Le 28/08/2017
4h55

Et voilà. Les vacances sont officiellement terminées. Enfin, il reste encore quelques jours avant la reprise des cours, mais je viens de récupérer ma valise à l'aéroport de Kobe où l'avion vient d'atterrir après de nombreuses heures de vol. Ces dernières semaines à Los Angeles avec Elizabeth m'ont fait un bien fou, alors c'est vrai que j'ai peut-être un petit pincement au cœur en pensant au retour à l'université. Mais pas tout de suite. Il n'est même pas encore 5 heure du matin.

J'ai évidemment profité de l'avion pour me ravitailler autant que possible, de sorte à ne pas être tenté d'acheter quoi que ce soit une fois de retour sur la terre ferme. Mon sac à dos enfilé, je tire ma valise jusqu'à rejoindre le hall principal de l’aéroport, suivant le flot de passagers qui prennent le direction de la sortie. Il n'y a pas beaucoup d'activité en dehors de notre atterrissage à cette heure-ci. D'autres personnes en salle d'attente se préparent visiblement à embarquer. Pour ma part, je me contente d'avancer jusqu'à un siège de libre. Parce que oui, il va bien falloir que je patiente jusqu'à ce que l'école ouvre ses portes.

Je m'installe et sors mon téléphone. Première chose à faire, envoyer un message à Elizabeth pour lui dire que je suis bien arrivé. Elle voulait rester encore un peu plus de l’autre côté du globe, et comme j’avais l’impression d’avoir déjà bien assez abusé, j’ai préféré ne pas rester davantage, et la laisser profiter un peu seule de sa famille. Après tout ce qu’elle a fait pour moi cet été, c’est bien le minimum. Et puisqu’elle a insisté pour que je lui envoie un message dès que j’arrivais à Kobe, je ne risque pas d’oublier. Je la remercie encore une fois pour ces dernières semaines qui étaient vraiment incroyables, puis envoie le message.

Je m’affale un peu plus dans le siège que j’occupe, attrape les écouteurs dans mon sac que je branche sur mon téléphone, les place correctement sur mes oreilles. Je ferme les yeux, et les images de LA défilent encore dans ma tête. Oui, il va falloir que je me fasse une raison. Retour à la réalité. Et la réalité c’est qu’il va falloir que je patiente encore deux heures avant de pouvoir aller prendre un bus pour retourner à l’école déballer mes affaires. Non, vu comme ça, ça ne me donne pas du tout envie.

C'était pour pas si mal. Bon, c'est vrai que je serais bien resté aux US quand même, c'est ultra cool là-bas, mais malgré le confort tout relatif de ce siège de salle d'attente, je crois que j'aurais plutôt bien aimé y rester encore deux longues heures et me relever avec le derrière légèrement endolori. Parce que vraiment, quand je remonte les yeux sur cette paire de jambes qui s'est clairement stoppée juste devant moi bah... Le mini espoir qui aurait pu se pointer sur une façon bien plus agréable de passer les deux heures d'attente se brise immédiatement en milles morceaux, me revenant direct en pleine face. Aïe.

- "Oh, Akira, bonjour. C'est vrai qu'on est en été, mais il fait encore un peu frais à cette heure-ci, tu devrais faire attention."

Ok. Peut-être que j'ai légèrement oublié de la prévenir que je partais de l'autre côté du globe. Peut-être que j'ai volontairement oublié que je devais rentrer à Sendai avec elle juste après les examens. Et peut-être que je m'étais bien arrangé pour ne surtout pas répondre à ses messages. C'est que ça coûte cher quand même.

Je remballe mes écouteurs dans mon sac à dos et me relève. Mais pas franchement parce que j'ai l'intention de la suivre bien gentiment malgré le carrosse annoncé. Non, parce que celui-là ne me ramènera pas avant minuit, ça je le sais ! En même temps il faudrait une robe de princesse pour que ça marche... Enfin bref. C'est le bordel là, il me faut un plan de secours de toute urgence et je compte bien mettre ces quelques petites secondes à profit.

- "Mais là je viens de me taper 20 heures de vol, en plus y avait un bébé qui n'a fait que pleurer, j'aurais bien besoin de dormir un peu avant de faire le déplacement. Tu voudrais pas attendre demain.... ?"

Oui, et demain je trouverai un autre prétexte. C'est une boucle sans fin je sais, mais qu'est-ce que j'y peux si j'ai envie d'aller là-bas comme de boire l'eau des toilettes d'un bar à l'heure de fermeture ? Oui oui je sais, c'est mauvais, mais je suis claqué et le laps de temps de réaction était très court. Sans compter qu'elle m'a grave surpris là, je ne m'attendais pas du tout à ce genre d'accueil.

Raté. Ouais, je ne m'attendais pas à un miracle, mais ce sont toujours quelques secondes de gagnées avant l'apocalypse. Oui j'en suis là. Même s'il y a encore toute la route qui, comme le rappelle Akira, est longue. Ouais bah j'allais pas non plus partir dans la ville d'à côté. Mais là tout de suite, envisager de repartir pour un tour de transports, ça ne m'enchante absolument pas. En plus je ne vais pas pouvoir faire autrement que de rester assis tout ce temps alors qu'en train... Non, vraiment je n'en ai pas du tout envie !

Bien sûr, j'essaie d'envisager toute piste d'échappatoire qui se présenterait à moi, sauf qu'on dirait bien que Akira avait parfaitement anticipé. Oui, c'est sûr que pour elle ce n'était sûrement pas difficile de savoir que je n'allais pas accepté si facilement. Et peut-être que j'enchaine un peu trop les excuses depuis qu'elle est arrivée à Kobe. Mais c'est que je n'avais pas du tout envisagé de repartir à Sendai moi !!

Mes lèvres s'entrouvrent comme pour entamer une réponse alors que cette menace directe est prononcée, mais aucun son ne sort. Comment est-ce qu'elle a été trouver ça ? Alors même que depuis tout ce temps, je me tiens bien sagement à distance tout à fait respectable de Chandini ! Ça m'énerve. Un peu. Je crois que la fatigue des dernières semaines joue un peu aussi (parce que forcément, qui dit vacances dit pas de repos).

- "C'est pratique d'être surveillante..."

Je réponds sur un ton bien plus froid qu'à mon habitude. Un ton que je n'avais plus employé depuis bien longtemps, et qui laisse aisément deviner ma désapprobation totale face à cette méthode. Mais en même temps, je n'ai pas besoin d'y réfléchir plus longtemps. L'une des raisons pour lesquelles je refuse toujours d'engager quoi que ce soit avec Chandini, c'est bien parce que je ne sais pas comment lui parler de cette partie de ma vie. Et que j'aimerais qu'elle s'en tienne bien éloignée. Alors ce n'est sûrement pas pour lui ramener Akira et tout ce qu'elle implique.

Je soupire tout en me relevant sans la moindre motivation, ne cachant rien de mon manque total d'envie. Dire que ces dernières semaines passées avec Akira avaient fini par me sembler plutôt cools. J'ai vraiment une capacité à me cacher la vérité qui me dérange hors du commun. Je passe mon sac sur mes épaules et commence à suivre mon nouveau chauffeur.

- "J'vois toujours pas quel est l'intérêt. A part satisfaire sa stupide envie de vengeance."

Je marmonne à demi mots, n'ayant de toute façon pas beaucoup de cartes sous la main. Ce n'est même pas comme si je pouvais essayer de partir en courant. Déjà parce que je sais que Akira court vite aussi et que ça me demanderait un sacré effort. Mais en plus, elle n'aurait même pas besoin de me courir après pour mettre sa menace à exécution. C'est vraiment trop nul.

Mon absence de motivation flagrante ne va rien changer au fait qu'on arrive finalement jusqu'au parking où nous attend la voiture d'Akira. Et si la première fois j'étais un peu trop hypé de voir, ce bolide là tout de suite je ne ressens plus du tout la même impatience à monter dedans. Déjà parce que je vais y rester beaucoup trop longtemps, et que la destination finale ne me plait pas du tout. Même cette fausse tentative d'humour n'arrive pas à me dérider. Oui, bah c'est sûr que je vais avoir le temps de dormir, mais ce n'est pas dit que j'y arrive !

Non, à vrai dire je dois beaucoup trop cogiter sur tout ce qui risque d'arriver. J'essaie de commencer à envisager divers scenarios. Mais aucun n'est agréable. Je sens ma gorge se nouer à mesure que les kilomètres passent. Je me contente de regarder le paysage défiler par la fenêtre, espérant que ça me divertisse un minimum. Mais on dirait que ça ne fonctionne pas très bien. Il faudra attendre cette question de la part d'Akira pour me sortir de mes pensées. Je prends quelques secondes pour réfléchir, tout en tournant à nouveau la tête dans sa direction.

- "Hum, ce n'est pas vraiment le genre de chose à laquelle je voulais réfléchir. Ça n'aurait servi à rien de partir si c'était pour penser chaque seconde à ce qui allait se passer ce jour là."

Bien sûr que j'y ai pensé. Et même si j'essaie de me persuader que je vis désormais très bien loin de toutes ces préoccupations, je sais aussi que j'ai toujours eu tendance à me montrer légèrement parano. Sans compter les nombreux mensonges que je suis encore obligé d'inventer et tous les problèmes que ça engendre. Évidemment que je préfèrerai pouvoir être totalement honnête. Mais dans ces conditions, c'est impossible.

- "Mais... C'est vrai que j'espérais avoir un peu plus de temps. Enfin de toute façon, c'est pas comme si j'avais un jour eu le droit de décider de ce que je voulais faire."

Oui, je boude toujours et ça s'entend facilement. C'est à dire qu'à l'époque, je m'étais peut-être fait à l'idée que ma vie ne m'appartenait pas entièrement. Que la plupart de mes choix de vie avait déjà été en grande partie tracés dès ma naissance. Mais d'avoir goûté à cette liberté nouvelle, même si elle est allée de pair avec de nombreux problèmes que je n'avais pas anticipé, ça ne me donne plus du tout envie de continuer à accepter toutes leurs décisions sans broncher.

Ce que je pense ? C'est compliqué. Même moi je ne suis plus bien sûr de savoir. Et la fatigue du voyage précédent ne m'aide probablement pas à aligner correctement les idées dans ma tête. Je jette vite fait un regard à Akira quand elle parle de mon frère, avant de retourner les yeux vers la vitre. C'est vraiment compliqué tout ça. Surtout, ça fait longtemps que je ne m'étais plus pris la tête pour ces histoires, et ça ne m'avait pas manqué. Je prends une légère inspiration avant de répondre.

- "Le problème, c'est que, maintenant, tout ça, je m'en fiche. La façon dont je vis à Kobe, sans manigances non stop, sans règles ultra strictes à respecter, sans toute cette violence totalement banalisée, c'est ça qui me plait. Et je n'ai pas la moindre envie de devoir recommencer à jouer aux gros durs pour des stupides questions d'honneur et de fierté."

Alors oui, ce que les autres pensent de moi là-bas, ce qui s'y passe en mon absence, ça ne m'intéresse absolument pas. J'aimerais juste qu'on m'oublie. Mais apparemment, c'est trop demander. Forcément, je ne transpire pas la joie en ce moment, et je n'ai pas la force d'essayer de faire un minimum semblant. Peut-être aussi parce que c'est Akira à côté de moi.

Je hoche la tête quand elle propose de faire une pause pour dormir un peu. C'est vrai que mon avion est arrivé de bonne heure au Japon, elle a dû passer une nuit trop courte. Tout ça pour venir me chercher. Je sais bien qu'elle ne fait pas non plus uniquement ce qu'elle veut et dans le fond, je crois que je n'arrive même pas à lui en vouloir pour ce qui se passe mais... Je ne sais pas, je n'arrive pas à sortir de cette humeur d'ado mal luné qui a décidé que quoi qu'il se passe, il en voudrait de toute façon à la terre entière. Et c'est très désagréable.

- "Je peux au moins aller aux toilettes ?"

Je n'ai pas très envie qu'elle se mette à me courir après en pensant que j'essaie de me tirer.

- "Je... Non !"

Non, bien sûr que ce n'est pas ce que je veux dire ! Je ne m'en fiche pas d'elle. Ni même de ma famille dans le fond. J'aimerais vraiment avoir une relation plus apaisée avec eux. Alors oui, c'est vrai que ma vie avant Kobe n'a pas été absolument horrible (probablement que je n'aurais pas tenu aussi longtemps autrement) mais je n'y peux rien, cette ville s'associe automatiquement à de mauvais souvenirs. Peut-être qu'il faudrait que je fasse un effort d'optimisme sur ce point ?

- "Désolé, c'est pas ce que je voulais dire."

Eh ! C'est injuste de me faire culpabiliser de la sorte alors que j'étais si bien parti pour râler et bouder des heures durant !! Est-ce qu'elle l'a fait exprès ? Je lui jette un coup d’œil suspicieux avant de me reconcentrer sur le défilement du paysage. Parce que je ne me sens pas pour autant d'humeur à tenter de rectifier le tir. Encore moins à essayer de réfléchir à ce qu'il y avait de réellement positif. Non, d'ailleurs je crois bien que je somnole un peu jusqu'au premier arrêt.

J'en profite pour me dégourdir les jambes et tenter de faire le vide dans ma tête. Oui, je crois que cette pause me fait un peu de bien. Réussir à penser à tout ça en étant seul, c'est plus facile. Non pas que je ne sois pas à l'aise avec Akira, mais il faut admettre qu'elle non plus elle n'a pas un caractère facile. Alors moi à côté, c'est parfois difficile de m'y retrouver. Mais comme je n'ai pas non plus envie de la voir débarquer en mode gardienne pas contente, je ne m'attarde pas de trop avant de revenir dans la voiture. Et de l'accompagner dans le sommeil.

Quand on repart, je me rend compte que je commence déjà à avoir mal aux fesses. Faut dire que j'ai déjà passé 15 heures assis dans un avion juste avant, alors oui, je commence à trouver le temps long. Même en piquant du nez régulièrement. Alors forcément, quand Akira fait finalement référence à un ramen, mon estomac se manifeste immédiatement, me faisant bien comprendre que je n'ai pas intérêt à refuser. C'est vrai que le décalage horaire, ça donne faim aussi ! Enfin, pour moi en tout cas.

- "Ok mais... On prend à emporter ! Et on trouve un spot avec super vue pour manger !! J'en ai marre d'être enfermé !"

Ça pourrait presque être une excuse pour gagner un peu de temps avant le retour dans la voiture. Mais la vérité, c'est que j'ai réellement envie d'en profiter un minimum. Oui, peut-être que de dormir un peu m'a fait du bien finalement. En tout cas, je me sens un peu moins grognon. Ou alors c'est l'idée d'aller manger qui fait ça.

- "En plus si c'est toi qui paye, je vais prendre maaaasse de viande eheheh !!"

Je la regarde avec mon meilleur sourire satisfait qui doit me donner un peu trop un air de sale gosse en association avec ce mode de raisonnement. Mais après tout, c'est elle qui a proposé !!

Eheh j'avoue qu'un peu de vent pour supporter la chaleur ce ne serait pas de trop ! Mais j'ai largement appris à ne plus faire mon difficile (enfin moins qu'avant en tout cas) et rien que la perspective de manger gratos suffit amplement à mon enthousiasme retrouvé !

- "Si j'ai le choix, je préfèrerais encore que ce soit fait par une fille en bikini."

Je lui tire la langue au passage avant de me tourner vers l'enseigne proposant déjà de quoi faire gargouiller mon estomac. Je ne sais pas si Akira ne va pas finalement regretter mon mutisme précédent, mais je ne suis plus en état de m'en soucier. Et c'est donc comme annoncé que je prends l'un des plus gros plats avec supplément de viande !!

- "Eheh t'inquiète pas, je ne voudrais pas que tu aies à te forcer pour moi. Déjà que c'est toi qui a tout payé !"

Nouveau sourire taquin, je la suis un peu plus loin jusqu'à ce qu'on trouve une place de choix.

- "Ouaaah c'est trop bien !!!"

Ouais, quand je parlais d'avoir une vue sympa pour le repas, je ne pensais pas que ce serait aussi cool ! Même si j'ai adoré mon voyage aux USA, je crois que ce genre de paysage, c'est encore ce que je préfère. A petite dose bien sûr, je pense que je finirai pas m'ennuyer atrocement, mais là, dans ces conditions, ça me fait du bien.

Je prends une première bouchée de mon ramen après avoir souhaité un bon appétit à Akira et... Elle ne perd pas de temps pour lancer ses missiles ! J'avale ce que j'avais dans la bouche avant de la regarder avec un air un peu étonné. Non mais c'est à dire que j'étais trèèèès loin de penser à ce genre de chose moi.

- "Heu... Bah..."

Oui, voilà, c'est exactement ce que m'inspire cette question !!

- "T'as pas si bien fait ton travail d'enquêtrice que ça on dirait !"

Hop, petite pirouette pour tenter de reprendre un peu plus contenance le temps de réfléchir à ce que je peux réellement me permettre de lui dire ou non. De toute façon, ça ne sert à rien de nier ce que je peux ressentir pour Chandini, le simple fait que je me retrouve ici en ce moment et sans avoir fait plus d'histoire est une preuve bien suffisante. Je pousse un petit soupire et reportant mon regard vers les sommets visibles de la montagne.

- "Elle est super gentille. Et douce. Et hyper attentionnée. Mais bon, je crois que de toute façon j'ai tout fait foirer entre nous alors, c'est pas comme si c'était encore vraiment important..."

Oui. Je ne sais absolument pas où est-ce qu'on en est malgré mes efforts pour maintenir une relation aussi claire que possible. J'ai réussi à ne pas faire un seul pas de travers, à rester bien droit dans le schéma classique d'une relation amicale depuis que je lui ai proposé d'en rester à ce stade et pourtant... C'est toujours aussi embrouillé dans mon esprit.

Si le repas a de quoi me redonner le sourire (je crois que c'est beaucoup trop facile de m'avoir avec de la bouffe), la conversation qui est lancée me laisse un peu plus sceptique. Mais finalement, une fois les premières secondes de l'étonnement et de l'inconfort passées, j'arrive à peu près à reprendre mon air plus décontracté. En fait, c'est un peu bizarre de parler de ça avec Akira. Oh, elle n'est pas la première à me poser ce genre de question, mais forcément, avec Tessa, Emily et même Neil, c'était plus facile. Sûrement parce que je ne les soupçonne pas de pouvoir utiliser ce levier de pression sur moi. Même si pour le dernier de la liste, j'ai pu avoir quelques doutes à certaines moments. Mais je crois que les choses sont désormais claires.

Alors quand Akira me demande des précisions, je suis assez étonné de ne pas avoir trop de réticences à lui en parler. Enfin, à accepter d'en parler, parce que pour ce qui est de mettre des mots sur les impressions que j'ai, c'est tout de suite plus compliqué. Si je suis très doué pour parler à tout bout de champ, ça devient tout de suite beaucoup plus compliqué lorsque le sujet est sérieux ou qu'il me touche directement. Je lui jette un petit regard en biais avant d'essayer de m'exprimer aussi clairement que possible.

- "Eh bien, en fait, ça date pas vraiment d'hier et ça fait... Un moment qu'on se tourne un peu autour tu vois. Et... Qu'on a déjà testé de voir ce que ça faisait de ne pas être juste, amis. Il y a un an à peu près, tout a commencé à devenir de plus en plus flou et, je crois qu'elle aurait bien voulu qu'on sorte ensemble mais, hum.. C'est compliqué pour moi, alors en début d'année je lui ai proposé d'en rester là, histoire de repartir sur des bases un peu plus saines. C'est qu'on est dans la même classe, on se voit tous les jours en cours, ça devenait difficile de me concentrer sur ce que racontait le prof tout en me demandant à chaque fois ce que je devais faire avec elle. Bref, j'ai l'impression que depuis elle me fait un peu la gueule, même si elle ne m'a jamais rejeté non plus, mais c'est un peu... Ambiance glaciale par moments."

Et dire que la principale raison pour laquelle je ne voulais pas sortir avec elle, c'était justement pour ne pas qu'elle soit mêlée à tous mes problèmes. Du moins, c'est peut-être ce dont je m'étais persuadé. Parce que maintenant, il faut admettre que c'est complètement foiré, et pourtant, je ne me sens pas plus prêt à changer de cap.

Je ne peux pas empêcher un léger sourire de s'emparer de mes lèvres quand Akira évoque mon goût prononcé pour les problèmes. C'est vrai, je n'ai jamais réussi à faire simple. Pourtant j'aimerais bien avoir une vie toute banale. Mais il faut toujours que je fasse quelque chose de travers à un moment. Je ne sais en revanche pas trop quoi penser de ses paroles. Enfin, si, quelque part au fond de moi, je sais qu'elle a raison. Mais je suis encore trop perdu avec tout ce qui se passe en ce moment pour réussir à faire le tri dans mes pensées.

- "Franchement... Je sais pas trop quoi faire. Je crois que, je vais déjà attendre de revenir à Kobe pour y réfléchir. Après tout, si ça se trouve, je n'aurais en fait pas besoin de chercher une solution à ce problème."

Sous entendant évidemment que je ne suis même pas sûr de repartir de Sendai un jour. Mais bizarrement, il n'y a aucune amertume qui transparait dans ma voix. Je crois que je me suis juste fait une raison depuis le début du trajet. Ou alors c'est le contrecoup de la fatigue.

- "T'as sûrement raison, je dois avoir un goût un peu trop prononcé pour les situations problématiques."

Je souris, avant de piocher à nouveau dans mon bol.

- "Et toi alors ? Tu as fini par prendre goût à ton nouveau job ? Franchement, j'étais pas sûr que t'arriverais à supporter aussi longtemps les élèves de cette école ! Ni même tes nouveaux collègues ! Eheh, je dois admettre que tu m'as bien épaté sur ce coup !!"

Mon ton blagueur de retour, je suis pourtant sincère. Je comptais peut-être un peu sur son caractère impétueux et sauvage pour ne tenir aussi longtemps à Kobe High School. Mais apparemment, elle ne s'en sort pas si mal. Si on oublie les quelques rumeurs, évidemment.

Je ris largement quand j'entends Akira parler de ces fameux "sales gosses". Oui, heureusement qu'il y a un règlement, je ne suis pas sûr qu'ils soient tous prêts pour sa discipline !! D'un autre côté, ce job ne lui va absolument pas. Pourtant, elle est toujours là, malgré l'ennui qu'elle dit ressentir. Mais pour ça, pas question que je me sente responsable ! Ouais, je sais que c'est pour moi qu'elle est là, n'empêche, j'aurais tout autant apprécié qu'on me laisse tranquille. D'un autre côté... C'est pas si désagréable de l'avoir retrouvée non plus.

Finalement, cette pause aura été plutôt bénéfique, et pas uniquement pour mon estomac. Désormais de bien meilleure humeur, le reste du trajet est quand même plus sympa. Non pas que je sois particulièrement excité par ce qui m'attend, mais j'accepte désormais un peu plus de devoir supporter ces longs kilomètres de voiture. Pourtant, malgré mon postérieur tout endolori à cause de ces longues heures à rester assis (depuis les US, ça commence à faire beaucoup), je ne suis pas plus soulagé quand Akira annonce notre arrivée imminente. Bien sûr que je reconnais les lieux. Il y a un moment que mon rythme cardiaque a de nouveau accéléré sans que je ne puisse rien y faire.

- "Ouais, on dirait que tu vas enfin pouvoir profiter d'une vraie pause."

Ce n'est pas dit méchamment. En fait, c'est même plutôt honnête. Je sais que depuis son arrivée à Kobe ça ne doit pas être évident pour elle. J'imagine que ça doit lui faire du bien de revenir à Sendai. J'essaie de faire comme si de rien n'était, mais elle doit bien se douter que pour moi, c'est assez anxiogène en revanche.

- "Alors. C'est quoi le programme de cette fin de vacances surprise ? Tu m'accompagnes encore un peu ou je dois directement retrouver mon prochain chaperon ?"

Je me doute bien qu'elle a reçu certaines indications. Ils ne vont pas s'être donné autant de mal pour me ramener dans cette ville pour ensuite m'y lâcher sans surveillance à peine arrivé.