Apprendre l'Anglais de 9 à 99 ans - Mode d'emploi [feat John Stoker]

Apprendre l'anglais à plus de 80 ans n'est pas une mince affaire.  Les capacités d’apprentissages sont fortement amoindries, l’ouïe n’est plus si fine, et la vue a souvent baissé. La mémoire part parfois à vau-l'eau. Qui souhaiterait apprendre une nouvelle langue à cet âge ?

Moi-même.

Voyez-vous, mes petits enfants sont aujourd'hui continuellement accrochés à leur smartphone : dès que j'ai une question, il demande la réponse à « gogole », que cela soit sur l'entretien d'une plante, ou sur le temps qu'il fera demain. De plus, ce sont des enfants qui idolâtrent les "influenceurs", ces personnes qui exhibent leur vie sur internet à la vue de tous. Et tout cela est bien fréquemment en anglais.

Barrière de la langue oblige, mes petits-enfants prennent la peine de traduire le contenu, mais j'aimerais pouvoir le faire par moi-même. Quand, mes petits enfants rient tous seul dans leur coin et que je souhaiterais partager leur bonne humeur, je suis souvent face à l’habituelle remarque, « tu ne comprendras pas mamie, c’est de l’anglais’.

Pourtant, ces dernières années, j'ai appris à envoyer des messages, des courriels et à y répondre. Cependant, maîtriser la culture d’internet m'est pour l'instant impossible, la méthode de recherche est complexe, et je ne suis pas certaine de comprendre tous les résultats disponibles. Je n’ai pas les références, nombreuses, ni connaissances des règles parfois implicites.

C'est pour cela qu'une belle après-midi d'octobre, alors que je n'avais aucune obligation, j'ai fait le choix de m'inscrire à un cours de soutien scolaire en anglais. Ce module était certainement à destination des lycéens, mais mon inscription n'a pas été refusée. J’eus donc rendez-vous dans la bibliothèque de l'établissement scolaire, où, sac en bandoulière et portant mon habituel ensemble vert, j’arpentais les allées à la recherche de mon rendez-vous.

Finalement, une bibliothécaire eu la gentillesse de m'indiquer une salle annexe, à l'arrière de la bibliothèque, comme lieu du cours. La salle pour le cours était bien trop grande pour deux personnes. Deux meubles de bibliothèques remplies de livres couvraient le mur du fond, encadrant un tableau blanc à roulette. Je pouvais apercevoir une étrange lampe accrochée au plafond. Quatre tables étaient installées côtes à côtes, de manière à permettre à une dizaine de personnes de travailler en commun.
Je fus accueilli par un homme d'une cinquantaine, très grand, à la chevelure improbable, monocle à l'œil gauche, le visage couvert d'une barbe épaisse et d'une moustache gracieuse. Cet homme avait tout l'air d'être sorti d'un de ces films policiers européens de mon enfance, avec ce détective à la casquette en tweed et la pipe à la bouche. Au moins, il apparaissait sans aucun doute que cet homme avait la tête de l'emploi. Cependant, il ne devait pas avoir souvent des élèves de mon âge.

Ainsi, l'homme se tourna vers moi et demanda d'un ton profond "Vous êtes donc l'inscrite pour le cours de soutien d'anglais ?"

"Oui, Enchanté." lui répondis-je à mon tour. "Mme Yamaguchi, 80 ans. C'est un honneur de faire votre connaissance, professeur"

Cet homme me toisait de toute sa hauteur, me forçant à lever la tête pour pouvoir le regarder en face. Lui n'avait qu'à baisser les yeux.
Il prit la peine de se présenter et me demanda par sa suite mon niveau d'anglais, alors que je m'installais à table, fouillant dans mon sac à main à la recherche d'un cahier de note et d'un stylo.

"Avant de rentrer dans le vif du sujet, quel est votre niveau en anglais ? Je tiens à personnaliser au maximum les exercices. De même, qu'attendez-vous de cette séance ? Nous pouvons nous concentrer sur le vocabulaire, la grammaire ou encore d'autre sujet, que ce soit à l'oral comme à l'écrit. C'est comme vous le désirez."

M'assaillant sur une place face au tableau blanc, je réussis à sortir de ma besace un cahier, un de mes bijoux, un bracelet, avait fini entre les pages, pliant certaines et déchirant d'autre. Mais, il ferait bien l'affaire pour une leçon et je n'allais pas le jeter pour si peu. Je posai ma canne sur la table et m'assaillis doucement sur la chaise et soupira de fatigue avant de prendre la parole.

"Je ne parle pas très bien l'anglais, professeur Stoker. Je ne sais que me présenter succinctement : "I am Miss Yamaguchi, I am eighteen years old, I don't speak English". Il est plus compliqué d'apprendre une langue si on ne la pratique point, mais mes petites enfants m'ont aidé. Ils connaissent bien l'anglais. Ma petite fille a même fait un master d'anglais, et elle sait lire des romans en anglais, vous savez. C'est elle qui m'a appris cette phrase ! Mais, j'aimerais apprendre à l'anglais afin de pouvoir faire des recherches sur l'internet. Vous devez y connaitre à votre âge, non ?"

Ainsi donc, sa petite fille s'était trompée ? Il semblait plutôt que la petite fille de la famille Yamaguchi avait fait une blague, en m'apprenant consciemment une phrase erronée. Ce qui en soi n'était pas un mal, mais je n'étais pas une femme à l'humour très développée, ainsi, je pris note de mon erreur, sur les conseils du professeur Stoker, afin de ne point la réitérée.

Le conseil du dictionnaire était pour moi évidente, mais l'accès au document en langues étrangères était pour moi presque impossible, non seulement dans mon village natal, mais aussi à Kobe même, n'ayant pas connaissance des librairies proposant ces documents.

"Ces dictionnaires, où puis-je en obtenir ? L'utilisation d'un dictionnaire numérique est en dehors de mes capacités, mais avez-vous les références d'une librairie en proposant ?"

Réfléchissant par la suite sur la demande du professeur quant aux possibles domaines de recherches, plusieurs me vinrent à l'esprit : je pris la peine de noter dans un coin de ma feuille avec attention.

"Je suis principalement intéressée par des recherches au sujet de la botanique, l'agriculture, le jardinage. Je cherche aussi des patrons en coutures, des motifs de broderies et de tricot. J'ai entendu dire que nous pouvions nous renseigner sur la qualité des restaurants et des magasins sur l'internet, mais beaucoup de ses avis sont en anglais. Je ne peux donc point les comprendre. Ma petite fille quittant bientôt la maison familiale, je souhaiterais pouvoir me débrouiller sans avoir à la contacter de manière incessante."

Le professeur était on ne peut plus patient avec moi, car à mon âge, je comprends vite, mais il faut malheureusement m'expliquer longtemps. Il prit la peine d'écrire quelques références sur un bout de papier, que pris ensuite et bloqua avec attention dans la couverture de mon carnet de notes. Il n'était pas question de le perdre.

Je fus ensuite vite rassuré de l'angoisse qui me tenait, peut-on vraiment apprendre une nouvelle langue à mon âge, mais M. Stoker, présentait cela plus comme une question de vocabulaire et il a eu l'amabilité de mettre en lumière ses propres lacunes. En voilà un professeur agréable, un enseignant qui sait admettre qu'il ne sait pas n'était pas monnaie courante à mon époque. Quand j'étais enfant, le professeur était la source de toutes les connaissances accessibles au village, ainsi, il avait la figure du puits de savoir. Cela n'est plus le cas aujourd'hui grâce aux nouvelles techniques de recherche d'information, le professeur est devenu un médium, comme les autres, mais il a la particularité de "didactiser" les informations. Ce qui est une nécessité pour l'apprentissage de l'anglais, enfin dans mon cas. Ainsi, les objectifs établis, M. Stocker semblait être décidé de commencer le cours en tant que tel.

Prenant mon stylo, d'une main sûre et ouvrant mon carnet à une page vierge, je m'apprêtais à prendre en note, ses moindres paroles.

Livre à la main, le professeur s'installa devant moi. Je voulus marquer le titre dans le coin de ma page, mais tenu sur la paume d'une main par M. Stocker, la première de couverture ne m'était pas visible. Heureusement que prévoyant, il proposa de me communiquer les références bibliographiques par la suite.

"Après, après, ce n'est pas une urgence" lui répondis-je avant de l'écouter avec attention.

Sur ma page, je commençais alors à griffonner avec attention les informations qu'il me communiquait. Un petit tableau recensa les pronoms personnels et une phrase exemple souligner de différentes couleurs indiqua la construction grammaticale de la phrase.

Un petit sourire se dessina sur mes lèvres, voilà que j'avais l'impression de retourner au cours élémentaire. Certes, la petite salle de classe d'école de campagne, c'était transformé en une salle annexe de bibliothèque moderne, mais je ne pus pas m'empêcher de comparer la situation.

Mais c'était bien beau d'avoir toutes ses informations dans tout ça, mais comment construire une phrase allait m'aider à comprendre les réponses de l'internet ?

Je m'empressais alors de lui poser la question.

"Mais tout ça, comment est-ce que cela peut m'aider à comprendre ce que "gogole" me répond quand je lui pose une question ?"

Parce que connaitre du vocabulaire, c'est une évidence, mais pourquoi la grammaire, celle du japonais me posait assez de soucis comme ça. La situation de ma famille ne me permettait pas d'aller plus loin que l'école obligatoire.