C’est le premier jour de décembre.

Moon regarde le ciel. Il ne neige pas encore. Qu’est-ce qu’elle aimerait voir la neige ! Le tapis blanc la rassure. Même si ça veut dire pas de talons, même si ça veut dire couches et couches de vêtements, même si ça veut dire bonnets et gants. Elle ne se l’avouera jamais, mais Moon aime la période de noël, et de la nouvelle année. Il y a d’abord la musique qui envahit les magasins. Puis, il y a l’odeur des épices, qui émane des petits restaurants. Et puis, surtout, il y a les gens. Noël, ça embaume les cœurs. Comme si tout le monde était dans un petit cocon de douceur et de gentillesse…

Sal*pe !

…Bon. Pour la gentillesse, on repassera. Moon, sortie de sa rêverie, cherche du regard la provenance de ce malheureux juron. C’est une accusation grave, quand même !

Grosse c*nne !

Trouvé ! Deux jeunes filles. C*nnes, difficile de juger, mais grosses, clairement pas ! Elles doivent être en fin de lycée, maximum début université. Moon se rapproche. Les deux filles sont face à face, les regards noirs, prêt à se sauter l’une sur l’autre.

Encore et encore des noms d’oiseaux, tous désagréables aux oreilles de Moon. Et la dispute semble ne pas se calmer. Et voilà que maintenant elles en viennent aux mains ! L’une d’entre elle attrape les cheveux de l’autre.

Mesdemoiselles !

Moon trottine jusqu’aux deux filles et essaie de les séparer. Mais maintenant, la seconde a riposté, et s’est accrochée à son tour aux cheveux de sa rivale. Super. Où sont les surveillants quand on a besoin d’eux ?

Plus vite que l’éclair, voilà Akira, sur son cheval blanc, prête à en découdre. La plus belle des princesses, la plus forte, aussi. En fait, elles n’ont pas discuté depuis leur excursion dans la nuit. Elles se sont saluées, poliment, lorsqu’elles se sont croisées dans les couloirs, mais voilà tout. Moon n’est pas tout à fait à l’aise, avec l’histoire qu’elle lui a racontée. En fait, une fois rentrée chez elle, l’alcool absorbé par le burger, elle a commencé à avoir peur. On ne fricote pas à la mafia. Mais on ne la vexe pas non plus. Elles sont restées cordiales.

Et pourtant, Moon est impressionnée par sa jeune collègue. Malgré cette fameuse vie de mafieuse, elle est bonne à son travail. La plupart du temps, il lui suffit de froncer les sourcils, et de croiser les bras pour faire peur aux étudiants.

La plupart du temps, pas cette fois.

L’amour, plus fort que la peur. Ou la haine, peut-être. Les deux gamines ne veulent rien comprendre, ni l’une, ni l’autre. Pour une histoire ridicule, en plus. Ce garçon, il ne vaut certainement rien du tout. Elle aimerait bien savoir qui il est, certainement un petit Apollon du lycée, qui ne regarde personne d’autre que lui-même. Une idée lui transperce l’esprit. Faites que ce ne soit pas Pablo ! Ce serait bien l’genre.

On va aller l’chercher, ce garçon, si vous voulez.

La menace, tout de suite. Moon a réfléchi à la meilleure stratégie. En fait, elles n’arriveront pas à les raisonner tant qu’elles ne se sont pas lâchées. Et ça semble fonctionner. La première lâche tout de suite les cheveux de la seconde, en se rapprochant de Moon pour supplier :

Non, non, surtout pas ! Il ne do-...

Elle se mord la joue avant de terminer sa phrase. Moon sourit. Elle a gagné : elle n’a plus qu’à jouer le jeu, comme si elle connaissait le nom du gamin, et elle aura toute leur attention.

D’accord, mais dans ce cas, je veux que vous vous excusiez l’une l’autre, tout de suite.

Malheureusement, si la menace fonctionne sur la première, la seconde n’en a rien à faire :

Jamais je m’excuse, j’ai rien fait moi, et j’m’en fous s’il vient, moi je veux savoir ce qu’il en pense.

Moon tourne le regard vers Akira : elles sont mal barrées.

Oh non ! Elle qui pensait avoir calmé les deux demoiselles avec cette histoire de téléphone a provoqué l’embrasement ! Battle Royale, à la fin, il n’y en restera plus qu’une. Comme juge ? Le coureur de jupons. Comme spectatrices ? Akira et Moon. Et si Akira semble vouloir participer, Moon est plutôt du genre silencieuse. Elle se sent toute bête, dans cette situation.

D’abord, parce qu’elle est désolée pour la jeune fille apeurée. Il y a bien une raison pour laquelle elle refuse de téléphoner à ce type. Ce n'est sûrement pas un bon garçon. Et quand bien même elle n’a que d’yeux pour lui, ce n’est pas toujours simple de se confronter à ses sentiments. Et même si elle n’est pas la copine légitime, ce n’est pas de sa faute, si le mec a décidé de jouer sur les deux fronts.

Et le garçon répond. Il répond tout de suite. Il répond sans même laisser sonner. Il a l’air d’avoir attendu l’appel, et il ne se laisse pas prier. Et on y va pour les “poupées” ! Et on en rajoute avec des “t’es super belle”. C’est vraiment le genre de garçon que Moon n’apprécie pas. Elle en a connu, lorsqu’elle était ado. Enfin, avant qu’elle devienne moche. Ils te lâchent, ils te collent, et ils font tout pour te faire craquer. Elle, la première, tombait dans leurs bras. Elle a une dent contre ces garçons qui lui ont brisé le cœur, et qui ont certainement construit dans ses relations affectives des schémas toxiques.

Moon ne reconnaît pas Pablo. Pas du tout. Même pas un petit peu. Pourtant, elle l’aime bien, ce gars là. Elle a toujours eu du respect pour lui. Malgré sa tchate, il a plutôt un bon fond. Il sait se rendre utile, aime bien les fleurs, et n’est pas avare de compliments. Jamais, oh grand jamais, elle pourrait penser qu’il s’agit de Pablo, derrière le combiné. Alors, elle l’attend.

Au final, elle a oublié les deux autres jeunes filles, elle bouillonne. C’est pas elles, qu’elle souhaite disputer, mais plutôt ce branquignol. Ce gamin qui n’a de respect pour rien, et surtout pour personne. Qui prend cette situation comme un spectacle, et qui n’a qu’une envie : en être le roi. Ce n’est pas possible. Il faut qu’elle se calme, sinon elle va exploser. Il faut qu’elle se calme, pour ne pas déborder.

Alors qu’Akira est actrice dans ce drôle de spectacle, Moon reste toujours en retrait. Elle la regarde, mais ne dit mot. Elle a peur que ses paroles dépassent ses pensées. Alors, elle attend.

Elle a hâte de voir la tronche de cette bouse.

C’est un petit plaisir pervers qui agite Moon. Elle a hâte de voir à quelle sauce va se faire manger ce goujat. Bien sûr, Moon n’envisage pas une seconde les deux jeunes filles en tort. Depuis des années, elle a compris que bien souvent les hommes prenaient l’ascendant sur les femmes, et leur en faisait voir de toutes les couleurs. Ou peut-être qu’elle ne fait que se projeter dans l’histoire de ces deux filles. Adolescente, Moon n’a pas vraiment eu d’histoire. Son acné lui a empêché toute relation. Alors quand elle a appris à s’en débarrasser et surtout, à le camoufler sous le maquillage, elle a rencontré les joies de la chasse. Elle est tombée. Encore et encore. Et elle a cette sensation d’avoir bien souvent été la victime.

Pourtant, si elle prend un peu de recul, elle se rend compte, Moon, de ne pas toujours avoir été toute blanche.

Et quand elle voit Pablo arriver sur la scène de crime, elle pâlit. Non. Pas Pablo. Pas son Pablo. Son petit Pablo. Son Pablito. Celui qui arrive à la faire rire, même un dimanche matin, dans un konbini, alors qu’elle est fatiguée par la semaine et - bien trop souvent - par la soirée de la veille. Pas son Pablo, qui aime secrètement les fleurs, et qui sait comment redonner vie à n’importe quelle plante verte. Pas son Pablo, qui gratte sa guitare sous l’ombre d’un arbre, l’air branleur, mais surtout l’air rêveur.

Alors, elle n’ose plus rien dire, parce qu’elle a du mal à y croire. Elle se contente d’observer, et de se faire discrète. En fait, le rôle qu’elle aurait dû prendre, depuis le début. Elle se sent un peu bête, de s’être autant projetée. Elle se rend compte qu’au final, elle a vécu à la place de ces filles. Dernièrement, Moon a besoin de sororité, mais elle en oublie sa partialité. Et elle écoute, tout ce qui se passe. Elle comprend qu’il y a sûrement un peu de tort, chez les trois personnages. Que cette Natsuko a mal supporté la relation difficile et peut être pas si claire, pour des adolescents en train de se construire, que Hizumi a pris à cœur ce qu’elle aurait dû laisser couler.

Et que Pablo manque cruellement de tact.

Moon se sent un peu interdite, et regarde Akira pour chercher de l’aide. Elle est admirable, cette femme. C’est peut-être parce qu’elle est habituée à couper des doigts pour régler les conflits, mais elle semble tout prendre avec une flegme que Moon a bien du mal à imiter.

Pourtant, quand les deux pipelettes reprennent leur dispute, Moon récupère son rôle de professeur, et met un bras devant Hizumi pour l’empêcher de se rapprocher de Natsuko.

Medmoiselles. Est-ce qu’un discours inspirant leur fera changer d’avis ? Moon en doute, mais elle essaye tout de même. Vous êtes amoureuses, et je comprends. Je suis désolée pour vous, que vos sentiments ne trouvent plus de réciprocité. C’est dur, et ça continuera à l’être jusqu’à que vous puissiez tourner la page.C’est d’autant plus dur que Pablo a la maturité des garçons de son âge. Il vous a blessé, et vous ne comprenez pas pourquoi ça s’est arrêté si vite. Si soudainement. Sans explication. J’aimerai vous dire que l’amour a des raisons, mais c’est rarement le cas. Ce ne sera pas votre dernière peine d’amour, et faudra bien avancer. Que ce soit seules, ou ensemble. Plutôt que vous disputez, vous pouvez échanger sur vos expériences, vous avez un grand point commun : le même garçon vous a brisé le coeur. Profitez en pour en parler, pour comprendre ce qui n’a pas marché, comment vous pouvez en ressortir grandie.

Moon s’arrête. Elle regarde les deux filles mais il n’y a aucune lueur dans leur regarde. Elles ont l’air toujours aussi idiotes. Non, le discours inspirant, ce n’était peut être pas une bonne idée.

Et ça capote. Evidemment que ça capote. Moon était un peu stupide, aussi. Est-ce qu’à seize ans elle aurait écouté le discours sage d’une professeur ? Oui. Sûrement que oui. Mais parce que son école était stricte, beaucoup plus stricte que Kobe High School. Ici, les gamins sont libres. C’est sûrement pour le mieux, sauf dans ce genre d’histoire.

Heureusement, Akira la soutient. Enfin, Moon a l’impression qu’elle la soutient. Et la pauvre professeur se sent maintenant bien démunie face à toute cette histoire. Elle n’a aucune idée de commencer à parler à des lycéennes en mal d’amour. Sinon, elle n’aurait certainement pas choisi d’enseigner à la fac !

Alors, pour le moment, elle choisit de rester un peu en retrait. Il y a quelque chose chez Akira de plus naturel. Elle sent bien la vocation de la jeune femme. Elle sait parler aux lycéens, avec à la fois du sarcasme, et de la tendresse. C’est drôle, mais Moon a bien du mal à l’imaginer sous les traits de mafieuse quand elle est dans la cour du lycée. Peut-être qu’elle a complètement fantasmé leur discussion ? Parfois, elle se met à douter de ce qu’elle a entendu. Après tout, elles étaient alcoolisées et encore sous l’effet de l’adrénaline.

Pablo est remercié. Et c’était sûrement la meilleure chose à faire. Alors qu’il part, la tension remonte d’un cran, avant de redescendre tout de suite. Et quand les deux filles parlent d’histoires de coeur, Moon se réveille instantanément. C’est son heure de briller !

L’homme que j’aimais s’est marié avec une autre, alors que nous nous fréquentions encore. Il m’a quitté juste avant de passer devant l’autel.

Elle lâche ça, comme une bombe, sans même avoir l’air touchée. Cette histoire, ça l’a détruite. Et encore aujourd’hui, ça porte certainement préjudice à ses relations amoureuses. Elle sait que Takumi l’a blessé pour de bon, et même si elle espère que ça peut aller mieux avec les autres hommes de sa vie, elle est toujours sur la défensive. Difficile pour Moon de croire un homme qui l’aime, quand celui qu'elle a adoré l’a abandonné.

C’est bon. Moon a de nouveau l’attention sur elle. C’est vicieux, comme petit plan, mais les deux demoiselles - que dirai-je, les trois ! - semblent avoir bien oublié les beaux yeux de Pablo. La professeur de cinéma ne semble pas gênée, elle sait que c’est le genre d’histoire qui choque, énerve, et invite à poser un tas de questions. Il y a encore quelques mois, cette histoire, elle n’en parlait pas. C’est que Takumi, c’était son premier vrai amour. Celui avec lequel elle pensait avoir une vie, une longue vie, des gamins et la totale.

Mais le temps passe, et on oublie tout avec le temps. Bien sûr, elle n’oublie pas Takumi. Pourtant, ils ne se sont pas vus depuis août dernier, et Moon jurerait avoir oublié les traits de son visage. Ils l’ont invité, pour passer les fêtes de fin d’années ensemble. Mais même si son filleul lui manque, elle a décliné l’offre. Elle préfère que le temps passe encore un petit peu plus.

Moon garde la surprise, et ne répond à aucune question, elle laisse les demoiselles les poser, en leur laissant le mystère. Et c’est bien Akira qui le lui permet. Toujours aussi professionnelle, elle leur donne la meilleure des conclusions. Et même si les deux filles aimeraient en connaître un peu plus, Moon ne leur donnera rien plus qu’un :

Le plus important, ce n’est pas comment j’ai réagi à ce moment. C’est comment je le vis maintenant. Bien sûr que le souvenir est dur, mais je peux vous en parler sans être débordée par les sentiments. Aujourd’hui, tout à l’air injuste, dur, et douloureux. Mais, ça ira mieux, je vous le promets.

Les deux jeunes filles ne semblent toujours pas tout à fait conquises par le discours. Les grands mots, ça ne semble pas les toucher. Elles sont encore jeunes, et c’est bien normal. Les mots d’adultes, ce sont les mêmes que les mots de leurs parents. Des paroles, paroles, paroles. Toujours là pour invalider leurs sentiments.

Elles bougonnent, elles râlent, mais au final, peu importe, le principal est là : les deux ne se disputent plus, et Pablo est déjà bien loin.

Moon fait un petit signe de tête à Akira, comme pour lui proposer d’aller se réfugier un peu plus loin, et de laisser les jeunes filles retourner vaquer à leurs occupations, tout en gardant un oeil sur elles pour être certaines qu’elles ne refassent pas de vague.

Du coin de l'œil, Moon regarde les deux silhouettes féminines, alors qu’elle s’éloigne, avec Akira. Elle n’est pas certaine que son discours, ni sa révélation choc, puisse leur faire changer d’avis sur leur petite gue-guerre, mais à défaut de sororité, elles se sont calmées. Au final, c’est peut-être là que réside le plus important.

Moon aimerait s’asseoir au chaud, avec un grand café. Il fait frais, en cette première journée de décembre. Mais pas question de lâcher Akira sur cette bombe, et la surveillante doit bien répondre à ses obligations : surveiller les étudiants. Tant que les deux gamines ne se sont séparées, personne n’est à l’abri d’une nouvelle tempête.

Elle rit légèrement à la remarque d’Akira. J’aimerai bien ! C’est vrai que pour le moment, Moon s’est rarement permise d’être personnelle. Mais ces deux filles l’ont touché. Et au final, le jeu est toujours moins fort que le réel. Elle l’a senti. Une fausse excuse n’aurait pas fonctionné. Tout est vrai. Même si l’eau commence à couler sous les ponts. Je peux en parler avec le sourire. Malgré une petite boule dans le coeur.

Moon ne peut s’empêcher un petit rire. C’est qu’Akira la soutient, parce qu’elle n’a pas toute l’histoire. En fait, c’est un peu plus difficile que ça. Et Moon n’est pas très fière de sa position. Elle sait qu’elle a été la méchante, et qu’elle ne devrait pas raconter cet épisode de la vie de la position de la victime. Et pourtant, elle a été blessée comme jamais auparavant.

Je ne dis pas non à un café. Même s’il vient de la machine.

Alors, doucement, les deux femmes se dirigent vers le distributeur automatique. On y trouve un tas de boissons, froides comme chaudes. Moon prend une canette de café chaud, et prend la boisson qu’Akira souhaite. La professeur récupère les deux canettes, en tend une à Akira, et ouvre la sienne.

Les vapeurs de café sont délicieuses. Elle prend une gorgée, qui réchauffe immédiatement sa gorge, avant de reparler de cette histoire.

En vrai, j’ai pas le droit de me plaindre de tout ça, j’étais l’amante, pas la copine officielle. Moon reprend une gorgée de café. Takumi, c’était le petit ami d’une pote de ma fac. Plus qu’une pote, une amie. Peut-être même des meilleures amies à cette époque. Il a commencé à me draguer, m’envoyer des messages, et j’ai craqué. Il était vraiment beau, et intelligent. Et il me promettait l’amour, le mariage, de quitter sa meuf. J’y ai cru ! Mais elle est tombée enceinte et puis… Il l’a choisi. Et c’est normal, c’était la vraie.

Le thé tombe dans la grande machine. Une cannette, c’est pas terrible, mais c’est mieux que rien. Et pourtant, malgré les premières gorgées dans le café chaud, rien n’y fait. Au contraire, même. C’est moi, où ça s’est refroidit, d’un coup ?  

Moon a compris, tout de suite, à l’expression d’Akira. Elle en a trop dit. C’est qu’elle ne connaissait de toute manière pas la femme. Pourtant, la professeur de cinéma ne s’en veut pas. Elle l’a vécu cette histoire, de plein fouet. Et elle sait, qu’elle n’est pas une victime toute innocente. Pas question de travestir la réalité, elle voulait tout dire comme ça s’est passé. Et si Akira ne retient que le mot “amante”, tant pis. Moon croit dur comme fer que ce n’est pas la faute de l’amante, mais de Takumi. Qui lui a promis monts et merveilles.

Elle ne se sent coupable de rien.  

Elle n’a pas à se sentir coupable.

Alors, silencieusement, elle se contente de boire la fin de sa cannette de café. Elle ne compte pas s’excuser, ni même se justifier.  

“Je dis ça, je dis rien, mais j’le dis quand même.” C’est l’effet de la phrase sur Moon. Si tu ne veux pas lancer de débat, alors ne le lance pas. Moon a horreur de parler pour ne rien dire, et elle n’apprécie pas non plus cette sorte de leçon de morale. Elle sait par où elle est passée, et elle sait ce qui s’est passé. Bien sûr qu’elle n’a pas l’image d’une gentille et adorable petite fille que tout le monde aimerait consoler. Et elle n’a jamais demandé à avoir cette place. De toute manière, quand Takumi l’a lâché, lui a rappelé ses origines coréennes pour lui rappeler qu’elle ne serait jamais rien d’autre qu’un plan fesse, et qu’elle était bonne à baiser, et pas autre chose, elle n’a demandé du soutien de personne. Elle a tanké seule, et n’en a pas parlé. Et c’est bien parce que Akira ne connaît aucun des protagonistes qu’après ces années, elle se permettait de parler de cette histoire. Oh non, elle n’aurait jamais dû le faire. Elle s’en rend bien compte.

Eh bien, ça tombe bien, nous ne venons pas du même milieu. Et elle sent la colère remonter le long de sa gorge. Moon ne veut pas s’énerver, elle ne veut pas hausser la voix, mais toute cette histoire, tout ce qu’elle a vécu, elle refuse qu’on le lui fasse bouffer. Par une inconnue : Et nous ne nous connaissons pas. Ce n’est pas parce que c’est une histoire que j’ai raconté en souriant, que ça me dépasse. Il manque les détails. Il manque la douleur. Je ne t’ai pas parlé des promesses, des cadeaux, de la manipulation. J’ai été conne de croire les belles paroles de ce type ? C’est clair. Par contre, ce n’est pas moi qui ait trompé. C’est lui qui a préféré baiser ailleurs.

Sur ce coup, elle termine sa canette de coca. Ce n’est pas du tout un instant agréable. Elle Moon n’a qu’une hâte : que vienne la sonnerie pour pouvoir fuir. Mais elle est trop fière pour partir sans aucune excuse.

Moon hoche la tête. Oui, elle a bien compris le souci. C’est la fidélité sans limite à ses proches. Les amis, comme la famille. La professeur de cinéma a toujours eu du mal à se lier d’amitié. Cette pote, c’était juste une pote, comme ça. Elles se rencontraient en soirées, buvaient quelques coups, mais c’est tout. Cela dit, difficile de se lier d’amitié quand on convoite le même homme. Pourtant, Moon ne peut pas se faire passer pour la gentille, elle le sait que sur le coup elle a été stupide. C’est certainement la raison pour laquelle aujourd’hui elle est si mal à l’aise avec les relations amoureuses. Elle est sur ses gardes, tout le temps. Elle aimerait trouver chaussure à son pied, avoir une vraie belle histoire. Mais le spectre de Takumi revient toujours.

Oui, t’as raison, j’ai été une belle conne.

Surtout une conne, plus qu’une belle.

Je ne compte pas recommencer. D’ailleurs, ce serait difficile, je ne me suis pas vraiment lié d’amitié avec qui que ce soit, depuis.

Est-ce que c’est lié ? Moon ne sait pas. Elle pense surtout être une mauvaise amie. Elle se sent toujours en décalage avec les filles qu’elle fréquente. Mais c’est peut-être histoire de ne plus jamais être dans une situation aussi ridicule.

Faudrait qu’elle voie un psy. Mais est-ce qu’elle a vraiment envie de se confronter à tout ça ?