Deus Ex Pelucha [Seito & Mr Lapin]

Circé est faible et Ulysse est un imposteur. Nul besoin de s'offusquer, Seito le fait pour vous. Car oui, l'exploit du grec n'a rien de fou dans la mesure où un dieu l'a aidé. Il aurait été seul qu'il aurait fini transformé en cochon comme le reste de son équipage ! Et ainsi ce serait achevé son odyssée. Évidemment, c'est terriblement moins vendeur. D'ailleurs, pour quelle raison Hermès décide de l'aider, cela reste un mystère. Dans la mythologie grecque, il est de coutume que les dieux s'ennuient au point d'intervenir dans les querelles des humains. En même temps, l'Olympe n'a rien de bien attrayant. Tu as vu un nuage, tu as vu tous les autres. La nourriture est peut-être illimitée mais cela manque sévèrement d'attractions. Pas étonnant que les dieux se servent de la Terre comme d'un immense terrain de jeu.

Seito s'est encore exprimé sans fard pendant cette séance au club de littérature. Les autres membres ont l'habitude de son franc-parler mais il trouve toujours le moyen d'étonner à nouveau. Comme si parfois sa tête ne correspondait pas à ses manières. Comme bien souvent, il est le dernier dans la salle. Il prend son temps pour ranger ses affaires, s'assurant de ne pas écraser les pages de son livre entre deux manuels. Et enfin il referme la fermeture et jette son sac sur ses épaules. Un dernier regard autour de lui et... tiens, c'est étrange. Le japonais fronce les sourcils, perplexe. Une réaction logique face à un lapin en peluche plongé dans les pages de L'Odyssée. Mais contre toute attente, ce n'est pas ça qui le tourmente. Le vrai problème ici, c'est l'absence de sa propriétaire.

Parce que ce lapin n'est jamais seul. JAMAIS. Au bout de sa patte, une blonde peu commode n'est jamais loin. De nouveau, il inspecte tout autour de lui. Personne. Serait-ce une ruse ? Seito plisse les yeux et repose lentement son sac sur l'assise de la chaise à côté. Et c'est avec prudence qu'il s'approche du lapin avant de s'agenouiller devant. Sa main s'apprête à le saisir lorsque ses doigts se figent dans les airs. Bien qu'il sait pertinemment que la peluche ne lui répondra pas, il ne peut s'empêcher de formuler à voix haute :

« Si j'te touche, Batman rapplique ? »

Il l'avoue, celle-là était facile.

Si la senpai est Batman, cela fait-il de lui le Joker ? Même s'il lui est arrivé de sombrer, il n'a jamais touché le fond au point de vriller complètement. Comme si sa rébellion avait compté pour du beurre. En regardant de plus près, il est vrai qu'il ne lui ai jamais venu à l'esprit de franchir le réel point de non-retour. Se foutre en l'air, pourquoi pas. Basculer pleinement dans la folie de la démesure et revêtir le manteau du sal*ud, jamais. Mais ce n'est pas plus mal finalement. Car cet entre-deux l'a sauvé d'une éternelle solitude et il se sent reconnaissant de ne pas avoir plongé corps et âme dans cet extrême. Bien qu'il ne se soit pas immergé dans un bain de produits toxiques, sa peau est toujours enduite d'une couche de mélancolie dont il a bien du mal à se défaire. Et les quelques gouttes de cynisme qui éclatent sont autant d'imprévus qu'il peine à contenir.

« Elle aurait quand même pas mis un antivol sur sa peluche... »

Seito observe le lapin d'un œil circonspect. C'est bien la première fois qu'il l'observe aussi longuement. Après tout, il n'a jamais eu le loisir de le faire puisque Wayne et lui ne sont pas... sont juste... des collègues de littérature ? Sa main retrouve la ligne de son corps, ne préférant pas tenter le diable tout de suite. Une moue lui barrant les lèvres, les sourcils froncés, il marmonne :

« C'est quand même chelou qu'elle t'ait laissé là. Genre elle t'a oublié... Genre elle avait mieux à faire que de penser à toi... »

Seito se décide finalement, après avoir tergiversé bien trop longtemps face à un blocage qui ne devrait pas être, à poser ses doigts sur la peluche. Sa prise, bien que ferme, est emplie de douceur alors qu'il soulève le lapin vers lui. Une odeur fruitée l'interpelle et c'est avec curiosité qu'il inspire la fourrure. De l'orange ! Surprenant mais diablement apaisant. Il s'autorise à humer à nouveau la senteur, l'esprit vagabondant sur des souvenirs épars de sa peluche maintenant détenue par des petits doigts affreusement destructeurs. Pauvre Kyou... Condamné à jouer à la dînette, à siroter du thé invisible pour le restant de ses jours, à se faire malmener par une maladresse enfantine. Séparé de l'enfant qui l'aimait avec la force du désespoir et qui les regarde s'amuser, muet et plus que tout : presque adulte à présent. Seito ne devrait plus ressentir cette rancœur, mais il n'y a rien à faire, l'amertume tapisse toujours autant le fond de sa bouche dès lors qu'il repense à ce legs non consenti. Chassant ses sombres pensées, il se veut confiant et assure à la peluche :

« Si elle repasse pas par là, j'vais te ramener à elle. Ou te mettre dans son casier... »

Le casier étant le plus simple étant donné qu'il n'a aucune idée de son numéro de chambre. Et l'idée d'arpenter les dortoirs en hélant le premier venu est une éventualité qu'il aimerait si possible ne pas mettre en œuvre. Sa décision prise, il referme le livre entrouvert qu'il pose temporairement sur la table aux côtés du lapin. L'une après l'autre, les bretelles de son sac épousent ses épaules. Il cale le livre sous son bras et saisit la peluche sous les aisselles, conscient que s'il la saisissait par les oreilles, il lui ferait mal. Un regard déterminé vers elle, le japonais réitère sa maîtrise de la situation :

« T'inquiète, je gère grave. »

Le sourire aux lèvres, il relève la tête et marche en direction de la porte.

Au moment de passer l'encadrement, Seito tombe nez à nez avec la sorcière. Il sursaute violemment, comme pris sur le fait. Sous la surprise, sa main se resserre sur le corps du lapin. Heureusement qu'il ne respire pas ou il lui aurait broyé les côtes. Furtivement, ses yeux naviguent entre sa trouvaille et l'étudiante. Et enfin son cerveau connecte, après une légère latence face à l'agressivité spontanée de la blonde.

« Hein ? Ah, ça ! » Il sourit en brandissant la peluche devant elle. « J'te cherchais justement, tu tombes bien ! J'comptais la déposer dans ton casier parce que je connais pas ton num- »

Mais il n'a pas l'occasion de terminer sa phrase, se faisant couper la parole de la plus abrutissante des façons. Son regard s'assombrit instantanément.

« J'te reconnais bien là. Tu débarques, t'as pas l'contexte et tu m'agresses. Genre ça t'vient pas à l'esprit que j'te veux pas du mal ? J'me suis excusé pour la bibliothèque, qu'est-ce que tu veux d'plus ? »

Le visage fermé, il la détaille de bas en haut. Ce qu'elle est agaçante ! Sauf que depuis ce fameux incident, il sait plus que quiconque de quel bois elle se chauffe. La punition avait été terrible, pour lui comme pour elle, et il serait idiot de déterrer la hache de guerre pour un lapin – peu importe la qualité de sa robe, la douceur de son poil ou encore sa douce fragrance d'orange. Malheureusement, Seito a toujours autant de mal à refréner ses ardeurs lorsqu'on l'accule. C'est pourquoi il expose, dédaigneux :

« J'ai rien volé, c'est toi qu'es tête en l'air. »

Quel autre choix aurait-il eu à sa disposition s'il ne l'avait pas croisé en sortant de la salle de classe ? Aucun. Il s'estime déjà assez sympathique pour lui ramener sa peluche en lieu sûr alors pourquoi diable ne le remercie-t-elle pas ?

« T'aurais préféré que j'le laisse à la portée du premier v'nu ? J'te comprends pas. En plus, j'parlais de ton numéro de chambre ! Et me traite pas de débile, j't'ai rien fait là ! »

Il n'en faut pas plus pour qu'une vague de colère lèche la digue de sa patience. Depuis l'incident, Seito est conciliant. Il aimerait lui faire entendre raison mais rien n'y fait. Même le plus coriace des mulets n'est pas aussi buté qu'elle.

« Je sais. » grince-t-il des dents.

Non pas que cela lui coûte de l'admettre mais plus parce qu'il a le devoir de rester tranquille. Et c'est là que réside la réelle difficulté. Il a trop à perdre s'il sort de ses gonds et il lui est d'avis qu'elle est dans le même cas. Pour autant, il ne parvient pas à lâcher du lest au point de rendre les armes aussi facilement. Sa mauvaise foi lui fait lever les yeux au ciel et son injonction n'arrange pas son cas. Il fait un pas en arrière et desserre sa main autour du corps pelucheux. Très sérieusement, il négocie les termes de l'échange.

« Que si t'acceptes sincèrement mes excuses. »

Cran ou stupidité, la ligne est fine. Éternel funambule, il saisit cette occasion insolite pour montrer patte blanche et s'ôter un poids non négligeable de la poitrine. Seito ne se laisse pas démonter par sa mauvaise foi. S'il avait su plus tôt que ce lapin était la clé de voûte de cette blonde extravagante, il lui aurait demandé son aide avant, et sans tant de dramaturgie. Car oui, la prise d'otage n'est pas forcément la meilleure façon d'obtenir gain de cause.

A mesure qu'elle énumère ses soit-disant défauts, son visage se défait. Jusqu'au point final de son argumentaire. Il accuse le coup, sévèrement. L'ombre d'un instant, ses démons se réveillent. Lacérant sa chair, ils lui susurrent la futilité de son existence. Une impression tenace de gâcher la vie de tous ceux qu'il croise le fait suffoquer. Il existe, mais ne serait-ce pas mieux si ce n'était pas le cas ?

Pense-t-il réellement obtenir l'absolution de la part de ceux qu'il a offensé ? Il ne se savait pas si idiot. Wayne-senpai n'avait pas tort finalement. Ses épaules s'affaissent. Dans sa main pend la peluche, témoin silencieux de cette nouvelle altercation. Gardant les yeux plantés dans les siens, il s'élance dans un plaidoyer qu'elle jugera sûrement vain. Mais il ressent le besoin vital de lui communiquer ce qu'il a sur le cœur.

« Je m'excuse vraiment pour ce qui s'est passé à la bibliothèque. J'ai vrillé. Et c'est tombé sur toi. Mais j't'ai jamais voulu de mal. T'as même eu raison de répliquer. » Il soupire. « Si j'avais pu être renvoyé à ta place, j'l'aurais fait mais la CPE a rien voulu entendre. Tes parents t'ont fait chier ? »

C'est idiot mais il a besoin de savoir à quel point il lui a fait du mal. Sans doute pour qu'inconsciemment, il puisse se rendre la pareille.

Que l'étudiante se braque à cet instant précis ne le surprend pas. Seito sent qu'il est sur un terrain plus dangereux encore. Mentionner la famille d'un inconnu peut s'avérer délicat. Il en sait quelque chose. Alors il ne creuse pas. Bien qu'il soit d'un naturel curieux, et étant globalement peu débrouillard sentimentalement parlant, il lui arrive de se montrer prudent et respectueux.

S'il s'écoutait, il poursuivrait son laïus jusqu'à ce que sa demande de pardon soit concédée. Mais il refuse de l'y forcer. Seule la sincérité pourrait corroder la chape de culpabilité qui cloisonne son cœur. Et s'il ne l'obtient pas maintenant, il se devra de retenter jusqu'à ce qu'elle y consente, de son plein gré. En attendant, il ne peut qu'être conciliant.

« Pas besoin de me menacer, j'te le rends. »

Un pincement dans la poitrine, il lui tend la peluche. Sa paume regrette déjà la douceur de sa fourrure, mais conserve jalousement une douce odeur d'orange. Le jeune homme se sent soudain un peu bête. Et c'est généralement dans ces moments de flottement qu'il s'illustre platement. Une pointe de curiosité dans la voix, il demande :

« Elle s'appelle comment ta lapine ? »

Le japonais aurait dû se douter qu'elle ne se contenterait pas simplement de le récupérer. Ce serait mal la connaître que d'imaginer un seul instant une once de modération dans ses propos. Et le fait d'en faire les frais après leur débat au club de littérature est fatiguant. Mais c'est plus fort que lui. Il déteste être accusé à tort.

« Mais pas du tout ! J'lui ai rien fait à ta peluche ! J'l'ai même rassurée en lui disant qu'elle allait te retrouver très vite ! »

L'agacement pointe le bout de son nez. Mais avant qu'il ne s'offusque encore plus, elle lui coupe la chique avec une donnée surprenante. Soufflé, il cligne les yeux bêtement à plusieurs reprises.

« Bin... non ? »

Bien qu'il ait lui-même essayé une robe pour rire, il ne se verrait pas en porter une aux yeux de tous. Et on ne peut pas dire qu'il soit au fait de la mode ou des raisons qui pousseraient un garçon à choisir un tel style vestimentaire.

« Il sent bon en tout cas ton lapin qu'a pas d'nom. »

Deux boutons aussi ronds que des culs de bouteille, voilà ce qu'il regarde alors que la peluche s'écrase contre la poitrine de la senpai. Traumatisé peut-être, mais certainement pas de sa faute. Seito expire sa indifférence face à cette énième pique. Il n'a pas besoin de parfum pour masquer son odeur corporelle et il ne voit pas l'intérêt de s'offusquer alors qu'il se douche tous les jours.

« Monsieur Lapin... » répète-t-il, le coin des lèvres qui s'étire. «  Simple mais efficace ! »

Pour sa peluche, il n'étais pas allé chercher bien loin. Le pelage couleur abricot avait vendu la mèche d'une amitié fruitée. Et maintenant quoi ? Un groupe d'élèves passe à côté d'eux. Le lycéen réalise qu'ils sont en plein milieu du couloir. Un regard sur la porte du club plus loin pour s'assurer qu'il l'a bien refermée et il demande :

« Tu pars en direction des dortoirs ? »

Seito aurait pu se fondre dans la masse en prônant la tolérance, sauf qu'il a cette fâcheuse tendance à sauter pieds joints dans le premier plat venu. La tenue de cette peluche ne devrait pas l'interpeller autant. Mais sa curiosité revêt parfois de sombres desseins. Alors, juste avant de l'accompagner jusqu'à la sortie du bâtiment, il saute du coq à l'âne.

« Pourquoi une robe du coup, et pas une salopette ? »

« Pour qu'on fasse le chemin ensemble. » répond-il simplement.

Et certainement pas pour se moquer d'elle, de sa peluche ou de qui que ce soit d'autre. Seito croyait pourtant, à son plus grand désarroi, que lire en lui comme dans un livre ouvert était de mise, il est donc étonné que l'étudiante refuse d'y voir la vérité. Celle où il n'est pas foncièrement méchant, juste terriblement angoissé. Il soupire et arque un sourcil.

« Ah ouais ? Pff, j'vais t'en donner une moi aussi de mauvaise nouvelle. Si tu continues à être autant sur la défensive tout l'temps, tu vas faire une crise cardiaque à trente ans. »

Le japonais hausse les épaules et amorce le départ, la blonde à ses côtés. Songeur, il met un moment avant de lâcher :

« Ça me gêne pas, au cas où ça t'intéresse. J'me demande juste... »

Récemment, il lui est arrivé d'avoir des pensées plus qu'étranges. De nouveaux tremblements incongrus au cœur. Il constate une fois de plus, sans se pencher sur la question. Peut-être qu'il existe une maladie que l'on ne peut contracter qu'en janvier ? Il passe une main embarrassée sur sa nuque, le regard soudain fuyant.

« Il, hum... Il a découvert comment qu'il aimait les robes ? »

« Pour... par curiosité. » bafouille-t-il malgré lui. « C'est vrai que dit comme ça, ça paraît simple... »

Seito devrait faire comme d'habitude. Enfouir au plus profond de son être ces pensées vagabondes qui parasitent l'accomplissement de son destin. A trop papillonner près de l'ampoule, il risque de se brûler les ailes. Et alors quoi ? Qui viendra le sauver ? Par ailleurs, il n'a pas le temps pour ces balivernes sentimentales. Rien que d'observer Pablo butiner de fleur en fleur le fatigue et le conforte dans l'idée que ce n'est pas pour lui. Qu'il n'a jamais eu d'attrait pour ces émois et que jamais il ne tombera dans le piège.

« Au moins, il sait ce qu'il aime et il l'assume. »

Le vrai problème dans l'histoire n'est pas le qui mais le quoi. Le genre, le sexe, les attributs qu'on leur rattache. Seito n'est pas complètement aveugle à son corps. Il le dénigre, c'est vrai. Mais il ne peut s'emmurer au point de ne plus ressentir. Ce qui est un défaut de taille. Car il se sait la proie de cette sensiblerie toute féminine qu'une attention appuyée suscite en lui. Alors qu'il ne devrait pas. Mais plutôt que de couper court à ces interactions, il les réitère pour s'y confronter, persuadé qu'avec le temps, les sensations finiront par s'estomper. Une entourloupe de son cœur trop longtemps délaissé. Soudain conscient du blanc, il relance :

« Au fait, j'te l'ai jamais dit mais j'trouve ça cool que tu t'habilles comme ça. Que tu oses. Moi j'oserai jamais. Contrairement à c'qu'on pourrait croire, j'aime pas trop attirer l'attention. »

Et bé. Si on lui avait dit qu'il entendrait un jour un remerciement de la part de Wayne-senpai, il n'y aurait pas cru. Et c'est sûrement pour cette raison qu'il prend trop vite ses aises, croyant que le pont-levis est enfin abaissé au-dessus des douves qui les séparaient.

« Tu m'trouves grand ? C'est vrai que comparé à toi c'est fa- »

Trop tôt. Beaucoup trop tôt. Le regard de la blonde pourrait tuer. Ou mieux : pétrifier. Dans son cerveau, de la senpai à Méduse, il n'y a qu'un pas et il le franchit. Mais il parvient à ne pas le verbaliser et se contente de râler gentiment.

« Rhooo, ça va ! Je rigole ! J'ai compris c'que tu voulais dire. J'imagine que oui, c'est bien. »

Le japonais hausse les épaules. A vrai dire, il n'en a aucune foutue idée. Cela n'a pas réellement d'importance à partir du moment où ses parents ont encore tant d'emprise sur sa vie. Pourtant, il s'est toujours persuadé qu'il n'écouterait que lui. Que l'honnêteté serait le fil conducteur de son existence, quoi qu'il en coûte. Les doutes qui l'assaillent sont déroutants.

« J'en sais trop rien en vrai. Ça peut être cool aussi de s'affirmer. De savoir exactement ce qu'on veut faire et de laisser personne t'en empêcher. J'imagine que ça doit faire du bien. T'as toujours fait comme ça, toi ? »

Dire qu'il l'a bien cherché est un euphémisme. Mais il ne s'en offusque pas. Sans se montrer totalement amusé par la situation – pour ne pas prendre de coups supplémentaires – il est agréablement surpris qu'elle poursuive la conversation. Du moment qu'elle n'approche plus jamais ses semelles compensées de son entrejambe, il n'a pas à s'en faire.

« Pardon, pardon ! J'garde mon humour nul pour moi ! »

Monsieur Lapin est plus coriace qu'il n'y paraît. Il imprime sa force sur son épaule devenue soudainement bouclier. Mais cela n'effraie pas Seito, au point qu'il se permet une nouvelle question. Il s'en doutait. Ce niveau d'assurance, ça ne se construit pas. Il faut être né avec. Et comme le bon vin, cette assurance se bonifie avec l'âge.

« Et t'as jamais eu de problèmes à cause de ça ? »

Préoccupé, il en oublie l'ampoule rouge qui s'était allumée plus tôt à l'arrière de son crâne en mentionnant sa famille. Bien sûr qu'il a de l'assurance, tout du moins c'est ce qu'il aime à faire croire. Le psychologue n'a pas eu à creuser bien loin pour s'apercevoir que la réputation qu'il s'était construite était aussi branlante qu'un château de cartes.

« Genre tes parents t'ont jamais contraint à suivre une autre voie ? »

Ah oui, le renvoi est un bon exemple. Ce qu'il peut être bête parfois. Il se mord la lèvre, penaud. Mais le tout est bien vite balayé par une similarité étonnante. Seito tourne la tête vers elle, ne se souciant plus de ce qui se trouve devant lui. A mesure qu'elle liste ses prises de décision, il fait le parallèle avec sa vie. Jusqu'à la grande révélation.

« Oh... » laisse-t-il échapper.

Elle n'a vraiment peur de rien. Le japonais pourrait la juger durement pour son orientation, rebrousser chemin en prétextant avoir oublié quelque chose, l'insulter ou que sais-je encore. Mais au lieu de ça, il est admiratif de cette fougue avec laquelle elle s'affirme. Plutôt que de glisser immédiatement sur ce sujet épineux, il préfère reprendre sa formulation initiale.

« J'ai pas choisi mais moi aussi, c'est un peu pour ça que je suis là. »

Il prend une profonde inspiration. La liste est longue de son côté aussi.

« Si j'avais écouté mes parents, je serais resté dans la banlieue d'Osaka, je serais sûrement premier de la classe, j'aurais fait comptable comme mon père ou un métier utile de ce genre-là et j'aurais aimé ma s- »

Bordel de m*rde. Il a failli lui dévoiler son secret. A elle ?! Conscient d'être passé à deux doigts de la catastrophe, il ne s'embarrasse pas de remettre les pieds dans le plat et enchaîne.

« Enfin bref. C'que j'veux dire, c'est que j'comprends. Mais du coup, s'ils savent pas pour ta, hum, préférence, ils savent pour tout le reste ? »

Et m*rde, elle a compris. Non content de dévoiler le pot-aux-roses, son cerveau l'a naturellement nommé sœur plutôt que Chose. Preuve irréfutable que sa vie a pris une tournure délirante. Le cœur au bord des lèvres, il panique. Et si elle en parlait autour d'elle. Et si par mégarde elle lui posait une question à ce sujet en présence de ses amis. Et si elle se montrait curieuse. Et si... Une furieuse envie de s'encastrer dans un mur le démange.

C'est SA faute. Si sa sœur n'avait jamais existé, il n'en serait pas là aujourd'hui, à cacher son existence aux yeux de tous. Fort heureusement, sa question semble être un bon appât et lui permet de respirer à nouveau. Il se peut que dans le processus, il ait pâli. Alors il se raccroche à tout ce qu'il peut pour ne pas sombrer plus profondément dans cette spirale infernale. Sa curiosité naturelle l'aide beaucoup.

« T'as vécu longtemps aux États-Unis ? » demande-t-il en premier, suivi très vite une interrogation sur sa préférence. « Tu penses que ce sera pas bien accueilli ? »

Quelle question idiote, pense-t-il aussitôt. Rien que d'imaginer la tête de ses propres parents s'il leur annonçait une telle nouvelle est un calvaire. Et ce ne sont pas les quelques malfonctionnements de son cœur en présence de garçons qui vont le mener à croire à ce cataclysme. Finalement, Pablo avait raison. Tant que ça ne le touche pas, il s'en porte très bien.

« J'croyais ça aussi... » rebondit-il à sa dernière remarque. « Mais ils se sont pointés au Kobai-Sai et m'ont fait chier sur mon comportement. »

Le lycéen soupire et se rassure en se rappelant les mots de réconfort qui avaient fleuri lors de son anniversaire et des vacances de Noël. Peut-être finiront-ils pas apprécier sa personne dans sa globalité ? Après tout, il ne lui est pas interdit de rêver. Que tu crois, lui souffle sa conscience.

« Si ça leur va pas les études de sociologie, ils auraient aimé que tu fasses quoi à la place ? »