Dirty or proper talk? ; avec Kazuki Ikeda

J’ai un problème.

Et tu sais quoi, cher journal ? Il ne va même pas te surprendre : aujourd’hui, j’ai prévu une petite session révisions d’anglais avec un autre étudiant que je croise assez souvent en cours. Difficile de le louper, il est blond avec une coupe un peu atypique (enfin ça reste soft quand on compare avec moi, mais le blond dans une troupe de cheveux noirs bien japonais, ça se voit, c’est tout). Je ne sais plus trop comment j’en suis venu à m’asseoir à côté de lui pendant les cours magistraux de temps à autre, mais ça s’est passé. On a peut-être un peu discuté parce que l’homme est un animal social et que je ne peux juste pas m’empêcher de la fermer en toutes circonstances… et on a fini par se prévoir une session révisions sur des petits trucs qui bloquaient. Surtout de la méthodologie, parce que l’anglais est à peu près au point.

Alors tu te demandes où est mon problème, n’est-ce pas ? Où est-ce que j’ai encore merdé ? Et bien j’ai l’impression de connaître ce mec. Mais alors une impression viscérale, quelque-chose d’absolument gravé dans la peau dont j’ai bien du mal à me détacher. C’est pire que d’avoir un mot sur le bout de la langue, c’est sur le corps tout entier que le souvenir plane et pourtant, impossible que ça me revienne. Tout ce que je sais, c’est que ça m’a marqué, d’une manière ou d’une autre. Des fois, je sais que j’ai des moments de blanc ou je le regarde un petit peu de travers (et je le jure devant tout ce qui m’est cher : je ne le fais pas exprès), je plisse les yeux, comme si ça allait m’aider à me souvenir de qui est ce type.

Donc quand la session révisions arrive enfin, je n’ai qu’une envie et c’est d’annuler. Pardon mais c’est super gênant ! Des fois, j’ai limite du mal à le regarder dans les yeux. Et je me connais, ça fait vingt-sept ans que je vis avec moi-même. Je sais comment marche mon cerveau. Si je réagis comme ça, c’est qu’il y a une raison. Je la découvrirai bien un jour, mais le plus tôt le mieux.

En attendant, je ne vais pas rester planté là cinquante ans non plus. En plus, je suis légèrement en retard.

« Hey, dis-je en m’armant de mon éternel sourire. Désolé, j’avais pas vu l’heure. T’as commencé sans moi ? Ah, ça va au fait ? »

Si je fais semblant de ne pas être un élémentaire de gêne, la gêne disparaîtra. C’est la science qui le dit.

Ce que j’aime le plus chez…

J’attrape mon téléphone discrètement alors que je réponds à son invitation et que je m’assois à côté de lui, et je regarde le nom que j’ai donné à son contact. Puis je le range tout aussi vite ni vu ni connu j’t’embrouille.

Donc, je disais.

Ce que j’aime le plus chez Ikeda-san, c’est qu’il a l’air aussi bête que moi. Attention, je ne dis pas ça méchamment. Je l’assure. En réalité, je pense que d’un point de vue culturel et intellectuel, il est tellement plus avancé que je ne le suis. Il suffit de voir comment est-ce qu’il bûche ses cours presque jour et nuit quand on en discute. Donc ce n’était pas un « bête » aussi péjoratif qu’il en avait l’air. Enfin, je veux dire… bon, d’accord. Ce n’est pas gentil de penser qu’Ikeda-san est bête. Mais il n’est pas idiot, ni stupide ! C’est juste que j’ai l’impression qu’il n’a pas remarqué mon comportement bizarre avec lui. Et Dieu sait que ça m’arrange plus que tout. Il n’a pas conscience de la gêne qui s’empare de moi quand nous discutons et quelque-part, peut-être que ça ne fait pas de lui quelqu’un de bête, et qu’au contraire, ça veut possiblement dire que je ne m’en sors pas trop mal pour noyer le poisson.

Tout ça pour dire que j’aimerais qu’on reste sur cette ligne éditoriale. Je veux qu’il continue de n’y voir que du feu et par tous les Dieux, je veux me souvenir de lui ! Je jure que rien ne fait sens : je suis persuadé de le connaître, de l’avoir déjà vu et peut-être plus mais d’un autre côté, pourquoi est-ce que lui ne me reconnait pas ? Lui aussi souffre du même problème que moi et donc j’avais raison de l’appeler bête ? Ou alors est-ce qu’il joue avec mes nerfs et fait exprès ?! Je deviens fou ! Et je me rends compte que je le regarde encore en plissant les yeux comme si c’était un OVNI, alors j’arrête très vite pour lui sourire de nouveau :

« Merci ! Merci de quoi, je ne sais pas. De m’avoir autorisé à m’asseoir ? Oh mais la salle commune fera très bien l’affaire, ne t’en fais pas. Ce n’est pas plus mal si on doit revoir la méthodo’ ensemble et qu’on doit parler. Au moins, on ne dérangera pas les gens de la bibliothèque. »

Surtout que je suis une pipelette. Donc bon.

« Alors ! On bosse quoi en premier ? La dissertation ? Le commentaire de texte ? Je suis mauvais dans les deux donc franchement, les deux me vont. Enfin, mauvais. J’ai eu la moyenne à la dernière alors maintenant je dis que je suis passable. Tu sais que j’ai même donné des cours à un étudiant la dernière fois ? Ahah, bref. Du coup ? Commentaire ou dissertation ? »

Tu sais, Nassim, parfois, il y a des moments où il faut apprendre à fermer sa gueule. Je sais que je parle beaucoup, tout le temps, en toutes circonstances, et que du coup ça devient difficile de faire la différence entre les moments où je fais juste la conversation et ceux où je parle parce que je panique.

Cher journal, je crois qu’Ikeda-san va finir par penser que je ne suis pas tout seul dans ma tête.

Il a haussé un sourcil.

Et je sais ce que tu vas me dire, cher journal, Nassim, tu dramatises ! Il a haussé un sourcil, mais qu’est-ce qu’on s’en tape ?! Et je te répondrai, cher journal, que tu ne suis pas et que tu me déçois au plus haut point. Je ne dis pas qu’hausser le sourcil c’est la fin du monde, mais Ikeda-san qui hausse un sourcil, c’est un peu comme si l’apocalypse s’abattait sur mon petit monde tranquille.

Alors vas-y ! Crache le morceau, Ikeda-san ! Pourquoi est-ce que tu hausses ce fichu sourcil ? C’est parce que tu me connais et que, je ne sais pas moi, on s’est pris la tête d’une manière ou d’une autre ? J’ai juste envie de me taper le front contre la table, là tout de suite. S’il s’était passé quelque-chose d’important, je m’en souviendrais. Je le sais ! Alors pourquoi est-ce que je ne parviens pas à mettre le doigt sur-

Les souvenirs me frappent comme une épiphanie. Ils sont d’une violence inouïe, si bien que je regarde Ikeda-san avec un vide bouffant dans les yeux. S’il y regardait de plus près, il n’y verrait absolument aucune forme d’intelligence et il tomberait à pic dans son observation.

J’ai couché avec ce mec. C’était y a peut-être… je ne sais pas, huit mois de ça ? Peut-être même plus. Il était blond, il avait des contours aussi bien tracés et des mèches rebelles partout, exactement comme Ikeda-san, il faisait sombre et les toilettes de la boîte étaient juste crades. Le souvenir est aussi net qu’il est flou dans ma tête, à tel point que malgré la révélation qui m’a soudainement frappé, je ne parviens toujours pas à obtenir la satisfaction que je cherchais. Comme si quelque-chose clochait.

Et je me rends compte que je n’ai pas écouté ce qu’il m’a dit. Enfin, en tout cas, la première partie. Celle sur le fait que je sois bavard m’a même arraché un petit rire nerveux.

« Ah, oh, bah merci alors, dis-je et c’est pathétique. Je fais quand même un geste de la main détaché comme pour balayer son inquiétude sur le fait d’être moins loquace que je le suis. Ne t’en fais pas pour ça, je pense que ça te surprendra pas si je te dis que je suis très bon pour meubler. »

C’est surtout que j’ai du mal à m’en empêcher.

Il me faut bien trois longues secondes pour comprendre le message derrière ce qu’il vient de me dire. Je fais l’effort de détendre mes épaules alors que je n’ai toujours pas digéré la nouvelle information. Je me demande pourquoi est-ce qu’il ne m’a rien dit. Est-ce qu’il se souvient seulement de moi ? Est-ce qu’il avait trop bu pour ça ? Je fais quand même attention en général puisque moi je ne bois pas, simple question d’ascendant et de consentement, tout ça.

« Enfin, je dis meubler mais on est quand même venus pour réviser après tout ! Loin de moi l’envie de te distraire, ajouté-je sans réussir à empêcher mon cerveau d’y entendre un sous-entendu salace que je chasse très vite de mes pensées. Et je ne mettrai pas de miettes sur tes affaires, ne t’en fais pas. De toute façon, je n’ai pas faim. Tout ça pour dire… »

Qu’est-ce qu’il a bien pu me répondre tout à l’heure pendant que j’avais la tête ailleurs ? Commentaire ou dissertation ? J’ai une chance sur deux de me tromper. Je prends mon courage à deux mains et :

« Va pour la dissertation du coup ! Je ne sais pas toi, mais j’ai toujours du mal à ne pas faire du déballage de cours. C’est difficile d’utiliser efficacement le cours et les ressources sans trop tomber dans l’explication et sortir de l’analyse. J’admire ceux qui y arrivent dans le temps imparti. »

Il y a une chose que je ne peux définitivement pas lui enlever, et c’est qu’il est plutôt avenant, voire même bienveillant. Et c’est assez contagieux : le comportement détaché qu’il adopte avec moi alors que je suis quasiment sûr qu’il sait réussit aussi à me détendre peu à peu alors qu’il me parle de méthodologie. Pour une fois, je décide de me concentrer sur la théorie et les révisions en espérant que ça me fasse oublier les bribes d’images qu’il me reste en tête. Je me sens encore bizarre. Une part de moi a l’impression que je fais carrément fausse route mais d’un autre côté… est-ce que je fais vraiment fausse route ? Je ne sais pas.

Je m’adonne à l’activité qui était prévue pour nous : je révise. J’écoute ses conseils, je regarde les quelques annales d’entraînement et les textes prêtés par l’enseignant, on discute de pistes d’analyse, de vocabulaire d’analyse et toutes ces choses qui ont davantage tendance à me barber le reste du temps et étrangement, je ne vois pas le temps passer. D’un côté, je sais que c’est parce que j’aime les langues, de l’autre je sais que c’est pour échapper au pire, c’est-à-dire la réalité.

Mais alors que nous avons bien avancé, Ikeda-san me propose une pause. Et franchement, j’ai le cerveau grillé alors :

« Ouais. Je dis pas non, là tout de suite, dis-je un peu moins embarrassé que plus tôt. Soufflons un peu si ça t’ennuie pas. On a déjà pas mal avancé. Enfin, peut-être pas pour toi mais là moi, je suis déjà au maximum de ce que je peux donner. J’ai pas l’habitude de travailler pendant aussi longtemps mais c’est pas déplaisant. Au contraire, j’ai compris plein de choses. Faudrait… peut-être que je fasse ça plus souvent, en fait. »

Je n’ai pas sa patience, ni sa résilience, ça c’est sûr. Mais quand je me suis inscrit ici, il y a un peu plus d’un an, j’ai décidé que je ferai les choses sérieusement, pour une fois. Et jusqu’ici, je m’en suis sorti avec un peu plus de la moyenne. Ce qui n’est pas si mal quand on relativise un peu.

« J’ai l’impression que t’as toujours le nez dans les bouquins. Comment est-ce que tu fais pour pas te fatiguer ? Je termine toujours par phaser au bout d’un moment et je me retrouve sur mon téléphone au lieu de continuer à bosser. »

Tu sais quoi ? Je suis fatigué, cher journal. Épuisé, même. Je me fais un sang d’encre pour quelque-chose qui n’a pas l’air d’affecter mon partenaire de crime plus que de raison. Lui semble détendu, en train de vivre sa meilleure vie alors que sa tête est sûrement encore pleine de tout ce qu’il vient de passer en revue avec moi. Alors tu sais quoi, cher journal ? J’ai décidé que j’allais adopter la même attitude que lui. J’ai sûrement fait tout un tas de choses à ce mec qui m’enverront tout droit en enfer, mais c’est la vie que j’ai choisi de mener. Qui sait ? Peut-être que lui non plus ne se souvient pas de moi. Peut-être qu’il n’est pas physionomiste, que lui aussi oublie les noms, ou que l’alcool avait altéré sa mémoire, même si je le répète, je fais toujours en sorte de me trouver des partenaires sobres ou pas trop éméchés.
Quoi qu’il en soit, je décide qu’à partir de maintenant, je fais comme Ikeda-san. Je croque la vie à pleine dents. Alors quand il me propose d’aller prendre l’air, je hoche vivement la tête, plus qu’intéressé par la proposition. Je m’apprête à ranger mes affaires par réflexe avant de me souvenir que j’ai plus de chance de perdre mon sac sur le trajet entre la salle commune et l’extérieur plutôt qu’on me vole mes affaires en plein milieu de la faculté. Je ne manque pas d’écouter mon professeur attitré de la journée (même si en soi, c’est un travail d’équipe plutôt qu’un cours unilatéral).

« Et bien, ils doivent être satisfait du résultat. Tu casses la baraque à chaque exam’ et en plus de ça, t’es super pédagogue, dis-je avec un sourire en coin. Les efforts paient, visiblement. »

J’essaye de ne pas présupposer de la fierté de ses parents à son égard car je sais que le domaine de la famille peut parfois être un terrain glissant. Je suis déjà suffisamment maladroit comme ça, alors quand je perçois une bourde au loin, je l’évite comme je viens de le faire. D’autant plus qu’Ikeda-san ne semble pas exactement jovial au sujet de ses habitudes scolaires. Alors j’en reste là.

Surtout que la suite me parle beaucoup plus que les études ne le feront jamais.

« J’y pense jamais. Je me dis toujours qu’à la moindre distraction c’est mort et que je finirai pas ce que j’ai commencé. Mais t’as raison. J’essaierai la prochaine fois et puis, je t’en dirai des nouvelles, ajouté-je avec un air plus détendu. C’est pas si simple de bosser à côté des études mais c’est sûr qu’il n’y a rien de mieux pour se vider la tête. Enfin, je trouve. »

Et je vais mordre à l’hameçon comme un con. L’hameçon d’une ligne qu’il n’a jamais lancé, j’en suis sûr, mais l’hameçon quand même. Parce qu’évidemment, tout ce qui a réellement retenu mon attention c’est cette histoire de sorties les week-ends. Je ne peux définitivement pas lui demander un relevé de toutes les sorties qu’il a fait il y a à peu près six ou sept mois de ça, mais je peux peut-être en apprendre un peu plus sur ses habitudes et tirer ça au clair.

« Je sors aussi. En fait, je disais qu’il y a rien de mieux que le boulot pour se changer les idées mais bon, on sait tous les deux que c’est pas vrai, lui dis-je avec un sourire complice. De la musique à fond, une piste pour danser, un DJ pas trop mauvais et je suis requinqué pour la semaine. »

Je commence à regretter d’avoir dit ça. Dans le meilleur des cas, Ikeda-san me dira qu’il n’a pas le temps de sortir pour s’amuser, que les études c’est important, et qu’il doit se concentrer sur ça en priorité. Et puis, il peut très bien s’amuser autrement. Peut-être qu’il a un club où ils jouent à des jeux de société le soir, après les cours. Dans le pire des cas, l’abcès sera crevé. Ikeda-san me dira qu’il sort, qu’il se souvient de moi, ça va être incroyablement gênant mais peut-être qu’ainsi nous pourrons avancer comme deux adultes en pleine possession de leurs moyens. Et puis sérieusement, plus je le regarde plus Ikeda-san me semble jeune. Il doit avoir quoi ? Dix-neuf ans ? Je ne lui donne pas plus de vingt-deux. Certes, il reste un homme en pleine possession de ses moyens et ce n’est pas comme si j’avais une relation établie avec lui (qu’il m’en excuse, mais je ne vois pas ce qui pourrait m’intéresser dans la tête d’un gamin de vingt ans, je me projette peut-être mais j’étais complètement idiot à cet âge-là). Cependant, force est de constater qu’Ikeda-san semble tout de même plus intelligent que moi à vingt-sept ans.

Je gèle un peu sur place quand il me dévoile ses plans du samedi soir avec autant d’honnêteté. Je veux dire, bien-sûr que j’ai déjà eu des conversations crues avec des japonais, mais en général, je rencontre tout de même une petite… réserve ? timidité ? lorsque le sujet est abordé. Je me retrouve à déglutir comme une adolescente de quinze ans. Si j’avais une jupe, je l’aurais froissée dans mes mains moites.

Mais je suis un homme digne alors j’encaisse et je relève le menton, digne, comme je l’ai dit. Cher journal, je ne vais pas me laisser terrasser par quelque-chose d’aussi misérable. Enfin, je vais essayer. Pourtant, ses mots tournent en boucle dans ma tête. Pas tant les mots en eux-mêmes, mais l’aplomb avec lequel il les a prononcés. Je donne le change : je souris, je ris même un peu.

« Ah oui ? Dis-je, vivement intéressé, mais pas trop vivement non plus, sait-on jamais, et je croise les bras. Même pas pour danser ou profiter de la musique ? »

J’arbore une expression amusée, je ne suis pas indigné parce que pour moi, ces choses-là ne sont pas taboues et si elles ne le sont pas pour lui non plus, je ne vois pas pourquoi est-ce que je perpétuerai un truc qui me fait chier. J’admets qu’après réflexion, il me pousse un peu de courage et je mets un pied sur le terrain qui s’annonce comme l’un des plus glissants de ma petite existence.

« On s’est peut-être déjà croisés, si tu sors aussi souvent que moi. »

Là, il n’a plus le choix. Je l’ai fait comme un rat. S’il se souvient de moi, s’il s’est réellement passé quelque-chose entre nous et que je ne l’ai pas confondu, il sera obligé de me le faire remarquer. Ce n’est pas pour me lancer des fleurs mais merde, je suis difficilement oubliable. J’ai les cheveux bleus, longs, un putain de cache-œil et j’ai la peau mate. Pour passer inaperçu au Japon, il y a mieux.

Parfois, je me demande ce que j’ai fait au bon Dieu pour avoir un karma aussi pourri. Je sais, je mélange les croyances et les religions, et puis j’ai arrêté de croire en Dieu il y a quelques années de ça déjà. Alors c’est peut-être comme ça qu’il se venge ? C’est plutôt étrange de lui parler, même indirectement, tout en affirmant que je ne crois plus en lui. Il y a quelque-chose de contradictoire là-dedans mais je dirais que quelque-part, il y a toujours eu un peu de Dieu en moi. J’ai été élevé dans une culture qui ne peut être détachée de lui, après tout.

Je digresse encore. Mais sérieusement, je pense qu’il y a un djinn qui me regarde et qui se frotte les mains devant mon existence parce que je n’ai juste pas de chance en ce moment. Le moindre truc que j’entreprends finit en queue de poisson. Et je sais qu’il ait aisé de penser que je cherche la merde, comme on dit. Mais je t’assure, cher journal, que c’est faux ! Je fais de mon mieux, je te le promets ! Il faut croire qu’on peut lire en moi comme un livre ouvert, que je suis naïf et stupide, ou que sais-je, mais Ikeda-san vient littéralement de déballer le contenu presque exact de mes pensées et pendant une seconde, une seconde seulement, je le soupçonne de magie noire. Évidemment, je sais que ça n’en est pas. Je sais que je suis juste… peut-être un peu trop transparent, à vrai dire.

Alors je me fige un peu quand il rend sa voix plus grave, plus basse, peut-être un peu plus suave et qu’il le fait seulement pour me dire des trucs à moitié indécents. Enfin, indécent. Ne va pas croire que je ne m’assume pas comme je suis, cher journal. Je veux dire : ça se voit quand même un peu. C’est presque écrit sur mon front. Et c’est volontaire de ma part. Je n’ai pas envie qu’on ait des doutes sur ce que je suis et qui je suis.

Mais Ikeda-san est à un autre niveau. Même moi, je n’aurais pas osé. Si bien que, et c’est un réflexe plus qu’un véritable rejet, j’ai un très léger mouvement de recul quand il devine ce qui me taraude depuis un moment déjà.

« Je… merci, mais je… »

Et j’ai du mal à me retrouver dans son discours, de fait. Il y a trop de choses, trop d’informations, et je crois que mes joues chauffent légèrement quand je réalise qu’il vient de me faire un compliment, de se comparer à un lapin (quand je disais qu’il était indécent, je parlais de ça, plus précisément), qu’il présume de mes fins de soirées, d’une fin de soirée en particulier.

Le rire qui s’échappe de mes lèvres est nerveux et quelque peu paniqué, je dois l’admettre.

« Je… pensais pas que ça se voyait à ce point, si, je le savais, mais c’est plus facile de se voiler la face. Écoute, je ne voulais pas avoir l’air indélicat ou… enfin, te mettre mal à l’aise, ce genre de choses. Ça fait un moment que ça me pèse et que je marche sur des œufs parce que j’étais persuadé de t’avoir déjà vu quelque-part. Il faut croire que je t’ai confondu avec quelqu’un d’autre mais… enfin, ne le prends pas personnellement ! J’ai toujours eu un gros problème avec euh… les prénoms, et puis les gens de manière générale. Même dans ma propre famille. C’est un peu gênant. »

J’ai l’impression d’être une pâquerette, là. Ça ne va pas du tout.

L’effet d’un pansement arraché ? L’expression est faible. J’ai l’impression de pouvoir respirer librement, maintenant. Quand je disais que ça me pesait, ce n’était pas loin d’être littéral. Je soupire, un très léger sourire aux lèvres parce que maintenant, j’ai juste peur d’avoir l’air d’un prédateur. Cette pensée n’a rien de crédible ni de rationnel, mes jambes sont en coton et je suis toujours à deux doigts de m’évanouir de gêne. Quel prédateur ferais-je.

« C’est sûrement ça. »

Je sais que je suis stupide Ikeda-san. Tu peux le dire avec des mots plus… directs. Je t’en voudrais certes, parce que ma fierté est mal placée, mais ce sera uniquement car je sais que tu as raison.

Il n’y a pas à dire, heureusement que nous sommes à l’air libre. Ça m’évite de me triturer les doigts, de jouer avec une boucle d’oreille ou avec le fil de mon cache-œil comme je le fais quand je suis stressé. Au moins, la tension redescend sans trop de mal et je dois admettre que ce n’est pas seulement l’air frais qui y participe. Ikeda-san a l’air de savoir mettre les gens à l’aise de manière générale. C’est bien. Qu’il continue. J’en ai besoin. Je ris même un peu à sa remarque.

« Ça m’arrive aussi, si tu veux savoir. C’est plus rare, mais… c’est encore plus ennuyeux, pour tout te dire. »

Et puis, il est bien audacieux de dire que je « gère » tout le reste. Moi j’ai plutôt l’impression de tout faire n’importe comment et de tout bâcler comme un idiot. Je m’en sors parce que j’arrive à ne pas tout mélanger mais quand ça survient, oh cher journal, tu sais à quel point ce peut être terrible. J’avoue qu’habituellement, c’est moi qui comble les vides. C’est moi qui parle, qui fais le clown de service pour distraire la galerie et ne pas laisser les conversations retomber à l’eau. Mais dans l’immédiat, mon cerveau est un peu vide.

Je relève la tête vers lui quand il me propose d’aller au konbini. Dans les faits, je n’ai aucune objection. Je suis toujours partant pour manger un petit truc. Le reste, en revanche…

Je secoue doucement les mains devant moi, un sourire gêné aux lèvres.

« Pourquoi pas mais tu n’as pas à te sentir obligé de me payer quelque-chose ! Enfin, c’est très gentil de ta part, j’apprécie le geste, bien entendu ! »

Mais ?

Le mais ne vient jamais et je reste comme un con à lui sourire. J’emboîte le pas avant de me ridiculiser de nouveau.

« Allons-y ! J’essaye de ne pas laisser la panique me gagner de nouveau et revient à la charge : qu’est-ce que tu vas prendre de bon ? J’espère qu’il restera des choses à manger à cette heure-ci et que les clients du midi n’ont pas tout vidé… »

À ce propos, je tape la poche arrière de mon pantalon pour attraper mon p—

Il n’y a rien. Rien du tout. Elle est plate et vide comme ma crédibilité en ce moment-même. Je fais mine de chercher dans l’autre, j’ouvre les pans de ma veste pour fouiller les poches. J’ai tout laissé sur la table. Je ne pensais pas qu’on irait au konbini. Je soupire et je regarde Ikeda-san.

« Bon, dis-je, résigné. Mais la prochaine fois, c’est moi qui t’invite. »

Je suis un gentleman. Paniqué, stressé, anxieux, idiot, mais un gentleman tout de même.

Je dois dire que je ne m’attendais absolument pas à provoquer tant d’hilarité chez mon comparse en ne faisant que fouiller mes poches. Avec le recul, j’admets que la scène devait être amusante vue de l’extérieur. Mais sur le moment, je l’ai regardé un instant avec des yeux de merlan frit avant de comprendre qu’il se moquait de moi, le luron !

C’est avec l’attitude la plus dramatique qui soit que je relève le menton, me drapant dans ma dignité et je croise les bras. Évidemment, si mon regard est noir, mon sourire, lui est tout autre. Je ne résiste pas à la façon dont le coin de mes lèvres se lève malicieusement. Je ne lui en veux pas de se moquer de moi. Je suis fier, pas susceptible. Enfin, parfois, ça m’arrive. Mais j’avoue que c’est davantage par soif d’attention que par réelle susceptibilité. Hey, ne me juge pas, cher journal. Nous combattons tous des démons différents et les miens font un peu pitié, il faut l’admettre.

« Ah ! Moi, stresser ? Allons bon ! C’est la meilleure ! Je suis un homme calme, réfléchi et serein en toutes circonstances, dis-je sur avec ton assuré, si assuré qu’il trahit sans aucun mal l’ironie dont je fais preuve. Je ne doute pas de tes moyens, si tu me l’as proposé, ce n’était sûrement pas seulement de gaieté de cœur. »

Je me rends compte de l’énorme sous-entendu salace que je viens de faire et me rattrape aussitôt, maladroitement, difficilement, comme si j’avais raté le barreau de l’échelle :

« Enfin, je veux dire, bien-sûr que si tu l’as fait de gaieté de cœur, je n’ai pas insinué que tu attendais quoi que ce soit en échange, et puis avec l’aide que tu m’as fournie avec les révisions, il y a bien longtemps que tu aurais pu réclamer quelque-chose alors le faire maintenant n’aurait pas de sens et puis, enfin, non, ce que je veux dire c’est que… laisse tomber. Merci. Je te le revaudrai, que tu le veuilles ou non. Pour l'amour de Dieu, oublie ce qu’il vient de se passer. »

Tu sais quoi, cher journal, je ne me sens même pas con. Je suis juste dépité par ma capacité à me transformer en… je ne sais même pas. Je ne sais plus rien. Je prends une grande inspiration, encore plus dramatique que mon relevé de menton de plus tôt.

« Aucune idée. Là tout de suite, j’ai besoin de sucre, sinon je vais tomber dans les pommes à force d’embarras. Ne m’en tiens pas rigueur, par ailleurs. Je ne sais pas ce qui a pris possession de mon corps aujourd’hui mais même moi, je ne me reconnais plus. »

Je me reconnais très bien. C’est là tout le problème.

« Un fondant pistache matcha. Avec du chocolat dessus. S’il ne leur en reste pas, je crois que je serai capable de fondre en larmes, dis-je en riant un peu. La vérité, c’est que je ne blague qu’à moitié. Et peut-être quelque-chose de salé, mais je verrai. J’essaye de ne pas manger avec les yeux parce qu’après, je ne vais pas finir et m’en vouloir de gaspiller. »

Je hausse les épaules en essayant de paraître détaché, mais en vain, avant de lui répondre par un autre sourire. Un geste dramatique de la main plus tard, je lui réponds :

« S’il pouvait s’en aller, ça m’arrangerait ! Il me pourrit la vie pour ainsi dire et j’aimerais mieux qu’il nous laisse seuls, moi et mes malheurs. D’autant plus que je n’ai pas besoin de lui pour me retrouver dans de beaux draps. »

Je jure devant Dieu que je ne le fais pas exprès. Mon cerveau court-circuite dès que j’ouvre la bouche, semblerait-il. Je décide de la jouer au culot et j’agis comme si je n’avais rien dit de bizarre ou de graveleux. Après tout, cette expression n’a rien de salace en tant que tel donc je n’ai rien à me reprocher.

Je ne peux retenir mes éclats de rire quand il décrit ma situation de pleureuse. Je ne comptais pas pleurer pour de vrai (en tout cas, je comptais essayer), j’ai déjà eu ma dose de larmes avec Richard-san la semaine passée. Je secoue la tête.

« Promis, je ne me mettrai pas à pleurer et tu n’auras ni à me porter, ni à me cacher des passants, je ne peux pas m’empêcher de lever les yeux au ciel. Et tu peux dire fermer les yeux. Je le dis tout le temps moi-même, c’est l’usage de la langue. Et puis techniquement, je peux encore fermer mes deux yeux. »

Je lève mon cache-œil un instant juste pour lui faire un clin d’œil du côté invalide, avant d’abaisser de nouveau ce dernier. Ce n’est pas comme si c’était un secret d’état après tout ! Je n’aime pas spécialement mon œil de verre, aussi réaliste et de bonne qualité soit-il, mais je n’en ai pas honte pour autant. Et puis il y a la cicatrice mais… c’est la même chose. Elle ne me gêne plus comme avant. J’ai fait la paix avec elle il y a bien longtemps déjà.

À force de bavardages, nous arrivons au konbini. J’attrape une limonade au litchi et au citron, avant de me mettre à fouiller dans les réfrigérateurs où se trouvent les gâteaux. Mon fondant est à bon port, et mon regard s’illumine quand je le vois. Je fais signe à Ikeda-san en lui montrant la boîte avant de le rejoindre.

« Tu as trouvé ce que tu voulais ? »

J’ai du mal à cerner Ikeda-san. Pas là, maintenant, tout de suite. Mais de… manière générale, je dirais. Il a un côté imprévisible qui fait que je ne sais pas exactement sur quel pied danser avec lui. Quand il m’a confronté plus tôt, j’ai l’impression d’avoir saisi un sous-ton de flirt dans sa voix, mais la vie m’a déjà prouvé à maintes reprises que je ne suis pas spécialement perspicace quand il est question de signaux implicites comme ceux-ci. Pour autant, Ikeda-san semble se comporter normalement avec moi, et j’admets être plus rassuré que l’inverse par cet état de fait alors mieux vaut continuer sur cette lancée.

Je hoche la tête quand Ikeda-san revient avec… suffisamment de nourriture pour nourrir tout un régiment, l’accompagnant jusqu’en caisse.

« Soit tu fais des réserves en cas d’apocalypse, soit tu ne te nourris presque que de snacks, dis-je en riant un peu. »

Je suis moi-même gourmand, et je suis bien obligé de l’admettre, mais là c’est tout autre. Quand il passe en caisse, je le remercie profusément en acceptant mon fondant et ma boisson, avant que nous repartions vers le campus.

« Ça me va. Je déteste manger debout. »

Je suis une princesse, cher journal, que veux-tu ?

« Et puis techniquement, il ne nous reste pas grand-chose à étudier, il me semble. On a été plutôt efficaces. Enfin, surtout toi ! »

C’est plus une question de… comment est-ce qu’il compte tout stocker dans sa chambre ? Enfin, il a peut-être une malle prévue à cet effet qu’il cache sous son lit ou même un mini-frigo. Même si avec le peu de place qu’on a dans la chambre, je pense que j’aurais du mal à rentrer un mini-frigo. Mais ça c’est parce que j’ai une malle de fringues. Bref, je digresse. Je lui souris avant de lui répondre :

« Non mais je comprends. Tu es préparé au moins, c’est sûr ! dis-je en soufflant du nez. C’est marrant, moi c’est tout l’inverse. Le stress me coupe l’appétit au lieu de me l’ouvrir. Par contre, le sucre me réconforte pour sûr ! »

Je hoche la tête à ce qu’il dit. Et puis, après avoir passé le plus gros et le plus dur, le commentaire de texte me fait moins peur. Je ne me fais pas d’illusions cependant : il y a un fossé entre la théorie et la pratique et je sais que ça ne sauvera pas nécessairement ce que j’écrirai le jour de l’exam mais au moins, je serai un peu plus préparé à ce qui se présentera. Mais autant être honnête : pour ma part, ce seront les oraux qui me sauveront.

Je réfléchis à sa question un instant.

« Et bien j’aime les langues, c’est surtout pour ça que je suis venu ici. La littérature n’est pas ma matière principale. Et j’aime aussi la philosophie. Je ne saurais même pas te dire pourquoi. J’aime juste remettre les choses en question pour mieux les comprendre ! Sinon… bah, tu ne seras pas surpris mais je n’ai jamais été très scolaire. Je trouve les sciences et l’histoire très intéressantes mais je n’arrive pas à me poser devant un professeur qui en parle trop longtemps. C’est pour ça que je préfère la vulgarisation et que je lis des livres à la place ! C’est très bien aussi. »

J’ouvre ma limonade pour boire un coup parce que j’ai soif. Mais je garde le gâteau pour plus tard.

« Et toi ? »

On se rapproche peu à peu du campus mais je crois que nous marchons tous les deux tranquillement pour faire reculer ce moment autant que possible.

Tandis que j’écoute Ikeda-san me parler de son amour pour la littérature, nous entrons bientôt dans le campus. Ça tombe bien parce que j’ai hâte de manger mon fondant au chocolat. Tellement que je dois me concentrer pour l’écouter et ne pas penser au coulis chocolat-pistache dans ma bouche au premier croc…

Néanmoins, c’est intéressant de voir comme nos parcours diffèrent. Je lui souris, amusé à cette idée.

« On n’a pas du tout les mêmes racines de ce côté-là, c’est marrant. J’ai commencé quand j’étais tout petit avec de la poésie avant même de toucher aux romans. C’est pour ça que j’aime autant ça d’ailleurs. Et le théâtre ! Je trouve le théâtre très vivant. J’espère que ce sera un poème ou une scène de théâtre que nous aurons à l’examen. Je pense que je m’en sortirai mieux comme ça. »

Dans les devoirs que nous faisons hors des cours pour s’entraîner, c’est toujours en théâtre et en poésie que je m’en sors le mieux. À ce sujet, je déplore fortement l’existence d’un club de théâtre. Cette école en a follement besoin, mais je ne me vois pas faire les démarches et trouver du monde pour monter ce dernier moi-même alors je prends mon mal en patience en espérant que quelqu’un trouvera la motivation de le faire.

Je me doutais qu’il était métis, mais il me le confirme en me parlant de l’anglais. Je l’écoute en souriant, curieux d’en savoir davantage mais ne souhaitant pas l’interrompre.

« Je comprends. Mes parents ne parlent pas un mot de japonais et ils vivent à des milliers de kilomètres de moi, et pourtant ma mère refuse que je lui parle allemand ! Elle veut à tout prix que je ne perde pas mon farsi, alors elle m’oblige à constamment lui parler dans cette langue, dis-je en haussant les épaules. Je râle mais je suis sûr que je lui en serai reconnaissant plus tard. C'est bien de pratiquer pour ne pas perdre son vocabulaire. »

Parce qu’autant j’ai croisé quelques allemands à la Kobe High School, autant je n’ai jamais croisé d’iranien. Alors il vaut mieux que je pratique avec ma mère.

« Et toi du coup, tu m’as dit que ton père était anglais… américain ou britannique ? Ça change tout. »

J’avoue, cher journal, que je ne serai pas mécontent de l’ouverture d’un club de théâtre. C’est exactement le genre de choses qui me plaisent et que j’adorerais faire sur mon temps libre. Mais il faut croire que ce n’est pas pour tout de suite. Enfin bon, je prends mon mal en patience, comme d’habitude.

Je ne peux pas m’empêcher de rire quand je le vois sortir son téléphone et que je comprends ce qu’il est en train de faire.

« C’est ça, oui ! Mais tu aurais pu me demander directement, je te promets que je ne l’aurais pas mal pris. Tout le monde ne sait pas forcément quelles langues sont parlées et où elles le sont, dis-je en souriant. J’ai vécu en Allemagne quasiment toute ma vie et ma famille est iranienne… alors forcément, j’y allais en vacances. »

Chacun son tour comme on dit : j’écoute avec attention ce qu’il me dit sur lui. J’avoue ne pas être un grand fan des cultures d’Europe Occidentale : j’ai beau m’y intéresser parce que c’est plus fort que moi, je me suis toujours davantage épanoui ailleurs sur le globe. Europe de l’Est, Afrique du Nord, Asie, Moyen-Orient… c’est peut-être parce que c’est plus proche de mes racines, mais la culture occidentale m’a toujours été présentée comme… eh bien, quelque-chose de banal, en réalité. La culture « par-défaut ». Évidemment, je n’irai pas lui dire une telle chose alors qu’il me parle de son patrimoine culturel personnel ! C’est juste que je n’aime pas la cuisine anglaise. Pardon pour tout, Ikeda-san. J’espère que tu sauras me pardonner.

« Partir avec une seconde langue dans la vie c’est juste… je pense que c’est l’un des meilleurs atouts qu’on ait pu avoir dans notre vie. C’est si pratique et enrichissant ! »

Puisqu’on en a terminé avec nos révisions, je m’autorise un peu de papotage. Je suis coupable, je l’admets.

« J’en déduis que tu retournes encore souvent en Angleterre ? La vache, je crois que je n’ai pas vu mes parents depuis deux ans. Ma mère me le rappelle assez souvent comme ça, il faut vraiment que je me prévois un voyage pour y retourner avant qu’elle vienne me chercher par le col, dis-je en riant. »

La tête appuyée dans la paume de ma main, j’ai un peu oublié la littérature là, tout de suite. On a quand même beaucoup révisé je trouve et on a fait le tour, et le momentum est clairement terminé. Enfin, pour moi tout du moins ! Si je pousse encore, je vais juste exploser je crois. Alors je me détends dans cette petite conversation et sourit, hoche la tête alors qu’il me répond.

« Plus on vieillit, plus ça devient difficile, j’ai l’impression, dis-je en souriant. Mais j’espère que toi aussi tu pourras continuer à le voir souvent quand même ! »

Je m’écarte de la table pour m’étirer et soupire. Sa remarque m’arrache un petit rire nerveux, je dois faire un piètre fils mais au moins, je suis honnête et j’assume ce rôle. J’ai promis à ma mère que je lui rendrai visite cette année alors… je le ferai. Je lui rendrai visite cette année, probablement aux prochaines vacances. Avant qu’elle fasse un ulcère parce que son seul et unique fils refuse de la voir.

« J’y vais cette année normalement. Ça me manque de les voir et de profiter avec eux comme tu dis. Et je le pense, même si on m’a mis un couteau sous la gorge ! »

Je ris, un peu plus léger et referme mon ordinateur et mon bouquin.

« Bon, je pense qu’on a fait le tour et dans tous les cas, je crois que si j’entends encore parler d’une figure de style ou d’une méthode d’analyse, je vais m’effondrer, dis-je en souriant et en me levant. J’incline le buste vers Ikeda-san, reconnaissant. Merci d’avoir accepté de m’aider à réviser, Ikeda-san. J’espère que les examens se passeront bien pour toi même si je n’en doute absolument pas ! Après tout, tu pètes toujours les scores. »

J’ajoute un clin d’oeil amusé (et non pas mal placé, cher journal, je sais me tenir) avant de le saluer une dernière fois pour retourner vers ma chambre. Mine de rien, c’était une des après-midis les plus productives de l’année. Et Ikeda-san est moins intimidant que je le pensais. Le type a réussi à me faire oublier que je l’avais confondu avec un autre et à chasser les idées mal placées qui me hantaient depuis. Probablement parce que c’était pas lui. Très probablement. Il n’y a plus aucun doute, pas vrai, cher journal ?