Time to move on. / Solo

Je ne sais même plus depuis combien de temps je suis là ,  sous ce fameux coin fumeur derrière la porte du bâtiment commun . J'en avais passé des moments ici ces deux dernières années . Deux années qui ont défilé comme un éclair, mais dont les péripéties sont encore vives dans mon esprit.  Je contemple la cigarette qui brûle lentement entre mes doigts. La troisième  de cette session .  La fumée s'élève doucement dans l'air, se mêlant à mes pensées tourbillonnantes. Les volutes grises dansent autour de moi, formant des motifs éphémères, à l'inverse des fragments de mon passé qui hantent mon esprit.

Les souvenirs affleurent, les émotions se bousculent. Je repense à mon enfance et ma jeune adolescence , à mon passé autrefois si serein, qui s'était effondré brutalement, laissant place à un chaos inattendu. Je repense à Neil,  notre complicité indéfectible. Avant tout ça ...  Pendant onze ans, nous avions été inséparables, deux complices qui vivaient des aventures extraordinaires. On aurait dit que rien ne pouvait ébranler notre amitié. Pourtant, la vie - ou plutôt nos parents-  en avaient décidé autrement.  Comme mon père , Neil aussi avait disparu de ma vie sans donner d'explications, me laissant seul avec ma douleur et mon sentiment d'abandon. Ces moments de solitude, d'isolement...J'avais cru devenir fou, perdu dans un quotidien que je ne reconnaissais plus , avec la sensation de n'être assez bien pour faire rester quelqu'un.

Je m'étais retrouvé séparé de mon alter ego sans explication, sans un mot.  Et au final , quand je l'avais appris , l'explication , je m'étais dit que j'aurais peut-être préféré qu'il n'y en ait pas . Apprendre la trahison de ma propre mère m'avait laissé en rage , moi qui avait haï mon père pendant des années d'être parti "pour rien" . Peut-être que je le déteste toujours , d'avoir été lâche et de n'avoir rien dit. Toujours préserver les apparences , hein.

Le bout incandescent de ma Camel  danse devant mes yeux, hypnotisant. Maintenant , ça me paraît tellement clair que ma quête désespérée pour retrouver Neil était une manifestation de mes blessures d'abandon  . Je m'étais accroché à lui comme si ma vie en dépendait, refusant d'admettre que parfois les gens pouvaient aussi simplement ne plus vouloir de nous. J'avais une peur bleue d'être rejeté, de ne pas être désiré . Au final j'ai tout fait pour l'être , désiré . En érigeant autour de moi des murs d'indifférence et d'amusement, je pensais me protéger, mais en réalité, je m'étais juste suis enfermé dans ma propre douleur. Mes flirts éphémères avec différentes filles, les coups d'un soir , tout cela était une façade pour me protéger de la peur de l'abandon, pour éviter de revivre cette douleur insupportable. C'est tellemnt cliché que cç m'arrache un rire amer.

J'avais tenté de combler le vide en multipliant les compagnies. Mais chaque "relation" s'effondrait bien vite, incapable de résister à mes peurs . Jusqu'à ce qu'elle arrive, cette fille qui avait su toucher mon cœur.  Emily . Mais elle était partie tout aussi vite, emportée par ses propres tourments ( m'ayant rejeté avant au passage...) . La douleur de cet échec m'avait montré à quel point je m'étais trompé. J'étais loin du caïd insensible que je voulais bien présenter au monde.

Et puis, il y a ma relation avec ma mère, si chaotique déjà après le départ de mon père , mais désormais indéfinissable . Les révélations de Neil ont créé un fossé entre nous, un fossé que j'ai contribué à creuser avec ma rancœur. Et je ne peux pas laisser ces blessures définir notre relation. Il est temps de briser les chaînes de la colère et de l'amertume, de chercher la réconciliation. Pas non plus l'amour. Peut-être une entente cordiale .  Car je veux offrir à ma petite sœur Shizuku un environnement familial harmonieux , car je lui dois ça  , car je ne veux pas lui offrir en environnement familial de discorde perpétuelle.  Je ne veux pas qu'elle souffre comme moi. Je tire une longue bouffée sur ma cigarette, sentant la fumée remplir mes poumons. L'odeur âcre et familière me rappelle les nuits sans sommeil où le tabac m'accompagnait déjà, les moments d'introspection où j'essayais de comprendre ma place dans ce monde. Fumer , d'ailleurs : encore un côté de cette image de mec cool et détaché que j'avais voulu me donner et dans lequel j'avais fini par m'enfermer.

Mes pensées  restent tournées vers Shizuku.  Je sais que le moment viendra où je devrai lui révéler la vérité sur son lien de parenté avec Neil et Addison. Mon coeur se serre en pensant à son innocence actuelle et au moment où elle devrait apprendre la vérité. A quel âge ? M'en voudrait-elle ? Plus de le dire ou de l'avoir caché si longtemps ? Etait-ce vraiment mon rôle de le faire ? Mais notre mère le ferait-elle un jour ?  Je sais que cela lui fera mal et que cela remettra en question son identité. Mais je suis prêt à assumer cette responsabilité, car elle mérite de connaître la vérité. Je sais qu'elle aura des questions, des colères et des doutes, mais je serai là pour l'écouter, la soutenir et lui montrer que notre amour fraternel reste inchangé, peu importe les circonstances.

Quant à mon père, je réalise bien que je ne peux pas changer les dernières années de distance et de froideur. Je vais cependant travailler sur ma propre acceptation et sur ma volonté de reconstruire notre relation. Je vais l'inviter à participer à cette reconstruction, à prendre le temps de nous connaître à nouveau et à créer de nouveaux souvenirs ensemble. Je vais lui montrer que je suis prêt à faire des efforts et à lui accorder une chance de renouer avec moi et ma petite sœur.

Je suis bien conscient de l'importance d'également trouver des solutions pour mes relations avec les femmes. Je sais qu'il me faut faire preuve de sincérité et d'authenticité. Je comprends bien que mon attitude ironique et distante ne m'a pas permis d'établir des liens solides avec elles. Je n'ignore pas que je dois me montrer vulnérable et ouvrir mon cœur pour permettre à quelqu'un de m'aimer réellement. Ca me fait toujours peur.  S'engager à être honnête avec mes sentiments, à exprimer ses émotions et ses besoins de manière claire et respectueuse , traiter les relations non pas comme mes jeux vidéos , mais des interactions profondes qui nécessitent un véritable investissement émotionnel , c'est bien beau sur le papier. Mais je l'ai admis au moins , ça doit être ça , le fameux le premier pas . Maintenant, il faut mettre tout ça en pratique. Ca va être long.  Et ça va faire mal, je le sais. Ça va être difficile et douloureux de confronter la réalité, de faire face aux vérités qui ont été cachées. Mais je suis prêt. Prêt à affronter la vérité, à accepter les blessures du passé, à laisser partir ce qui ne peut plus être.

J'arrive à la fin de cette dernière cigarette, savourant chaque bouffée de fumée qui s'évapore dans l'air. Chaque expiration est comme une libération, un moyen de me défaire de mes angoisses.Dans cet instant précis, il n'y a que moi et la fumée flottant dans l'atmosphère. Je me sens léger, comme si mes préoccupations s'éloignaient peu à peu.  Je m'attarde sur le cendrier devant moi, qui accueille déjà les traces de mes cigarettes passées. Je suis resté là longtemps.  Les mégots éteints témoignent de mes moments de réflexion et de mes luttes intérieures. Mais maintenant, en observant ce paysage de cendres, je ressens un profond désir de changement. La fumée s'évapore progressivement, emportant avec elle mes peurs, mes doutes et mes tourments. Je me sens prêt à abandonner mes vieilles habitudes, mes masques d'ironie et de sarcasme. Je veux me montrer authentique, transparent, et accueillir l'amour et la sincérité dans ma vie.

Ce moment de pause m'offre une clarté nouvelle. Je suis prêt à m'ouvrir, à laisser quelqu'un entrer dans ma vie et dans mon cœur.
Je prends une dernière inspiration profonde, sentant la fumée remplir mes poumons. Puis, je souffle doucement, laissant s'échapper la brume grise qui se dissipe dans l'air.

Je jette et abandonne le mégot dans le cendrier, parmi les autres, symbole de mon passé enfumé. Je sais que je ne peux pas tout changer du jour au lendemain, mais je suis prêt à avancer, à apprendre de mes erreurs et à devenir la meilleure version de moi-même. Ce geste marque un nouveau départ, une volonté de grandir,  et de construire des relations plus sincères et épanouissantes.