Le sport ça use ! Ft. Alya

Alya avait compris à quel point ses chaussures de courses étaient usées lorsqu'elle était revenue avec des chaussettes trempées dans sa chambre, la pluie de la veille ayant complètement absorbé le tissu blanc maintenant devenu noir.

Le trou sous la semelle n'était pas visible au premier coup d'œil, mais en les examinant de plus près, la sportive avait découvert qu'une fine fente se dévoilait sur l'avant du pied ainsi que dans les striures dans la semelle.
Elle avait dû patienter jusqu'au week-end pour se rendre au magasin, continuant obstinément à courir avec des baskets qui endommageait fatalement ses chaussettes.
Si une simple déconvenue de matériel devait l'arrêter, Alya se ferait honte de vouloir devenir une athlète olympique.

Les week-ends, Alya se les dédiait majoritairement à courir sur la piste de l'université, son pragmatisme habituel ne lui autorisant que quelques rares sorties pendant le mois.
Si la sportive pouvait traîner en ville avec sa meilleure amie Kazane, par exemple, elle estimait que les heures de loisir devaient se rattraper au cours de la même semaine par du sport intensif.
Cela dépassait un simple devoir envers elle-même ou un éventuel sentiment de culpabilité de ne pas accomplir son programme sportif : c'était sa passion - et aussi naturellement qu'il était instinctif pour un poisson de respirer sous l'eau, il était naturel pour Alya de courir, sans quoi, elle se sentait asphyxiée.

Dès qu'elle arriva au magasin, la brune ne perdit pas son temps dans les étalages qui désignaient d'autres produits que ce qu'elle était venue chercher et se dirigea immédiatement vers les baskets de running pour femme.
Son père lui avait viré de l'argent en supplément de son argent de poche sur son compte bancaire qu'elle avait d'abord retiré avant de se rendre au change et de les convertir en Yens.
Dans le but de ne pas être confrontée au même problème, son père s'était enjoué à lui donné le double de la somme demandée afin qu'elle puisse se procurer deux paires.
Si la jeune femme préférait payer en carte bleue, l'influence de la culture japonaise et de leur paiement par espèces l'avaient contrainte de changer ses habitudes.

En tombant sur une Brooks noires en exposition, Alya s'attarda sur la fiche technique en se renseignant notamment sur les semelles : Excellente adhérence, bonne durabilité, absorption des chocs et meilleure propulsion. La jeune femme fut immédiatement convaincue par ce modèle en plus d'en apprécier la couleur qui affichait des pigments de bleus et de saumon.

En se dirigeant maintenant vers d'autres modèles, elle leva à peine les yeux qu'elle reconnut un camarade de Kobe.

À ses yeux, ce n'était pas surprenant puisque l'université ne se trouvait qu'à quelques kilomètres des centres commerciaux, ceux-ci particulièrement bien desservis par les transports en commun, en plus de l'être également à pied pour ceux n'ayant pas une bourse suffisamment satisfaisante pour s'octroyer le plaisir de payer les courses en supplément du déplacement.

Kazuki, elle le connaissait de nom, mais n'avait jamais interagi avec. La dernière fois qu'elle avait croisé quelqu'un dans cette même boutique d'articles de sport, c'était Tsumugi - et c'était elle qui avait pris l'initiative de l'aborder.

Une force inconnue cloua littéralement ses pieds au sol, elle qui apparaissait toujours si libre en mouvement. La vérité, c'est qu'elle ne voulait pas entamer d'interactions sociales en plus d'avoir l'audace de se plaindre d'être rejetée. Alya le savait et ne faisait rien pour améliorer sa condition, comme si elle attendait toujours des autres d'être sauvée au même titre de détester devoir dépendre de leur aide.

Décidant finalement de rester dans sa zone de confort et faire comme s'il n'existait pas, elle fit un brusque revirement en espérant qu'il n'ait pas eu le temps de la voir...

Dés qu'elle entend la voix de Kazuki, Alya sursaute brièvement, la rigidité instinctive de son corps entraînant des mouvements plus lents et forcés que d'ordinaire.

En s'obligeant à faire volte-face, elle étendit sa main jusqu'à ses épaules afin de dégager une partie de ses cheveux raides, gagnant du temps de réflexion dans ce seul geste subtil.

- Excuse-moi ? Si Alya paraît tellement sûre d'elle, c'est parce que ses paroles sont rarement ponctuées d'onomatopées au même titre qu'elle ne s'encombre pas de fioritures quand elle s'exprime.

La frustration se lit sur son visage lorsque son interlocuteur utilise l'anglais, tandis que l'amertume dans sa voix traduit une aversion envers le fait d'être traitée de manière infantilisante. Ne te donne pas cette peine, je sais très bien parler Japonais. Elle expira un soupir succinct, constatant l'intensité de sa dureté qu'elle jaugea non-nécessaire après coup, puis se reprit. Néanmoins, ça pourrait faciliter pas mal de choses.

Son besoin d'être juste dans ses interactions sociales équilibre son tempérament méfiant. Alors, sur un ton plus souple, elle cesse de le toiser comme s'il avait commis un meurtre et balade son regard sur les étalages, se projetant dans certaines paires plus que d'autres.

- Tu travailles ici ou tu abordes systématiquement toutes les meufs qui te regardent un peu trop ?

En tentant d'esquiver sa responsabilité pour ne pas admettre qu'elle le fixait, sa maladresse dans l'art du sarcasme qu'elle ne maîtrise pas totalement vient justement justifier que ce soit ce qu'elle venait de faire à travers sa question rhétorique.
Elle n'arrive pas totalement à déterminer si elle le trouve simplement avenant et sympathique ou si c'est juste une carpette.

En règle générale, Alya a une opinion bien arrêtée sur tout et sur tout le monde. Elle évalue les situations selon son propre spectre moral en tenant compte de ce qui est socialement acceptable ou non, mais également en fonction de ses convictions personnelles, ces dernières fortement tournées en la qualité de ce qui fonctionne.
Dans son cadre émotionnel où tout est bien rangé, elle estime que les preuves de gentillesse sont davantage un acte de faiblesse qu'une véritable expression de personnalité, c'est pourquoi elle garde ses distance dans un premier temps - bien qu'une partie d'elle regrette d'être bornée à se montrer aussi dure avec un camarade qui pourrait être tout simplement bienveillant sans que ça ne cache rien de plus.

Alya remarqua la vraisemblable propension de Kazuki à se mettre immédiatement sur la défensive. Même si ce n'est pas totalement évoqué, les gestes mesurés et la voix modérée de son interlocuteur ne parvenaient pas à masquer la lueur indignée de son regard qui révélait une attitude braquée, ses sentiments visiblement menacés par seulement quelques-unes de ses paroles - c'est dire à quel point elle avait déjà du poids sur lui.

- Oula tu nous fais quoi là ? Alya n'a pas de temps à perdre pour les personnes qui sont submergées par leurs propres émotions et qui ne savent pas comment les contrôler. Si elle s'évertue constamment à maîtriser les siennes, il était hors de question de subir celles des autres. Je trouve ça bien ironique que tu me reproches de juger alors que c'est même ce que tu fais actuellement.

La rixe verbale est entièrement injustifiée, et, de surcroît, n'a aucun véritable sens à ses yeux. À vrai dire, elle n'est même pas certaine de comprendre le fond du problème, si ce n'est qu'elle se fait attaquer injustement parce que Monsieur n'a pas une once de bon sens, ignorant que sa réaction excessive n'est pas appropriée, car peu nuancée.
Les efforts qu'elle fait pour se rendre plus aimable se voient incontestablement rejetés par la partie opposée, sans que lui-même ne sache à quel point elle cherche à mettre en pratique les effets de ses introspections.

En toute transparence, il lui semblait à la fois immature et terriblement émotionnel, au point qu'elle était également sur la défensive. Mais, même en tenant compte de ses paramètres, il était ardu pour la brune d'entrer en contact avec ses émotions, sa répartie étant principalement dictée par sa soif de victoire - encore.  

- Du reste, je n'ai jamais demandé à être aidée, ni par toi, ni par quiconque, donc tu peux remballer ton vieux syndrome du sauveur.

Elle laissa s'échapper un sourire victorieux, son visage déterminé et ses yeux luisant d'une passion certaine pour les débats témoignant de son aisance dans ce contexte, comme si elle avait attendu toute la journée pour avoir affaire à un adversaire qu'elle espérait à sa taille dans ce combat sans queue ni tête - mais qui, au final, avait plus un effet d'exutoire pour ses nerfs en pelote qu'autre chose.

Une expression de dégoût modela son visage, tandis que l'un de ses sourcils se réhaussa, donnant immédiatement le ton et sa position dans cette joute verbale.

- Je n'ai nullement besoin de tes conseils, merci bien. Ironise-t-elle en gardant un ton sec, la lenteur dans sa voix affirmant sa facilité à maintenir sa position. Vu que vraisemblablement, tu sembles avoir un problème avec le fait qu'on te fixe, je tiens à te rassurer d'office que les gens ne voudront pas systématiquement ta peau, on souffle, Kazuki. C'est grave de se sentir agressé pour si peu, mes yeux se posent là où ils se posent.

Un voile noir a occulté la brève lumière qui avait flotté précédemment dans ses yeux. C'est tout ? Déçue de l'avoir estimé capable de lui tenir tête, elle leva les yeux au ciel matérialisant son mécontentement, autant dans sa frustration ne pas avoir débattu que pour le ridicule de la situation.
Pour ainsi dire, elle ne se souvient même pas l'avoir précisément fixé. Son interlocuteur en fait tout un pataquès pour pas-grand-chose, rendant impossible toute discussion civilisée et rationnelle avec lui. Elle ne saurait traiter les sentiments d'autrui pour la bienséance de l'échange au même titre qu'elle estimait ne pas avoir à le faire.

Sur ce, elle le laissa faire son caca boudin, le blond visiblement peu enclin à sortir de sa crise émotionnelle pour des raisons qui demeuraient, jusqu'à présent, inexpliquées.  

La discussion visiblement clôturée, Alya n'ajouta aucune valeur à ce qui a été prononcé, comprenant bien qu'il avait simplement été vexé parce qu'elle avait catégoriquement refusé son aide non sollicitée, en plus de grogner, car il a été regardé -  pauvre âme perdue.
À tout point de vue, elle ne lui trouvera aucune circonstance atténuante si ce n'est sa possible paranoïa et son impulsivité flagrante.

Elle tourna les talons pour sélectionner les paires qui lui faisaient de l'œil, en se remémorant fugacement sa conversation avec le lunatique Kazuki.
Kazane et sa réputation de volcanique avait de la concurrence avec ce type-là. Elle étouffa un rire dans sa tête en brandissant son téléphone portable pour envoyer un message à sa meilleure amie au sujet de sa curieuse rencontre du jour.

"Meuf, tu ne devineras jamais ce qui m'est arrivé."

Après coup, elle préféra en rire, concentrant son énergie à être en forme plutôt qu'à s'apitoyer sur son sort.