Objectif Kobe | ft. Nissa

Dans la grande vitrine du magasin de photographie, les yeux de Moon se perdent. Ils glissent d’un appareil à l’autre. Il y a bien longtemps que Moon n’a pas mis à neuf son matériel. Même si au Japon, les DSLR coûtent un peu moins cher qu’ailleurs, c’est quand même pas une petite somme. C’est que Moon a une enveloppe un peu plus fournie pour les fringues que pour les objectifs. Mais devant la caverne d’ali baba, elle est prête à faire une folie. Tant pis pour la robe qu’elle doit remplacer, il se pourrait bien qu’elle craque.

Pourtant, si elle attend devant l’enseigne, c’est moins pour elle que pour Nissa. Après leur cours particulier dans le parc du campus, Moon a envoyé à la jeune femme une longue liste de caméras, pieds, objectifs et autres bagues d’adaptation. Elle s’est laissée emportée par la fougue et la curiosité de son étudiante. Sous la quantité d’informations, la pauvre lycéenne n’a pas vraiment su quoi choisir, alors, elle a opté pour la dernière option proposée par Moon dans son mail :

<< Si vous avez besoin d’aide pour faire un choix, je peux vous accompagner dans le magasin de photo du centre ville. >>

Moon aimerait jouer aux fières, mais malheureusement, elle n’est pas une habituée du magasin. C’est ça, les adultes. Ça aime en mettre plein les yeux aux plus jeunes. Moon ne déroge pas à la règle, sinon pourquoi devenir professeur ? Elle aime les étincelles dans leurs pupilles. C’est peut-être pour ça, que la trentenaire est arrivée un peu en avance au rendez-vous. Elle inspecte les lieux, détaille depuis la grande vitre les différentes allées du magasin, pour ne pas s’y perdre.

Elle a encore les yeux dans les objectifs lorsque Nissa arrive, et la surprend. C’est que l’adolescente n’est pas en retard, et que Moon pensait avoir encore quelques minutes devant elle. Lorsqu’elle l’entend la saluer, elle se retourne immédiatement, pour une courbette respectueuse.



D’un geste de main, elle invite la lycéenne à entrer dans le magasin, et découvrir toutes les merveilles qu’il renferme.

Les portes vitrées s’ouvrent automatiquement. Une bourrasque d’air frais. C’est encore l’été, et même si Moon s’est habituée aux chaleurs, elle est toujours aussi vivifiée par les climatiseurs des magasins. C’est une petite échoppe, qui pourrait ne pas payer de mine. Loin des grands complexes Tokyoïte. Mais on trouve l’essentiel pour la photographie numérique et argentique. Il y a bien longtemps que Moon n’a pas caressé la pellicule.

Les deux femmes avancent dans le magasin. Les appareils sont rangés par marque, puis par prix. Avec la petite somme qu’a réussi à amasser Nissa, elle a de quoi se trouver du matériel de bonne qualité. Moon y veillera au grain.



La professeur fait un petit signe de la main à Nissa, afin que celle-ci la suive jusqu’aux boîtiers Canon. Certainement la marque préférée de Moon. Les appareils sont à la fois très simples d’utilisation, et assez versatile. Photo, comme vidéo, même les gammes moyennes permettent d’obtenir des images de grande qualité - sauf, peut-être, en basse lumière.



Elle se tourne doucement vers Nissa, lui laissant le temps de réfléchir aux options.

Moon hoche doucement la tête à la question de Nissa. Elle a certainement raison. Tout dépend de combien l’étudiante souhaite progresser dans la matière. Même s’il n’est pas nécessaire de s’équiper tout de suite d’une super bécane, si ce n’est pas qu’un achat compulsif, mais une envie bien réfléchie, autant faire la grande dépense tout de suite.



Doucement, la professeur de cinéma avance le long du rayon. Moins intéressée par les boitiers que par les objectifs, elle invite la lycéenne à la suivre.



Moon pointe du doigt les différents modèles.  Avec un seul objectif mono-focale, Nissa serait très limitée dans la profondeur de champ. L’intérêt d’un appareil, c’est de pouvoir jouer sur les différences entre les focales. Alors, elle se rapproche doucement d’un objectif.



Et de fait, de profiter de plus d’options !

Un petit hochement de tête. Décidément, Nissa va vite. Elle a tout compris. C’est tout l’intérêt de ce genre de zoom, et même s’il est de moins bonne qualité que des mono-objectifs parfaitement calibrés, il sera un outil précieux pour la photographe et cinéaste en herbe.



Moon avance le long du rayon. Elle a vu, un peu plus loin, un objet qui l’intéresse. Parfait pour la reprise de la photographie, il s’agit d’un objectif argentique. Vieux, d’occasion, le genre qu’on ne fait plus. Il serait parfait sur le boîtier en vitrine. Alors, le prix est un peu fort, mais il fait savoir se faire plaisir.  

Alors qu’elle abandonne Nissa à ses pensées, la laisse regarder les différents modèles de boîtiers et d’objectifs, Moon se saisit du petit objet en verre. Elle le fait tourner sur lui même, le regarde à la lumière, inspecte la qualité de la lentille. Tout semble parfait. Pas une égratignure.

Mais malheureusement, ce qui devait arriver arriva. Un client, pressé, impoli, bouscule la pauvre professeur de cinéma qui, dans le choc, laisse tomber l’outil sur le sol.

Il ne tient pas le coup.

La lentille est brisée, quelques bouts de verres jonchent le sol. 30 000 yens éclatés par terre. Moon se mord la lèvre, elle regarde à droite, à gauche, personne ne semble avoir été témoin de l’accident. Elle attrape l’objectif, et glisse un coup d'œil vers Nissa. Pas question de donner le mauvais exemple, mais si la lycéenne n’a rien vu, peut-être que Moon peut s’économiser le prix du remboursement.

Laisser. Payer. Laisser. Payer. Moon se mord les lèvres. Choix cornélien. D’une part, elle n’avait pas prévu cette dépense, et elle creusera nécessairement son compte en manque. D’autre part, elle ne peut pas se permettre de laisser cette image à la pauvre Nissa. C’est comme ça qu’on éduque des petits délinquants. Nissa est une charmante jeune femme, il ne faudrait pas que ce soit un déclancheur.

Alors, dans un soupir, elle décide de payer.

Elle se rapproche de la lycéenne, un petit sourire désolée tirant ses deux joues rouges. Bien sûr, elle n’est pas la seule fautive, mais le client pressé a déjà disparu de leur champ de vision. La faute au choc, à la surprise, Moon n’a pas couru après lui pour lui tirer les oreilles.

Et puis, de toute manière, c’est elle qui a lâché l’objet.



Elle tend honteusement l’objectif cassé vers Nissa, pour le lui montrer, avant de refermer les mains. Une petite salutation dans un mouvement de tête, et la voilà qui tourne les talons pour se diriger à la caisse. Elle explique la situation, rend l’objectif. Heureusement pour l’honnête professeur, l’objectif est réparable, et si elle doit payer les frais, c’est un peu moins ce qu’elle pensait. Un chèque. Une signature. Et elle revient vers Nissa.



Comme cadeau d’encouragement, pour son lancement dans la photo !

D’un coup d'œil, Moon regarde l’appareil que Nissa tient dans les mains. C’est un bon choix. Assez facile à apprivoiser pour un débutant, tout en conservant une qualité correcte de prise de vue. Il y a bien des appareils plus performants, mais ceux-ci sont souvent beaucoup plus chers.



Et puis, Nissa n’a peut-être pas prévu le coût de ces accessoires dans son budget. Pas question de la laisser partir sans sacoche. Ce genre d’outils, ça a besoin d’être manipulé avec soin. Non pas que la lycéenne soit du genre à abîmer ses affaires - Moon pense même bien le contraire - ! Mais il serait dommage que de peur de le casser, Nissa n’ose pas transporter son appareil flambant neuf.

Moon ouvre la marche, se dirige vers le rayon “accessoires”. On peut y trouver un paquet d’outils pour prendre soin des objectifs et appareils. Au fond, plusieurs sacoches sont accrochées : certaines sont très chères - la marque ou le matériel -, mais certaines, plus petites et plus discrètes, sont bien plus modestes.

Alors que Nissa s’aventure dans le rayon des sacoches, Moon continue son petit tour. C’est qu’elle n’a pas oublié l’appareil argentique dans la vitrine. Malgré le coût de objectif cassé, il lui fait de l'œil. Elle se contient. Se rapproche du dit objet, recule, revient vers la lycéenne. Si indécise.

Qu’est-ce qui justifierait l’achat d’un tel appareil ? Rien. Moon a déjà un beau DSLR dans son salon. Elle l’utilise rarement. Trop rarement. La plupart du temps, elle l’oublie et prend ses photographies souvenirs avec son téléphone portable. Dernier cri, le téléphone. Et coréen ! Ses objectifs sont de bonne qualité, mais ils ne remplacent pas son Canon.

Pourtant, elle en a terriblement envie.

Après tout, elle n’a plus d’appareils analogiques. La pellicule, ce n’est qu’un lointain souvenir. Et si elle veut encourager ses étudiants à goûter aux joies de la photo physique, il lui faut aussi respecter ces règles. Moins elle pratique, plus elle perd en compétences. Loin des yeux, loin du cœur. Et cet appareil en vitrine est très proche de ses yeux.

Et finalement, coupant ses allers-retours : Nissa. Elle a choisi la sacoche, assez vite, et semble sûre d’elle. Bon choix. Elle récupère l’objet, lui rend ses achats, avant de finalement craquer :



C’est bon. Elle s’abandonne à ses désirs.

Un large sourire accompagne un soupir de soulagement. Nissa accepte. A vrai dire, Moon n’en doutait pas. Après tout, la lycéenne a toujours été sympathique et curieuse, et ce n’est pas un détour dans un rayon du magasin qui peut lui faire peur.

Et pourtant, Moon n’a pas envie de lui faire perdre du temps. Ce ne sont pas des proches, des amies. En tant que professeur, elle ne veut pas gâcher un précieux après-midi. Nissa doit avoir bien des copines à retrouver en cette belle journée d’avant-rentrée.

Moon dévore l’appareil photo des yeux. Cette fois, elle n’ose pas le toucher. Elle est vaccinée de l’accident de toute à l’heure, et l’appareil coûte trop cher pour être brisé sans avoir été utilisé. Alors elle se contente de le caresser du regard.

Il y a bien d’autres appareils, autour de celui de ses rêves. Des petits, des grands, des plus précieux, aussi. Mais il y a quelque chose d’attirant dans ce petit boîtier des années 80. Du charme.



Un petit sourire, elle approche son visage de l’objet, le détaille des yeux. Il est si beau. Elle va craquer, c’est sûr.

Une chambre noire ? A l’université ? Moon n’y avait même pas pensé. Elle se voyait déjà faire la queue de longues heures pour faire imprimer ses pellicules à un prix beaucoup trop élevé. Mais bien sûr ! Le club de photo ! Alors, naturellement, sans vraiment réfléchir elle répond :



Elle s’arrête, entrouvre légèrement la bouche. Pas bonne idée. Pas bonne idée du tout. Elle est en train de se griller toute seule. Alors, certes, Nissa est une gentille fille. Peut-être qu’elle peut tenir sa langue ! Mais Moon ne comptait pas déjà bourder sur le sujet.



Se rattraper, c’est pire. Elle aurait dû assumer sa bêtise ! Aller jusqu’au bout. Elle aurait pu simplement expliquer que les deux sont amis. Qu’ils discutent photo et arts plastiques, qu’ils se sont donné des coups de main. Après tout, ils ont le même âge, et sont étrangers, alors, la politesse… Mais maintenant qu’elle s’est corrigée, impossible de revenir en arrière.

Alors, pour cacher ses joues un peu rouges, elle attrape le boîtier tant convoité. Elle le tient contre son cœur.

Nissa ne semble pas relever la bêtise de Moon. Ouf ! Les épaules de la trentenaire peuvent désormais se détendre. Pourtant, elle se doute que Nissa a fait le lien. Après tout, ce n’est pas la première fois que les deux femmes discutent de Ryuji. A croire que le professeur de design occupe toutes ses pensées. Elle reste simplement discrète, et Moon la remercie pour ça. Bien des élèves en auraient profité pour fouiner !

Mais pas Nissa.

Ce n’est pas son genre, non. Le sourire aux lèvres, la sacoche bien accrochée à son épaule, Moon secoue doucement la tête.



Bien sûr, Nissa pourra venir. Elle peut venir où elle le veut. C’est bon, elle a Moon dans sa poche. Il en faut peu, pour la professeur. C’est qu’elle a le cœur tendre avec les jeunes ! Mais il faudrait faire attention. Si Nissa choisit les études de cinéma - ce qui semble mal parti, heureusement -, Moon aurait peut-être tendance à la chouchouter.



Elle soulève légèrement l’appareil analogique, comme pour appuyer ses propos. Après tout, il faut bien que l’objet soit utilisé. Autant qu’il puisse servir à Nissa aussi. Moon est prêteuse. A la question de la lycéenne, la professeur se tourne vers la caisse.



Elle passe en premier, pose la sacoche et l’appareil. Le prix s’affiche. Ouch. C’est plus douloureux que ce qu’elle imaginait. Elle sort sa carte, paye. Il a intérêt à être de très bonne qualité, cet appareil ! Elle fait ensuite quelques pas vers l’entrée pour laisser à Nissa l’espace de faire ses achats.

Nissa a les yeux ronds. Sacrément ronds. Et Moon ne les avait jamais vraiment remarqués. C’est qu’elle n’a jamais osé ancrer son regard dans le sien. Pas que Moon soit fuyante, mais qu’elle respecte les limites de leur relation. Elle ne voudrait pas mettre mal à l’aise la pauvre lycéenne.

Mais là, comme aimantée, elle a croisé les yeux de Nissa.

Moon n’est peut-être pas la meilleure pour lire dans le regard des autres, mais Nissa ne semble pas pressée de partir. Toutes les deux plantées dans ce magasin de photo dans lequel elles ont trouvé l'objet de leur désir, elles devraient se séparer. Mais aucune ne parle de prendre le bus, de rejoindre son appartement. Après quelques secondes de suspension, Moon propose :



Histoire de les ramener, s’ils ont des défauts. C’est surtout une excuse pour continuer cette drôle d’après-midi, et profiter un peu de ce samedi.

Ah ! Question piège. En général les piles et les batteries sont chargées, pas tout à fait complètement, mais au moins à moitié. Le temps de prendre en main l’appareil, de s’amuser avant l’achat, et d’en profiter avant de devoir le brancher. Et quoi de mieux que la pratique pour tester la théorie ? Nissa s’équipe du boîtier. La chance leur sourit : ce Canon ne déroge pas à la règle ! L’écran s’allume, et Nissa peut s’éclater.

Heureusement pour Moon, l’analogique ne nécessite ni piles, ni batterie. Son petit Fujifilm, avec objectif intégré est prêt ! La boutique a pris le soin d’insérer dans le réservoir une petite bobine de pellicule noir et blanc. Ce n’est certainement pas de la grande qualité, mais Moon s’en contentera, le temps d’en trouver des meilleures.

Une fois dehors, la professeur glisse un œil dans le viseur, pour s'y habituer. Elle ne prend pas tout de suite de photos. Contrairement au numérique, on ne peut pas revenir en arrière. C’est tout l’intérêt. Il faut savoir se débarrasser du superflu. A travers le viseur, Moon observe Nissa. Elle semble avoir un peu de mal à comprendre le nouvel outil.



Moon glisse son appareil photo dans son sac à main, le temps d’expliquer à Nissa les spécificités techniques de son nouvel appareil. Elle prend la peine de pointer chaque bague, une après l’autre, pour détailler leurs fonctions.



Un pas en arrière.

Moon ressort son appareil, satisfaite de la réponse de Nissa. A vrai dire, elle est certaine d’avoir bien compris la question. Tant pis pour la pauvre lycéenne, elle va devoir comprendre son Canon toute seule ! Pas super pour une professeur, mais c’est qu’elle est un peu trop absorbée par son nouveau jouet.

Moon a ressorti son Fujifilm, et joue avec les réglages. Il est vraiment agréable à tenir en main, et le menu est facile d’accès. Moon est satisfaite. Il vaut son prix - même si celui-ci fait un peu mal au portefeuille -.

La jeune professeur s’attarde sur un point de vue de la rue. Un arbre, feuillu, contre lequel un couple semble s’enlacer. Peut-être se cacher, aussi, du regard des autres, le temps d’un baiser discret. C’est mignon l’adolescence. Parfois, Moon le regrette et aimerait pouvoir vivre de nouveau cette période d'insouciance.

Click.

C’est dans la boîte ! La lumière a impressionné la pellicule. Moon a hâte de voir le négatif. C’est pile ou face. Elle n’est pas encore à l’aise avec l’appareil, et risque d’avoir un peu surexposé l’image. Mais elle n’en saura rien avant de la tirer. Prête à prendre un deuxième cliché, Nissa la rappelle à la réalité.



Elle répond naturellement, sans trop réfléchir. C’est l’occasion de regarder les fonctionnalités de l’appareil photo tranquillement, et puis elle n’a pas envie de rentrer chez elle tout de suite. Cette excursion avec Nissa, c’est un peu la fin des vacances.



Moon reste droite, invitant Nissa à lui montrer le chemin.

L’appareil photo rangé dans son petit sac, Moon se laisse guider par la lycéenne. C’est agréable de sortir en journée. La coréenne n’a pas encore eu la chance de se lier d’amitié avec les adultes de Kobe. Elle ne sort guère que dans des bars.

Une seule pensée et Moon se rend compte de cette drôle de situation. Incapable de se faire des amies de son âge, la voilà à passer son dernier week-end de vacances avec une mineure. Au fond, elle se désespère. Ce n’est pas une relation professionnelle. Et si elle voudrait se consoler par le fait que Nissa n’est pas son étudiante, elle sait que ce n’est pas une bonne excuse.

Pourtant, elle n’arrête pas leur marche jusqu’au Bubble Tea.

Elle n’a pas envie de matérialiser le ridicule de la situation. Maintenant qu’elle a accepté de passer cet après-midi avec Nissa, elle ne va pas reculer.

Les deux femmes passent le pas de la porte. Les yeux de Moon se baladent de décoration à décoration. C’est assez mignon comme lieu. Et même si le menu est bien visible, Moon est un peu perdue dans tous ces choix. Elle en a bu. Une fois. A Tokyo, avec une amie vietnamienne. Elle avait fait des pieds et des mains pour que Moon l’accompagne. “C’est super, tu verras, Sehun des Exo en est fan !”. Moon n'en avait rien à faire de Sehun. Ni des Exo. Mais elle a accepté. A ses souvenirs, c’était un peu lourd, indigeste, et trop sucré. Mais peut-être que le shop était mauvais.



Elle ne va pas se faire avoir deux fois : pas de lait, pas de crème, pas de pudding, pas de sucre. La commande peut sembler austère, mais Moon préfère éviter la casse. La trentenaire hésite sur les friandises, mais se ravise - elle a une ligne à tenir ! -. Et finalement, elle suit Nissa jusqu'à la petite table.



Après tout, elle a vite choisi sa commande !

Moon est sincèrement intéressée par la lycéenne, et par ses histoires. Elle aimerait aussi pouvoir raconter ses beaux souvenirs avec ses copines du lycée. Malheureusement, de ces années, elle ne garde qu’une mémoire amère. Elle n’avait pas vraiment de “meilleures amies”. Il y avait bien quelques camarades, des amies qu’elle croisait en classe. Elle n’était pas non plus bizutée. Mais rien d’aussi fort que ce que semble vivre Nissa.



Loin des yeux, loin du coeur. Loin du coeur tout court, en fait. C’est triste, mais Moon dit “amies” sans vraiment le penser. Maintenant, il s’agit surtout d’une bande de filles qui sont habituées à se voir. Et vous savez, les traditions ! Difficile de se retirer de la routine, alors Moon subit leurs remarques et leurs regards noirs.

Il y a bien Mariko. Mariko, elle est restée à Tokyo. Moon pense souvent à elle quand elle se retrouve seule le soir dans les bars. Mariko la suivait toujours pour boire des verres. C’était leur petit truc à elle. La seule amie qui n’est pas dans son groupe de pimbêches. Sa seule amie tout court, peut-être, aussi. C’est qu’elle lui manque, Mariko. Beaucoup !



Un petit soupir. Cette phrase résonne autant pour Moon que pour Nissa. Quand les amis nous manque, c’est difficile de ne pas avoir envie de les ramener tout à côté de nous. Mais heureusement, pour réjouir les deux demoiselles, les commandes arrivent. Deux belles tasses de plastiques, à casser à la paille.

Moon s’y prend à plusieurs reprises. C’est qu’elle n’a pas le geste ! Elle prend la paille du bout des doigts, ne bouche pas le trou avec son pouce, et peine à casser l’opercule. Quand elle y arrive enfin, un peu de thé éclabousse la table. Rien de grave, mais c’est un peu ridicule. Pour ne pas perdre la face, Moon rigole un peu à sa bêtise. Elle attrape une serviette en papier pour éponger le thé.



Pas habituée aux maladresses, non plus. Enfin, depuis quelques mois, elle les enchaîne. Elle casse des verres, des objectifs, se prend les pieds dans le plat et se noie le cœur. Un drôle d’été pour la professeur de cinéma.