[Terminé] Deux mains dans un seul pot de pop-corn | Ft. Maka

Ah ! Le temple ! Lou aime bien y aller. Ses parents ne sont pas de bons croyants. En France, ils ne se rendaient jamais au temple. Mamie les a souvent grondés. C’est parce qu’ils n’ont pas demandé la faveur des dieux et des ancêtres que leur premier projet de restaurant a échoué. Avant d’ouvrir Le Gourmet, ils ont prié, prié, et encore prié. Lou aussi. Les prières ont été entendues. Contrairement au restaurant en France, celui-ci attire beaucoup de clients, satisfaits.

Le pâté est servi avec un petit cornichon. C’est comme ça qu’on le sert dans les bistrots en France. Le goût acide du légume contraste avec la douceur de la viande. Papa a oublié le pain, sur lequel on écrase le pâté, mais Maka ne s’en étonne pas. Elle goûte le pâté sans broncher. « Goûte ça, aussi ! » Du bout de sa fourchette, Lou pointe le cornichon. Elle se demande si Maka supporte l’acidité. Elle aime les grimaces surprises des japonais qui découvrent ce condiment pour la première fois.

De son côté, Lou prend un peu de soupe à l’oignon. Elle adore ce plat, réconfortant. C’est gratiné, gourmand, et très doux. C’est un plat qui satisfait toutes les papilles. Lou, habituée aux fromages de son pays de naissance, préfère quand la soupe est préparée avec un peu de comté. Néanmoins, pour plaire aux japonais, ses parents préfèrent utiliser un peu d’emmental. C’est moins puissant. Moins floral, aussi.

« Euh… Oui ? » Oui, c’est bien Seito Mori. Et la description que Maka fait de son colocataire la surprend. Elle peine à cacher sa surprise, ses yeux sont grand ouverts, et sa bouche ronde. « QUOI ?! MORI A FAIT CA ? » Elle est presque jalouse de leur petite histoire. Elle est curieuse de voir son colocataire se lâcher. Mais le contexte de la chambre n’est certainement pas le meilleur. Ils se retrouvent dans des temps calmes, et non dans des situations aussi rocambolesques. « Mais tu sais pourquoi il l’a énervé ? »

Elle grimace. C’est mignon, quand elle grimace. Maka fait donc partie de ceux qui n’aiment pas vraiment l’acidité. Le cornichon c’est piquant, un peu désagréable. Lou se demande, ce qu’elle pourrait lui faire, comme gâteau. Maka a un palais doux, qui ne supporte à priori pas les électrochocs. Pas question de faire une tarte au citron trop piquante, ni de jouer avec l’amertume du pamplemousse.

Discrètement, et secrètement, Lou regarde tout ce que mange Maka. Elle évalue la moindre de ses expressions. En fait, ce n’est pas tant pour savoir si la nourriture de ses parents lui plaît, que de la connaître. Lou adore gâter les personnes qu’elle aime. Et si le rendez-vous se termine aussi bien qu’il n’a commencé, aucun doute : elle va cuisiner pour Maka.

Tout en réfléchissant aux douceurs qu’elle peut pâtisser, elle écoute l’histoire de la demoiselle. C’est une sacrée histoire. Et elle n’imaginait pas du tout Seito aussi impertinent. Ni impulsif. C’est un autre Seito, qu’elle découvre. Et elle espère pouvoir le voir de ses propres yeux ! Lou adore l’aventure, et ça :  « C’est quand même une bête d’aventure. » Qui part un peu de n’importe quoi. Lou aime beaucoup, ce grain de folie chez Maka. Ce côté “la vie est un jeu”. Elle trouve ça mignon, même si un peu désuet à leur âge.  

« La prochaine fois que je le vois, je lui lance une balle sur la tête pour l’assommer, alors.  »

C’est une blague... A moins que ?

Lou revient sur le repas. Après avoir mangé un bout de pâté, elle rince sa bouche avec un petit verre d’eau. « Tiens, goûte un peu de soupe à l’oignon avant qu’elle refroidisse ! » C’est beaucoup moins bon, quand c’est froid. Lou pousse le bol vers Maka. La cuillère que Lou a utilisé est encore dans le récipient. Un autre couvert, propre, est posé non loin, mais la jeune lycéenne espère que Maka acceptera le bisou indirect.

Lou fait un sourire satisfait. C’est bien, Maka semble apprécier. Même si la soupe à l’oignon est une valeur sûre (bien plus sûre que l’oignon cru, à vrai dire), Lou espérait que Maka aime les plats de ses parents. C’est important pour elle. Lou, contrairement à son frère et à sa sœur, investit beaucoup de temps et d’attention pour ce restaurant. Elle espère que ce restaurant perdure, et qu’il trouvera beaucoup de clients ! C’est difficile, parfois, de plaire au goût des japonais. La cuisine française est tellement différente, et bien plus forte.

Et Maka se rend compte de la supercherie.

Les joues de Lou rougissent instantanément. Est-ce qu’elle s’en est vraiment rendue compte ? Elle n’en est pas certaine, mais elle est incapable de la regarder dans les yeux. Elle attrape la cuillère qu’elle lui tend en murmurant : « Merci… » Elle tenait, elle, à ce bisou indirect. Mais le fait que Maka le relève aussi simplement, et sans vraiment rougir, lui donne l’impression que le plan n’a pas fonctionné. Peut-être qu’elle n’est pas troublée ? Peut-être que ça ne lui fait rien un bisou ? Des doutes, de nouveau des doutes, les mêmes doutes.

« Oui, oui, tu as raison ! Le bœuf ! » Lou s’accroche désespérément au bout de viande. Voilà sa porte de sortie, pour ne plus penser à ce bisou indirect que Maka n’a même pas saisi. Lou aurait voulu découper un bout pour Maka, mais celle-ci s’est déjà emparée de l’assiette. Trop vite ! Démunie, Lou ne sait pas trop où mettre ses mains, alors elle se cramponne à ses cuisses.

« Euuuh… Non ? » Elle ne sait pas bien de quoi Maka lui parle. « Mais j’aime beaucoup l’Urbex ! J’en ai fait une fois avec des amies quand j’habitais chez ma mamie ! J’aimerai trop en refaire ! » Pour les histoires de jeu de rôle, et d’énigme, c’est surtout qu’elle ne sait pas trop dans quelle situation elle pourrait s’y confronter. Elle n’a pas le temps pour le club d’Aventuriers.

Les yeux ronds, Lou boit les paroles de Maka. Elle ne pensait pas que c’était aussi excitant, le club des aventuriers. Sinon, elle l’aurait sûrement rejoint. Quoi que. Entre le karaté, qu’elle ne peut pas arrêter, la cuisine, qui est sa passion et la photo, nécessaire pour son compte Instagram... Rah ! Si seulement on pouvait goûter à tous les râteliers. Lou aimerait avoir deux vies, non trois ! Pour avoir le temps de tout faire, de tout essayer. Si seulement elle pouvait lâcher le cours de mathématiques et l’échanger contre un club... Elle serait beaucoup plus assidue, ça, c’est sûr !

Le pauvre bœuf au poivre pend sur la fourchette. Mais Lou, qui aurait normalement été un peu peinée par ce bout orphelin, n’en a que faire. Elle est bien trop intéressée par l’histoire de Maka. Tellement qu’elle s’exclame, au beau milieu d’une des phrases de son amie : « Genre ! Un fantôme ! » Elle en aurait presque sursauté. C’est que Lou, elle aime bien les histoires de fantômes. Parfois, ça lui fait même un peu peur. Mais comme elle se rend compte d’avoir coupé Maka dans son histoire elle s’excuse : « Oups, pardon. » Et la laisse terminer, pour pouvoir reprendre de plus belle.

« Faut qu'on le retrouve ce fantôme ! Savoir qui elle est ! C’est pas suffisant, genre, une jeune fille ! Je me demande pourquoi elle est dans les dortoirs ! Tu penses que c’était une étudiante et qu’elle est coincée ? Si elle est coincée on peut pas la laisser là comme ça la pauvre !! Faut qu’on l’aide ! Qu’on découvre son histoire ! »

Lou a trop regardé Ghost Whisperer. Elle aime l’idée d’au-delà. Et même si elle n’est pas très croyante, elle a du mal à croire qu’après la vie, il ne reste que le néant. C’est bien pour ça qu’elle est touchée par les fantômes. Elle n’en a jamais vu, elle. Mais elle aimerait beaucoup pouvoir vivre une expérience paranormale. Elle est crédule, les témoignages de ses connaissances lui suffisent à penser que les spectres existent. Mais si seulement elle pouvait en voir un de ses propres yeux...

« M'enfin, si tu veux... »

Elle se calme un peu, après tout cet enthousiasme, et finir par se pencher vers le pauvre steak de poivre qui va bientôt refroidir. Elle se coupe un bout et le met dans sa bouche. Même s’il est tiède, c’est toujours bon. La rondeur de la crème fraiche calme le feu du poivre noir. C’est un classique de la cuisine française, mais toujours une valeur sûre.

Que quoi ?! Attendre jusqu’au printemps ? Lou en est presque déçue. Elle a l’impression que Maka n’est pas si emballée que ça. Et même si elle en dit le contraire, l’excuse de la laverie, et de l’automne, Lou n’y croit pas trop. Un fantôme, ce n’est pas saisonnier ! Et puis, on ne sait jamais combien de temps ça va prendre d’engranger toutes les informations sur la défunte, peut être des semaines, des mois !

« J’sais pas, si il faut attendre autant. » Elle hausse les épaules. Elle n’a pas envie de dire “je pense que tu te défiles, t’as peur ?”, même si c’est ce qu’elle pense. Elle préfère être factuelle, pour espérer ne pas griller ses chances. « Avant de partir à sa chasse, faut déjà savoir qui on cherche, je pense que si, comme tu dis, faut démêler le vrai du faux, on va en avoir pour pas mal longtemps ! » En plus, Lou ne sait même pas par quoi commencer. Sûrement pas internet, et par les coupures de presse. Pas possible qu’ils aient un registre des élèves décédés… Et puis, il doit bien y avoir des rumeurs, Maka ne peut pas être la seule à l’avoir vue.

« On pourra faire de la recherche sur terrain à partir du printemps, si tu préfères, comme ça il fera moins froid, mais je pense que je vais me pencher sur la recherche d’information plus rapidement ! Comme ça on sera opérationnel dès les premiers rayons du soleil.  »

Elle accepte de se sacrifier, Lou. En fait, elle est curieuse, surtout. Au fond, elle sait que si Maka n’est pas avec elle dans cette histoire, elle va surtout laisser tomber. Si les recherches sont trop compliquées, elle va passer à autre chose, et oublier.

Lou louche sur l’assiette de bœuf. « Merci ! J’espère que ça t’a plu. » Elles ont trop parlé, et la viande n’est plus aussi chaude qu’avant. Néanmoins, pas question de laisser autant de restes ! Ses parents lui en voudraient. Ce n’est pas parce que c’est gratuit que c’est ok de gaspiller. Alors, elle coupe le steak en quelques morceaux et termine l’assiette. Même froid, c’est bon.

Elle glisse un œil vers l’horloge, au-dessus de la porte. Il est déjà tard. Presque trop tard pour rejoindre les dortoirs du campus. « Dis, reste 20 minutes pour rentrer… Si on part maintenant on peut y arriver. » Mais elle est un peu déçue, de ne pas lui avoir fait goûter un dessert. Tarte au citron, ou merveilleux. « Soit on reste là la soirée, j’ai ma chambre en haut, maman doit avoir un matelas en plus ! »

Lou hoche la tête, avec un certain sérieux. En fait, ça faisait longtemps qu’elle espérait pouvoir trouver une excuse pour une chasse aux fantômes. Depuis des mois, elle dévore les films d’horreur, et commence à se passionner pour les histoires spectrales. Elle n’est pas vraiment sûre d’y croire, mais elle aimerait bien le vérifier de ses propres yeux. Elle est du genre à accepter de se faire surprendre, Lou. Et Maka dans le lot, c’est un super bonus.

Maka, qui est là devant elle. Trop jolie.

Maka, aux jolies joues rouges et aux grands yeux brillants.

Maka, pour qui Lou commence à craquer.

Maka qui va rester dormir dans sa chambre. Maka qui va rester dormir dans sa chambre !?

Le cœur de Lou se met à battre à un tempo qu’il ne peut pas tenir. Ses joues deviennent rouges, aussi. Est-ce que c’était une bonne idée, de lui proposer de rester dormir ? Lou n’en est plus aussi sûre. Et même si elles auront chacun leur futon, elles seront si proches, l’une de l’autre.

« Mes parents… En général ils m’acceptent tout…. Et pour, pour le pyjama… je peux t’en prêter un ? »

Lou aurait pu inventer des excuses, mais s’en est pas question. En fait, elle a envie de voir jusqu’où peut aller la soirée. Jusqu’où peut aller leur relation. Lou ne fera pas le premier pas, elle aurait trop peur de se faire rejeter. En tous cas pas ce soir, pas cette fois. Mais elle a envie de découvrir Maka un peu plus. Parler de ses peurs, de ses rêves. De tisser avec elle une relation.

« Pour la brosse à dents, on en a pour les invités, aussi. Tu pourras repartir avec… » Elle marque une pause. « A l’heure que tu préfères. »

Lou attend quelques minutes que Maka accepte la proposition, pour se lever et sortir prévenir ses parents. Comme attendu, ils ne s’y opposent pas. Le futon est dans le meuble, avec les draps. Lou hoche la tête, elle sait bien où il se trouve. Alors, elle retourne à Maka, et l’invite à se lever :

« Tu me suis, on monte ? »

C’est un petit appartement douillet. Même si la literie est typiquement japonaise, Maka peut y voir quelques souvenirs de France : des boîtes de gâteau remplis de boutons, des livres en français, et même un chapeau de paille. Lou l’invite jusqu’à sa chambre. Elle est simple, assez peu décorée, c’est qu’ils ont emménagé il y a peu de temps à Kobe, et qu’elle passe plus de temps dans la chambre de l’internat. Alors qu’elle déplie le futon, elle invite Maka à prendre un pyjama :

« Ils sont dans la première commode, tu peux te mettre à l’aise si tu veux. La salle de bain est au fond du couloir. »

Lou fouille dans le grand placard, à la recherche du futon et de draps propres. Elle ne regarde pas vraiment le pyjama que Maka lui tend lorsqu’elle lui répond : « Oui ! Prends ce que tu veux ! » Lou ne tient pas vraiment à ses vêtements. La plupart du temps, elle glisse dans son lit avec un grand T-shirt, et basta. Ce ne sera pas le cas ce soir.

Elle tire le futon et le place juste à côté du lit. Il est petit, d’une place, mais confortable. Et pendant que Maka est partie jusqu'à la salle de bain, Lou se permet de chercher son propre pyjama. Elle fouille, et veut éviter tout ce qui est trop enfantin. Sans vouloir passer pour une femme fatale, elle veut quand même être à son avantage. Alors, elle sort un pyjama dans une matière fluide, limite satinée, d’une couleur bleu pastel. Il est un poil trop grand pour Lou, alors elle ne le porte que trop rarement. Et puis le satin, ça fait très adulte. Mais pour ce soir, ce sera parfait.

A son tour d’utiliser la salle de bain pour se changer, et se mettre un coup de propre ! Les lumière s’éteignent, et les deux jeunes filles peuvent profiter de leurs lits douillets. La couette jusqu’aux oreilles, Lou regarde Maka pianoter sur son téléphone. Elle se demande ce qu’elle peut bien regarder. Le sien est déjà branché, sur son bureau, elle a donné la meilleure prise à son invitée. Quand Maka pose son téléphone, Lou tourne le regard, pour ne pas être prise en flagrant délit de matage.

« Oh, oui, tu as raison ! » Elle se retourne de nouveau vers Maka. C’est moins cramé, si elle la regarde maintenant. « Joyeux noël à toi aussi, merci pour l’invitation. »
Merci pour le rendez-vous. Lou a bien du mal à savoir s’il est galant ou simplement amical, mais peu importe. Elle a rarement l’occasion de toucher du bout des doigts le romantisme. C’est le souci, avec l’homosexualité. Comme elle ne se permet pas de le dire, et de vivre librement son orientation sexuelle, elle ne peut pas non plus vivre et ressentir les rencards adolescents.

Aujourd’hui, elle a l’impression de l’avoir vécu.

« T’aimerais faire quel voeux, toi, si tu pouvais en demander un à noël ? »

C’est difficile, un seul vœu, Lou le sait. Pourtant, c’est une question qui révèle tellement d’une personne. Lou fait partie de ces personnes qui sont persuadées que d’avoir un rêve est important. C’est ce qui permet de faire tenir les journées les plus longues, et d’avancer dans la vie. Sans but, et sans envie, difficile de supporter la difficulté de la vie. Lou, pour ne pas trop s’y confronter, essaie souvent de rêver sa vie.

« Libre ? » La question, comme un murmure. Elle ne sait pas bien ce que ça peut vouloir dire, libre. Ou plutôt, au contraire, ça peut signifier tellement ! D’une certaine manière, Lou aimerait être libre aussi. Libre de pouvoir aimer les filles comme elle le souhaite. Libre de pouvoir tenir la main d’une copine. Peut-être même l’embrasser dans une salle de cinéma, sans avoir à se poser de question.

Mais bizarrement, quand Maka parle de liberté, Lou s’en doute, ce n’est pas question d’orientation sexuelle.

« Ah, bah, oui, libre comme ça… » Elle hoche la tête. Une histoire de carrière. Un peu comme elle et les gâteaux. N’est-ce pas ? Quoi que ! Non, pas du tout comme elle et les gâteaux. «Attend, quoi ? » Lou se redresse immédiatement et se tourne vers Maka, la bouche en cœur et les yeux écarquillés.

« Non mais non mais ! Je n’avais pas compris ! Je savais que tu t'entraînes mais…. T’es une vraie idole, une vraie de vraie ? »

Lou était persuadée que son amie s’entraînait encore. Pas qu’elle avait commencé. Et d’un coup, Maka semble hors de portée. C’est difficile pour une idole de sortir avec quelqu’un. Même avec un mec. Alors avec une meuf ? Le cœur de la jeune cuisinière se resserre. Elle a l’impression de commencer une idylle impossible. Alors, elle répond à la question de Maka par :  

« Je crois que… Je crois que j’aimerais bien ne pas être seule à noël prochain. »

Seul, célibataire.

Et finalement, avec un peu de retard, Lou se rend compte de ce qu’elle vient de dire. Ses joues virent au pourpre en un rien de temps. Elle se mord les lèvres alors que la nuit lui permet encore de se cacher. Heureusement, elle n’aimerait pas que Maka puisse voir la preuve de son embarras. Lou, elle a lancé ça, comme ça, sans vraiment réfléchir. C’était naturel, et peut-être même un peu trop.

C’est que l’amour, ça n’arrête pas de tourner dans sa tête, ces derniers temps. D’abord, il y a Maka, qui lui fait palpiter le cœur, mais il y a aussi toutes les autres filles avec lesquelles elle flirte sur les réseaux sociaux. Le problème, c’est bien ça, c’est les filles. Lou a bien du mal à savoir comment s’y prendre avec elle. Comment s’assurer qu’il s'agit de drague, et non d’amitié ?

« Oui… J’espère… »

La voix de Lou s’éteint doucement, alors qu’elle essaie d’imaginer la réalisation de ce rêve. Un peu fou. Elle aimerait bien pouvoir tenir la main de Maka, se blottir contre elle. Ou alors, passer du temps dans les magasins avec elle à Noël, lui offrir une bêtise. Du genre, un bonnet tricoté avec amour. Pourtant, elle ne sait pas tricoter, Lou. Et elle ne sait pas si elle aura le temps et l’énergie d’apprendre d’ici là. Pourtant, elle aimerait bien avoir son moment romantique, comme dans les films.

Mais pas question de se morfondre ! Si elle devient trop triste, Maka va se demander pourquoi. Et il n’y a rien de pire que les discussions le cœur pleurant jusqu’au bout de la nuit. Non ! Non, non, non. Alors, Lou reprend vite sa respiration, et change de sujet. Elle revient au premier, à celui qu’elle n’a pas encore assez exploité :

« Tu aimes ça, être idole ? C’est pas trop crevant ? »

Les fans, les concerts, les fans. Surtout les fans, en fait. Lou a du mal à imaginer les hommes qui idolâtrent Maka.

Lou se demande sur quel bouton elle a appuyé. Maka parle, et parle. Mais ça ne la dérange pas, bien au contraire. Elle aime sentir la passion dans la voix des gens. Et surtout dans sa voix, à elle. C’est beau, ce plaisir de chanter. C’est beau, ce désir d’être idole. C’est un métier qui fait un peu peur à Lou, on entend tellement d’histoires sur les anti-fans. Mais elle espère que Maka ne croisera jamais leur chemin !

Seize ans, ça semble jeune, pour Lou. Maka doit travailler deux fois plus ! La journée, elle a école, et le reste du temps, son vrai travail. Elle se demande même comment elle peut conserver une vie sociale. Lou, elle a déjà bien des difficultés à aller en cours.

Mais c’est qu’elle a aussi un rêve, une passion, qu’elle espère un jour devenir un travail. Malheureusement, elle ne peut pas encore sauter les étapes. Elle aimerait bien pouvoir vivre tout de suite la vie de ses rêves, mais il faut attendre le diplôme.

« Tu as des vidéos, du concert ? »

Lou est presque déçue de ne pas avoir pu rencontrer Maka cet été. Elle a l’impression d’avoir manqué quelque chose de grand, quelque chose d’important. Un concert, un premier concert ! C’est le début d’une carrière. C’est le genre de moment que l’on ne peut pas oublier. C’est aussi le genre de moment qui ne peut arriver qu’une seule fois. Lou ne pourra jamais partager avec Maka ce bonheur.

« Moi ? C’est un peu moins grandiose. » Elle appuie sur le mot. « Mais j’aimerai vraiment devenir pâtissière. Du genre, une grande pâtissière. Pas des boulangeries de quartier, mais des grands palaces, et voyager dans le monde pour découvrir de nouvelles saveurs. »

Elle pourrait montrer son blog, mais son téléphone est déjà branché. Et surtout, elle voit que Maka est fatiguée. Tous les signes sont là. Alors, elle préfère garder pour le moment Instagram secret, avec toutes les photos de ses gâteaux. Donnant-donnant, elle lui communiquera le nom du profil quand elle aura vu les vidéos de son premier concert !

« On se couche ? Tu pourras me montrer tes trucs d’idole demain matin. »

Lou esquisse un sourire, dans le noir. Elle aime entendre l’enthousiasme dans la voix de Maka. Elle a vrai, au final, c’est un gros rêve. Le genre de rêve pour lequel il est important de se battre. Lou a la niak ! Et elle veut devenir la meilleure des pâtissières. Pour le moment, elle n’a que les fours de ses parents pour s’entraîner, mais elle a hâte au jour où elle pourra rentrer dans une école de cuisine. Comme maman. Comme papa.

Elle aime tellement faire à manger pour les autres. Les sucreries, évidemment, surtout. Ce n’est pas toujours évident de trouver des goûteurs. Les gâteaux, ce n’est pas pour tout le monde. Et même si elle fait attention à minimiser la dose de sucre, à l’instar des grands pâtissiers internationaux, certains n’ont pas le goût des confiseries. Mais si Maka veut goûter : « J'aimerai beaucoup aussi, te faire goûter ce que je fais. » Elle ne sait pas vraiment quand, entre les fêtes et le voyage au ski, mais elle le trouvera bien, en ce moment.

Les yeux de Lou commencent à se fermer. Elle bas des cils, pour se concentrer. Elle ne veut pas s’endormir, avant d’avoir répondu au bonne nuit de Maka. Mais sa voix est tellement rassurante, et tellement réconfortante. Elle rappelle Morphée.

« Merci, Maka-chan, joyeux noël, et dors bien. »

Elle espère que le matelas sera assez confortable, ainsi que l’oreiller, ainsi que le drap. Elle espère que Maka trouvera le sommeil, très vite. Et elle plonge, plonge, Lou, dans le royaume des rêves. Elle plonge et entend à demi-mot la dernière phrase de Maka. Elle a l’impression qu’il s’agit d’un rêve. Qu’elle l’imagine, que c’est une illusion. Elle n’est pas seule et la proximité de Maka, juste là, juste à côté la rassure. Elle espère qu’elle restera accompagnée longtemps.

La nuit fut douce, assez longue, très reposante. Le lendemain matin, chose promise, chose dûe. Qu’elle est belle, Maka, en idole. Lou se promet de regarder ça plus attentivement quand elle sera partie. En échange, juste avant qu’elle ne file, Lou envoie par sms à Maka le nom de son compte Instagram de pâtisserie. Comme ça, elle pourra le regarder sur la route !

#terminé