise en jambe, les verres commencent à défiler de plus en plus vite. Jusqu'à ce que les premiers effets se fassent sentir. Je n'ai pourtant pas tant bu. Enfin, un peu quand même, mais je ne pensais pas commencer à faiblir si vite. Sûrement à cause de la journée de boulot juste avant.

Je ne comptais pourtant pas m'avouer vaincu si facilement. Sauf qu'à chaque nouveau verre, à chaque nouveau palier franchi, j'ai l'impression qu'Elizabeth est  toujours en bon état. Comment est-ce qu'elle fait ? Elle ne doit pourtant plus être clean non plus. De quoi m'agacer assez facilement. Et forcément, plus ça m'agace, moins j'ai envie de de répondre à ses questions. Et donc plus je bois. Bref, pas le bon plan.

- "Ok c'est bon ça m'gonfle, t'as gagné."

Oui, parce qu'au bout d'un moment, j'ai pas non plus envie de me retrouver complètement minable. Déjà parce que je n'avais absolument pas prévu de me prendre une caisse ce soir, que je n'ai pas envie de subir la gueule de bois demain matin (même si je sens quand même le mal de crâne près pour son rendez-vous), et on ne se connait pas, je préfère garder les dernières bribes de self control qu'il me reste. De toute façon, je dois bien admettre qu'elle parait en bien meilleur état que celui que je ressens, ça ne sert à rien de prolonger davantage.

Je sors de quoi payer les consos (et ça commence à chiffrer) avant de me relever. Parce que c'est déjà suffisamment frustrant d'admettre ma défaite, il n'est pas question que je reste ici plus longtemps.