Dernier jour de soleil

Le soleil s'apprêtait à entamer sa dernière phase de la journée, celle où il est presque sur le point de se mettre à rougir de fatigue et commence peu à peu à aller se coucher. Il était encore bien haut dans le ciel mais ses rayons se faisaient moins insistants et lui-même était déjà bien moins éblouissant qu'à son zénith. Les conditions étaient presque parfaites pour Rindo, ou du moins, elles étaient un tant soit peu supportable pour qu'elle puisse se permettre d'aller faire un tour à la plage sans risquer de se foutre en l'air durant le laps de temps entre la fin de ses activités et la douche tellement ce lieu la répugne. Si elle devait faire un classement des environnements qu'elle déteste le plus, Rindo mettrait la plage sur le podium sans même prendre la peine de réfléchir à d'autres endroits avec lesquels elle pourrait rivaliser en terme d'inconfort. La brise marine à l'odeur désagréable d'iode et de fruits de mer, l'atmosphère poisseuse créé par un air collant rempli de sel qui donne l'impression de ne pas s'être lavé depuis des semaines, la sensation du sable sale juste sous les pieds... Tout est pour déplaire la femme. Ajouté à cela le fait qu'elle déteste autant la rosée du matin qu'elle ne supporte pas la chaleur, et le combo serait parfait pour que Rindo soit à deux doigts de songer au suicide ! 

La seule raison pour laquelle elle était tout de même là, en train de courir dans ce qu'elle considère comme son enfer personnel, c'était l'heure qu'elle avait choisi pour que ce soit supportable. Il n'y avait plus grand monde en cette fin d'après-midi, seulement des mouettes chantant au loin, d'autres sportifs et quelques groupes d'amis persévérants cherchant à tirer jusqu'à la moindre petite seconde de soleil avant de s'éclipser. Quant à la météo, elle était aussi un peu plus agréable comparé aux autres moments de la journée, même si elle n'arrivait pas à la cheville de la fraîcheur et du charme de la nuit. Finalement, il n'y avait que le doux fracas des vagues caressant le sable qui lui apportait une douce sensation aux oreilles alors qu'elle était en train de courir. Les chaussures de sport noires que portait la fille étaient hautes et parfaitement serrées pour limiter au mieux les risques de laisser ce satané sable s'y infiltrer, elle portait au dessus un jogging ample noir de marque avec deux bandes rouges de chaque côté ainsi qu'une brassière assortie. 

Et... Rien de plus. Rindo ne supporte pas la chaleur, mais c'est parfois à se demander si elle ressent le froid. Ses pas laissant des traces régulières sur le sable qui voltige légèrement sous ses impacts, elle était déjà en train de courir sur ce sol instable depuis de nombreuses minutes en commençant à haleter en signe de fatigue. Les deux meilleurs environnements pour courir sont la montagne et la plage, Rindo déteste les deux, mais le basket mérite bien qu'elle fasse des efforts de temps en temps en se forçant à endurer cette purge ! Il faut tout de même dire que malgré la difficulté de cet exercice, c'est aussi celui qui montre le plus rapidement ses fruits une fois qu'on se met à courir sur du parquet. Enfin, pour l'instant Rindo pensait plus à un repos bien mérité plutôt qu'au résultat de son entraînement, sa course était de moins en moins rapide jusqu'à s'arrêter en traînant ses pieds sur trois pas pour freiner en utilisant le sable. Une fine pellicule de sable se soulevait autour de ses jambes quand elle s'arrêtait enfin, reprenant son souffle dans de grandes inspirations tout en se courbant pour se reposer en s'appuyant sur ses propres jambes.

« Plus jamais, Rindo... Plus jamais. »

Elle se fit une promesse en l'air digne d'une gueule de bois en lendemain de soirée en sachant pertinemment qu'elle finirait bien par recommencer tôt ou tard. À la seule différence qu'une soirée c'est agréable... Là il n'y avait absolument rien d'agréable ! Après avoir repris son souffle quelques instants, elle vint poser ses mains sur ses hanches pour s'étirer lentement ainsi tout en inspirant longuement. Toute la saveur d'un effort physique était juste là, pour le plaisir qui s'en suit en s'étirant correctement. Il ne restait donc plus qu'à mettre les voiles, ce que Rindo ne tardait pas à faire en se mettant à marcher d'un pas lent pour quitter le sable et rejoindre l'une des douches en bord de plage. C'était vraiment le saint graal alors même qu'elle ne l'avait pas prévu, la meilleure installation jamais imaginée là où elle est le plus nécessaire, et autant dire qu'elle était quasiment inutile actuellement. Sous dix degré qui irait se prendre une douche après une baignade ? Personne ! Puisque personne ne se baigne. Ceci dit il y a une Rindo dont la peau salée par l'air de la mer a bien transpirée, et cette Rindo là ne peut pas résister à l'envie de se purger de tout ça. 

Il faisait froid, et l'eau coulant sur la peau de la basketteuse était tout aussi froide même si elle ne montrait aucune faiblesse face à celle-ci. La sensation de propreté qui découlait de chaque goutte d'eau était assez agréable pour éclipser sa froideur, c'était presque un nouveau souffle de vie que cette douche lui avait apporté quand elle prit fin. En plus elle n'avait pas pris la peine de retirer ses vêtements mais bon, l'eau ça sèche n'est-ce pas ? Les derniers rayons du soleil et sa marche devraient être suffisants pour sécher un minimum ses vêtements le temps qu'elle arrive jusqu'à sa chambre... Le corps mouillé, les habits mouillés, la jeune femme marchait nonchalamment en ne semblant pas être perturbée par son état, même son regard perçant était dirigé droit devant elle comme si rien ne la dérangeait. Mais ce même regard ne manquait pas de remarquer la seule chose capable de l'obséder. Malgré que les cheveux qui la font craquer soient cachés sous un bonnet, ça ne l'empêchait pas de reconnaître l'idol, l'idol devenue l'idole de Rindo avant même qu'elle sache que c'est une idol, c'est quand-même vachement cocasse. Elle était assise, au sec et au chaud tandis que de son côté, Rindo stoppait net la marche de son corps enveloppé d'eau froide et bien moins couvert. Autant dire que tout les opposait, il y avait clairement un alignement des astres qui allait dans le sens contraire du leur, et puis... 

Rindo marquait un léger arrêt en fixant Futaba, elle devait peut-être avoir l'air terrifiante vue de l'extérieur, à ancrer son regard sur quelqu'un comme ça, mais c'était bien le cadet de ses soucis. Ses yeux étaient non seulement fascinés par elle, mais en plus de ça elle était à quelques pas de Rindo avec quelque chose d'unique dans les mains. Quelque chose qu'elle ne pourra jamais trouver après que Futaba l'ait jeté ou égaré. Un objet. Légendaire. Là tout de suite, Rindo n'avait que faire de l'apparence étrange qu'elle devait avoir, du moins elle en avait encore plus rien à faire que d'habitude, à la limite même si elle est bizarre, ça lui permettra de marquer plus facilement l'esprit de la fille dont elle s'approchait de son éternelle démarche confiante ne trahissant pas le moindre signe de faiblesse même face à son unique point faible. Même sa voix était naturelle ! Contrairement peut-être à sa demande. 

 « Quand t'auras fini... Je pourrais avoir ton gobelet ? »

Un sursaut ? Rindo ne s'attendait pas à cette réaction, il faut dire qu'on la remarque d'assez loin en général, du moins suffisamment et assez souvent pour qu'elle n'ait pas l'habitude de surprendre quelqu'un à qui elle adresse la parole. Habituellement, quand quelqu'un sursaute en entendant sa voix... C'est parce qu'elle lui crie dessus. Et s'il y a bien une personne sur qui elle ne pourra jamais crier, c'est bien Futaba. Le regard de cette dernière se levait justement vers elle après s'être remise de ses émotions, dévisageant Rindo d'un air perplexe qui pourrait la faire craquer instantanément si elle n'était pas si solide mentalement. Elle n'avait jamais été si proche de Futaba, elle lui adressait la parole pour la première fois et c'était peut-être même la première fois que celle ci adressait un regard à Rindo, la basketteuse pourrait presque croire qu'elle était morte d'épuisement pendant son entraînement ou qu'elle avait fait un choc thermique en prenant sa douche, parce que si son paradis doit ressembler à quelque chose, ce serait bien à cette situation précise ! Elle pousserait même un cri de joie si c'était une cruche, mais il faut rester digne ! En tout cas, si ce regard sur elle était plutôt plaisant et que le fait d'attirer un tant soit peu l'attention de Futaba procurait une immense joie à Rindo, le visage de l'idol semblait tout de même inquiet. Un peu trop même, et sa voix ne tarda pas à en donner la raison. 

« Mais mais... Tu vas choper la crève comme ça ! »

Chopper la crève ? Rindo vint hausser légèrement un sourcil avant de se souvenir qu'elle était littéralement passée sous l'eau avec ses vêtements et que la météo n'indiquait pas la journée là plus chaude de la saison malgré que le soleil continuait de faire acte de présence. Pour le coup, elle avait un peu l'impression d'entendre sa mère à la voir se mettre à paniquer d'un coup en criant qu'elle allait chopper la crève, une sorte d'instinct maternel que Rindo n'aura probablement jamais et qu'elle avait un peu de mal à comprendre, qui l'agaçait même quand sa chère mère insistait pour que Rindo mette une veste car elle avait froid elle-même. Comme si voir sa fille avec une veste allait lui donner chaud... Enfin, Futaba avait l'avantage d'être Futaba, alors même si elle en fit en effet beaucoup trop pour une Rindo qui n'avait même pas froid, comment pourrait-elle rétorquer quoi que ce soit quand la fille qui avait toute son admiration vint lui enrouler son écharpe autour du cou ? 

« Tiens, tu peux le finir si tu veux, il faut qu'on trouve un endroit où te sécher. »

Dit-elle en venant lui tendre son gobelet, Rindo l'attrapait machinalement mais... C'était pas le but ! Elle comptait juste récupérer un gobelet vide et elle se retrouve avec une écharpe, un fond de café et une Futaba paniquée déjà en train de chercher des adresses sur son téléphone.

« Attend, j'ai... » 

Rindo ne connaissait même pas ce sentiment, et pourtant Futaba avait réussi l'exploit légendaire de la prendre au dépourvu et la laisser comme une idiote incapable d'articuler une phrase correctement. C'était comme mettre une pièce dans une machine de pachinko et obtenir le jackpot sans s'y attendre, elle ne savait même pas si elle devait couper l'idol dans son élan ou bien la laisser faire. 

« Attend, j'ai pas froid. Je vais bien, j'vais pas mourir. » 

Il faut bien être honnête à un moment ! Et ce moment concordait avec celui où Futaba semblait remarquer qu'effectivement, elle n'avait pas froid. Et même si c'était le cas, un petit rhume n'a jamais tué personne. Quoi que si. Mais ça ne tuera sûrement pas Rindo, il en faudrait bien plus que ça ! 

« T'as même pas l'air d'avoir froid et moi qui panique comme une godiche, on doit former un sacré tableau toutes les deux ! 
—Toutes les deux ? Tu formes un sacré tableau à toi toute seule. » 

C'était à la fois un compliment et de l'humour, parce que Futaba représente un chef d'œuvre digne du plus grand art exposé dans les plus grand musées aux yeux de Rindo. Et il y avait aussi le fait que Futaba s'était mise à paniquer et à s'agiter toute seule alors que Rindo était juste venue demander un gobelet à la base, elle a formé ce tableau à elle toute seule, soyons honnête. Vint ensuite le tour des présentations, l'idol se présentait à Rindo si aisément qu'elle ne devait pas savoir qu'elle avait en face d'elle une femme qui savait déjà tout d'elle. Ou du moins qui savait déjà beaucoup de choses d'elle, beaucoup plus qu'elle ne devrait. Rindo s'assume en terme général, et elle n'hésite pas à dire les choses comme elles sont quitte à avoir l'air louche, mais elle y réfléchit à deux fois pour le coup et décidait qu'il ne valait mieux pas dire à Futaba qu'elle était sa plus grande stalkeuse. Son prénom, son nom, sa date de naissance, son groupe sanguin... Elle savait déjà tout ça ! Ce qu'elle ne savait pas en revanche, c'est que son visage était familier aux yeux de Futaba. Il y avait beaucoup trop d'émotions si soudainement chez Rindo, si son visage dit déjà quelque chose à Futaba, elle serait en paix même si elle devait mourir aujourd'hui.

« Je m'appelle Rindo Kurokawa, tu m'as sûrement croiser à l'université. »

À l'université, oui. Il valait mieux qu'elle l'ait croisée à l'université, sinon il n'y avait pas trente six solutions et l'autre possibilité la plus probable serait que Futaba ait aperçu Rindo en train de la filer, ce qui ne servirait pas, mais alors pas du tout ses intérêts. Mais bon, elles fréquentent toutes les deux la même école et Rindo est assez tape à l'œil et bruyante pour que n'importe qui l'ait déjà aperçue d'une façon ou d'une autre, alors c'est sûrement ce qui jouait en sa faveur. Puis comme pour dissiper tous les doutes en eclipsant assez vite le sujet, la femme vint prendre la main qui lui était tendue. À ce moment, son seul regret était que Futaba portait des gants, mais elle se contentera de ce moment déjà très privilégié comme ça ! 

« Qu'est-ce que tu fais complètement trempée sur la plage par ce temps ? »

Enfin, la question fatidique tombait, c'est justement à ce moment là que Rindo se rendait compte que son entrée était en fait loin d'être banale. Elle aurait très bien pu être mouillée sur la plage, c'est même quelque chose de plutôt commun, mais pour sa part elle était mouillée, habillée et il faisait environ dix degrés. Ce qui n'est en effet pas très commode. À cette question, la femme écartait légèrement ses bras tout en baissant la tête pour se regarder brièvement, sa peau avait déjà pas mal séchée mais ses cheveux étaient encore mouillés et ses vêtements imbibés d'eau. En laissant un petit sourire se dessiner sur son visage, elle répondit tout naturellement. 

« Oh, ça ? J'ai juste pris une douche après mon entraînement, rien de plus. Et j'ai pas pensé à prendre une serviette. »

Est-ce que ça justifie la raison pour laquelle elle y est allée HABILLÉE ? Dans la tête de Rindo oui, c'est même très logique, elle pourrait très bien se balader en sous-vêtements dans la rue mais ce n'est pas très légal, et quitte à devoir se rhabiller ensuite sans se sécher, autant aller sous l'eau habillée et laisser ses vêtements sécher avec elle. Mais l'attention était déjà bien trop portée sur elle, alors qu'il y a Futaba en face, et ça c'est tout de suite plus intéressant. 

« Et toi alors ? Il fait trop moche et lourd pour s'asseoir dehors avec un café et ce temps pourri. »