Les pas de Kazane résonnaient dans le couloir désert de l'établissement.
Tous les lycéens étaient soit rentré dans leurs dortoirs, soit au sein de leurs clubs...
La lycéenne regrettait de rater une séance de natation, mais c'était de sa faute si elle était en retenue et Kazane le savait.

La lumière pâle de l'ampoule au plafond créait des ombres longues qui dansaient sur les murs carrelés. Ses doigts crispés serraient la lanière de son sac, tandis que son cœur battait un rythme effréné.

La jeune femme aux yeux perçants et à la longue chevelure approchait de la salle de classe désignée pour sa retenue.
Les joues de Mitsugu encore marquées par l'affrontement avec Alya la lançaient encore, mais l'infirmière avait fait du bon travail tout de même.
Les souvenirs de sa précédente punition à Tsushima  flottaient dans son esprit, rappelant les instants de solitude et de réflexion forcée qui l'avait habitée ce jour là, il y'a trois ans.

La demoiselle ne se souvenait plus de son motif de punition de l'époque, mais c'était moins grave sue celle d'aujourd'hui.
Elle poussa doucement la porte de la salle, révélant un espace baigné dans une lumière tamisée.
Les pupitres alignés semblaient attendre patiemment leurs occupants, et le tableau noir était immaculé, dépourvu des traces habituelles de leçons passées.

La surveillante, assise derrière son bureau, dégageait une aura d'autorité agacée qui imprégnait l'air. Ses cheveux sombres étaient coiffés avec une précision militaire, encadrant un visage aux traits sévères. Ses yeux perçants regardaient la porte d'entrée.

Mitsugu s'inclina poliment devant la femme et souffla d'une voix sans émotion :

-« Bonjour Anzou-Sensei. je suis là pour effectuer ma retenue.»

Kazane avança, ses pas résonnant légèrement sur le sol en linoléum. Elle choisit une place près de la fenêtre, espérant peut-être trouver un peu de réconfort dans la vue du monde extérieur.

Les minutes semblaient s'étirer, chaque tic-tac de l'horloge semblant marquer une éternité. Le silence était presque palpable, lourd de l'attente de l'inéluctable.
C'était là, dans cette salle de classe vide sous le regard digne d'un poignard d'Akira , que Kazane devrait passer les trois prochaines heures de sa vie.
Elle s'adossa à sa chaise, laissant ses pensées dériver pendant qu'elle écrivait.

Le murmure du vent contre les vitres était le seul bruit qui parvenait à percer l'immobilité ambiante.... Cela allait être long.

Lorsque la surveillante lui adressa ces mots, une onde d'effroi parcourut l'échine de Kazane.

Son cœur rata un battement dans sa poitrine, tandis que ses yeux s'écarquillèrent légèrement. Un frisson glacial lui parcourut le dos, faisant naître une sensation de malaise. Les paroles d'Anzou semblaient résonner dans sa tête, amplifiant la gravité de la situation.

Mitsugu interrompit brusquement ce qu'elle était en train de faire. Son stylo qui dansait sur son cahier s'était arrêté net, demeurant entre ses doigts, oublié. Une bulle d'encre se forma sur sa pointe avant de choir et de mourir sur la page blanche dans une gerbe de sang noir.

L'esprit de la lycéenne tourbillonnait, cherchant frénétiquement une issue, une explication.
La montée sur le toit, une escapade qu'elle avait espérée discrète pour cacher ses montées dépressives, semblait soudainement devenue une menace bien plus sérieuse.

La demoiselle chercha à dissimuler son trouble derrière une expression maîtrisée, mais ses yeux trahissaient encore l'inquiétude qui bouillonnait en elle.
Les mots de la surveillante résonnaient en écho dans son esprit, formant une sinistre mélodie.

C'était comme si le moindre faux pas pouvait déclencher une réaction en chaîne aux conséquences désastreuses... Comme la perte de sa bourse d'étude.
En cet instant, Kazane comprenait que son destin était suspendu à un fil ténu, prêt à se rompre à la moindre imprudence.
Le poids de la responsabilité lui pesa, l'angoisse montant crescendo.

Chaque décision, chaque pas devaient désormais être pesés avec la plus grande attention. Le toit, une échappatoire en apparence, se muait en piège sournois.
La jeune Mitsugu était à présent consciente que ses actions seraient scrutées de près, qu'un nouvel écart pourrait sceller son sort... Adieu sa bourse, adieu sa scolarité et bonjour le bar à hôtesses comme lui avait répété tant de fois sa mère...
Non.
Kazane refusait cette éventualité. Sa mère avait tort, plutôt mourir que de lui donner raison. Si elle était virée de Kobe, elle ne voyait nulle autre échapatoire que le trépas... Naturellement, cette pensée ne venait pas d'elle, mais du poison qui avait atteint son esprit.

Cependant, la jeune femme ne flancha pas et se permit de répondre à Akira d'une voix calme.

-« Anzou-Sensei... Je pensais avoir été discrète. Donc les rumeurs sur votre perception surhumaine sont donc fondées... Je suppose que vous avez vu mes pathétiques crises de larmes ? »

Kazane avait toujours été franche et directe. Que cela soit avec ses camarades ou les professeurs.

Kazane fut surprise par la bienveillance inattendue de la surveillante.

Akira Anzou était un nom craint parmi les lycéens, on avait dépeint à Mitsugu un portrait peu flatteur de la femme.

Autoritaire, dure et franche, voilà les adjectifs murmurés par les condisciples de la jeune femme de Tsushima.

Certes, Kazane faisait fi de ce genre de rumeurs, mais étant encore nouvelle dans Kobe high school, les mots des Kobéens vétérans avaient quelque peu modelé son image mentale d'Akira.

Ces mots réconfortants résonnaient dans l'air de la salle de classe déserte et dans l'esprit de la demoiselle.

Kazane porta sa main à sa joue droite dont la douleur venait de s'éveiller et de lui brûler ses terminaisons nerveuses.

Elle avait les joues douloureuses, le résultat de sa récente altercation avec Alya. De temps en temps, une pointe de douleur la lançait, lui rappelant encore l'impact des coups de la Britannique.

La jeune femme haussa les épaules, regardant la surveillante droit dans les yeux, étonnée par cette ouverture. Puis, d'une voix hésitante mais empreinte d'une certaine gratitude, elle répondit :

-«Merci... Je suppose que... ça fait du bien d'entendre ça.»

Kazane se sentit un peu vulnérable, mais il y avait quelque chose de rassurant dans la possibilité d'avoir quelqu'un à qui parler, même si les mots pouvaient être crus.

C'était comme si la surveillante comprenait qu'il y avait des moments où il fallait laisser sortir les émotions, sans jugement.

Chose impossible avec Alya qui la traiterait de faible et sûrement Hina qui tournerait cela à la rigolade.

-«Je vais être franche avec vous.
Depuis quelques mois, j'ai envie de mourir, littéralement.

Ma mère me déteste, après je m'en fous. Cette alcoolique peut bien crever.

Mon père est absent... Mais bon, il bosse pour l'armée.

J'ai quitté mon île de Tsushima, là où j'étais avec mes amis dans un lycée que j'adorais pour finir dans une ville où je me sens prisonnière où je ne connais personne.»

La jeune femme sentait son coeur se serrer et une boule se former dans sa gorge, remontant en même temps que les larmes débutaient leur ascension vers les yeux de Mitsugu.

-« Kuso ! Dantori, la première personne que je croise, je m'engueule avec.

Je raconte cette histoire à ma meilleure amie et ça dégénère...

Je n'ai plus de nouvelles de mes anciens meilleurs amis de Tsushima... Même eux veulent m'oublier.

Il serait temps pour moi de disparaître, je pense...

Qu'est qui cloche chez moi ?! JE NE SUIS QU'UNE DEBILE ! »

La lycéenne frappa violemment son banc, ses yeux étaient devenus noirs et des larmes coulèrent sur ses joues meurtries.

Kazane était en proie à un tourment émotionnel intense, partagée entre la tristesse profonde et la colère bouillonnante. Les difficiles confessions qu'elle venait de faire à Akira avaient ouvert les vannes de ses émotions, dévoilant la douleur et la détresse qui la hantaient. Dans ces moments sombres, son cœur oscillait entre des sentiments complexes et douloureux.

La tristesse l'envahissait, générant un poids dans sa poitrine qui semblait presque insupportable. Ses paroles révélaient une détresse profonde, une souffrance qu'elle avait gardée enfouie en elle. L'idée que sa propre mère la déteste et soit plongée dans l'alcool était une plaie ouverte depuis des années.
L'absence de son père, même si compréhensible en raison de son engagement militaire, ajoutait une couche de solitude à son mal-être.
Le départ de Tsushima, son île natale où elle avait des amis et où elle se sentait aimée, pour atterrir dans une ville étrangère accentuait son sentiment de détachement.

La colère, quant à elle, pulsait en elle comme une force de survie. Elle était en colère contre sa situation, contre elle-même, contre le destin qui semblait s'acharner sur elle. L'explosion de colère avec la première personne rencontrée à Kobe et le conflit avec sa meilleure amie avaient ajouté du carburant à ce brasier émotionnel. Elle se sentait en quelque sorte piégée dans un cycle de mésaventures et de confrontations, incapable de trouver la stabilité et la compréhension.

Au milieu de ce tourment, des larmes commencèrent à perler dans ses yeux, signe visible de sa vulnérabilité. La douleur qu'elle exprimait, la sensation d'abandon et de rejet, tout cela créait un cocktail émotionnel dévastateur. Elle avait le sentiment de perdre pied, de ne pas trouver sa place dans cette nouvelle vie qui s'imposait à elle de manière implacable.

Le cri intérieur, exprimé par son auto-dénigrement – "JE NE SUIS QU'UNE DÉBILE !" – résonnait comme un écho douloureux de ses pensées négatives. Elle se dévalorisait, se jugeait sévèrement, incapable de voir la force et la résilience qui résidaient en elle.

En somme, Kazane était une mer agitée d'émotions contradictoires, cherchant désespérément un moyen de surmonter les épreuves qui semblaient s'abattre sur elle.

Les mots d'Akira résonnèrent dans l'esprit tourmenté de Kazane comme une bouée de sauvetage jetée dans la tempête de ses émotions. Ils étaient simples, mais chargés de vérité et de réconfort. Elle leva les yeux, rencontrant le regard d'Akira avec une lueur d'espoir, comme si une petite étincelle s'était ravivée dans l'obscurité qui l'entourait.

-«T’es pas débile, t’as juste pas les bonnes armes et encore moins les bonnes personnes autour de toi pour te les donner. »

Cette affirmation simple mais puissante ébranla légèrement les fondations de l'auto-dénigrement de Kazane. Elle n'avait peut-être pas encore trouvé les ressources nécessaires, mais cela ne faisait pas d'elle une personne dénuée de valeur. Le simple fait qu'Akira, même en connaissant ses faiblesses, lui accorde une certaine valeur était un baume apaisant pour son âme meurtrie.

-« Si t’as encore la force d’être en colère, t’as pas encore décidé d’mourir.»

Ces mots résonnèrent comme une vérité brutale. La colère, malgré sa nature tumultueuse, était aussi un signe de vie, une réaction face à l'injustice, une étincelle qui montrait que quelque part, au fond d'elle-même, Kazane refusait de se laisser submerger par le désespoir.

-« A ta place, tes amis de Tsushima, j’ferais une croix d’ssus, y’a rien de pire que des potes qui te lâchent pour 500 kilomètres. Ils te l’auraient fait à l’envers un jour ou l’autre...»

Les paroles d'Akira touchaient une corde sensible. L'idée de tourner la page sur ses anciens amis, aussi douloureuse soit-elle, résonnait avec une certaine sagesse. C'était comme un conseil pragmatique, une manière de se libérer des attaches qui ne faisaient que l'ancrer dans le passé. La distance physique pouvait souvent mettre à l'épreuve même les amitiés les plus solides... Elle hocha la tête, résignée.

-« Le pire, c'est que je pense la même chose que vous, mais bon, on se connait depuis la maternelle, alors faut le temps que les chaines se brisent...»

Elle hocha la tête, résignée, essuyant ses larmes.

-« S’est passé quoi avec ta "meilleure amie" ? »

À cette question, le visage de Kazane se durcit légèrement. Le souvenir du conflit avec sa meilleure amie, une dispute qui avait éclaté en un instant, lui revint brutalement à l'esprit. Ses émotions se bousculèrent alors qu'elle expliquait :

-« C'est pas interessant... En version courte, On s'est disputées à propos de choses stupides. Suite à une confidence de ma part, elle m’a comparé à ma mère qui est une alcoolique qui me déteste et m’a fait vire un calvaire… Mais c’est moi qui porté les coups les plus violents. »

La dernière partie de la phrase trahissait un mensonge. Kazane défendait simplement sa meilleure amie. Cependant, la demoiselle, connue pour sa franchise habituelle, laissait transparaître un contraste entre ses paroles et ses actions.

La salle de classe était imprégnée d'une atmosphère lourde, où chaque mot semblait résonner comme un écho des conseil d'Akira Anzou.

Kazane, assise à son bureau, laissait son regard errer sur la surface lisse du bois, une petite flaque d'eau s'étant formée sous ses yeux embués. La tension était palpable, et la surveillante, impassible, continuait à déverser ses pensées en toute franchise, ce qui n'était pas pour déplaire à la fille de Tsushima.

Les mots durs pénétraient l'esprit de Kazane, mais elle écoutait en silence, son visage rougit reprenait des couleurs plus douces au fur et à mesure que les dires d'Akira.
Malgré la rixe avec Alya, Mitsugu tenait à cette amitié, à cette connexion qui, malgré les faiblesses et les discordes, restait importante à ses yeux. Elle avait déconné, certes, mais dans l'échelle des erreurs, il y avait bien pire... Kone était la ville des yakuzas après tout.

Alors qu' Anzou énonçait les principes fondamentaux du respect dans ce monde cruel et impitoyable, la lycéenne, la tête légèrement inclinée, ricanna doucement. Un rire étouffé, mêlé d'une ironie bienveillante, s'échappait de ses lèvres.

-« Oh ça, je m'en sors pas si mal. Beaucoup m'évitent, ceux qui m'ont cherché des noises ont vite compris que je n'étais pas une demoiselle sans défense... Je suis nouvelle dans ce lycée, mais je ne suis pas une victime.»

Sa réponse était teintée d'une assurance tranquille, laissant entendre que Kazane, malgré son statut de nouvelle venue, avait rapidement marqué son territoire. Elle était loin d'être la proie facile que certains pouvaient imaginer. Ses yeux, brillants d'une lueur déterminée, se relevèrent pour rencontrer le regard de son interlocutrice.

-« D'habitude, je vrille seule dans mon coin... Devant autrui, je suis la fille qui s'énerve vite et qu'il ne faut pas chercher...»

Elle essuya délicatement ses yeux humides avec sa manche, cherchant à masquer toute vulnérabilité derrière un masque d'assurance. Kazane était consciente de sa réputation, de l'image qu'elle projetait, mais elle avait aussi conscience de la nécessité de se défendre dans cet environnement parfois hostile.

Le léger sourire qui jouait sur les lèvres de Kazane était à la fois un défi et une affirmation de soi. Elle ne se laisserait pas écraser, peu importe les obstacles.

-«J'aime bien votre franchise, Anzou-sensei... Vous êtes différentes de certains surveillant qui se prennent pour des stormtroopers mais derrière, ils sont creux... Ils n'apportent rien aux ados débiles qu'on est...»

Les yeux de Kazane pétillaient d'une lueur chaleureuse, un sourire naquit sur ses lèvres.