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Gareth N. Kobayashi
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Mar 23 Mai 2023 - 20:11
Appartement - Immeuble 1:

Little rolling acorn was so happy
Le vendredi 10 novembre - fin de journée, après avoir quitté Yukio :

Le sol est confortable. Le mur glacial dans mon dos fait écho au blizzard que je viens de fuir. Une heure que je suis assis là, à me repasser toute la soirée en boucle. A m’imaginer ce qui ce serait passé si j’avais simplement refusé de l’embrasser. Est-ce qu’il aurait pensé la même chose ? Est-ce qu’il aurait mieux compris ? A quel moment est-ce qu’il s’est mis à imaginer que je puisse avoir prémédité cette chute ? J’ai fais une erreur, mais ça, je ne comprends pas, ça me passe au-dessus.

J’ai toujours été sincère avec lui, il n’y a que ce soir... Ce soir où mon cœur et ma tête ne se sont pas accordés comme il le fallait. Juste un soir pour tout réduire à néant. Ca me dégoûte... Et en même temps, ça ne fait que me conforter dans ma peur de l’engagement. Il suffit de trop peu pour que tout bascule. J’ai encore les traces de ma dernière relation dans l’esprit, je voulais juste, du temps...

Je ne sais plus trop ce que je lui ai dis dans la foulée, peut-être que ce n’était pas clair. Que je lui ai vraiment donné l’impression de me foutre de lui, alors que j’ai moi-même eu l’estomac broyé de réaliser que ces trois mots, n’étaient pas prêts à sortir de ma bouche. Aurais-je dû mentir pour rattraper et cacher tout ça ? Peut-être... Ca n’aurait pas pu être pire que maintenant.

Je préfère qu’on ne se parle plus.

J’attrape la chaussure qui gît près de moi et la balance sur la commode d’en face. Elle rebondit puis retombe mollement à l’envers. J’aurais préféré qu’il me cri que je ne suis pas clair, qu’il exige de moi que je m’explique mieux que ça, qu’il m’écrase sous sa chaussure pour me faire payer ces montagnes russes, plutôt que d’annihiler toute chance de réconciliation en une phrase.

L’horloge indique 17h45. Je dois récupérer Chiaki avant 18h30. Dans un soupire las, j’entreprends de me lever. Ma taille ne m’a jamais paru aussi lourde que maintenant. Je me traîne mollement dans la cuisine pour me laver les mains. Le repas doit être fait avant de m’en aller. Rien d’élaboré, je ne suis pas d’humeur... Du riz avec edamame et filet de maquereau à la poêle. J’ouvre les fenêtres avant de m’y mettre.


L’une des chansons préférées de Chiaki. Il est dix-huit heures. C’est l’alarme que j’ai mis sur mon portable, pour ne pas me laisser avoir par le temps dans ma paperasse. D’ordinaire elle me fait sourire, mais ce soir, j’ai l’impression que le gland qui roule et tombe jusque dans l’étang, c’est moi... Je l’éteins et me dépêche de terminer avec le poisson. Fenêtres fermées, je quitte l’appartement direction la crèche. C’est une bouffée d’air de le retrouver. Je pose plus de baisers que d’habitude sur ses joues potelées et cadenasse tout le reste. Chiaki est bien énergique pour un vendredi, et a beaucoup de choses à raconter. Comme l’avion en papier qu’il a fait et colorier en rouge, comme il volait très loin, mais pas plus loin que Yugo-chan, et ça c’est très énervant ! Il a au moins gagné la course de petites voitures et fait plein de faux sandwich pour les donner aux auxiliaires.

Une fois devant la porte de l’appartement, je ne peux pas m’empêcher un regard au plafond en pensant à Yukio, juste au-dessus. Je me demande ce qu’il fait... Est-ce qu’il m’a enfermé dans un coin de sa tête comme un mauvais souvenir ? Ou préparé une série de rimes bien sentie à mon encontre ? Ou alors, est-ce qu’il s’est recroquevillé sous ses draps pour pleurer sa peine... Chiaki sautille près de moi.

« Papaaa ! Ouvreee, veux faire pipiii ! »
« Oui, pardon chéri... »

Je l’accompagne au petit coin puis on se met à table. L’appétit ne vient pas mais je m’efforce de manger pour que mon bébé en fasse autant. C’est loupé, il préfère m’envoyer ses endamame au visage en ricanant.

« Ne joues pas avec la nourriture, manges. »
« D’accord. »

Ca dure deux bouchées et un haricot heurte encore ma tempe.

« Chiaki, qu’est-ce que j’ai dis ? »

Ce n’est vraiment pas le moment pour qu’il teste ma patience. Le problème, c’est qu’il n’en a aucune idée. Il sourit puis enfourne sa cuillère dans sa bouche. Pensant le petit jeu passé, je soupire naïvement.

« Papa ? »
« Oui ? »
« Avec Suzuki-chan, on a lancé des confettis ! »

Suzuki-san est une des auxiliaires de crèches qui s’occupe de lui. Une femme très douce et patiente.

« Ah oui ? C’est joli les confettis. »
« Ouiii ! Y’en avais pleiiin, comme çaaa ! »

... Parfois je me demande... Si un démon ne vient pas prendre possession des pauvres âmes sans défenses que sont les bambins. C’est pas possible autrement, d’avoir soudainement envie d’emmerder le monde comme ça ! La table est pleine de grains de riz et de haricots. Le sol de part et d’autres de Chiaki n’est pas mieux. Je ne parle même pas des bouts de poisson en charpie qui trouvent leur place dans le tableau ! Mon poing tape sur la table, Chiaki perd vite son sourire en me voyant me lever et l’attraper sous les aisselles pour lui laver les mains.

« Bon, t’as décidé de m’énerver ce soir... »

Ses mains sèches, je le pose sur un coin du canapé. Sa lèvre tremblote, signe qu’il va pleurer.

« Tu ne bouges pas de là et je ne veux pas t’entendre ! »
« Papa... ! »
« Tu te tais ! »

Fait chier, p*tain ! J’ai envie d’aller dormir, pour que cette journée de m*rde prenne fin. A genoux au sol, je pousse la nourriture gâchée dans une petite pelle. Même chose pour la table puis il faut encore ensuite faire disparaître l’odeur en nettoyant au savon. Ce week-end va être long je sens. En même temps, je ne crois pas être pressé de recroiser Yukio dans la salle des profs... Chiaki m’appelle mais je l’ignore sans trop de mal. C’était la dernière chose dont j’avais besoin, mais toutes les étoiles se sont alignées pour me pourrir. Mon assiette filmée trouve une place dans le frigo, bancale, en équilibre entre deux tupperwares de riz. Ouais ben elle restera comme ça. Et la vaisselle peut aller s’faire f**tre.

Quand tout est rangé, je ne sais même pas quoi faire de moi-même. Je reste quelques secondes debout devant le plan de travail, appuyé sur mes avant-bras. Chiaki pleurniche toujours derrière moi et commence à s’agiter sur le canapé pour attirer mon attention. Je finis par le rejoindre et il serre son doudou Dino contre lui, hoquetant. J’essaie de lui expliquer que ce qu’il a fait n’est pas bien mais c’est tiré sur le fil de ma patience. A tous les coups, il aura faim dans la nuit et devra se contenter d’un biberon. Après un câlin qui nous calme tous les deux, le bain se passe tranquillement. Lorsque c‘est l’heure de l’histoire et que Chiaki s’endort, je me réfugie sous mes draps, épuisé. Trop pour trouver le sommeil. Ses mots reviennent hanter mes pensées. Crier à plein poumons dans mon oreiller ne calme pas l’acide qui remonte ma gorge, ni le poing sur ma poitrine. J’aurais voulu que cette journée n’existe pas.

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Mar 23 Mai 2023 - 22:27
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Le mardi 21 novembre - 10h30 - salle des professeurs :

Dix jours sont passés depuis cette soirée catastrophique. Malgré tout, j’ai le sentiment d’encore sentir les lames caresser ma peau, veillant à ce que je me remémore leur présence à chaque minuscule lueur de béatitude. Plus particulièrement lorsqu’il m’est impossible d’ajouter mon trait d’humour habituel durant mes cours. Je m’en veux intérieurement d’être incapable d’afficher autre chose que le costume d’un professeur au discours barbant, limite soporifique.

J’ai évoqué des lueurs de béatitude. Elles prennent la forme des taquineries vaillamment menées par Mora-kun, sans jamais parvenir à m’arracher plus d’un sourire ou d’un rire étouffé. Elles se trouvent aussi dans l’éclat brillant des yeux de Mori-kun, qui attend la fin de l’heure pour me proposer de le voir à l’extérieur du campus. Quelque chose à me confier. J’entrevois ces petites étincelles avant qu’elle ne se teigne de gris. Que tout ce que je puisse exprimer soit des soupirs d’ennui.

Après la seconde heure d’art plastiques, je n’ai plus de cours avant l’après-midi. C’est le moment de me nicher dans la salle des professeurs pour m’affairer à ce qu’incombe mon statut. C’est le moment où j’aimerais faire la taille d’une petite souris pour ne pas être l’objet des regards soucieux de mes collègues, qui attendent à tout moment qu’une bombe explose sous leurs pieds. Ici encore, je n’y échappe pas. J’ai à peine ouvert la porte, que mon regard ne peut s’empêcher de chercher son ancre.

Qui ne daigne pas même lever la tête, comme déjà certain que ça n’en vaudrait pas la peine. Les rares fois où nos regards se croisent par inadvertance, je voudrais être aveugle pour ne pas être heurté par la douleur qui brûle ses iris. L’échange ne dure qu’une seconde et pourtant, il est plus déchirant que n’importe quel coup de poing que Yukio peut m’avoir donné, plus dur à supporter que n’importe quel mot d’oiseaux craché à mon visage.

J’aimerais le débarrasser de cette détresse, mais je ne peux rien en l’instant. Si ce n’est agrandir le trou dans sa poitrine. Personne n’est dupe. Tous nos collègues se souviennent de cette ambiance pesante à l’arrivée de Yukio. Elle s’est ensuite faite oubliée, remplacée par une bonne entente, aujourd’hui envolée parce que je n’ai pas su dire non, ni exprimer par après, le fond de ma pensée sur mes craintes.

Je m’installe à mon bureau ou plutôt m’y laisse tomber et retiens un soupir. De ma place, il suffirait que je bouge légèrement la tête pour entrevoir son profil baissé sur ses écrits. Il me faut une force insoupçonnée pour ne pas y passer plus de temps que prévu, à regretter le goût de ses lèvres tout en sachant pertinemment que je n’y ai pas droit. Que je ne dois pas m’engager de nouveau, parce qu’à quoi bon risquer d’encore souffrir ? Espérer vivre avec sa moitié toute sa vie n’est qu’une utopie. Vivre une belle histoire et chérir chaque souvenir oui, mais à quel prix, lorsqu’ils ne deviennent que les fantômes d’un passé lointain ? Pas une nouvelle fois.

Mes copies à corriger récupérées dans mon tiroir, je remarque enfin le tas sur le rebord de mon bureau. J’en prends connaissance en fronçant les sourcils, mon souffle se coupe. Devoirs d’histoire-géographie, professeur, Yukio Ogawa... Je maudis les dieux de se moquer de moi de la sorte. D’abord, je cherche du regard une âme charitable qui voudrait bien m’épargner cet affront, or, je ne trouve personne. Les bureaux entre le mien et celui de Yukio sont bien évidemment vides. Le plus logique est que je me lève moi-même. Que je m’approche de lui... Pour repartir tout aussi vite alors que je rêverais, de me pencher sur son bureau pour m’enquérir de ses derniers commentaires plein d’esprit inscrits sur les copies des moins chanceux.

Mon courage attrapé au lasso avant qu’il ne prenne la fuite, je presse le tas de feuilles entre mes doigts tremblants. Me voilà, adepte sans expérience de pyrobatie, pieds nus, hésitant à mi-parcours, chairs à vif, carbonisées par les braises ardentes. Le souffle entrant dans mes poumons semble avoir traversé le temps. De l’éruption de Fuji-san à l’époque Hôei, 300 ans en arrière, jusqu’à l’ère Reiwa qui nous accueille. Encore deux pas. La tristesse qui déforme les traits élégants de son visage me donne le vertige, submerge la mienne. Dans la salle, tous ne ratent pas une miette de la scène.

« Tes copies... »

Ma voix sort à peine, coincée dans sa grotte, angoissée à l’idée de déranger. Je suis persuadé que beaucoup voudraient que je l’attire à ma suite, mette fin à ce silence. Il n’en sera rien. Yukio ne pipe mot, abaisse son regard sur le paquet, le saisi et je me détourne aussi vite. Bravant les braises sans peur jusqu’à la terre sauve. Je croise le regard navré d’une de mes collègues et m’en détourne.

Les jours suivant n’ont fait que se ressembler. Si ce n’était pas par obligation, la date du jour me serait bien égale. Mercredi, jeudi, vendredi... A peine les lueurs aperçues, qu’elle se referment, de plus en plus rapidement. Samedi est différent, le chocolat a une saveur particulière, les rires de Chiaki et Mori-kun sont comme des petits marshmallow, apaisant la peine en fondant sur le palet. J’aurais voulu que cette journée se répète à l’infini.

P.S. : Réaction vue avec Yukio.

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Mer 24 Mai 2023 - 1:25
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Jeudi 7 décembre - Club de basket :

J’essuie la sueur de mon front, grâce au bracelet éponge à mon poignet. Nous sommes en période d’examen et les clubs restent ouverts pour que les étudiants puissent se détendre. Pas qu’eux d’ailleurs, je ne me refuse pas de participer. Après des heures à arpenter les allées, surveillant les premiers écrits, j’ai besoin d’un défouloir. Le sport aide vraiment le moral quel que soit la situation. Cacher ce qui me turlupine est plus facile ici que devant le tableau noir. Après trois matchs, dont deux soldés par une victoire, je me sens revigoré.

Noël approche à grand pas, quasiment tout le monde a hâte des prochaines vacances. Les décorations dans la salle des professeurs mettent du baume au cœur. Un petit sapin, modeste mais rayonnant, des guirlandes et chaussettes accrochés un peu partout, des stickers, bref, on s’est fait plaisir. J’aurais aimé que la première période de Noël que l’on passe côte à côte ait un réel goût de fête plutôt que de regret. Il m’était déjà difficile de me faire à l’idée que celui-ci se passerait sans Hanae. Savoir que je ne pourrais pas non plus en profiter avec toi est un second coup de massue. Ce serait déplacé de t’offrir un cadeau ? Tu prendrais mal que je ne t’en offre pas ? Je ne sais pas quoi faire, dans ces moments-là je crois qu’il vaut mieux s’abstenir...

J’ai terriblement envie de te parler, de voir si la magie de Noël existe, seulement... Même en y réfléchissant des heures durant chaque fois que je le peux, je ne parviens toujours pas à choisir les bons mots. J’aimerais m’avancer vers toi en étant certain que notre discussion ne se solderait que par un lien retrouvé. L’idée même qu’elle réduise le peu d’espoir que je nourris me tétanise et m’empêche d’entreprendre quoi que ce soit. Je me déteste d’être à ce point terrorisé à l’idée que tu me ris au nez, peinant à croire que j’ai pu penser que mes paroles seraient suffisantes. Le creux dans ma poitrine ne se résorbe pas, mais j’arrive encore à respirer malgré lui, alors je tiens.

Entrés à la maison avec Chiaki depuis un moment, nous voila enroulés dans un plaid sur le canapé, à la recherche du prochain dessin animé que nous allons regarder. Mon bébé lève la tête vers moi, ses petits pieds froids frottant sur mon mollet, mes jambes pliées en tailleur.

« Papa, Gawa-chan il peut regarder avec nous ? »

Je me mords la lèvre, hébété. C’est la première fois qu’il le réclame de la sorte. Il n’en a jamais vraiment eu le temps depuis que Yukio a pris une place particulière dans notre vie. J’aurais été un piètre père de fomenter tout cela au point que mon propre fils s’attache à lui. Je le serre contre moi et pose un baiser sur son front avant de lui répondre. En anglais aujourd’hui, pour stimuler le sien.

« Non chéri, Gawa-chan est occupé, alors il peut pas venir. »
« Ooh... »

Mon cœur s’effrite en voyant sa bouille triste, je me déteste de ne rien pouvoir y changer dans l’immédiat.

« Une autre fois ? »
« O-... On verra, d’accord ? »

J’ai failli lui répondre oui. C’est juste à temps que j’évite de faire une promesse qui ne dépend pas de moi.

« D’accord... »

Ce sera le film d’animation mon voisin Totoro. Dire que je l’ai aimé petit et que maintenant c’est mon fils qui va le découvrir. L’heure et demie est passée très vite, Chiaki a bien accroché à ces grosses peluches. Une nouvelle à ajouter à sa collection ? Possible. C’est l’heure du coucher, mais Chiaki serre ses doigts sur mon t-shirt.

« Je veux dodo avec toi. »
« Dodo sur papa alors. »

Il est encore trop tôt pour que j’ai sommeil. Chiaki calé contre moi et mes écouteurs dans les oreilles, je lance un audio et ferme les yeux durant l’écoute. J’entends très vite un petit ronflement et mes bâillements se rapprochent. Le mini chauffage sur mon torse y est pour beaucoup. Je me mets à l’aise et laisse Morphée me rendre visite. Pour une fois qu’il n’éprouve aucun mal à ouvrir la porte de mes rêves, je ne lutterai pas.


Samedi 23 décembre :

Au week-end sonnant le début des vacances, Chiaki et moi prenons le Shinkansen direction Tokyo, la ville où j’ai grandi et où nous attendent mes parents et mon petit frère Asahi. Il nous faut environ 3h45 pour poser nos valises. Autant vous dire qu’occuper un bambin pendant près de deux heures - il a dormi pendant une bonne heure et demi -, n’est pas de tout repos. Encore moins quand les crayons de couleurs se retrouvent à rouler sous les sièges. Mise à part ça, il a plutôt apprécié le voyage et le paysage défilant à toute vitesse. Pour la seconde semaine, Chiaki rejoindra sa maman à Osaka alors je compte profiter de la nôtre au maximum. Il reçoit un accueil de roi tandis que je suis relégué à celui de prince, rien de plus normal devant une bouille pareille. Je n’ai pas pu m’empêcher de pleurer en les serrant dans mes bras. Ce qui n’a rien de rassurant sur mon état psychologique...

Aucune envie d’en parler. Je préfère entendre mon cadet me raconter comment se passe sa deuxième histoire d’amour. La première a été aussi intense qu’expéditive, j’en sais pour les quelques heures au téléphone que nous avons passé ensemble. Cette fois, ça a l’air de vraiment accrocher, avec cette chère Saori. Bon ça ne fait qu’un mois mais il n’en parle pas de la même manière. La veille de Noël, le temps s’est comme arrêté. Enfermé dans une bulle que je rechigne à quitter. J’avais grand besoin de ce retour aux sources. Ici, pas de cours, pas d’élèves, pas d’Hanae, pas de Yukio, juste ma famille et moi. Et c’est parfait ainsi.

Le retour à la maison est difficile. Les aux revoir me déchirent le cœur et l’appréhension de me retrouver seul une fois Chiaki avec sa mère ne me rassure pas. J’ai peur de rester seul avec mes propres pensées. Cela car je sais vers où, surtout vers qui, elles vagabonderont. Je n’y échappe pas. Il suffit d’une soirée pour qu’allongé sur mon lit, les yeux fixant le plafond, je regrette les soirées ensemble pour combattre la solitude. Je ne sais même pas si tu es là ou auprès des tiens. Le souhait impulsif de grimper les marches et sonner à ta porte enflamme mes veines, mais je ne fais rien.

Pourquoi je n’arrive à rien faire ? Pourquoi je préfère fuir les bonnes questions à me poser ? Seul un lâche s’accoutumerait à ce comportement. Je t’en veux un peu tu sais... De ne pas avoir su lire entre les lignes de mes pattes de mouche. Rire amer. C’est plus simple hein, de te la rejeter. C’est de ta faute. Si tu avais écouté toute mes paroles, si tu avais retenu les mots les plus importants... Si tu ne m’avais pas fait perdre pieds, si tu ne portais pas si bien cette stupide chemise - là mets-tu à l’abri de mon regard au fait ? -, si tes lèvres n’avaient pas été si attirantes, et si, et si, et si... J’aurais voulu revivre cette journée pour que tu vois les confettis.

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Mer 24 Mai 2023 - 17:35
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Vendredi 5 janvier - vers 21h30 :

J’enfourne un takoyaki un peu trop chaud dans ma bouche. Irumi pouffe en voyant ma tête et prend soin de souffler sur le sien avant. Elle est arrivée il y a environ trente minutes, sans entrer chez elle après avoir fini sa journée de travail. La vie de manager n’est pas de tout repos. Dimanche elle s’y remet. Je suis donc content qu’elle ait pu prendre le temps de venir passer un petit moment à la maison. S’il y a une chose qui me rassure, c’est de savoir que l’on peut toujours compter l’un sur l’autre depuis plus de vingt ans. Je vois à son regard perçant dans ma direction, que l’échange de banalités a assez duré... Rappelez-moi pourquoi j’étais content qu’elle soit là déjà ?

« Bon ! Je veux tout savoir. »
« Je vois pas de quoi tu parles. »

Si tant est que ça marche, sur un malentendu.

« Bien, dans ce cas je peux aller le voir et l’inviter, après tout ce temps ! Il doit être bel homme en plus... »
« Ouais... ‘Fin non ! Tu vas nulle part ! »

Je la déteste quand elle fait ça ! Mon takoyaki trop chaud fait pâle figure face à mon visage empourpré.

« Ah ah ! Mais bel homme quand même. »
« La ferme. »
« Alleeez ! J’ai pas fais tous ces kilomètres pour pas avoir le croustillant ! »

Elle secoue mon bras, comme une enfant de cinq ans qui veut refaire un tour de manège.

« Ah ben d’accord, moi qui pensais que c’était pour moi, suis-je bête... »
« Bien sûr que si, mais je veux du bonus. »

Je la toise pendant quelques secondes avant de secouer la tête. Irumi et moi nous connaissons assez pour que je sache qu’elle ne se moque nullement de mon malheur. C’est plus une façon de m’aider à dédramatiser assez pour m’ouvrir. J’ai tendance à enfouir les choses et avancer comme si elles n’étaient plus là. Sauf que cette fois, je n’y parviens pas. Parce que mon armure s’est fissurée entre temps ou parce que Yukio a simplement réussi à la passer ? Sûrement les deux.

Irumi sait que les choses se sont arrangées avec Yukio depuis un moment, elle sait aussi que je ne suis pas indifférent à lui, mais surtout que Yukio m’aime sans qu’aucun doute ne soit permis. Elle a eu vent qu’on s’est disputés, enfin si on peut dire ça comme ça, et que le contact est rompu. Par contre, j’ai bien omis de lui dire à quel sujet. Et que font tous les gossipper professionnels quand on ne leur donne pas ce qu’ils veulent ? Ils se déplacent à la source pour satisfaire leur curiosité.

« Début novembre on est allés remplacer une chemise à lui que Chiaki a tâché... »
« Franchement, quand je vois comme il en est gaga, je comprends pas que l’approbation de Chiaki ne te suffise pas. »
« Je disais ! Irumi lève les mains, genre moi-je-dis-ça-je-dis-rien. A un moment je l’ai aidé dans la cabine... »
« Gareth... Me dis pas... »
« Quoi... ? »
« Vous avez couché ensemble dans la cabine ?! »

Irumi saute sur ses genoux à même le canapé et s’appuie sur moi, une vraie lycéenne dans sa tête ! Moi, elle me fait juste frôler la crise cardiaque !

« Mais ça va pas ?! T’y es pas du tout, perverse ! »
« Oui bon ça on le sait déjà, mais pourquoi tu rougis comme ça alors ?! Avoue ! »
« On a rien fait ! ... On s’est juste embrassés... »
« JUSTE ! Juste qu’il dit ! Et donc ?! »
« Et donc il m’a dit qu’il m’aimait et moi j’ai pas pu lui rendre, je peux pas... J’ai foiré mon explication parce que y’a trop de trucs qui me passaient dans la tête, et maintenant, il croit que j’ai voulu me venger de quand on était gosses... »
« Mais t’es déjà passé là-dessus, il abuse quand même. Qu’est-ce que tu lui as dit exactement ? »
« Je sais plus trop, que j’avais besoin de temps, que je voulais pas qu’il s’éloigne... Mais je comprends pas, on dirait que ça a pas percuté chez lui ! »
« Ben... Il a dû penser que c’étaient que des excuses en l’air... »

J’en ai bien peur oui... Mais je persiste à croire que ça aurait pu finir autrement. Je me console avec un deuxième takoyaki et prends le temps de mâcher avant qu’Irumi ne cherche à creuser.

« Tu l’aimes ? »
« C’hest pas la question... » je réponds la bouche pleine.
« C’en est une bonne quand même. Sinon laquelle ? »
« Quelque soit la réponse, la question c’est est-ce que j’ai envie de m’engager dans une autre histoire ? Je veux plus sauter à pied joints là-dedans. J’en ai pas envie... »
« Parce que t’as peur de souffrir je me doute... Mais ce qu’il s’est passé avant ne va pas forcément se reproduire. Déjà, vous êtes tous les deux posés pro parlant. Bon, vous êtes des hommes, mais ça je suis sûr que vous saurez y faire. Tu as évolué depuis. Ce serait triste de passer à coté non ? »
« Et si ça marche pas ? On perd tout... Je préfère autant qu’on soit amis que plus rien... »

Je bois plusieurs gorgées de jus de raisin et laisse tomber les takoyaki pour des tempuras aux crevettes. Irumi est trop concentrée dans son rôle d’entremetteuse du dimanche pour manger. C’est pourtant le refuge idéal, la nourriture, le gras, tout ce qui est bon pour la santé quoi.

« Sauf que vous n’êtes plus au stade d’amis, et ce n’est pas comme si vous voir tous les jours allait aider à ce que vous oubliiez. »
« Alors quoi ? Ca change rien au problème... »
« Oublions un peu le contexte, tout ce qui est relou là. T’en penses quoi ? »

J’ai intérêt à jouer le jeu car elle ne lâchera pas l’affaire. D’autant plus qu’Irumi dort à la maison alors si elle doit s’en donner à cœur joie jusqu’à minuit, rien ne l’en empêchera. J’essaie de réfléchir à la question sérieusement, écouter ce que mon cœur baragouine en battant inlassablement. Tellement longtemps que nous n’avons pas discuter que j’en oublie son morse. Ce que j’entends m’effraie, je ne veux pas ressentir ça. Ou je veux mais pas maintenant. Ou pas trop fort... J’en sais rien ! Ma tête s’échoue en arrière sur le dossier et mon regard fixe un plafond dont je connais les aspérités par cœur à force de l’observer. Parfois je me surprends à essayer de deviner ce qu’il fait au-dessus avec le peu de bruit que je perçois. Ouais, sans commentaire.

« J’en pense que dormir seul c’est de la merde... »
« Ben invite-le à dormir. »

Je peux la baffer ? Nan ? Dommage. Avec son sourire en coin là, fière de sa vanne à cent yens. Lui pincer le bras suffira.

« Aieuh ! Ohlala je dois tout faire avec toi ! Tu veux une histoire d’un soir avec lui ? »
« Non ! »
« Pas de soir du tout donc. »
« Mais si... »
« J’ai compris, plusieurs soirs enroulés dans le plaid à regarder un film chiant, en toute amitié, bien sûr. » elle roule des yeux.
« Tu m’emmerdes Iru... »

Ca m’empêche pas de sourire. Ma meilleure amie s’autorise enfin à piocher dans les mets sur la table basse, satisfaite. De quoi, je me pose la question. J’ai rien avoué. Absolument rien.

« De toute façon, je sais toujours pas quoi lui dire. »
« La vérité. Elle n’est pas obligée d’être belle, mais tu seras fixé. »

Mouais... J’aurais aimé que cette journée se pointe plus tôt.

agora


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Gareth N. Kobayashi
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Gareth N. Kobayashi
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Gareth N. Kobayashi

[Chez Gareth - SOLO] Little rolling acorn was so happy Empty Re: [Chez Gareth - SOLO] Little rolling acorn was so happy

Mer 24 Mai 2023 - 22:40
Little rolling acorn was so happy
Lundi 15 janvier - 6h du matin :

Mon réveil sonne à peine que je sens que quelque chose ne va pas. J’ai mal au crâne, ma gorge me fait mal quand j’avale ma salive et mon nez est bouché... M*rde... A peine la crèche retrouvée après les vacances que Chiaki est tombé malade, et plot twist, il me l’a refilé. J’ai pourtant pris mes précautions, même des médicaments au cas où, ben non, f*ck dans ta face ! Que Chiaki me demande de plus en plus fréquemment où est son Gawa-chan ne suffisait pas. Je commence à manquer d’excuses... La dernière fois, il m’a demandé s’il était fâché avec lui. J’ai dû lui dire que c’est moi qui n’avait pas été gentil tant ça m’a fait mal au cœur.

« Va dire pardon papa ! »

Grondé par mon propre fils. Je sais, je sais... Allez... Douche chaude... Je regarde mon reflet dans le miroir, mon teint est blême comme un vampire, un peu violacée sous les yeux. Je tire la langue, ma gorge est gonflée bien comme il faut. Pour ne rien arranger, je dois avoir pris trois ou quatre kilos, bye bye les abdos visibles... Rien de dramatique, ma grande taille aide bien, mais pour le moral au top on repassera. J’ai vraiment négligé la salle de sport ces derniers temps et au club, je reste coach avant tout alors je ne peux pas jouer tout le temps.

Petit déjeuner... Ouais pas trop, si c’est pour douiller. Un verre de jus frais fera l’affaire. Comment je vais faire à midi purée ? Je termine de me préparer, pose une pastille sur ma langue après un cachet avalé et vais réveiller la marmotte. Il a l’air plus en forme que moi, enfin une bonne nouvelle ! Bébé déposé, je prends la direction du campus. Une fois sur le parking, je reprends mon masque blanc dans ma sacoche et en couvre mon visage.

Tousser entre chaque phrase quand on est professeur est d’un plaisir sans nom. Je hais ma vie. Depuis novembre je me sens maudit. Oh je sais bien qu’il y a pire que moi, mais c’est juste une accumulation de plein de petits trucs de m*rde dont je me serais passé. Deux mois, ça fait deux mois que j’ai l’impression que ne plus te parler a retiré une clé de voûte quelque part sur ma route ; et que les autres ont subitement trop de pression à supporter pour maintenir l’équilibre. Le temple s’effondre sur lui-même à petit feu, d’abord quelques fissures par-ci par-là puis les murs commencent à craquer, le toit se met à pencher.

Comme la tête de certains qui piquent du nez sur leur table ce matin. C’est mon cours qui est chiant comme la mort ou... Nan ça doit être ça. Allez, je n’ai que trois heures à donner aujourd’hui, rien d’insurmontable. Quand on redoute plus la salle des profs que les regards désespérés de la jeunesse, rien ne peux nous arrêter. Bref, un lundi de plus sous le signe de ma lâcheté. Je comptais te parler hein, mais comme je suis malade, je me suis dis que ce ne serait pas prudent, distance sanitaire, tout ça, tout ça. Ah ah... La ferme Gareth.


Mercredi 24 janvier - Déjeuner au self :

Yukio préfère le plus souvent manger son bento en salle des profs. Enfin ce n’est pas tout à fait vrai, il s’aventure parfois sur le toit pour manger en plein air. Il est possible que je l’ai déjà accompagné une fois, mais je crois qu’il aime être seul à observer ce que l’horizon propose. Je respecte. Moi j’aime imaginer ses cheveux qui ondulent au gré du v-.

« Kobayashi-san, allons manger ! »
« Hmm ? »

Juste quand l’image devenait limpide et envoûtante... C’est peut-être mieux comme ça. D’habitude je me fais des bentos, mais ces derniers temps je ne fais rien comme d’habitude. La flemme a pris le dessus, pourquoi se fatiguer quand j’ai à ma disposition une cantine variée ? Je suis le petit groupe, guidé par la nuque de Yukio qui me fait face, juste devant Iwashi-san professeur de chimie. Il s’est coupé les cheveux il n’y a pas longtemps non ? Sa peau a l’air plus découverte... Ou c’est à cause de son col... Qu’est-ce que je raconte moi, je perds la tête.

Une bonne partie du personnel se retrouve autour de grandes tables pour partager le repas. Bien sûr, je prends soin de ne pas me trouver trop proche de Yukio, mais en même temps, je ne peux me résoudre à ne pas l’avoir dans mon champ de vision périphérique. Quitte à ce que ça me coupe une partie de mon appétit. Je donne dos à la cafétaria, il est dans la rangée d’en face, à quatre place sur la gauche. Deux estomacs d’oiseaux.

La vérité. Elle n’est pas obligée d’être belle, mais tu seras fixé.

Les mots d’Irumi me reviennent comme une vague lointaine oubliée, un tsunami qu’on attendait plus. Si on mangeait juste tous les deux, qu’est-ce que je te dirais ?

Pour ce qu’il s’est passé la dernière fois, je suis désolé. Je ne savais pas ce que je voulais mais je n’ai jamais voulu jouer avec toi. Je ne regrette pas de t’avoir embrasser, mais si tu me demandes de te dire je t’aime maintenant...

C’est une étape insurmontable pour moi. Non, non c’est pas ce que je veux dire. Pas comme ça. Je sens à peine le sushi dans ma bouche, trop absorbé dans mes pensées, perdu dans un méli-mélo de phrases toutes les plus bancales les unes que les autres.

Pour ce qu’il s’est passé la dernière fois, je suis désolé. J’aimerais prendre mon temps avec toi, pour y voir plus clair. C’est pas facile pour moi de m’engager aussi vite après une histoire compliquée...

C’est moins pire, mais toujours trop vague. Je le sais, que je ne m’ouvre pas assez, rien qu’à moi-même. J’ai arrêté de me voiler la face sur ce qui naît en moi, ça ne veut pas dire que je me sens prêt à franchir le pas. Mon plateau qu’à moitié vide, l’heure de déjeuner a filé à toute vitesse. Les bons mots eux, ont préféré la plonge. Comme ton regard toujours baissé chaque fois que le mien manque de le croiser. Ton plateau n’est pas moins rempli que le mien. Peut-être que ma vision te coupe l’appétit tant je te dégoûte. C’est vrai ça. Je m’arrache les cheveux alors qu’il est tout à fait possible que tu n’aies aucune envie que je t’adresse la parole.


Jeudi 1 février - Immeuble :

« Oh, bonjour Ogawa-san. »

J’entends sur le palier, devant les portes de l’ascenseur, qui viennent de s’ouvrir devant une voisine. Le moi d’avant aurait couru pour entrer avant qu’elles ne se referment. Le moi d’aujourd’hui attendra que celui d’à côté arrive. J’attends même un peu avant de l’appeler pour être sûr que je ne le croiserai pas. Aller chercher le courrier pendant la sieste de Chiaki n’a jamais été une mission si périlleuse. R.A.S aux boîtes aux lettres, je remonte aussi rapidement, cœur battant comme si Yukio pouvait surgir de derrière les portes métalliques.

Si cela arrivait, qu’est-ce qui se passerait ? Mon corps le sait. Ma tête en a marre de lui. Marre de rédiger des monologues que je ne prononcerai jamais, marre de devoir foutre des cadenas à chaque pensées qui s’évade vers le plafond. Marre que son prénom possède une image qui me brûle la rétine. J’en ai assez de la voir, assez qu’elle me torture. Je veux la faire disparaître, rien qu’une fois, rien que quelques heures, je n’en demande pas beaucoup. On est jeudi... Ce week-end, ce week-end je veux gommer son visage avant de péter les plombs. Je veux oublier tout lien que j’ai avec qui que ce soit, sur cette planète, qui se délecte des maux de ses habitants.

Je commence à avoir l’idée saugrenue que Chiaki a été mis dans la confidence. Après la sieste, c’est atelier dessin dans le salon. Des personnages sans prise de tête pour moi, j’aime mixer les éléments de différents mangas pour en faire des croquis originaux. Chiaki voit plus grand, sa feuille a beaucoup de vert et des arbres poussent à divers endroits. Un parc. Il y dessine un grand bonhomme qu’il baptise papa, un tout petit qui s’appelle étrangement comme lui et un autre assez grand mais pas autant que papa.

« Papa, tu pourras donner à Gawa-chan ? »

Ses yeux bruns brillent de milles feux. Puisqu’il ne peut pas le voir, il peut lui donner un dessin. Je suis persuadé que pour lui, l’idée est la plus géniale de toute. Et il a raison. Elle l’est, bien sûr qu’elle l’est. Mais que suis-je censé faire ?

« Oui, je lui donnerai. Il est beau ton dessin. »

Chiaki se dandine sur sa chaise, tout content et fier de lui. Il me tarde d’être samedi, il me tarde de cesser d’exister sous toutes les casquettes qui pèsent sur mes épaules. Le lendemain, au volant en direction du campus, je stresse. Dois-je lui donner ou pas ? Comment il le prendrait, je te donne un dessin de mon fils, que tu ne verras plus du tout mais eh, c’est un souvenir, tu vas pas te plaindre ? Non, non... C’est pas possible.

Mais peut-être aussi que ça lui ferait plaisir, il ne faut pas voir que les mauvais côtés. C’est un bébé, qu’il aime beaucoup et qui l’aime beaucoup aussi... Je vais... Je sais... Lorsque j’arrive dans la salle des profs, Yukio est déjà présent. Je dois attendre un autre moment dans la matinée pour prendre le dessin enroulé, tenu par un élastique, et le poser sur son bureau. Je ne veux pas mentir à Chiaki et lui faire croire que je l’ai bien donné. Maintenant, j’attends, de savoir si j’ai bien fait ou non... J’aurais aimé te voir passer cette journée à te vanter d’être en possession de ce tirage unique.

agora



#terminé

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Sam 3 Juin 2023 - 20:00




Comme il pleut sur la ville, quelle est cette langueur ?
Samedi 10 février 2018


Musique d'ambiance

[Chez Gareth - SOLO] Little rolling acorn was so happy Solo_g10


La pluie tape sur le carreau. Dehors, le vent souffle le linge oublié sur le fil, et le ciel gris a gommé les ombres architecturales. L’appartement est sombre. Les ampoules marchent. Elles sont juste éteintes. Les meubles semblent inamovibles, comme figés, et le silence du lieu n’est troublé que par les gouttes frappant le verre de la porte vitrée. Le balcon est plongé dans une légère tourmente météorologique. Les vêtements gouttent. Il faudra sûrement les relaver. Qu’importe. Pour ce que ça peut lui chaloir, les chemises peuvent bien crever d’humidité.

Les étagères étalent les murs, débordant de livres mal rangés. Un moine en déshérence a déplié tous les rouleaux de la librairie, en laissant la moitié sur le sol, sûrement en quête d’une citation quelconque propre à remettre des dorures dans ses écrits. Sur le parquet encombré par les ouvrages négligemment laissés ci et là, entre le canapé et la table basse, dans la pénombre, mutique, Yukio est allongé, les yeux posés sur son plafond. Le regard perdu dans le vide, il laisse divaguer son esprit, quelque part entre ses souvenirs et ses aspirations. Vu d’en bas, l’appartement paraît si grand, et les codices le peuplent sans lui donner vie.

Un froid blanc court sur les parois, comme prêt à engourdir les pièces de l’habitation, et à les conduire dans un profond sommeil. Malgré la fatigue, les songes ne viennent pas, et les bâillements se multiplient sans pour autant produire d’effet.

Le temps n’avance plus, pourquoi le suivre ? L’horloge a cessé son cours, les piles sont sûrement mortes. Personne ne les remplacera. Même le piano au mur, compagnon nocturne des infortunes régulières, se trouve délaissé. Seul, les touches offertes, il laisse s’accumuler sur son clavier une poussière mélancolique. La musique ne résonne plus sur les cloisons, les partitions ne tournent plus leurs pages, et les concertos nocturnes n’embêtent plus la vieille du troisième, celle avec les perruches en cage.

Comme étouffé, l’appartement s’est tu. Solitaire dans son écrin de papier noirci par du latin, étendu sur le sol de bois flottant le soir, la nuit et le matin, le professeur laisse couler ses pensées sur les heures passées. Il n’est pas vraiment ailleurs, mais n’est plus vraiment là, et son corps demeure, respirant sans trop y réfléchir. Là où il est, rien ne peut plus vraiment l’atteindre, sinon ses propres démons, poursuivants parfois athlétiques.

Il est, un instant durant, dans les années noires de son enfance, à écumer sa propre rage, et l’autre, dans sa jeunesse aventureuse, à creuser les tranchées de sa personnalité. Tokyo, Rome, Tây Ninh, Iquitos, Moscou, Ma’janga… Tant d’endroits où il a laissé une part de lui, pour en rapporter une autre. Tant d’endroits où il a pu, sans le vouloir, pleurer, boire, lire, découvrir, rencontrer, parler. Voyager pour embrasser le monde, comme disait Montaigne, pour frotter, limer sa cervelle contre celle d’autrui. Voyager pour embrasser le monde… Parfois très littéralement. Des quarante-millièmes de périmètre terrestre parcourus, à pieds, en avion, en voiture, en train, et le plus souvent même sans attentes.

Des villes… Des noms aussi, tous aussi beaux les uns que les autres. Des visages, souriants, tristes, extasiés, sincères. Charlie, le marathonien pas du matin. Jorge, le gars qui souriait toujours. Jean, défoncé au khat au volant de sa deux chevaux, slalomant entre les nids de poules. Yukiko, obsédée par la cohérence des éditions sur ses rayonnages, prête à jeter des bouquins dépareillés. Minh, rencontré un soir de doute ardent, au coin d’un cinéma, capable de tout éteindre par ses étreintes. Maria, courageuse, marchant au devant du danger. Laurence, si blessante et percutante, si pertinente.

Des moments volés à l’horreur du monde. Des souvenirs arrachés à la vie. Des clopes mentholées achetées au coin des rues. Des empanadas mangés sur le pouce. Des marchés bourrés de bruit. Des mal de dos en taxi brousse. Des courses effrénées dans des cités nocturnes. Des courbatures après de longues marches. Des jeûnes dans la jungle. Des plages à perte de vue. La mer berçant un baiser gêné. Des thermiques enroulés au son du variomètre, et le calme des nuages couvrant les flamboyants en plein hiver austral. Quelques frayeurs, quelques joies, quelques sourires.

L’appartement est vide. Il n’y reste plus rien que des ambitions déçues, et dans la main de Yukio, le dessin d’un enfant. La mémoire ne porte plus rien. Tout une vie vécue sans vraiment d’aboutissement. S’il était honnête, peut-être s’avouerait-il que la rédemption n’était pas tant ce qu’il cherchait. Un peu d’amour, un peu d’espièglerie, des repas partagés sur une terrasse. Quoi d’autre ? Se faire jeter, ça fait toujours un mal de chien. A côté de ça, la grande intoxication alimentaire du ceviche de Pimentèl au sortir d’El Niño parait finalement sans réelle douleur. Il s’est quand même injecté à grands coups de seringue des antibiotiques dans un abcès, tout seul comme un grand, et ouvert le pied au couteau suisse de ses mains, pour s’arracher une épine d’oursin. Pour tout dire, ça ne faisait pas aussi mal.

Dans ses mains, il reste un dessin. Juste un dessin. Trois bonhommes dans un parc. C’est triste, trois bonhommes dans un parc, quand on sait qu’ils ne se parlent plus. Le gamin est au milieu des deux autres, un peu perdu... Désolé Chiaki, c’était pas trop voulu, tout ça… Personne ne sait vraiment où il en est, et Papa patauge dans le bac à sable. Le parc, il est grand. T’en trouveras d’autres des bonhommes pour te tenir la main. C’est pas qu’on voulait pas taper des concerts de saxo avec toi, c’est juste que l’orchestre a mal joué, et que personne n’a sur donné le tempo.

Il est beau le dessin. On dirait que les arbres dansent. A côté, il y a un hérisson. Le hérisson, il pique, il pique, alors qu’il veut juste qu’on le caresse. C’est rude quand même.

Le dessin, il reste là, comme un tableau uchronique. Une manière de dire la beauté de ce qui n’est jamais arrivé, et qui n’adviendra jamais.

La pluie tape sur le carreau. Dehors, le vent souffle le linge oublié sur le fil, après avoir soufflé les étincelles des amours naissantes.

La pluie tape, le dessin est humide.

Et le hérisson, dans son appartement, il pique toujours autant.








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