[TERMINE]That’s how we roll

Pourquoi j'ai cette impression de ressentiment de la part de Maya, et de son peut-être, au sujet de ses boucles d'oreilles ? Peut-être prend-elle ça comme un manque d'attention de ma part... comme si je ne m'intéressais pas suffisamment à elle. Ce serait compréhensible.

Je souris à sa remarque sur le magicarpe, elle est si loin de la vérité !

« En fait... ce n'est pas si simple. Tu dois te mettre au sol, et t'agiter comme un poisson hors de l'eau »

Juste le début ? Pas faux. Elle pourrait me devancer en enchaînant les bons lancers. Je ne suis pas à l'abri d'un retournement de situation ! Maya balaye neuf quilles, et j'applaudis sans aucune once de moquerie. C'est déjà mieux que toutes ses précédentes tentatives.  

Je récupère ma boule, et la lance un peu maladroitement. Évidemment, ça se ressent sur la piste, et je touche seulement deux quilles. Je souffle un bon coup avant de la lancer pour la deuxième fois : les huit dernières sont dégommées.

Un spare donc !

Je cherche un sujet de conversation. Faut le dire franchement : c'est loin d'être mon fort. Je tourne les yeux vers son joli visage à la recherche d'une idée. Yuna pop dans mon esprit, mais c'est un sens interdit. Alors je pense à Jack, dont les promenades vont être annulés pour cause d'examens.

« Vu que tu m'avais dit ne pas trop aimer les chiens, ça te dirait d'en rencontrer un pour changer d'avis ? »

Si elle a rien contre, je pourrais lui présenter.

Mais qu'est-ce qu'elle raconte encore ? Il n'y a pas besoin de savoir nager pour imiter un poisson à l'agonie. Bon dit, comme ça, c'est loin d'être terrible mais j'ai cette impression à force de parler avec elle... comme si Maya était toujours un peu à côté de la plaque.

Alors je ne réplique rien à sa remarque sur le magicarpe, et la regarde plutôt s'interroger sur les raisons de la présenter à un chien. Kawaguchi-san aussi avait peur des chiens. Enfin, elle en a toujours peur, je suppose, mais elle s'était un peu détendu à force d'être avec Jack.

« Pour te familiariser avec un chien, et estomper un peu ta peur ? »

Toute rayonnante à cette idée, je suis des yeux la boule qui roule jusqu'à la rigole.

« Oui ! Je vais partir en médecine vétérinaire, c'est prévu... wow ! »

La blonde vient de faire un faux strike. Je lui balance un « Bien joué ! » même si comme moi, c'est purement de la chance, et non de la technique. J'ai toujours l'espoir de ne pas la semer, et d'être collée aux basques !

De mon côté, c'est encore un fichu spare 2/8.

Oh !  Vraiment ?! Même si l'idée me plaisait, j'étais loin d'être sûre de sa réponse. Je m'attendais même à une réaction négative et définitive. Alors que là, malgré sa non certitude d'y arriver, elle est prête à essayer !

« Évidemment ! Je te laisserai pas toute seule avec Jack »

Pas que j'ai peur de retrouver Maya dans l'estomac du chien, mais il a parfois des réactions un peu bizarres, surtout envers les autres chiens. Donc on va sûrement éviter de faire ça dans un parc, où on pourrait croiser de la famille éloignée.

« Oui ! Tout plein ! Je suis pressée d'avoir des habitués, et de rencontrer les familles ! Je pense que j'aurais au moins un chien et un chat pour me tenir compagnie »

De la chance, peut-être, mais c'est toujours mieux que rien ! Je serai vraiment embêtée si elle perd, parce que... je n'ai aucune idée de gage. Je suis loin d'être créative, et réfléchir à quelque chose d'inventé, ou presque, c'est un peu compliqué.

« Mais non, sois pas défaitiste ! »

Un doublé de quatre quilles, c'est pas ouf.

Pas une seule seconde, je l'imagine seule avec le chien. Ce serait la débandade, et je récupérerais une Maya à la petite cuillère. Un peu comme si le jour à la piscine, je l'avais jeté à l'eau, au lieu de la tenir dans mes bras.

« Tu verras, une fois la première appréhension passée, tu t'habitueras à sa présence ! »

Enfin... je l'espère. Ce serait bête d'avoir une Maya prête à fusionner avec le mur le plus proche, pour s'extraire de l'existence un peu trop nette du chien. Elle me pose une question sur mon rêve, entre animaux et enfant... Je sèche un peu :

« Je ne sais pas si je veux un enfant... Puis, les animaux, c'est déjà une famille, non ? Et toi ? Elle a quelle tête ta famille idéale ? »

Combien d'enfants, d'animaux ? Les gosses, je suis un peu jeune pour y penser. Et je ne ressens pas le besoin d'être maman, comme certaines de mes connaissances. Peut-être que l'envie viendra avec le temps ! Toujours est-il que là, ce n'est pas le cas.

« Tout peut arriver ! »

Deux quilles, puis sept, presqu'un spare !

Maya me fait rire avec sa bêtise ! Je sais bien que, je suis loin d'être une blagueuse. Je ne suis pas faite pour ça, je ne suis pas la comique du groupe. J'aimerai bien, mais les traits d'esprits arrivent seulement lorsque j'y repense plus tard dans mon lit.

« Tu sais déjà dans quel pays tu irais habiter ? Puis si ça se trouve, d'ici la fin de tes études, les mœurs auront évolué ! »

La blonde sait déjà ce qu'elle veut : un enfant adopté, un chat et une femme. Si elle quitte le Japon, comme elle semble l'impliquer, on ne se verrait probablement plus. J'ai promis à mon frère de ne pas m'éloigner, donc je me vois mal partir avec elle... enfin... y a aucune raison pour ça.

« Yuna ? Vous ne sortez pas ensemble finalement ? »

Le début était par automatisme, et la suite, pour ne pas perdre la face. Je ne demande pas ça par jalousie. C'est juste que... j'aimerai bien voir une Maya heureuse en couple... même si je ne suis pas dans l'équation. ENFIN BREF ! Je ne dois pas ruminer comme ça.

Trois quilles, répétées aux deux lancers.

Le mariage, ça ne me fait pas rêver. C'est juste un statut, comme celui du compte Facebook, pas si loin du « c'est compliqué » Ça dévalorise les autres relations intimes... Alors qu'on peut très bien être en couple avec quelqu'un, et avoir ses BFFs qui comptent tout autant.

« ... »

Ça carbure dans ma tête. J'ai des débuts de phrases qui se sectionnent pour rattraper une suite loin d'être logique. J'aimerai lui dire le dicton « vivons heureux, vivons caché » mais elle est bien trop fière de son homosexualité pour vivre une telle philosophie.

Maya vit à travers sa sexualité.

Il n'y a rien de plus à ajouter. Pas le besoin, même.

Mais ce n'est pas ça le sujet, je m'égare un peu dans mes pensées.

Le sujet « Yuna » est abordé. Un peu involontairement. Son pourquoi bourdonne à mes oreilles, plantée au cœur par le « pour l'instant » Alors comme ça, elles ont des dates, hein ? C'est chouette pour elles... elles vont continuer de se rapprocher...

« Pourquoi pas ? »

Je garde une voix neutre, puis je me défoule sur le lancer de la boule, qui fuse et claque comme un boulet de canon. Les quilles n'en survivent pas, et s'étalent toutes ensemble. Difficile d'en tirer satisfaction. Je regarde le score avec ennui, réfléchissant à un gage.

« J'ai toujours voulu rencontrer tes amies... ça pourrait être un bon début avec Yuna »

Un accident est si vite arrivé, il paraît.

Franchement, a-t-elle vraiment besoin de me demander si ça me dérange pas... ? Maya va me servir toutes les excuses du monde pour ne pas me la présenter. Pas représentante, pas appréciable, pas savoir quelle activité faire...

« T'as bien rencontré Tsu', ce ne serait pas si déconnant de rencontrer Yuna »

Même si dans le cas de Tsu-chan, elle est ma meilleure amie, rien ne nous empêche de l'affronter. On n'est pas là pour comparer quelle amitié est la plus viable. Et même si elle ne représente pas ses amies en général, elle reste une marque sur le tableau.

« Peut-être à la salle d'arcade ? On irait boire et manger un truc ensuite ? »

Ce n'est pas une question de rencontrer la concurrence. C'est une question de... euh... de... savoir si la fille est assez bien pour Maya ! Voilà, c'est ça, elle doit passer la rencontre avec une autre amie, pour établir le constat de toxicité.  

« Ou autre chose si elle n'aime pas ça. Tout me va ! »

Je lance la boule avec un peu moins de vigueur et en touche sept d'un coup. Le deuxième en fauche deux autres... si proche de spare. Mais de toute manière, vu la distance au niveau du score, je pourrais tout aussi bien la balancer dans la rigole, ça reviendrait au même.

Je suis sérieuse en parlant de la rencontrer.

Comment ça s'est différent ? On est très proche avec Tsu-chan, sûrement bien plus par rapport à Maya et Yuna.

« Bien sûr qu'on est plus qu'amie avec Tsu', on est plus des s... »

Je m'arrête dans ma phrase, les rouages de mon cerveau se mettant en place. Je crois qu'on ne parle pas du tout de la même chose. Et quand je pense toucher la vérité en pensée, mon menton s'affaisse, j’entrouvre les lèvres quelques instants :

« Vous couchez ensemble sans être en couple ?! »

On dirait un peu de l'indignation... mais c'est seulement du fait de mon éducation. Je me vois mal coucher avec quelqu'un sans partager plus au niveau des émotions. Mais après tout, elle est grande et fait ce qu'elle veut de son cu... corps.

Le cœur lourd, je lui dis avec un sourire un peu forcé, mais crédible :

« T'as bien raison, profite. Et si ça m'intéresse, enfin, pas ce que vous faites... mais comment est votre relation »

La surprise masque la colère. Je me sens trahie... pourtant on est des simples amies. Je n'ai pas le droit de l'être, j'ai renoncé au nous en la repoussant. Mais ça grouille au fond de ma poitrine, et je me détourne pour ne pas qu'elle ne voit mon expression.

Je lance ma boule sans grande conviction... et ça se termine en strike. Comme si l'adage me revenait à la figure. Je pousse un gros soupir de résignation en regardant mon score et celui de Maya. J'ai tape dans les cent-quarante points... tandis que Maya ne dépasse même pas les cent points.

« D'accord, on se tient au courant ! Sinon, ça te dit d'aller te poser, boire un truc ou grignoter quelque chose ? »

J'ai besoin de me changer les idées, et vite.

Son "pourquoi" sonne agressif à mes oreilles, et son "c'est interdit" finit de m'achever dans la gêne. Je suis bien plus fermée, et pudique par rapport à elle. Je le sais, c'est comme ça. Le "presque en couple", sonne le glas à mes oreilles.  

« Non, vous faites ce que vous voulez évidemment »

Je ne sais pas si c'est de la jalousie mon ressenti, mais une chose est sûre, j'ai mal au cœur, comme s'il était enfermé dans un étau. Je baisse les yeux sur mes manches, et réalise ô combien je les maltraite en tirant dessus avec embarras.

« Meilleure amie ? Raison de plus pour la rencontrer... »

Tous ses aveux sont des lames qu'on m'enfonce dans le cœur. Je n'ai plus qu'un seul objectif, m’asseoir et oublier. Malheureusement, je n'ai pas l'âge pour m'enivrer, seule Maya pourrait le faire... Mais elle n'a pas l'air si en mauvais état.

« D'accord... une ramune, et un hamburger... peu importe, je te laisse choisir »

Je ne sais même pas si j'ai assez d'appêtit.

Après toute cette conversation... après tous les coups... je ne peux plus reculer. Maya a beau dire de ne pas être obligée, je le suis quand même. Alors je compte bien la rencontrer cette Yuna, même si ça doit finir en larmes ou en... baston.

« Je veux la rencontrer »

Malgré tout, mon ton est ferme et sincère. Si je dois totalement renoncer – si ce n'est pas déjà le cas, à Maya, autant que ce soit pour une chic fille. Et peut-être que... ça m'aiderait à tourner la page aussi. Faire mon deuil amoureux.

Comme la blonde insiste sur ce que je veux commander, je m'attarde sur le menu : en temps normal, j'aurais salivé en voyant des frittes de patate douce à la carte, mais je vais me contenter d'un simple burger, pour ne pas gaspiller de la nourriture.

« Celui au soja et bacon grillés, avec une ramune citron. Merci »

Je pousse un soupir, puis arbore un sourire.

Bon allez, quoi ! Ça ne me ressemble pas de ruminer comme cela. Étrangement, la présence de Maya me pique le cœur. Ou plutôt, mes sentiments me ruinent, le moral dans un triste état. Je me tapote les joues pour  chasser toutes ses ondes négatives.

« ... Je ne t'ai pas demandée, désolée, si toi ça te dérangeait ? »

Mes yeux glissent sur son joli visage à la recherche d'une réaction contraire, ou une marque dans ses traits. Trop occupée à pleurer sur mon sort, je n'ai pas pensé à elle, comment elle vivait l'idée de rencontrer sa future copine avec son ex coup de cœur ?

Je ne suis pas seule dans cette fichu histoire.

Heuresement, cela ne dérange pas Maya même si je sens une certaine réserve. Franchement, j'ai un peu peur de la rencontrer, ne sachant presque rien d'elle, et les premières rencontres sont jamais les plus simples pour moi. Surtout quand on veut faire bonne impression.

« Oui ! Ça remonte maintenant ! Je suis pressée ! »

Et très stressée, mais ça, je le garde pour moi. Les hamburgers arrivent, et pour fois, je ne me sens pas saliver en les voyant. Le coup de blues n'est pas totalement parti, on dirait. Je me sers un peu de limonade avant d'attaquer le burger, et glisser un :

« Bon appétit ! Merci pour le repas ! »

Je mange doucement, bien plus doucement par rapport à mon débit habituel. Le hamburger est très bon selon mes papilles, mais mon enthousiasme est mort en même tant que mon petit cœur.  Alors je détourne mon attention vers la petite blonde :

« T'as de la sauce au coin de la joue ! »

En fait, non, c'est juste pour l'embêter.

Après avoir pris un croc dans mon burger, je la regarde en mode « srly bro » en réponse à sa demande de l'essuyer. Ce n'est pas vraiment la réaction recherchée : je voulais juste l'embêter et la voir galérer dans le vide. Sauf qu'elle a vite capitulé.

« C'est juste une toute petite tâche »

Et elle s’appelle Maya.

Un sourire amusé se glisse sur mes lèvres à cette pensée. Si je l'avais dit à haute-voix, elle m'aurait probablement explosé au visage. Ou fait un german suplex... Nan, elle a des trop petits bras pour y arriver. Alors, un coup de semelles compensées !

Enfin bref ! La mission. Que faire ? Jouer le jeu, ou lui dire franchement l’inexistence de la tâche ? Je cogite un peu, sur ma chaise, avant de prendre une serviette propre. Un peu penchée en avant, les yeux dans les yeux, j'approche tout doucement la main de sa joue.

Le contact de sa peau ne me fait pas frissonner ou rougir ; j'ai plus l'impression d'être une mère s'occupant de son gosse encrassé. Une envie de lui tirer les joues, venant de ce sentiment, me trotte dans la tête, mais je me rétracte et...

« Boop le nez ! »

Une simple diversion...

L'empêcher de voir la serviette immaculée !

Eh ouais, Maya s'est fait avoir en beauté ! Dans la continuité, j'aurais pu faire la blague stupide de lui avoir volé le nez... mais on n'est plus des enfants jouant dans la cour de récré ; il y avait beaucoup de chance de paraître idiote, et enfantine.

Une poupée à manipuler ? Comme un pantin, oui pire, poupée gon... ? Oh non, quelle horreur. Sors de ma tête saleté d'image gourgandine ! Je chasse ces pensées étranges de ma tête. Toujours est-il que Maya pense toujours à des trucs chelous, je n'ai pas cette imagination.

« Et si je te pat-pat la tête, ça fait quoi ? »

Autant la suivre dans son délire bizarre.

Uh ? Ronronner ? Mes sourcils et ma main se lèvent à l'unisson, intrigués par cette déclaration plus ou moins insolite. Je ne remarque pas de suite mon geste, trop distraite l'espace d'un instant par cette pensée et l'envie de la sentir ronronner sous mes doigts.

Ce n'est pas comme si j'allais le faire, uh ?

Je m'arrête le bras en l'air, happée par la réalité. Je fais semblant de m'étirer pour garder garder un semblant de contrôle sur la situation. Vu l'angle et la continuité de mon geste, ça peut tranquillement passer comme dérobade de la réalité.

Ni vue ni connue, mon attention se détourne sur le burger. J'en croque un bout, pensive ; est-ce que les cheveux de Maya sont aussi doux qu'une fourrure au toucher ? La blonde a une jolie chevelure, bien entretenue, imprimée arc-en-ciel.

La lumière s'infiltre entre ses mèches dorés, comme une invitation à les découvrir du bout des doigts. Cette sensation, je l'ai déjà eu. Comme avec Hina : à croire que les longues crinières m'attirent. Je n'ai pas envie de les coiffer, mais plutôt de les rendre indomptables et féroces !

Enfin bref, je m'égare encore. Nouveau croc dans le burger.

« Non, t'as raison... donc dans le sens contraire, tu feules ? »

Pourquoi je m'acharne à trouver un sens  ?