Plage et apprentissage — ft Nolan Le Lidec

Cela faisait un petit mois que tu t’étais installé sur le campus de Kobe. L’air était différent de la grande ville de Tokyo, c’était peut-être même préférable; ça te changeait bien aussi de Berlin. Kobe, c’était loin d’être une petite ville. Mais c’est vrai; ça n’avait rien avoir le quotidien que tu avais pu connaître par le passé. C’était plus calme, tout était plus calme. Les gens étaient de nature moins bruyantes, également. Toi, ça t’allait. Il y a des choses dans  la société japonaise que tu trouvais parfois étrange, mais c’était comme ça — tu t’en fichais carrément, en fait.

Ce qui compte, à l’heure actuelle, ce sont ces oiseaux qui volent au dessus de l’eau. Il n’y avait pas foule à la plage, pour un samedi après-midi. C’est d’abord ce que tu as pensé avant de te rendre compte que les températures étaient encore fraiches pour en profiter réellement. Le vent souffle, faisant voler des grains de sables par moment. Les vagues remuent lentement en se jetant sur le bord de plage, laissant une légère écume sur celle-ci. C’était tellement agréable, de sentir la brise marine sur ton visage. Tes lèvres étaient légèrement sèches; tu avais été exposé au soleil doux du printemps depuis une bonne heure déjà. Tes chaussettes étaient en boule dans tes chaussures, qui traînaient près de ton sac de cours sur une petite montagne de sable. Le fait d’avoir un sac de cours t’avait fait rire, les premiers jours. Puis tu t’y étais fait. La reprise avait été difficile, et ça l’était toujours; sans mentir, tu étais largué. Il y’avait du monde, dans cette école. Tu avais croisé tout un tas de personnes sans même essayer de communiquer, te sentant comme à la traîne sur tout. Tu le savais avant d’y rentrer, mais le vivre était tout autre. C’était comme devoir rattraper un retard de plusieurs années, autant dans la langue, que dans ton rapport aux autres. « J’ai besoin de personne. » Tu te répétais ça en boucle, avant de t’endormir dans ton petit lit le soir. Et puis c’était plus facile de rejeter tout contact humain plutôt que de faire des efforts de ce côté, n’est-ce-pas ?

Tu soupires. Pause. Tu envoies un petit messages à ta soeur,  avant de passer une main dans tes cheveux — mêlant quelques grains de sables au gel collant que tu utilises pour maintenir tes cheveux en arrière. Puis tu t’allonges dans le sable, mettant de côté tes cours — ou plutôt, tes piètres prises de notes. Tu n’avais jamais été vraiment studieux. Pourtant tu aimais apprendre. Et c’est vrai que même si les cours étaient difficiles à suivre ici, les professeurs étaient corrects. Ils étaient même biens, en fait. Les lacunes venaient de toi et de toi seul.

Deuxième soupir. Tu cherches d’une main fébrile le bouquin de japonais que tu as acheté en commençant tes études — Des post-its débordent déjà de plusieurs pages. Tu essayes, tant bien que mal à suivre, sans quémander la moindre aide — alors forcément, être seul dans son apprentissage n’est pas la meilleure solution. Mais pour l’instant, c’est ta seule ressource.
Tu te relèves doucement, réalisant que tu passes tout ton temps libre à réviser.  La vie de loser quoi.
Tu replies ton pantalon beige juste au dessus de tes genoux, enlevant ta chemise en lin, juste après en avoir fini avec le bas. Puis tu te lèves, laissant tes cahiers à côté de tes chaussures. Une légère douleur se répand dans tes mollets; vingt ans et déjà rouillé ? Ça promet.
Tu frisonnes à l’air qui rencontre ton torse, tes bras nus, tu sens ta nuque se raidir. L’eau va être gelée, tu le sais. Mais ça te réveillera. C’est juste pour faire trempette, de toute façon. Une mère joue avec son enfant près de l’eau, à construire un château de sable avec tout un tas d’outils adaptés à la construction. Tu souris, légèrement. Tu n’es pas fan des enfants, et encore bien trop jeune pour savoir si tu en voudras un jour; mais celui là est plutôt mignon.

L’eau salée épouse tes chevilles sans hésitation, perlant sur ta peau rosée par le froid. Tu n’as pas vraiment eu souvent l’occasion de voir ces grandes étendues d’eau de tes propres yeux. Tu te déconnectes un peu. Le bruit des vagues, la plante de tes pieds s’enfonçant dans le sable moelleux et humide, le soleil projetant ses rayons de chaleur — c’était tendre. Mais le vent arrive comme un coup de lame sur ta nuque, et une chair de poule envahie ta peau. Tu t’abaisses — en faisant attention à ne pas tremper ton pantalon retroussé — et trempe tes deux mains dans l’eau avant de les porter sur tes épaules. Puis tu sors de l’eau. « Ça sera agréable cet été. »

Retour un peu plus haut sur la plage. Tu te sèches; ce serait dommage de mouiller tes cours. Tu t’empresses de remettre ta chemise, sans prendre la peine de la rentrer dans ton pantalon. Tu croises les jambes, revenant à tes cours de langue. Ton cerveau tourne toujours en Allemand, même après avoir passé plus d’une année au Japon. Das wird schon, Dani! Verliere nie die Hoffnung ! [tu peux le faire, Dani ! Ne perds pas espoir!]

Le pire, c’était d’avoir une idée bien précise, des arguments préparés sans pouvoir les exprimer aussi librement que tu le souhaiterais. Ça bouillonnait à l’intérieur de toi. Mais tu gardais ton apparence impassible, malgré tout.

Puis tu recommences à travailler les notions de cours, en assimilant chaque détail; tu prononces à voix haute et en fermant les yeux pour mieux mémoriser. « Avoir un ami ou deux, ce serait quand même chouette ». Tu chasses cette pensée intrusive en secouant la tête. « Ça fait combien de temps que j’ai pas eu une interaction avec quelqu’un ? »  Argh. Tu étais peut-être un petit peu contradictoire, tu ne penses pas ? C’est vrai, tu n’avais jamais ressenti le besoin de parler aux autres, ça avait même tendance à t’ennuyer. Tu n’avais même jamais vraiment pris le temps de réfléchir à des sujets de conversation; si tu étais bien avec la personne, le silence te suffisait pour l’apprécier. Mais là, tu étais seul. Depuis un mois.

Tu jettes un regard à droite et à gauche avant de glisser une cigarette entre tes lèvres. Tu l’allumes, inspirant brutalement la fumée dans tes poumons avant de la recracher quelques instants après. L’odeur du tabac était agréable, autant qu’elle était interdite. Mais bon… Ce n’était pas ta préoccupation première pour l’instant. Qui oserait bien te dire quelque chose, dans tous les cas ?

Ton téléphone vibre. Ton écran affiche 14:32. Le soleil brille. Et ta cigarette fume, comme tes neurones devant tous ces petits traits formants des kanjis sur tes cours.

« A l’aide, sérieux. » Un cri de désespoir et tu t’allonges à nouveau dans le sable, ton cahier couvrant ton visage, ta cigarette à moitié consumée entre tes doigts.

Des pas. Une présence. Le bouquin qui était un peu plus tôt sur ton visage se retrouve tiré de celui-ci, par une force inconnue. Rien de surnaturel, cependant. Tu sursautes. Un garçon d’environ ta taille est au dessus de toi, te dévisageant d’un air bizarre. Tu fronces les sourcils, te redressant à l’aide de tes coudes — qui s’enfonçaient plus qu’autre chose dans le sable, en fait. Et c’est que l’inconnu se met à parler, pendant ce temps.

« …Quelqu’un appelle à l’aide ? Une mission pour un Rinbo. »
Tu rougis. Quelqu’un t’a vraiment entendu te plaindre, et est même venu te voir.  Scheiße. 

tu lances un regard à ta cigarette du coin de l’oeil, qui se consume toujours seule. Tu t’apprêtes à ouvrir la bouche, mais le garçon aux cheveux bruns te coupe dans ta lancée.

«  À ta place, je l’éteindrais, ils contrôlent même les plages ici. Et l’amende est salée. »

Tu lèves un sourcil, tirant une dernière latte sur ta cigarette avant de l’éteindre dans le sable. Qu’est-ce-qu’il te veut, celui là ? Quoiqu’il a pas l’air d’avoir de mauvaises intentions. Et sa tête te dit quelque chose. Vaguement.

Tu te relèves doucement, à l’aide de tes mains. Et te voilà assis sur tes fesses, face à face avec l’inconnu.

« Ah, euh… » Tu oublies tes mots. Tu vas passer pour un gars timide maintenant. Après le mec desesperé, le gars coincé. Comment veux-tu avancer ?
« Das macht mich sauer! » (: Ça m’énerve) Tu pestes tout bas en passant ta main dans tes cheveux. Tu inspires un coup, reprenant tes esprits.

« Je pensais pas que quelqu’un m’entendrait. » Tu glousses, te relaxant un peu. « C’est quoi ton nom? Moi, c’est Dani. Dani Lanz. J’viens d’arriver à Kobe, en 1ère année littéraire. je me bats avec les kanjis, en fait. » Tu te mords la lèvre inférieure, pas sûr de devoir rajouter quelque chose. C’est déjà invraisemblable que quelqu’un ait entendu ton SOS.

« Enchanté. »


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