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Junko Fushita
A l'université ; 3è année
Junko Fushita
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Junko Fushita

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Mer 24 Juil 2024 - 13:47

TW : Sang, mort, accident

June s’est endormie sur son épaule. Ils sont partis tôt ce matin de Tokyo, et dans le train, elle rattrape sa nuit. Son grand frère l’observe, il n’a pas vu le temps passer. Elles grandissent bien trop vite, faut dire. Il ressasse des souvenirs de quand elles étaient petites, les jumelles, quand il était encore là auprès d’elles.
Ça ne fait que quelques mois qu’il a quitté le petit appartement d’Arakawa, à Tokyo, finalement depuis son transfert mi-juin sur le campus de Kobe. Mais il sait que ça les a beaucoup marqué, les petites. Juniper lui en veut un peu de les avoir laissées, elle l’a boudé les premiers jours… Du moins jusqu’au tremblement de terre. Il sait qu’elle lui en veut encore, mais les tensions sont moins vives, elle commence à digérer le fait qu’il soit parti. Juniper ne comprend pas son choix et à vrai dire, Junko n’a rien trouvé à lui répondre. Il ne sait pas s’il a pris la bonne décision.

Il a quitté Tokyo pour retrouver Arizona Williams, ici. Mais ici, elle n’a pas voulu de lui. Pire encore, elle s’est jouée de lui. Un juste retour des choses après ce qu’il lui a fait, finalement. Mais peut-être que ça signe la fin de leur relation. Depuis qu’il a appris tout ce qu’elle a pu faire, à Kobe, en si peu de temps alors que lui se tuait à faire passer son dossier prioritaire pour un transfert, il ne veut plus vraiment lui parler. De son point de vue, elle s’est bien foutue de sa gueule depuis son arrivée à Kobe. Elle lui a soufflé un froid, puis du chaud, puis un froid. Junko en a marre. Le front posé contre la vitre, alors que le paysage défile sous un ciel grisonnant, il repense aux cinq ans qu’il a passés avec la syrienne.
Qu’il a été naïf de penser qu’en venant là, il pourrait tout réparer. Il s’est bien mis dans la merde tout seul en tout cas, à tout plaquer à Tokyo pour la suivre comme le bon chien-chien qu’il est. Arizona a sifflé, il a accouru. Tout ça pour se prendre un coup de martinet. Et être suffisamment con pour rester quand même. Junko ressasse ses décisions, il se dit qu’il n’aurait jamais dû accepter d’aller à la fête des étoiles avec elle. Il se dit qu’il aurait dû couper les ponts dès qu’elle l’a rejeté, au tremblement de terre. Il se dit qu’il a toujours été trop dans l’indécision avec elle, depuis toujours. Pourtant, il ne trouve pas la force d’y mettre un terme. Junko ferme les yeux, soupire profondément.

Et puis, il y a la petite June. Juny, June, avec ses cheveux bruns et ses nœuds dans les cheveux. Sa petite tenue sans aucun pli, qu’elle a repassé trois fois pour être certaine d’être parfaite même si aux yeux de son grand-frère elle l’est toujours. Cet uniforme lui va si bien, et elle était si contente de le leur montrer dans l’appartement. Il se revoit l’applaudir avec sa jumelle alors qu’elle faisait des tours sur elle-même en prenant la pose. Petite June, toute réservée, petite June toute souriante, à la fois tellement heureuse mais aussi tellement pleine d’appréhension de cette nouvelle vie, dans cette nouvelle école.
Il caresse tendrement ses longs cheveux bruns, en faisant attention de ne pas la décoiffer. June est si brave et si courageuse. C’est un peu elle qui a pris les choses en main depuis qu’il est parti de chez eux. A rassurer sa sœur, à temporiser, être sage comme elle l’a toujours été. June est d’une grande maturité, et si quelque part Junko est fier d’elle, il ne peut pas s’empêcher d’en être un peu inquiet. Il aurait aimé faire mieux pour elles. Il aurait aimé faire mieux, pour ne pas qu’elles aient à grandir trop vite, elles aussi.

En marchant le long de la route, il l’observe jouer à l’équilibriste sur le trottoir.

« Te fais pas mal, avant d’arriver. » lui dit-il avec douceur, et pour toute réponse il n’obtient qu’un regard en coin et un roulement des yeux bruns.

Et bah, la crise d’adolescence promet d’être belle, déjà. Il rigole avec elle, et ils discutent un peu. Elle lui parle de quand elle sera plus grande, elle se demande comment seront les cours ici. Elle lui dit qu’elle a hâte de commencer à dessiner. C’est une école privée préparatoire à des études de haute couture. Junko sait d’avance qu’il n’est pas prêt d’arrêter de devoir travailler pour payer ses études. Il sait d’avance qu’il devra contracter un crédit, dans un ou deux ans. Mais pour les beaux yeux de ses sœurs, il ferait bien n’importe quoi. Elle saute de son trottoir et lui prend la main.
C’est doux, sur le reste du trajet.

L’école est un peu perdue dans la cambrousse. June va être en internat, et c’est bien pour ça qu’ils ne pouvaient pas rater cette journée d’intégration. Elle est si réservée, Junko appréhende le fait qu’elle ne se fasse pas d’amis ici. Elle a l’air toute stressée à côté de lui, alors qu’ils attendent au milieu de tous les autres élèves de son âge, et tous les autres parents. Parfois, on leur lance des regards. Il est clairement trop jeune pour être son père, et il n’y a pas de mère à l’horizon. Ouais, comme d’habitude quoi. Junko attrape un regard rempli d’appréhension de la petite. Il lui tapote le nez pour attirer son attention, et tape du poing dans sa paume ouverte. June reconnaît immédiatement le jeu proposé, et un léger sourire étire ses traits. Ils s’amusent ensemble, jusqu’à ce que le directeur de l’école prenne la parole. La journée commence, et s’il devrait écouter le discours et le programme de la journée, il n’a d’yeux que pour elle. Il est si fier.

On commence par une visite des locaux. L’école n’est pas très grande, elle accueille peu d’élèves. Elle a le charme de l’ancien et pour autant, tout a l’air très propre. Il détonne un peu, même s’il a pris soin de ne pas sortir de hoodie ou de vêtements trop street. Il s'est dit que c’est mieux quand même s’il donne une image un peu plus… un peu moins pauvre, en fait. Junko sait qu’ils ne sont pas de la même classe sociale que la majorité des gens ici. Ils sont entourés de darons et de daronnes bien sapés, et même s’il a un pull propre sur lui et que globalement, il a fait attention, il est loin du costume trois pièces ou du costard, ou des petites robes classes. June est en uniforme, et c’est très bien comme ça. Il espère surtout qu’elle n’aura pas de remarques de la part de ses camarades, sur lui, ou sur quoi que ce soit qu’elle ait pu emporter dans sa valise.
Pour l’instant, elle reste collée à lui, et il sent ses doigts accrochés à sa manche. De temps en temps, il caresse son dos ou ses cheveux, d’un geste rassurant. Tout ira bien, il est confiant.

Mais vient le temps de se séparer, pour l’activité du matin. June hésite lorsqu’on leur demande de se rassembler. Les yeux bruns cillent sur elle, et il se plie pour lui parler à sa hauteur.

« Je reste dans le coin. Je suis tout près. » lui chuchote-t-il tendrement en replaçant une de ses barrettes dans ses longs cheveux. « Si quelqu’un t’embête, tu lui mords l’oreille, comme à un chien. »

June lui fait les gros yeux, mais sous le rire de son frère, elle l’accompagne aussi. Un trait d’humour pour la détendre. Regard complice échangé, il dépose un baiser sur son front et la pousse vers les autres. Elle va, sereine. Lui, il sent son coeur se serrer un peu. Il aimerait la garder rien que pour lui.
Il passe le reste de la matinée entouré des autres parents, sans leur adresser la parole si ce n’est se fendre de sourire poli dont il a l’habitude et le secret. Il les trouve tous inintéressants, et il se sent si éloigné de tous ces gens. Tous des adultes lancés dans la vie active depuis des années. Tous posés, tous vieux déjà, à ses yeux. Pour la plupart, ils sont accrochés aux apparences. Celle qu’il renvoie détonne de ce qu’ils ont l’habitude de voir. Si certains lui posent des questions et engagent la conversation, elle se fane rapidement dès qu’ils apprennent qu’il est encore étudiant et qu’il est “juste” le grand-frère. Junko sait que les jugements sont durs à son égard, et à l’égard de sa sœur. Mais elle sera bientôt juste avec des jeunes de son âge. En fait, il sait pas trop si c’est mieux ou pas. June est douce, introvertie. Elle a tendance à ne rien dire, à se laisser marcher sur les pieds, même si à la maison, elle est très indépendante et débrouillarde. Elle n’a pas le caractère explosif de sa jumelle qui peut en impressionner plus d’un. June, elle ne dit rien.

Junko est rassuré de la voir discuter avec deux autres jeunes filles, lorsqu’enfin parents et élèves se rejoignent pour la pause déjeuner. Il discute poliment avec les adultes garants des présumées nouvelles amies de sa sœur. De concert, les laissent-ils manger ensemble. Parfois, elle lui lance quelques regards auxquels il répond d’un doux sourire encourageant. Elle a visiblement encore besoin d’être rassurée, mais il est déjà très content qu’elle fasse autant d’efforts. C’est bien si elle commence déjà à se faire des amies. Égoïstement, il aimerait passer plus de temps avec elle à cette pause déjeuner. Après tout, il ne va la revoir qu’aux prochaines vacances. Mais Junko, il se retient d’aller l’embêter. Il sait qu’il casserait un peu tout. Alors, il se contente de la regarder, et il inscrit son sourire dans sa mémoire.

L’après-midi, un bus vient chercher les élèves pour une randonnée. Après quelques papiers remplis, Junko est libre de son temps, mais il ne sait pas trop quoi faire en attendant. Il regarde son téléphone mais dans ce coin paumé, y’a pas vraiment de réseau. Il décide d’aller marcher un peu. Il trouve le temps long, mais autant profiter de la campagne nippone un peu. Ce n'est pas tous les jours qu’il sort de la ville. Entre la grande Tokyo, ou Kobe, il ne voit pas vraiment de verdure. Il se perd en marchant, traverse un champ, joue un peu près d’un ruisseau. Du haut de ses vingt-trois ans, il profite d’être seul pour redevenir un gamin de dix piges et il se construit un barrage. Le coin est sympa. Puis, c’est l’heure de revenir à l’école. Sur le chemin, il fait quand même gaffe à pas revenir tout crasseux, ce serait pas ouf.

June sort de son bus avec un grand sourire sur son visage. Jusqu’au couvre-feu où il devra la laisser à l’internat et lui dire au revoir, ils ont de quoi passer un moment ensemble, tous les deux. Toute enthousiaste, elle lui raconte sa journée et Junko, ça lui fait chaud au cœur de la voir si bavarde et ouverte. Elle semble être une nouvelle personne, déjà. Il darde ses yeux bruns sur elle, alors qu’ils marchent direction le ruisseau où il a passé son après-midi. Elle a l’air déjà si grande et si mature. Il s’imagine déjà la jeune femme qu’elle sera plus tard.
Assis près de l’eau, il jette quelques cailloux en l’écoutant parler.

« Hanako, elle est super douée en dessin ! Elle m’a montrée ce qu’elle fait et elle m’a dit qu’elle m’apprendrait. J’ai trop hâte. Tu sais qu’on aura des cours de couture aussi ? Je vais pouvoir faire mieux que de recoudre tes boutons. Peut-être même un jour je pourrais te faire un costume entier, avec plein de paillettes, et trop classe ! T’imagines ? »

Oui, il imagine bien, oui. Sous son regard affectueux, il la caresse des yeux. Dans quelques heures, il devra lui dire au revoir. Junko a un léger moment de dissociation. Un moment où il prend conscience de lui-même, de sa propre existence, du chemin parcouru. Il lève les yeux vers le ciel. Les nuages sont devenus bien noirs, et le vent se lève. Peut-être devraient-ils rentrer. Il regarde l’heure sur son téléphone. Il est tard, effectivement. Avec la luminosité du jour qui baisse plus que de mesure à cause de la météo, c’est plus sage de revenir à l’école. Junko, il n’a pas envie. Parce que ça veut dire qu’il passera moins de temps avec sa sœur. Mais c’est lui le grand-frère. C’est lui, la figure parentale. Ils sont déjà restés bien trop longtemps, et il n’est même pas certain qu’il ne lui a pas fait louper le repas du soir. Il lui achètera de quoi manger à un distributeur de l’école. Parce qu’ici, dans ce trou paumé, y’a pas de konbini à chaque coin de rue.

Enfin, ils longent la route sur le chemin du retour. Il fait sombre déjà, et le vent les pousse. Il commence même à pleuvoir un peu. Peut-être qu’il a loupé une information, ou quoi. Il ne sait pas trop. Il espère juste que June ne va pas tomber malade à cause de leur escapade improvisée, parce que ça serait vraiment ballot et en plus ça le ferait mal devant les autres élèves. Après, peut-être que ça lui donnera l’image d’une petite rebelle et que ses camarades seront admiratifs. Il sourit à cette idée.
June marche devant lui, mais elle vient à sa hauteur. Autrement que leur voix, ils peuvent entendre tous les murmures de la vie nocturne de la campagne japonaise qui s’éveille. Et malgré la météo qui s’aggrave, June ne perd pas son sourire. Junko est content de la voir comme ça.

« Est-ce que c’est un animal ? » demande t-elle, alors qu’ils jouent à des devinettes.
« Non... Pas vraiment. »
« Comment ça pas vraiment ? Comment ça peut être un animal mais pas vraiment ? » June lui lance un regard bizarre et il hausse les épaules en riant.
« Bah, c’est un animal mais… Si tu lui dis que c’est un animal, il va mal le prendre, tu vois. »
« Hein ? Non, je vois pas du tout… C’est trop dur à deviner ton truc ! »
« T’abandonnes déjà, dis ? » la pique t-il d’un sourire en coin, taquin. « Ça ne m’étonne pas de toi. »
« Vas-y toi, aussi ! »

Elle le pousse sur le côté de la route, et il trébuche presque dans le ravin. Son rire éclate dans la nuit qui s’obscurcit, et se mêle à celui de la jeune fille. Ils sont trempés, ils ont froid, mais rien ne peut venir troubler leur complicité. Pourtant.

Il n’a pas le temps de réagir. La visibilité est si mauvaise qu’il n’a vu les phares qu’au dernier moment. Il entend le klaxon, les roues qui crissent. Il sent sa main s'accrocher à l’uniforme dans un réflexe instinctif. Elle lui échappe. Ou il la lâche. Il ne sait pas trop.
Parce qu’il ne sait pas trop comment il finit dans le ravin. Il a mal à la tête. Il a mal aux côtes. Mal à la jambe. Il y voit rien à travers le rideau de la pluie. Il devine la silhouette d’un poids lourd, à moitié échoué dans le champ du bord de la route.

« Juny ? »

Son appel reste sans réponse. Il recommence. Plus fort. Il hausse le ton. Peut-être qu’elle ne l’entend pas à cause de la pluie, du vent. Il se relève, glisse un peu sur l’herbe humide. Il est trempé, à cause de la pluie, à cause de l’eau du ravin. C’est pas grave. Le plus important c’est…

« Juny ! »

Il tangue sur l’asphalte. Pourquoi elle ne lui répond pas ? Il sent tambouriner son palpitant. L’appréhension grimpe d’un cran. De deux. De plusieurs. Non, là c’est vraiment pas drôle si c’est une blague. Mais c’est pas une blague. Tout lui revient.
Ils se sont fait faucher. Tous les deux. Elle, la première.

Junko pose ses yeux sur sa sœur. Elle a été projetée plus loin. Ou trainée. Il sait pas trop. Il ne réfléchit plus vraiment. Quand il relève sa tête brune, avec son joli ruban, sa main se poisse de carmin délavé par la pluie. Il reste interdit devant son expression. Ses yeux grands ouverts, et les gouttes qui tombent dedans sans qu’elle n’y réagisse. Mais c’est lui, l’adulte. C’est lui, le grand-frère.
Il dégaine son téléphone. Inutilisable, l’écran est explosé. Il refuse de s’allumer. Junko fait fi de ses émotions. Il cille pourtant. Il tente de trouver le pouls sur le cou à la peau délicate de sa petite sœur. Rien. Elle ne respire pas non plus, quand il se penche vers elle pour écouter ne serait-ce qu’un souffle. Alors Junko, il se refuge dans ce qu’il pense être le mieux à faire, et le mieux à faire c’est de commencer un massage cardiaque, dans ces cas-là, non ? Alors, il masse, Junko. Il compte dans sa tête. Il se souvient du professeur, qui leur a dit que le bon rythme, c’est celui de You Can’t Hurry Love de Phil Colins. Alors, Junko, il chante. D’abord dans sa tête, puis il murmure les paroles. Il sent sous ses paumes la cage thoracique se plier. Juny, elle aime bien cette chanson, en plus.
Mais Juny, elle ne revient pas. Juny, elle ne dansera plus sur cette chanson, dans le salon de leur petit appartement d’Arakawa. Juny, elle ne respire plus. Juny, elle est déjà partie, et il n’arrive pas à la faire revenir. Mais, Junko s’acharne.

Quand les secours arrivent enfin, dans ce bled paumé de la campagne nippone, en plein orage et en pleine nuit, ils le trouvent calé contre le poids lourd qui les a fauchés, et qui lui a pris sa sœur, à bercer son petit corps contre lui, du murmure de sa voix chantant sa playlist favorite, qu’il connaît par cœur à force de l’avoir trop entendu.

Elle est partie.

#terminé
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