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Seito Mori
Elève ; en 3ème année
Seito Mori
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Seito Mori

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Sam 26 Oct 2024 - 13:56
MERCREDI 31 OCTOBRE 2018



Co-écrit avec Mathéo Takahashi.

35 minutes avant le couvre-feu.

Seito n'avait plus la tête à faire la fête. Pablo avait fini par s'éclipser avec Emma. Nolan et Tsumugi rigolaient plus loin. Et lui, il était là, devant le buffet, tout seul. Pas exactement tout seul puis qu'il avait conversé avec un chat. Un étudiant pour être tout à fait exact auprès de qui son costume avait fait effet. Et bien qu'il en était content, il n'avait pu s'empêcher de ressentir une grande tristesse. Parce que ce n'est pas de cet étudiant-là qu'il aurait voulu des compliments. Mathéo n'était jamais revenu. Et Seito l'avait attendu toute la soirée. Sans comprendre ce qui avait déclenché ce départ précipité. Mais intimement persuadé qu'il en était responsable. Il avait donc mangé des bonbons. Beaucoup de bonbons pour inhiber cette propension à tout dramatiser. Il avait ri aussi, à gorge déployée, même quand ce n'était pas très drôle. Et puis il s'était réfugié derrière la façade de son déguisement pour ne plus être lui l'espace d'une soirée.
Mais voilà qu'il apparaît devant le miroir alors qu'il se démaquille. Il s'observe silencieusement, le dégoût au fond de ses pupilles agitées. Sa vie aurait été si différente s'il avait été une fille. Peut-être se serait-il appelé Megumi. Peut-être que Pablo l'aurait embrassé sur le toit. Bon sang, il se trouve absurde avec ses pensées sans queue ni tête. Et puis il a Mathéo alors il ne devrait pas se sentir si démuni. Si seulement l'étudiant était revenu à la fête, si seulement il l'avait pris dans ses bras pour lui dire qu'il l'aime, peu importe son physique. Seito expire et finit de se débarbouiller le visage. Ensuite il s'enferme dans une cabine des toilettes et s'assoit sur le couvercle fermé. Nolan l'avait dissuadé de se rendre chez Mathéo. Son petit-ami n'avait juste pas d'humour et c'est tout, il n'y avait pas de quoi se casser la tête, ça lui passerait à c'coincé. Bien que son ami ait été rassurant, cela ne suffisait pas à Seito. S'il voulait espérer dormir cette nuit, il devait savoir. Il sort son portable et recherche le nom de Mathéo dans son répertoire. Le portable sur l'oreille, la tonalité retentit.

La tête posée sur l'oreiller, Mathéo fixe le mur de sa chambre. Il commence à se faire tard et il n'a toujours pas révisé. Ses cahiers pleurent de tristesse devant son désintérêt, pourtant ouverts sur son bureau. Ce soir, il n'a pas envie. Allongé sur le ventre, il se laisse bercer par le rythme de sa respiration, prêt à accueillir le marchand de sable avant l'heure. Pour une fois, il se dit qu'il pourrait se coucher tôt. La journée aura été plus éprouvante que prévue. Hah... Halloween n'est clairement pas sa fête préférée. Pourtant, ça aurait pu ne pas être si mal. Le visage maquillé de Seito lui revient en mémoire, estompé par le temps, il n'en reste pas moins beau. Le sentiment de malaise qui va avec lui revient aussi. N'est-ce pas étrange de le trouver beau en fille ? N'est-ce pas plus étrange encore qu'il y ressemble tellement avec si peu d'artifices ? Non. Le plus étrange, c'est d'en être dérangé. Ce n'était qu'un déguisement et pourtant cela suffit à lui être désagréable. Pourquoi ? Si Seito avait été une femme, tout aurait été plus simple. C'est sans aucun doute ce qu'il aurait pensé il y a encore quelques mois en arrière. Qu'est-ce qui avait changé au juste ? Avait-il sous-estimé son inattirance pour les femmes ? Si Seito en était une, en serait-il tout de même tombé amoureux ? Il a envie de croire que oui. Son corps est stupide. Il est stupide. Ce recul devant un kimono et du maquillage n'a aucun sens.
Il soupire. Au moins, Seito a dû s'amuser après qu'il ne soit parti... Sans lui qui était vraisemblablement de trop. Il se tourne sur le dos, sourcils froncés en repensant à Nolan et Pablo. Ces deux-là ont vraiment un problème, il se demande ce qu'il a bien pu leur faire pour qu'ils s'en prennent à lui. La honte lui est encore palpable, son cœur en est encore lourd. Sérieusement. Cette fois, ils ont été trop loin. Ça ne l'étonne pas de Pablo mais il est déçu de Nolan. Quand son portable vibre sur le matelas, il n'a pas envie de répondre, yeux figés sur le plafond, à réfléchir au non-sens de sa vie. Heureusement, un de ses neurones lui rappelle qu'à cette heure-ci peu de personnes sont susceptibles de l'appeler. Alors, il attrape le téléphone pour tout de même regarder. Ne sait-on jamais. Son cœur accélère doucement en voyant apparaître le contact de Seito. Roi du sucre. Il décroche. « Allô ? »

La voix de Mathéo résonne et Seito se permet d'espérer que tout n'est pas perdu. « Tu... » Le silence mange la suite. Il aimerait lui dire frontalement qu'il l'a abandonné, que ça l'a blessé plus qu'il ne le voudrait, qu'il est déçu de ne pas avoir partagé des bonbons avec lui, de ne pas lui avoir raconté comment il s'en est sorti à l'escape et comme il a espéré qu'il revienne comme il l'avait promis, tout en sachant pertinemment qu'il n'avait rien promis. Mais il ne dit rien de tout ça. Parce que ça sortira mal et déformé. Parce qu'il pourrait bien en pleurer. Et que ce serait con de pleurer pour ça. Alors il demande simplement, d'une voix timide qui ne lui ressemble pas : « Tu vas bien ? »

Ce silence, bien que court, inquiète Mathéo. La petite voix de Seito n'apaise pas ses craintes. « Oui, ça va... et toi ? Il s'est passé quelque chose ? »

S'il s'est passé quelque chose ? Son regard se perd sur la porte des toilettes que quelques graffitis décorent. S'il ne s'est rien passé, si cela ne vaut pas la peine de s'en soucier, alors pourquoi ce poing au cœur ? Pourquoi ce besoin de faire la lumière sur cette absence qu'il est le seul à avoir remarqué ? Lentement, son corps penche et sa tempe se colle à la paroi de la cabine. « Oui, ça va... Non non, je voulais juste entendre ta voix avant de dormir. »

La confidence lui met du baume au cœur, elle en réchauffe les vaisseaux endormis qui reprennent leur travail à vive allure. Dans sa poitrine, l'amour s'agite tendrement. Il ne peut s'empêcher de commenter, regard attendri : « C'est mignon. » À la force du dos et des abdos, il se redresse. Une main fatiguée tente de sortir son esprit de la somnolence en passant sur son visage. « Est-ce que tu t'es bien amusé aujourd'hui ? »

Seito ne veut pas être mignon. Être mignon revient à faire de la peine et si Mathéo savait où il se trouve, quelle tête il a, il en aurait beaucoup, de la peine. Mais le problème ne réside pas tant dans ce qualificatif mais plutôt dans l'absence - à nouveau elle - de compréhension. Pas d'excuses, pas de repentir. Une question banale, comme s'il ne s'était réellement rien passé. Il va devenir fou... Ses yeux se lèvent au plafond. Bien sûr qu'il s'est amusé. Jusqu'à ce que tu disparaisses, pense-t-il très fort au point de le verbaliser. « T'es pas revenu Mathéo. »

Il faut à l'étudiant quelques instants pour prendre la mesure de cette réponse. Les liens se font enfin dans son esprit... Seito ne voulait pas entendre sa voix, il avait des reproches à lui faire. « Non... » confirme-t-il en se laissant retomber sur le matelas. Soudain, le doute le saisit néanmoins, par précaution il demande : « Tu n'as pas eu mon sms ? » Celui dans lequel il le prévient qu'il rentre finalement chez lui, envoyé une dizaine de minutes après avoir quitté le buffet.

« J'avais pas mon portable sur moi. » Y'a pas de poche dans un kimono, il l'avait laissé dans sa chambre. « J'ai vu ton message qu'en revenant. » Et cela ne l'avait pas soulagé pour autant. « Est-ce que... » Il baisse le regard et ses paupières le plongent dans le noir. « Est-ce que j'ai fait quelque chose de mal ? »

L'évidence le bouscule. Il... Il n'y avait pas du tout pensé. A mesure que Seito lui dessine les bouts qui lui en manque, le tableau de cette journée le rend anxieux. « Excuse-moi... je pensais que tu l'aurais avec toi. Je serais revenu te prévenir sinon. » souffle-t-il avant que la question de son petit ami ne lui souffle le cœur. « Non, bien sûr que non. » ne se fait pas attendre sa réponse. Ses lèvres se pincent sous son sentiment de culpabilité. Décidément... rien n'aura été avec ce buffet. « Tu n'as rien fait de mal. » insiste-t-il, pour que cela soit bien clair. « C'est juste... » Il s'arrête un instant. Peut-il dire la vérité ? Cela ne risque-t-il pas d'aggraver davantage son cas ? A-t-il la force d'affronter une nouvelle tempête ce soir ? Il n'en est pas certain. Une bouffée d'air gonfle ses poumons. En ballon de baudruche, ces derniers libèrent sa parole. Dans sa tête, le souvenir d'une promesse. Il se doit d'être sincère. « ... tes amis m'ont mis mal à l'aise. » avoue-t-il, plus sobre que la réalité.

C'est juste... qu'il est pénible à se montrer si extravagant, qu'il aurait dû prévenir avant de débarquer dans cet accoutrement, qu'il devrait se méfier quand ses choix peuvent impacter l'autre. Mais Seito ne sait pas comment faire la part des choses, il n'a pas envie de se contenir. Il ne s'aime pas et pourtant il n'a qu'une envie, vibrante et contradictoire, celle d'être lui, pleinement. Et ça le bouffe tant et si bien qu'il demeure silencieux. Ses yeux s'ouvrent brutalement. Parle-t-il de Pablo et Nolan ? Se pourrait-il qu'il ne soit pas fautif dans cette histoire ? Mais alors, pourquoi n'a-t-il rien dit ? Pourquoi a-t-il choisi la fuite ? Seito était là, près de lui, il aurait pu lui dire, il aurait pu... Merde, Mathéo ne lui fait pas confiance ? « Pourquoi tu m'as rien dit ? Pourquoi t'es parti ? Ils t'auraient pas plus fait chier si tu m'avais parlé, si... C'était juste une blague. »

Une blague de très mauvais goût, se retient de faire remarquer Mathéo. Une blague est faite pour provoquer rire et joie. Certes, elle peut ne pas trouver son public mais elle n'est pas censée humilier les autres. Dès lors, ce n'est plus une blague. Et, au fond de lui, il ne peut s'empêcher de se dire que ce n'est pas innocent si celle-ci s'est tournée vers lui. Comment est-ce qu'elle pourrait l'être avec Pablo en acteur principal ? Lui qui n'a eu de cesse de lui envoyer son homophobie à la figure. Lui qui l'insulte dans son journal. D'ailleurs, il aura de quoi lui renvoyer en pleine poire son hypocrisie la prochaine fois : c'est qui la coccinelle ? Il a beau aimer les hommes, ça ne lui viendrait jamais à l'esprit de se déguiser en femme et d'aller parodier une scène de séduction en prenant pour cible d'autres hommes. De la part de Seito et Nolan, il veut bien croire à une plaisanterie excentrique mais de la part de Pablo ? Cela ne peut lui laisser qu'un goût amer en bouche. « Ce n'était pas drôle. » lâche-t-il, le cœur alourdi. « Il y avait du monde autour. Du monde que je connais et croise tous les jours, ma petite sœur était dans la pièce. Ce n'était pas drôle, Seito. C'était humiliant. » Il soupire. La vérité révélée, il ne s'en sent malheureusement pas mieux. « Tout le monde nous regardait et... toi, tu t'amusais... Qu'est-ce que j'aurais dû dire ? J'aurais gâché ton après-midi si j avais dit quoique ce soit. De toute façon le mal était fait. Je suis passé pour un idiot, qu'ils arrêtent ensuite n'aurait rien changé. »

« T'es passé pour rien du tout. » Ses dents aspirent sa lèvre inférieure. Le japonais fait des efforts, de très gros efforts pour comprendre la logique d'une telle conclusion. Mais il n'a jamais réussi à se mettre à la place de qui que ce soit. Ses détracteurs ont raison, il est égoïste et aveugle. Il redresse le torse. Qu'il se soit amusé sonne comme un reproche. Il l'encaisse avec difficulté, la gorge sèche et le cœur lourd. « Tout le monde s'en foutait, tout le monde était déguisé. Il se serait rien passé de plus. Et t'aurais dû me dire. Ça aurait rien gâché Mathéo. T'aurais dû me dire parce que j'ai cru que... je sais pas c'que j'ai cru mais j't'ai attendu et t'es jamais revenu et je... Tu dis que c'était humiliant mais ça aussi, ça l'était. » Il souffle la dernière phrase à regret.

« J'aurais dû te le dire pour que tu me dises ça ? » tranche Mathéo, mécontent de constater que Seito balaye son ressenti plus rapidement qu'un robot ménager. Son cœur se serre. Voilà exactement pourquoi il ne lui aurait de toute façon rien dit. « Moi, je ne m'en foutais pas. Je suis désolé de ne pas avoir pu te prévenir correctement et de t'avoir fait défaut. Je suis désolé si c'était humiliant de m'attendre en vain. Je le suis vraiment, je pensais sincèrement que tu verrais mon message. Mais si tu veux que je te parle, Seito, il faudrait déjà que tu puisses m'écouter. » L'honnêteté vibre dans sa gorge mais il n'en retire aucun plaisir. Voilà une nouvelle vérité qui ne fait pas plus de bien que la première. Sourcils froncés, il ferme les yeux pour tenter de calmer les pulsations désordonnées de son cœur. C'en est presque blessant. Non... ça l'est. « Tes amis m'ont affiché devant tout le monde, sans prendre en considération que ça pourrait ne pas me plaire. Ce n'est pas le genre de "blague" que l'on fait à quelqu'un qu'on ne connaît pas assez. C'était déplacé dans tous les cas. » Et parce que ce coup de nettoyage le pique malgré tout, il ne peut retenir le reproche qui lui vient en conclusion: « Tu aurais dû savoir que ça ne me plairait pas. »

Seito ne fait rien comme il faut, n'a pas les bons mots pour apaiser, les bons mots pour détendre l'atmosphère. Il aimerait que Mathéo comprenne la peine qu'il a ressenti, l'indignation qui lui a soufflé le visage quand son petit-ami s'est éclipsé, la gêne d'être en couple mais de ne pas pouvoir en profiter comme ses amis. Et tout ça pour quoi ? Pour une blague qui n'est pas passée ? Une simple blague, certes un peu douteuse, mais qui ne mérite pas ce déferlement de méchancetés. Les larmes jaillissent dès lors que Mathéo le condamne. Ses lèvres tremblent. Sa respiration envahit la conversation, lourde et humide. Il ne le savait pas, ou peut-être que si mais il refuse de l'admettre. Il n'en sait rien, il ne sait pas grand chose, et à vrai dire, cela n'a pas vraiment d'importance. Mathéo a menti, Seito est coupable lui aussi, d'un crime bien plus grave. Et il en a marre de pleurer, même si c'est silencieux. Il en a marre de n'être qu'un pantin désarticulé.
Il est nul, si nul. Ses parents ne l'aiment pas, il n'a aucun avenir, ses notes fluctuent entre le pire et le moins pire, il recule pour mieux sauter mais ne saute jamais, il a peur d'aimer, peur de s'ouvrir complètement. Quand il le fait, les faiblesses ressortent. Elles se transforment en sangsues et lui aspirent toute joie de vivre. Et il a tout donné pour faire semblant ce soir mais là, il n'y arrive plus. Il n'arrive même plus à parler tellement il a mal. Et puis il ne s'agit pas de lui. Le monde ne tourne pas autour de lui, et il ne tourne pas rond. Et si Mathéo lui fait des reproches, elle sont forcément vraies. Ça y est, l'étudiant commence à comprendre ce qui rend le japonais détestable. Maintenant que la graine du doute est plantée, combien de temps avant qu'elle germe et balaye ces longs mois de jachère ?

« Seito ?... » demande Mathéo face au silence qui se fait bien trop long pour être normal. Ses complaintes tournent dans son ventre, réclamant justice. Pour une fois, juste une fois. Au moins venant de la personne qu'il aime. Il aimerait juste que ses sentiments soient entendus, eux aussi. Mais sans doute est-ce trop demander. Peut-être que c'est ça, le lourd secret derrière cette expression que sa grand-mère lui répétait ? "Etre un homme", est-ce que c'est ça que ça veut dire ? Est-ce qu'il faut nécessairement quelqu'un qui sacrifie ce qu'il ressent pour endosser les sentiments des autres autour ? Est-ce que c'est ce que son grand-père faisait ? Est-ce que c'est pour ça qu'il portait toujours cet air sérieux et sévère sur les photos de famille ? Soudain, ces belles photos qu'il admire prennent une nouvelle coloration. Pour la première fois, son cœur hésite. Il n'est pas certain de vouloir hériter de cet air dur. Pourtant, ne l'a-t-il pas déjà, au fond ? « Excuse-moi... » souffle-t-il, ravalant ce qu'il ressent. Est-ce qu'il a le choix de toute façon ? La vérité a un coût qu'il est encore moins sûr d'être prêt à payer.

Le papier toilette se déroule, Seito en arrache deux feuilles et absorbe toute cette eau sur ses joues gelées. Il finit par renifler, c'était inévitable. Et il s'en veut de se montrer si faible, si sensible. Mais c'est pire quand Mathéo s'excuse. Parce qu'il n'est même pas foutu de faire le premier pas alors qu'il aurait dû. Ce n'est pourtant pas si compliqué. Merde, merde, merde ! Sa main se crispe sur le téléphone.
Trois coups sonores sur la porte. La crise cardiaque le frôle.
« Ça fait mille ans que t'es là-dedans ! Y'en a qu'attendent ! »
Il s'était un peu redressé, alors il se remet sur la cuvette et rétorque : « Et alors ? T'attends et puis c'est tout ! »
Qu'est-ce qu'il doit dire à Mathéo ? Ah oui, des excuses.
« C'est à moi d'm'excuser. Je pensais pas que ça te plairait pas, j'ai pas vraiment pensé à toi. Ça me faisait marrer alors je l'ai fait mais je pensais pas que- »
A nouveau les coups sur la porte.
« Si tu sors pas, j'appelle un surveillant ! »
Seito fait les gros yeux. Il se lève prestement et enfonce la porte si fort que le garçon derrière se la mange dans le nez.
« AH MAIS PUTAIN, fais gaffe !
- Bah vas-y appelle-le ton surveillant. » crache-t-il en le défiant du regard. Le pauvre gars rétorque mais le japonais a déjà quitté les toilettes.
Il y a beaucoup de monde dans les couloirs. Tous reviennent du buffet d'Halloween. En se faufilant entre une licorne et un zombie, il remet le portable à son oreille.
« Pardon pour ça, on peut pas être tranquille... Attends deux secondes. » Il descend les escaliers quatre à quatre et pousse la porte du bâtiment des dortoirs pour se retrouver à l'air libre. « Mathéo, t'es toujours là ? Je suis vraiment désolé... Pour ça, pour ce soir et... pour te donner l'impression que j't'écoute pas. »

Mathéo tend l'oreille, la voix qui résonne au travers du téléphone n'est pas celle de son petit-ami. La sienne retentit en réponse, agressive. Il s'apprête à demander ce qu'il se passe quand Seito lui répond enfin, lui retournant ses excuses. Surpris, Mathéo se fait patient. C'est à son tour de garder le silence. Il semblerait que Seito se batte pour trouver un espace de tranquillité. L'idée d'essayer de temporiser sa discussion houleuse avec il ne sait quel malheureux lui traverse l'esprit mais il n'en fait rien. Il l'a entendu renifler tout à l'heure, est-ce qu'il pleurait ?... C'est bien plus important à résoudre, notamment parce qu'il ne comprend pas. Est-ce qu'il a loupé quelque chose ? Est-ce qu'il s'est montré plus froid qu'il n'en a l'impression ? Faire pleurer Seito est bien tout ce qu'il ne souhaite pas. Pensif, il sort du lit et profite du mouvement qui les sépare pour aller enfiler un gros sweat. « Il n'y a pas de problème... je patiente, ne t'en fais pas. » glisse-t-il en troquant son bas de pyjama pour un jean, téléphone coincé entre l'oreille et l'épaule. Trousseau de clé et porte-feuille dans les poches, il quitte sa chambre pour traverser le salon. « Je reviens plus tard. » chuchote-t-il à Evan et Nao qu'il croise en allant enfiler ses chaussures. « Oui, je suis toujours là. » répond-t-il depuis la cage d'escaliers. Il s'arrête entre deux marches en entendant Seito réitérer ses excuses. Son cœur se serre et ses yeux tombent sur ses pieds, attristés. C'est plus complexe qu'il n'y parait. Il n'est pas certain que Seito comprenne pour autant. Cependant, c'est gentil de sa part d'essayer. D'un « Hnn » qui signe son approbation, Mathéo accepte ses excuses. Il ajouterait bien que ce n'est pas grave mais ce serait mentir. Alors, à la place, il demande, reprenant sa descente : « Où est-ce que tu es ? C'est bientôt l'heure du couvre-feu... mais j'ai envie de te voir. Et pour en parler, ce serait mieux que le téléphone... »

Ce n'est qu'une impression. Parce qu'il écoute, Seito écoute tout le temps. Mais souvent, il a du mal à comprendre ce qui dérange les autres. Alors il se rebelle. Et c'est ça qui donne cette impression. Lui qui s'est battu plus d'un tiers de sa vie contre l'anéantissement de sa personne refuse de concevoir que ses réactions sont bel et bien répréhensibles. Et ce n'est pas étonnant puisqu'il n'a aucune idée de ce qu'il fait, la plupart du temps. Pris de court, Seito marmonne : « Devant les dortoirs. Mais t'es pas obligé de venir, tu sais... Et- » Il regarde l'heure brièvement : 22h42. Et abandonne sa phrase pour une plus simple : « J'vais à la grille. »

« D'accord, je te retrouve là-bas, je fais vite. » lance Mathéo avant de couper la conversation et dévaler ses escaliers.




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Comme un jour sans lumière | Ou un orage sans éclair | Emerger sans toi n'aura aucun sens.
Une route pleine de dangers, on adhère, alors... | Risquons tout pour s'accorder cette chance.
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Sam 26 Oct 2024 - 14:05
MERCREDI 31 OCTOBRE 2018



Co-écrit avec Mathéo Takahashi.

Vite, il ne ment pas. A peine dans la rue, il se met à courir. Leur temps est précieux et il passe vite, lui aussi. Heureusement, son immeuble n'est pas très loin mais ça ne l'empêche pas d'arriver essoufflé de sa course. Il se tient un instant à la grille pour récupérer, ce maudit souffle ne lui fera jamais la fleur de se laisser maîtriser. « Je... » tente-t-il en levant les yeux sur Seito. Il lui faut encore quelques secondes pour s'en remettre mais le temps défile, lui n'a pas besoin de souffle. Alors, pour le contrer, il compense son manque de mots par un geste. D'une main, il attrape le poignet de Seito et le tire, l'attire dans ses bras. Oui, ils sont devant la grille du campus. Le couvre-feu approche et des yeux curieux pourraient s'intéresser à eux. Ça lui fait toujours peur, d'être découvert, mais cette peur ne vaut pas grand chose face aux yeux rougis de son petit-ami. Il le serre un peu plus fort dans ses bras. « ... Qu'est-ce que tu as cru ? » demande-t-il, le nez dans ses cheveux. Dans sa course effrénée, il avait tout de même eu le temps de réfléchir. Il ne sait pas pourquoi Seito pleurait, ni même s'il en est vraiment responsable, mais en retournant la conversation dans sa tête, il s'était rendu compte que c'était la seule chose qu'il n'avait pas relevé jusque là.

Seito arrive évidemment avant Mathéo devant la grille, quoi que de pas beaucoup. L'étudiant a couru, pour lui ? Il le regarde d'un air ahuri, ce qui, avec ses yeux gonflés, ses joues à moitié sèches et son t-shirt débraillé, complète un tableau peu reluisant. Il frissonne, le laisse reprendre son souffle mais ne force pas le dialogue ou n'initie pas le moindre contact. Sans doute la peur de marcher sur des tessons de verre à nouveau et d'être définitivement catalogué comme la pire des enflures. Ce sentiment ne disparaît pas dans les bras de Mathéo mais il se calme. A peine son nez s'est enfoui dans son t-shirt et qu'il en inspire toutes les effluves, que ses larmes reprennent. Il secoue la tête, refuse de répondre à la question. « On s'en fout de moi. » souffle-t-il entre ses dents. Ses doigts agrippent timidement le bas du dos de son petit-ami, comme s'il ne méritait pas vraiment ce câlin – il ne le mérite pas –, comme s'il avait peur que Mathéo ne soit qu'une illusion. « Je suis désolé Mathéo. P-parle-moi de toi, dis-moi des choses, j-je t'écoute, j'te jure que je t'écoute. »

Mathéo lui frotte tendrement le dos, la tête qui s'abandonne sur la sienne. Son cœur brûle, ses mains sont moites. Il ne comprend pas pourquoi Seito se retrouve dans cet état et ça l'inquiète. Comment soulager sa peine s'il n'est pas capable d'en comprendre l'origine ? La gorge serrée, il tente d'attirer son attention. « Seito... » Gentiment, il vient chercher son menton pour lui redresser la tête. Sa tristesse rejoint celle qui coule du fond des yeux de son petit-ami. « Ça ne fonctionne pas comme ça... » souffle-t-il, à voix basse, le ton bienveillant. « Ce n'est pas l'un ou l'autre. On est deux, on doit s'écouter mutuellement. » souligne-t-il en lui caressant le bout du nez du pouce. « Viens là... » Un baiser déposé sur le front et il se détache. Ses bras quittent ses manches et il ôte son pull, laissant à découvert son T-shirt blanc, qui d'ordinaire lui sert de pyjama. Ses mains écartent l'encolure pour en libérer l'accès et il y passe la tête de Seito, refusant toute tentative de rébellion. « Tu as dit que tu m'écoutais, non ? Alors écoute-moi. Mets ça, tu vas attraper froid. Moi, je viens de courir, j'ai encore chaud. » Il le laisse investir les lieux en tirant un peu dessus pour lui donner forme, puis le prend par la main et l'emmène un peu plus loin. Des couche-tards arrivent pour passer le cap de l'entrée, il risque d'en arriver d autres à mesure que l'heure fatidique approche. Sans trop s'éloigner, il leur trouve un endroit plus tranquille. « Je t'explique et tu m'expliques ensuite, d'accord ? » demande-t-il, tout en gardant sa main dans la sienne.

Et pourquoi ça ne se pourrait pas ? Qui a instauré ces règles ? Qui a décidé que ce serait comme ça et pas autrement ? Pourquoi n’y a-t-il qu’une solution au problème et pourquoi n’est-il pas foutu de la trouver ? Il faut encore que Mathéo lui mâche le travail, lui explique la vie, celle qu’il a raté, les codes, ceux qu’il bafoue. Malgré tout, Seito vient quand il lui commande. Il se laisse manipuler. Les fils sont lâches mais il est aisé de tirer dessus. Petite marionnette lève les bras, petite marionnette enfile le pull.
Et surtout, petite marionnette écoute.
Il hoche simplement la tête mais ses doigts font pression dans la paume de Mathéo.

Tendrement, le pouce de l’étudiant caresse sa main. Mathéo prend une grande inspiration, il lui faut rassembler ses idées, se concentrer. A vrai dire, lui-même ne sait pas comment s'expliquer. « ... Je n'aime pas attirer l'attention. » commence-t-il. « Quand je suis arrivé au Japon, toute l'attention était sur moi et ce n'était pas une bonne chose. On me surveillait, on me jugeait, on se moquait. Quoique je faisais, il y avait toujours quelqu'un pour me le reprocher et amener les autres avec lui. Les autres élèves, les professeurs ou même les parents d'élèves. J'ai tout fait pour qu'on m'oublie et qu'on oublie que j'étais différent. Depuis, je me fais discret, je reste dans mon coin et je fais comme je peux pour m'entendre avec tout le monde, éviter les conflits inutiles. Au moins comme ça, je suis tranquille. Alors, je n'apprécie pas qu'on se moque de moi devant tout le monde et qu'on ramène l'attention sur moi de cette manière. Je me suis senti ridiculisé. Même si les autres autour ont déjà oublié, moi non et sûrement qu'il y aura quelqu'un pour se moquer en me le rappelant un jour, sous couvert de plaisanterie. » Ses épaules s’affaissent légèrement tandis qu'il avoue : « ... Pablo et Nolan étaient déguisés en femmes et... je ne pense pas qu'ils en aient eu l'intention mais... », encore que pour Pablo rien n est moins sûr se dit-il, « mais je ne peux pas m'empêcher de me demander si, même inconsciemment, ce n'est pas parce qu'ils savent que je suis avec toi qu'ils ont choisi de m'embêter moi. » Il soupire, ses sourcils se froncent en repensant à l'insulte de Pablo. Coccinelle. Il n'y a rien de pire pour lui. « Parce qu'ils savaient forcément que ça me mettrait mal à l'aise. Il n'y a rien de drôle à ça. Pour n'importe quel garçon leur comportement aurait été gênant mais on leur aurait renvoyé leur supercherie à la figure en riant dans le pire des cas. Des hommes qui se déguisent en femmes et les imitent de manière stéréotypée, tu sais pourquoi ça fait rire, Seito ? Parce que dans la vraie vie, les personnes comme ça font tout sauf rire. On les insulte. Et pour moi qui aime les hommes, leur blague prend une autre tournure... Je ne vois pas des garçons qui s'amusent à se travestir pour faire rire la galerie et viennent me faire leur numéro. Je vois deux hommes qui viennent se moquer de moi. Parce que ça reste deux hommes, qui viennent m'accoster moi, qui aime les hommes. Et ils se sont permis de le faire uniquement parce qu'ils étaient protégés sous leur déguisement. Sans lui, jamais ils n'auraient trouvé ça amusant. Parce qu'être gay, ça n'a rien d'amusant pour un homme qui ne l'est pas. Et c'est ça qui est humiliant, qu'ils en fassent un jeu. »

Prudemment, le regard de Seito coule de son torse à ses lèvres, puis de ses lèvres à ses yeux que ses révélations éclairent d'une triste vérité. Les mots s'enchaînent et s'entrechoquent, ils sont nombreux, ils sont lourds et gluants. Ils reprennent leur droit et prennent plus de place encore après avoir été tus dans la foule, tus devant lui caché comme un idiot derrière cet éventail. A la lumière de ces évidences, Seito se sent très con. Parce qu'il savait un peu tout ça, ça ne sort pas de nulle part, mais il l'avait relégué au second plan préférant bêtises et sucreries. Par pur égoïsme une fois de plus, car en masquant sa vie derrière des subterfuges, il finit par masquer les autres, leurs vies, leurs fêlures jusqu'à les reléguer à l'insignifiance.
Cependant, il n'est pas d'accord avec tout. Il n'aime pas l'étiquette que Mathéo colle sur le dos de Pablo et Nolan. Cette soirée était un jeu, oui, au même titre que beaucoup d'autres fois où Seito rit et s'amuse d'un rien et surtout de tout. Il est responsable autant que ses meilleurs amis. Sauf qu'il ne s'est pas dandiné, il n'a pas dragué qui que ce soit, il n'a pas gloussé comme un dindon. Il s'est juste maquillé et soudain le monde autour de lui s'est transformé. Parce soudain, il n'était plus Mori Seito. Et ça lui a fait du bien de ne pas être lui, un poids en moins qui avait été supplanté par trois nouveaux quand Mathéo avait choisi la fuite sans qu'il en comprenne la raison.
Maintenant, les raisons sont avouées. Elles flottent entre eux, presque solides et seules leurs paumes réchauffent le lien qui les unit. De sa main libre, il tente de chasser les larmes qui lui obstruent les yeux. Il a besoin d'avoir une vision claire pour répondre correctement, même si cela n'a aucune corrélation.
« Ils ont pas voulu te blesser. »
Voilà, une première vérité rétablie.
« Moi non plus. »
Une seconde, très importante elle aussi.
« On a pas voulu imiter qui qu'ce soit, on a pas voulu se moquer. Et surtout pas de toi. C'était toi parce que... » C'est là où ça devient délicat. Là où il se pointe du doigt. « Parce qu'on est ensemble alors ils t'ont inclus dans leur délire. Alors ouais, ils sont gênants, ils sont cons mais j'suis pareil. Sinon on serait pas amis. Si tu penses qu'ils ont un problème avec... nous, tu t'trompes. Tout ça, c'était qu'une blague et s'ils l'ont fait, c'est aussi parce qu'ils ont vu que ça m'emmerdait pas. Alors, leur en veux pas... s'il te plaît. » Ses yeux tombent au sol tandis que ses doigts sautent dans le vide en se détachant.

Les doigts laissés seuls, la main de Mathéo épouse la fraîcheur de l'air ambiant. Une part de lui voudrait réclamer celle de Seito mais il n'ose pas faire de réclamation. Pour combler la perte de chaleur qui lui soutenait le cœur, il plonge sa main dans la poche de son jean. Inaccessible, protégée, elle ne risque plus d'être abandonnée. Et lui, est-ce qu'il devrait abandonner ? Sa réponse se fait attendre alors que les secondes défilent et qu'il ne leur reste plus beaucoup de temps mais il ne sait pas comment gérer la frustration et la colère qui lui montent à la gorge. Pire, il se connaît suffisamment pour savoir que ça ne donnera rien de bon s'il essaye. Le problème, c'est qu'il n'y croit pas. Il ne peut pas y croire tant qu'il y a Pablo dans l'équation. Tout comme il ne peut pas croire que leur couple ne le dérange pas. Il sait que c'est faux, il l'a lu. Comme lui, Pablo prend sur lui, parce que tout comme lui, il sait que les dégâts seraient trop sévères s'il disait la vérité. Mathéo le sait mais ne rien pouvoir dire lui pèse de plus en plus. Son cœur se noie dans un sentiment d'injustice. C'est injuste... mais il n'a pas le choix. Il doit faire avec la possibilité que Seito ne puisse jamais comprendre ses craintes, qu'il puisse même penser à tord qu'il se prend trop la tête. Peut-être même qu'il en fait trop. Tant pis s'il n'en fait en réalité pas assez. Tant pis s'il a l'impression de devoir s'essuyer les pieds sur le peu de dignité qui lui reste. Il ne peut rien dire. S'il insistait à se faire entendre, il serait contraint d'avouer ce qu'il s'est passé à la Saint Valentin avec Pablo, contraint de parler du journal qu'il a lu alors qu'il était intime. Dans tous les cas, il serait le grand perdant de l'histoire. Seito serait blessé et il lui en voudrait sûrement. Il préfère prendre sur lui, même s'il sait que ce n'est pas une bonne chose. Et, pour la première fois depuis qu'il l'a faite : il trahit sa promesse et ment. « D'accord... »
Son mensonge se limite à ce simple mot mais il n'en reste pas moins gigantesque parce que d'accord, il ne l'est absolument pas. Il inspire profondément pour ravaler la boule d'anxiété et de tristesse qui lui remonte à la gorge. Sûrement que pour être plausible, il devrait s'excuser d'avoir mal compris mais c'est là au-dessus de ses forces. Il ne peut que changer de sujet : « ... Et toi, qu'est-ce que tu as cru ? »

D'accord. D'accord ? Comment ça d'accord ? Juste comme ça ? C'est vraiment aussi simple que ça d'être compris, d'être cru ? Non, Seito n'y croit pas. Et ça le foudroie parce qu'il a la certitude que Mathéo lui ment. Ses pupilles reviennent sur lui, le détaillent silencieusement. Oui, il lui ment. Ce qui n'a aucun sens à moins que... à moins qu'il ne lui fasse pas confiance, que malgré son affirmation, il ne le croit pas capable d'écouter. Pire que ça : il doit à présent se dire que le japonais est de mèche, qu'il voulait vraiment l'humilier, qu'il ne l'aime pas vraiment - après tout, il ne lui a jamais dit qu'il l'aimait -, qu'eux deux c'est improbable que ça tienne encore, parce que oui, ça l'est, improbable.
Alors pour toutes ces raisons, Seito réitère son postulat de départ. « C'est pas important c'que j'ai cru. » Le gardien à la grille semble d'accord puisqu'il presse les retardataires. C'est sûrement comme ça tous les soirs, les gens frôlent avec l'interdit et frissonnent en passant la grille à temps. Ses doigts auraient aimé retrouver les siens mais il constate qu'ils ne sont plus à portée. A la place, il cherche à alpaguer ses yeux. « J'ferai plus attention. J'veux pas qu'tu crois que j'm'en fous de toi. Parce que j'm'en fous pas. »
Le gardien l'apostrophe. Oui, il arrive ! Juste une minute de plus. Une toute petite minute. Il expire. « J'dois y aller mais... J'arrive ! » Mais bon sang, est-ce qu'on va le laisser vivre deux secondes ? Seito roule des yeux, heureusement le gardien ne le voit pas, et il pivote à nouveau vers Mathéo à qui il souffle : « J'garde ton pull en otage. » L'adolescent fait deux pas en arrière pour amorcer son départ.

Mathéo jette un œil au gardien, leur voler les précieuses et dernières secondes qu'il leur reste est criminel mais ils sont bien obligés de se soumettre au règlement. « Fais attention, il a déjà un syndrome de Stockholm. » lance-t-il, voulant plaisanter, bien que le sourire n'y est pas. « Mais Seito... Pour moi c'est important. Écris-le moi, s'il te plaît. » demande-t-il en désespoir de cause. Le gardien insiste davantage et Mathéo retient de diriger son regard noir sur lui. Jamais il n'aurait cru le trouver si agaçant. « Merci d'être venu et de m'avoir écouté... » Il ne peut pas l'embrasser malgré l'envie, alors il lui ébouriffe le haut du crâne affectueusement à la place. « Passe une bonne nuit, je t'aime. » souffle-t-il, les derniers mots en français.

Seito rentre le cou mais ne se retire pas avant la main de Mathéo. Dès qu'il redresse la tête, ses yeux luisent d'une intensité retrouvée. « T'as pas à m'remercier. C'est c'que j'aurais dû faire depuis l'début. »
L'écouter. Un sourire refait surface, léger mais significatif. Tout bas, pour que personne d'autre que Mathéo n'entende, il glisse : « Avec ça, c'est presque comme si j'dormais avec toi. » Le japonais parle du pull qu'il a sur le dos. Les mains à moitié recouvertes par le bout des manches, il les approche de son visage et prend une grande inspiration. C'est mieux que rien mais il pourra dormir correctement ce soir, sans cauchemar. Et c'est avec cette pensée rassurante qu'il pivote et s'engouffre derrière la grille, non sans recevoir le commentaire agacé du gardien.
Sur le chemin du retour vers le dortoir, il sort son téléphone et consent à livrer un élément de réponse. Puisque, apparemment, c'est important.
J'ai cru que t'étais malade.
Il envoie et soupire, les deux pouces toujours au-dessus de l'écran tactile. Et puis merde, lui au moins sera honnête jusqu'au bout.
Et après j'ai cru que te voir en vampire serait la dernière fois où j'te voyais.

Finalement, Seito aura réussi à lui soutirer un sourire. L'imaginer dormir avec son pull réchauffe son cœur, le voir respirer son odeur le réanime. Doucement, il reprend ses pas de danse habituels. Si seulement il pouvait l'embrasser... Ses yeux s'agrippent à lui tandis qu'il s'éloigne, il le regarde rétrécir au loin jusqu'à disparaître. Une grande inspiration suffit à lui faire retrouver ses esprits, il a froid, il ferait bien de rentrer lui aussi. Sur la route, il lit le sms de Seito et y répond tandis qu'il reçoit le suivant.
Je suis désolé de t'avoir inquiété.
À la lecture du deuxième sms, en revanche, c'est le choc. Il s'arrête. Quels éléments ont bien pu le mener à cette conclusion ??
Avec tous mes je t'aime, je pensais que tu saurais que tu ne peux pas te débarrasser de moi aussi facilement. Pour cette vie et au moins les deux prochaines...
Il choisit de répondre sous couvert d'humour tant l'idée le rend anxieux. Ne plus être en mesure de le revoir lui est inconcevable. Que Seito puisse ne serait-ce que l'imaginer l'inquiète.
Tu as peur que je disparaisse ?

Seito se dépêche de rentrer dans sa chambre. Ce serait dommage d'avoir une heure de colle alors qu'il a fait attention au couvre-feu. Une fois dans son lit, il se mord la lèvre. A nouveau l'angoisse lui serre la gorge. Il se recroqueville sous sa couette et recouvre son nez avec le haut du pull.
Oui.
Tout le temps.


De retour dans sa cage d'escalier, Mathéo s’assoit sur l'une de ses nombreuses marches. Son corps a besoin d'un instant pour essuyer cette révélation. Des milliers de questions lui traversent l'esprit. A-t-il fait ou dit quelque chose qui aurait pu inquiéter Seito avant aujourd'hui ? Pourquoi cette crainte ? Et surtout : pourquoi semble-t-elle omniprésente, telle une ombre qui ne le quitte jamais ? Sur l'écran, ses doigts tapotent nerveusement. Au fond, tout se résume à un :
Pourquoi ?
Auquel il ne peut se retenir d'ajouter :
Je n'ai pas l'intention de disparaître de ta vie. Je veux en partager autant de temps que possible.

C'est évident pourtant. Seito lui a parlé de sa sœur, mais pas en détail alors Mathéo ne peut pas comprendre ce qui le terrifie. Il ne lui a pas non plus parlé de l'anniversaire manqué de sa sœur et du sien qui arrive dans dix jours et dont il n'a pas encore de nouvelles. Pas plus qu'il ne lui a mentionné son absence de contact avec ses parents depuis juillet. Parce qu'alors il devrait lui dire pourquoi tous ses reproches le font pleurer et comme il a mal au cœur souvent tant il bataille avec l'anxiété. Même quand Mathéo essaye de le rassurer comme maintenant, ça remue, ça palpite et ça hésite à croire. Alors, en réalisant qu'aucun d'eux ne se fait confiance, la noirceur grossit et encre chaque étincelle de bonheur d'une ombre monstrueuse.
Parce qu'un roi peut pas tomber amoureux de moi.

La réponse de Mathéo ne se fait pas attendre. Aussitôt reçue, il envoie sa réponse, le cœur lourd.
Alors laisse moi rendre ma couronne. Si un roi ne peut pas tomber amoureux de toi, je préfère ne pas être roi.

Seito resserre le tissu contre lui, très fort. Il ne dira pas que c'est impossible, que Mathéo brille d'une aura si céleste que rien, et surtout pas lui, ne pourrait le destituer, qu'il préfère encore disparaître lui plutôt que de le voir se traîner dans la boue à ses côtés.
Avant ça, je veux manger mes bonbons d'Halloween avec toi.

Mathéo laisse son front reposer contre la rembarde de l'escalier, presque sonné. Dans ces échanges de sms résident des mystères dont il ne connaît rien mais qui lui tordent le ventre. Si seulement Seito pouvait se voir avec ses yeux... il verrait comme c'est lui qui est chanceux d'avoir son amour. Le souffle bloqué, il écrit d'une traite sa réponse, ne respirant de nouveau que lorsqu'il clique sur le bouton Envoyer.
Je t'aime, Seito. Il n'y a pas grand chose que je peux t'assurer mais ça je peux. Je t'aime comme je n'ai jamais aimé personne et je suis heureux de t'avoir dans ma vie. Et, surtout, je t'aime comme tu es. En Roi d'un royaume imaginaire, en super-héros, en président de club, en lycéen qui étudie pour réussir son année ou en lycéen qui en a marre d'étudier, avec ou sans bonnes notes, en joie ou en colère, triste ou créatif, avec ses problèmes et même déguisé en jolie femme. Peu importe que je le puisse ou pas, je suis déjà amoureux de toi de toute façon.
Il ferme les yeux un instant, espérant calmer son cœur troublé, avant d'envoyer la suite.
Ps: moi aussi je veux les manger avec toi.
Prenant appui sur la rembarde, il se relève. Ce simple souhait partagé sonne comme le plus beau des je t'aime. Soudain, la réaction de Seito ce soir lui apparaît sous un jour nouveau. Il se sent coupable en remontant jusqu'à chez lui.
Pardonne-moi de ne pas avoir été là pour les partager avec toi tout à l'heure. Je pensais que je te gênerais alors que tu t'amusais avec tes amis... Je suis idiot, désolé.

Dans le pull de Mathéo, Seito a chaud. Ses mots amoureux lui caressent le cœur et il le sent ronronner dans sa poitrine. Il inspire les mailles, en ressort sa première réponse.
Tu sens bon.
Puis il entrouvre légèrement les yeux. Son petit-ami a enfin compris qu'il ne souhaitait qu'une chose : célébrer Halloween avec lui en mangeant des bonbons. Il en aura mis du temps...
Et tu me gênes jamais. Parce que t'as oublié un truc en me décrivant.
J'suis ton copain.


En rentrant chez lui, les yeux rivés sur son portable, Mathéo rougit. Son cœur bondit. Heureux, il fait des loopings dans sa poitrine. Revoir Seito emmitouflé dans son pull et le sentir pour en capturer son odeur fait grimper sa température. C'est stupide, il se le répète en retirant ses chaussures pour rejoindre sa chambre, mais il aime cruellement imaginer son odeur se poser sur la sienne. Lui qui s'était déjà découvert une légère possessivité, voilà qu'il s'avérait aussi être plus territorial qu'il ne le pensait. En se jetant dans son lit, il ne peut s'empêcher de se targuer d'animal, tout de même honteux. Heureusement, le dernier sms du lycéen l'empêche de débattre avec lui-même sur la question. Il capture toute son attention, berçant tendrement son cœur agité. Oui, c'est vrai, Seito est son copain. Mais l'évidence n'en est pas toujours une. Il avait beau avoir enregistré l'info, il n'était pas tout à fait certain du degré d'importance que cela pouvait lui offrir, comparé à celle que Seito donnait déjà aux autres. Glissant entre ses draps, Mathéo réalise que jusqu'ici une part de lui s'était toujours sentie illégitime. Heureusement, il suffit de cette simple phrase qu'il relit encore et en cœur pour valider celle-ci.
Allongé sous sa couette, il s'enregistre. « ... Je t'aime. » murmure-t-il, les yeux emplie de cet amour qui déborde de ses mots. La vidéo en capte le moindre détail : ses joues rougies, le sourire timide dessiné sur ses lèvres, le bonheur dans son regard, même cette petite lueur de satisfaction qui lui traverse les yeux en étoile filante.
Mets tes écouteurs, prévient-il avant d'envoyer sa vidéo. C'est fou, complètement fou. Si par malheur quelqu'un tombait dessus, ils seraient tous les deux en danger. Pourtant, il sombre complètement dans cette folie. La vidéo, gage de sa confiance, s’envoie. Une fois qu'il est assuré de sa transmission, il ajoute à l'écrit :
Je tâcherai de m'en souvenir ; ) mais rappelle le moi de temps en temps, j'aime bien.

Seito s'extirpe du lit à contre-cœur pour finalement trouver ses écouteurs en moulon dans la poche avant de son sac. Il retourne bien vite sous la couette, les enfonce dans ses oreilles et joue la vidéo. Le visage de Mathéo apparaît, ça le fait sourire. Son murmure, lui, clôt ses yeux. Il bascule sur le côté, vers le mur et réécoute plusieurs fois ce Je t'aime jusqu'à en mémoriser la respiration. Quand il rouvre à moitié les yeux, une certitude le tenaille : l'envie de revoir Mathéo.
A demain ?

Sourire d'amour sur les lèvres, l'étudiant répond le cœur apaisé, avant de clore les yeux. Pour une fois, il va dormir tôt.
A demain et tous les autres demain. Dors bien ❤

Son portable échoue sur le matelas alors qu'il réécoute encore une fois le Je t'aime. Ses dents choppent la chair de sa lèvre et le soulagement colore ses joues de douceur. L'encolure du pull lui sert à nouveau de cache-nez. Seito quitte ses écouteurs et ferme les yeux. Sous ses paupières, Satôkuni célèbre d'une pluie de Konpeito l'amour de ses rois.


#terminé




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[FB] La maturité c'est quand t'es censé te mettre en colère mais que tu choisis de comprendre 75366_s
Comme un jour sans lumière | Ou un orage sans éclair | Emerger sans toi n'aura aucun sens.
Une route pleine de dangers, on adhère, alors... | Risquons tout pour s'accorder cette chance.
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