[Hôtel] Sociabilisation 101

Depuis le début du voyage scolaire, c'est l'éclate totale ! Je pensais vraiment pas me faire autant de potes et de plans en si peu de temps. Je regrette pas d'être venu. J'aurais juste aimé que mon frère et Meyuki soient là, c'est le seul truc qui plombe. Bref, comme j'avais la dalle super tôt, j'suis allé manger en solo. J'ai les yeux rivés sur mon téléphone pendant que je mange. Je reçois des messages de Meyuki et de ma mère. Je réponds entre deux bouchées. Pendant que j'mange pépère et que je textote en mâchant, un mec se pose en face de moi. J'arrête tout pour le dévisager. C'est Seito. Pourquoi il vient vers moi ? Il nous en veut pour samedi ? 'Faut dire on a peut-être abusé. Bah, il veut s'asseoir à ma table, il peut, j'vais pas le bouffer quoi. J'avale ce que j'ai et j'hoche la tête pour lui donner mon accord.

On s'dit rien de ouf. Je mange, il mange. Le silence. Pouah, j'sais pas quoi lui raconter ni même lui demander. Si j'lui demande où sont Pablo ou Mitsuki, ça donnera l'impression que j'veux m'en débarrasser, j'imagine. Heureusement j'ai le téléphone pour m'occuper l'esprit à demi. Pis, finalement, il parle. Et sa question, mais, sa question quoi. Je le regarde avec des yeux ronds et je suis figé entre le fait de réfléchir sérieusement à la question ou me dire si ce mec est pas un peu cogné contre un mur de béton. Comme j'me trouve drôle, je souris avant de répondre tout malin.

« Bah, ce serait la Guenon non ? »

Je ris un peu parce que ouais, je me trouve vraiment con. Je tente quand même de rendre la conversation plus philosophique et rhétorique tant qu'on y est.

« Quoique vu qu'on est des animaux, ce serait pas déjà nous, théoriquement ? »

Il parle beaucoup quand même ce gars... J'sais pas trop comment et surtout quand lui répondre parce qu'il enchaîne la parlotte et moi j'ai à peine le temps de papillonner que j'ai perdu le fil de ce qu'il raconte. J'crois qu'il me dit qu'il a traité une fille de guenon ? Il est déterminé en fait ce mec, j'hausse un sourcil, interdit (mais pas trop).

« Ou..ais. Ouais, ouais. Hmm. » que j'acquiesce. C'est que j'en sais trop rien, moi j'ai juste répondu en rigolant quoi. C'était un jeu de mot j'imagine. Sauf que, bah, j'ai le sentiment que si j'lui avoue juste comme ça, il va me perdre comme moi j'lai perdu.

Je prends une bouchée de mon repas entre un bout de discussion puis je manque de m'étouffer sur sa remarque des pulsions animales. Il est pas bien d'me sortir ça de nulle part lui ! Moi j'suis un malade dans ma tête, j'fais le lien avec des trucs sombres de mon passé, là. C'est ambigu ce qu'il raconte !!! J'avale vite une gorgée d'eau et j'me tapote la poitrine pour faire passer le morceau. Ouah. Mes yeux commencent à s'humidifier parce que j'ai bien failli y passer.

Après réflexion et remise de conscience, j'lui réponds. Entre temps, il a changé de sujet. Je pause un instant avant d'arriver à parler, et j'ai soufflé doucement.

« J'espérais voir des renards mais j'en ai pas vu... par contre la tortue des Galapagos, Taro, m'a fait penser au conte d'Urashima Taro avec Otohime, tout ça ! J'en avais jamais vu d'aussi grand ! »

En y repensant, c'était quand même une belle bête.

J'ai secoué la tête pour dire que, non, j'ai pas été au Royaume de la mer. En même temps, si un truc de cette taille me proposait de le suivre, ça m'ferait flipper, Otohime ou pas à l'issue. Et puis, cette histoire, elle est déprimante quand même. Quand j'y pense en mangeant, bah ça m'enchante pas. Je mâchouille ma bouffe avec un air hagard, sûrement puis ça m'interloque de plus entendre Seito. Pas que j'le prends pour un bruit de fond mais disons que quand il parle plus, ça s'entend plus qu'une autre personne. J'le regarde. En fait, il se verse à boire. Bah ok. Je secoue encore la tête pour décliner l'eau qu'il me propose.

J'mange tranquille, s'il me parle je l'écoute quoi. Sauf que ce qu'il me dit tout de suite après me fait manquer de m'étouffer. Encore. Je tousse en tournant la tête sur le côté, pour pas qu'il se prenne la comète de la honte que j'cracherai par inadvertance. J'ai mon poing devant ma bouche (et les yeux rouges) mais on sait jamais. Comment il peut me sortir ça comme ça ! Mitsuki lui a vraiment dit ça ?! C'est comme ça qu'on me décrit, sérieux ?! Non, non, j'réfléchis. Il dit "toi aussi" donc, c'est que, lui aussi. Ouais, c'est ça. Il se cherche un compagnon d'arme, truc du genre, j'imagine. J'préfère pas parler du redoublement hein alors j'enchaîne sur ce qu'il me demande.

Ce mec, j'le connais pas. Vraiment pas. C'est un pote de Mitsuki, de Pablo aussi j'crois, il est dans la classe de la soeur de Montoro, de Shun, Itsuki, mais à part ça, je sais rien de lui. D'où il vient, comment il connait les autres. Ça m'est jamais venu à l'esprit de me le demander alors maintenant que c'est moi qui suis confronté à ça, j'passe ma langue sur mes dents avant de parler.

« T'as des questions précises, dis donc. Hahaha... »

J'ai un rire gêné et qui s'estompe. Je lui fais remarquer que j'essaye de comprendre son message subliminal... Ok, peut-être que je l'intéresse mais c'est pas un peu ciblé là ? Il a peur que je lui pique ses amis ou truc du genre ? Purée comment je réagis à ça, moi ? J'évite son regard, j'sais pas pourquoi. Et quand je cherche à répondre, on dirait plutôt que j'évite le sujet et que j'fais le mystique. Alors que c'est pas c'que j'veux transparaître mais c'est foutu.

« C'est cool entre nous. Ouais, cool. »

J'opine de la tête pour essayer de montrer que j'suis cool avec Pablo, que y'a pas de soucis entre nous et tout. Est-ce que ça le rassure ? Parce que moi, j'en sais rien.

Mais pourquoi il me raconte sa vie le mec ? Il veut parler de colocation en fait ? Je savais même pas qu'ils étaient tous dans la même chambre moi... Ou alors, il veut me faire comprendre sa supériorité affective avec ses amis et dire que ça se passe bien entre eux "aussi" ? Je le regarde de côté, je le dévisage même. Pendant un temps, mes sourcils se froncent et j'essaye de trouver c'est quoi le but de la conversation. Puis quand j'me rends compte que c'est chelou, entre temps il m'a parlé, je papillonne des paupières et j'balbutie un truc pour répondre à sa curiosité.

« À personne. Enfin, j'veux dire j'écris à personne en particulier... »

Et pourquoi j'mens moi d'abord ! On dirait j'ai des trucs à cacher alors que non.

« Et-... et le voyage ça se passe bien sinon ? T'es avec Pablo en plus à l'hôtel non ? »

Allez je vais aller dans son sens, lui montrer que j'suis intéressé par son amitié avec ses amis, que j'suis pas territorial et tout, que j'suis cool bref. Mais bon, j'finis par dérailler parce que j'suis tendu là.

« Fais gaffe, tu pourrais en découvrir des trucs sous son lit. »

Y'a rien d'insidieux là-dedans, je promets.

Il... il a l'air de prendre ce que j'ai dit vraiment très au sérieux. Et... euh, ça me met vraiment mal. J'le regarde, j'le fixe, yeux dans les yeux mais vu la tronche d'ahuri que j'dois avoir, y'a ce moment de blanc où j'cherche à comprendre s'il croit vraiment ce que j'ai dit. Je cligne des yeux et puis mon regard se balade de ça et là.

« Non... je disais ça... pour, euh, rire ? »

J'me passe la langue sur les dents et puis j'le regarde en fronçant mes sourcils. J'espère qu'il ira pas chercher sous le lit ce soir quoi. J'sais pas pourquoi, j'ai le sentiment que j'peux pas rester mystique après lui avoir dit ça. Je m'en voudrais que ce soit interprété bizarrement alors j'tente d'expliquer le but du raisonnement de ma blague grossière, en détournant un peu le propos par des on-dits.

« Du genre, les mecs planquent des magasines de c*l sous le matelas ou... »

Là j'hésite clairement à le dire, j'fais une grimace d'appréhension.

« ... des "trucs" usagés... ? Mais j'disais ça par rapport à ces clichés-là, tu... vois ? »

Ça s'peut que j'provoque un gouffre dans la conversation. J'suis désolé pour Pablo franchement, j'suis sûrement en train de lui faire une réputation chelou.

Maintenant je commence à me sentir un peu mal pour lui, il a l'air de réaliser quelque chose d'énorme et du coup sa réaction me laisse un peu perplexe. J'le vois bien dans ses yeux, dans son expression, et à l'écouter me retourner mon délire aussi sérieusement, qu'il doute de Pablo. Après j'ai pas à m'en mêler mais bon, sur sa dernière révélation, j'suis pas c*n, j'comprends qu'il s'est fait arnaquer le pauvre. Je bois mon verre d'eau et j'traîne mon regard un peu partout pour faire style que j'sais rien de plus. Sauf que, bah, Seito me fait d'la peine, j'ai envie de le réconforter et le rassurer. J'sais pas comment mais j'dois m'y prendre.

Je lève une main, je fige, puis elle vient tomber sur l'épaule de Seito. C'est un peu maladroit, je l'avoue, ça fait comme si j'lui mettais littéralement le grappin dessus. Je lui tapote l'épaule doucement avant de retirer ma main. C'est un geste amical quoi.

« J'sais pas de quoi tu parles mais en tout cas, c'est qu'une supposition, ça reste entre nous d'acc ? Te laisse pas abattre ! »

Ouais parce qu'il faudrait pas qu'il aille le raconter à Pablo et se méprendre. 'Faut qu'on parle d'autre chose que ce bouffon. On doit discuter de nous, apprendre à se connaître et tout ça là. Pouah, j'sais plus comment on fait ça moi. J'ai que des questions trop triviales à lui poser, ça fait tiep. J'trouve rien de passionnant à dire ni à demander alors je brode ce qui me passe par la tête, en pensant surtout à ce que je ressens.

« Le plus important c'est de profiter au max du voyage ! T'as quelque chose de prévu tout à l'heure ? »

J'sais pas trop pourquoi j'dis ça, j'suppose que ça veut dire que je m'intéresse à lui, j'suis curieux.

Ouais, c'était vraiment pas un bon plan de rigoler sur ça. Il est peut-être sensible à ce sujet, au ou sujet de Pablo, bref j'ai aucune idée de ce qui le travaille à ce point mais ça pèse sur l'ambiance entre nous là. J'avale ma salive et je reste silencieux quand il me demande si j'la fais à tout le monde. J'ai bien envie de dire que "non" parce que m'expliquer me parait pas être plus judicieux. J'sais juste pas quoi lui répondre de concret alors, bah, j'réponds pas. Heureusement, il me reste quelque chose dans mon assiette pour passer le moment de blanc. Puis il parle pour meubler. En gros, il me dit qu'il a pas de plan pour après. Je termine de manger et je réfléchis en passant ma langue sur mes dents.

Je réfléchis à ce que je pourrais lui proposer mais j'arrive pas à composer ce que je voudrais lui dire. Je sais pas vraiment comment me comporter après cette, euh, douche froide qu'il y a eu entre nous, même si c'était pas dirigé ni méchant l'un envers l'autre. Je me sens mal pour lui plus que vis-à-vis de lui, on va dire (j'me comprends). Sauf que je l'extériorise pas et ça finit en moment de silence.

Bon. Ok, ça sert à rien de trop cogiter, ça me ressemble pas. Va savoir pourquoi, je tape ma main à plat sur la table en même temps que je pose mes couverts. C'est le côté décisif-dramatique de la performance, j'suppose.

« Ça te dit de venir mater un film avec moi et Monty- enfin j'veux dire, Barrossa ? »

Je me désigne moi-même du doigt puis j'me retrouve un peu indécis, hésitant ? J'avoue que j'propose ça un peu de nulle part et ça doit se voir sur ma tronche incertaine qui suit. C'pas que ça me dérange de l'inviter, j'le pense vraiment, c'est peut-être juste un peu précipité. C'est qu'un film, ça implique rien de fou non plus, j'suis surtout embarrassé j'crois. Je m'adosse dans le fond de ma chaise et je croise les bras en soupirant, j'suis pris dans un grand moment de réflexion, encore.

« Quoique t'es peut-être pas trop branché SF et kaijū eiga... »

'Faut se rendre à l'évidence, c'est mieux de regarder un film dont on aime le genre. Mais bon, ça reste un moment à partager, je peux bien tenter la chance. Je me montre encourageant et chaleureux parce que ça me fait plaisir de rameuter des amis de plus pour ça.

« Joins-toi à nous si le coeur t'en dit ! »

C'est fou parce que j'commence seulement à avoir l'impression qu'on discute normalement, là. J'avoue que je m'attendais pas à ce qu'il me parle de Godzilla, j'pensais plutôt qu'il me regarderait avec l'air de pas savoir de quoi j'parle ou être à côté de la plaque. Je souris du coup et ça m'enthousiasme.

« On va regarder Pacifim Rim. C'est un film où des gens pilotent des mechas pour combattre des kaijus envahisseurs ! »

Il envoie tellement du lourd ce film, rien que d'en parler j'en ai des frissons.

Par contre, je sens que Seito est pas super emballé, 'fin j'veux dire, pourquoi il veut confirmation ? Si j'lui propose de venir c'est que c'est ok. Il a honte ? Il est timide ? Ouais, vu à quel point il est bavard j'trouve ça bizarre, j'crois pas que ce soit ça. Ce serait pas... à cause de ma blague sur Pablo quand même ? Je le dévisage curieux et dubitatif du coup, puis j'réponds mais vu que ma voix traîne j'crois j'donne l'impression de plus savoir où j'en suis. Mais j'le fais pas exprès pourtant, ça me fait juste me demander que j'suis peut-être trop envahissant et il se cherche une porte de sortie ? Purée, j'en sais rien.

« Ou-ais. Non, t'inquiète... »

J'ai fini de manger avec tout ça, moi. Et pile à ce moment, mon frère m'appelle au téléphone. Je décroche tout de suite et me levant de table, mon bordel dans les bras. J'suis déjà en train de partir quand j'réalise que j'oublie un truc. Ce truc que j'oublie c'est Seito en fait ! J'me retourne fissa, partagé entre mon appel et mon cerveau.

« T'as qu'à passer dans la chambre tout à l'heure si tu veux venir mater le film ! »

J'dis ça précipitamment avant de retourner à ma conversation avec Ryû. Je m'éloigne et là... je réalise que j'ai oublié autre chose : de lui dire c'était quelle chambre. Et zut. Donc au final, il est pas venu mais j'suppose qu'il pouvait pas y faire grand chose ou qu'il voulait vraiment pas déranger. Ah, tant pis, il avait sûrement d'autres chats à fouetter aussi.