18h.

Après être revenu du zoo avec Gaby, Monty décida d'aller prendre une douche avant le dîner. Il avait passé un bon moment avec sa petite sœur. Sa présence faisait remonter tellement de nostalgie et de sentiments à la fois. Il s'était doucement accoutumé à avoir sa cadette dans le coin, de la même façon qu'il s'acclimatait tout tranquillement à Itsuki, son demi-frère par alliance. Dans son rôle d'aîné, il avait l'instinct de se soucier de ses cadets plus que de lui-même, les deux occupaient souvent ses pensées quand il les avait près de lui — quoique aussi quand ce n'était justement pas le cas —. Seul, Montoro en arrivait à ressentir un vide immense tant son quotidien de fils unique avait changé. Il avait tout simplement perdu l'habitude d'avoir vraiment un moment pour lui. Sortant de la douche, il contempla le néant avant de se vêtir. Il ne savait pas quoi faire pour passer le temps. Il sortit se balader dans l'hôtel, il traînait dans un des halls de l'étage. Assis sur un sofa près d'une baie vitrée, il regardait la pluie tomber dehors, l'air pensif.

Perdu dans des pensées qui n'avaient pas vraiment racine, la douche qu'il avait prise juste avant le rendit presque somnolent, tant elle lui procura une sensation de réconfort après cette journée chargée. Il ne prêtait pas tout à fait attention à l'entourage, il eut un léger sursaut en entendant Mitsuki. Il la regarda et lui retourna un bref sourire poli et un petit hochement de la tête pour la saluer mais aussi acquiescer en même temps. Il s'écarta un peu plus dans les bords du sofa et tapota deux fois la place d'à côté pour inciter Mitsuki à venir s'y installer. Après quoi, il poursuivit la conversation lancée par son amie.

— Un peu fatigué par la marche.

Bien calé dans le fond du sofa, il avait le bras posé sur l'accoudoir et le poignet relevé vers sa joue. Il s'était légèrement tourné vers Mitsuki pour ne pas donner l'impression d'être fermé à la discussion. Ses pensées voilèrent pourtant son regard perdu, il cessa de regarder par la baie vitrée mais alors ses yeux contemplaient le vide. Il soupira alors, baissa les yeux encore plus bas, les perdant toujours plus dans le néant.

Il se massait le front, las de cet état d'âme vraiment enquiquinant. Et soudain, il parla un peu plus.

— Les journées sont mouvementées avec Gaby, il faut dire...

L'expression vague qu'il arborait sur le visage était néanmoins assez évidente, elle remplaça vite son sourire bienveillant par une incertitude marquée.

Malgré lui, Montoro ignora un peu la question de Mitsuki. Ou plutôt, il donna l'impression de pas écouter, de ne pas avoir entendu. Il regardait dans le vide avant de tourner tout doucement la tête, puis les yeux vers son amie. Il avait des choses sur le cœur à dire mais ce n'était pas facile d'exprimer ces sentiments avec des mots. Il entrouvrit la bouche mais était arrêté par l'incertitude. Il prit son courage pour trouver comment parler de ça à Mitsuki. Ils étaient amis mais devait-elle vraiment être embêtée par ses problèmes ? Il avait envie de lui faire confiance. Elle semblait vraiment inquiète à son sujet. Il ne voulait pas lui faire de peine. Il tenta le coup. Il n'avait rien à perdre. Elle semblait bien s'entendre à Gabriella après tout. Il finit par en conclure que peut-être, elle pourrait comprendre.

— Tu sais, la vie de famille, c'est pas si évident que ça pour moi.

Il était un peu embarrassé cependant il se laissa porter par les mots qui lui vinrent. Montoro regardait Mitsuki dans les yeux mais son expression arborait une émotion qu'il n'avait jamais montré à son amie auparavant. La vulnérabilité. Un sourire maladroit, timide avec un regard lointain, nostalgique. Il poursuivit.

— J'ai pas toujours vécu avec Gabriella. Je vivais avec mon père et elle avec ma mère. On se voyait assez souvent mais on a passé pas mal de temps éloignés, au final. C'est ma sœur. Je la connais. Et elle me connait. On est une team. Mais...

Sa voix trembla un peu. Il détourna le regard, regarda le plafond et se passa la langue sur les dents. Il semblait avoir beaucoup de mal à dire la suite. Il cherchait la bonne tournure de mots.

— "Avant", ça suffisait. Maintenant, je crois... que je dois faire plus. Et... je sais pas si...

« Si je suis à la hauteur ». Rattrapé par la honte, il se pencha en avant et passa ses mains sur son visage, en soupirant, incapable d'en dire plus. Se grattant le front, il remballa finalement.

— Enfin, c'est rien, oublie. C'est stupide.

Se mordillant la lèvre inférieure, la main plaquée contre son front, il ferma les yeux et abaissa le visage, presque honteux de se laisser emporter de la sorte. Les mots encourageants de Mitsuki débordaient d'une amitié honorable et adorable cependant ils arrachaient à Monty ce sentiment terrible d'être vulnérable. Il ignorait d'où cette faiblesse pouvait lui venir. Cette semaine remplie l'avait sûrement éreinté au point de le rendre sensible au sujet de sa fratrie.

Montoro ne répondit pas à la question de Mitsuki. Il n'en avait pas la réponse, tout simplement. Il chercha alors à reformuler ce qu'il ressentait à propos de tout ça. Ce n'était pas facile, le tourment s'emparait de lui et chaque moment d'hésitation paraissait insoutenable.

— Je me demande si Gaby me voit toujours comme le même frère qu'elle avait l'habitude de rencontrer que quelques fois dans l'année. Je me demande si elle ne va pas penser que nos moments étaient précieux parce qu'ils étaient...

« ... occasionnels ». Montoro n'osa pas le dire. C'était si cruel à prononcer. Car Montoro adorait Gabriella. Il était réellement content de pouvoir partager un quotidien avec sa cadette. Hélas, ce bonheur amenait un lot d'incertitudes.

Montoro ne s'attendait pas à ce que Mitsuki comprenne sa position. Lui-même avait un mal fou à comprendre l'origine de toutes ces inquiétudes. Ce n'était pas seulement parce que Gabriella avait emménagé au Japon. La présence d'Itsuki y était également pour beaucoup. En repensant à son frère, Montoro soupira de nouveau, les épaules tombantes. Il reprit la parole, tournant la tête pour lever les yeux sur Mitsuki. Il la regarda tristement.

— Et si ça changeait quelque chose entre nous ?

Montoro n'avait pas l'habitude d'être touché par Mitsuki, alors la petite tape de réconfort qu'elle lui fit le surprit un peu, cela dit il ne la repoussa pas — il fit simplement fixette dessus au moment où ça se produit —. Il prit en considération les paroles de son amie. Certes, il devait admettre qu'il pouvait aussi réfléchir dans le sens inverse, cependant Gabriella était si précieuse à ses yeux qu'il ne pouvait pas se résoudre à omettre le moindre "risque". L'importance des risques était ce qui la différenciait d'autres personnes. Car il savait d'emblée qu'il ne pourrait pas supporter de voir leur lien fraternel se dégrader. Il lui fallait tout envisager avec elle. Et le ressenti de Gabriella n'était pas le seul problème.

La sollicitude de Mitsuki ne suffit donc toujours pas.

Par un silence, Montoro afficha sa réserve profonde parce que son raisonnement, par extension, devint de plus en plus terrible à coucher par des mots, à cette amie qui l'écoutait et qui était — pour ainsi dire — dans les secrets de Gabriella puisqu'elle s'entendait déjà très bien avec elle. Néanmoins, après avoir pris une inspiration, il parla. Son regard ne put se poser sur Mitsuki cette fois-ci, il baissa même les yeux et tourna son visage à l'opposé d'elle, comme s'il ne voulait pas qu'elle voit ce qui pourrait transparaître à travers son expression faciale. Cependant, la baie vitrée pouvait le trahir, si Mitsuki avait l'idée d'y voir le reflet du garçon.

— Ça pourrait aussi être moi.

Montoro parla gravement, presque sèchement. Sa phrase porta alors le poids d'une pensée négative qui le terrifiait intérieurement. Il ne savait même pas si Mitsuki pouvait comprendre pourquoi il en arrivait à dire ça. À dire qu'il craignait — sans le révéler par des mots directs — que si ce n'était pas Gabriella qui pensait différemment de son frère, c'était alors peut-être lui qui pourrait se mettre à changer d'avis sur sa petite sœur. Alors qu'il l'adorait tant. C'était le paroxysme de son malaise.