#Lowcaloriesdrinks | Kaoru

Kobe, samedi 3 novembre, le Starbucks du centre commercial

Le vent de novembre s’est levé. À peine trois jours de ce mois de malheur, et il fait déjà super froid. Même dans les rues, c’est un temps de déprime. Il reste encore quelques fantômes et citrouilles d’Halloween, mais elles ont comme un air dépassé. Pour Irumi, il n’existe rien de pire que ce mois, entre la chaleur de la cannelle et les lumières de noël. Rien de pire, mais il y a bien une chose qui peut la réconforter : la sucrosité d’un Pumpkin Spice Latte (marque déposée).

Elle a bien essayé d’en faire chez elle, mais celui de Starbucks a un petit quelque chose qu’elle ne saurait décrire. Alors, oui. Il serait bien plus intelligent de boycotter la marque. Irumi sait combien Starbucks est mauvais pour la planète. Des pailles par-ci, des gobelets par-là… Elle pourrait bien en acheter un solide pour limiter la casse ! Mais c’est trop cher, et à chaque fois elle se promet de ne pas craquer. Et à chaque fois elle craque.

Ce n’est quand même pas de sa faute si novembre est aussi déprimant !

Un Pumpkin Spice Latte, s’il-vous plaît ?
Venti ? Avec la chantilly ?
Hmmm…

Il y a des choix bien plus compliqués que d’autres. Et celui de la chantilly est l’un des plus durs. Un Pumpkin Spice Latte avec la chantilly, en grande taille, c’est 470 calories. L’équivalent d’un repas pour Irumi. Les années de stage à Sony Music Entertainement, ça l’a conditionnée. Elle n’est plus capable de voir un aliment sans le petit astérisque qui renvoie en bas de page : il serait bien plus raisonnable de prendre un Americano, à 15 calories pour la même taille… Allez foutu pour foutu.

Venti, avec de la chantilly.

Starbucks est l’enfer sur terre. Le lieu de toutes les ruines. Irumi attend sagement qu’on l’appelle et qu’on écorche son nom :

Miyumi ?
Oui, c’est moi.

Puis, se cherche une place. Y’a pas à dire, ils sont forts Starbucks. Dès que la température descend, tout le monde s’enferme dans le café. Même pas du bon café. Même pas un café mignon. Juste, c’est pratique, et il y a cette impression de réconfort.

Une première gorgée.

Oh p’tain que c’est sucré. P’tain que c’est bon aussi. Le genre de petit plaisir qu’on voudrait ne pas avoir coupable, mais qui l’est. Une autre gorgée, et encore une autre. Irumi n’est pas capable de profiter tranquillement de sa boisson, elle la boit comme du petit lait. Et merde ! Elle va en vouloir un second après. Non, pas possible ! D’un revers de main, elle repousse l’objet du mal (la cup en plastique), et commence sa deuxième activité préférée à Starbucks : regarder les gens, et s’imaginer leur vie.

D’abord, y’a un mec, avec sa guitare. Il a l’air d’un gamin plein de rêves. Le genre à qui ressemblait Irumi quand elle était adolescente. Les cheveux mal coiffés, et les vêtements troués. Elle pensait avoir l’air grudge, elle avait juste l’air stupide. Surtout qu’au final, elle n’est jamais devenue musicienne. Ce sont les filles mignonnes qui deviennent idoles. À côté de lui, une fille timide, les cheveux bien coiffés. Le remake de la chanson d’Avril Lavigne, c’est mignon. Elle a un Pumpkin Spice Latte, comme elle… Arg. Aucune originalité.

Et puis, sur la table à côté, y’a une blonde. Une jolie blonde. Pas le genre naturel, mais belle quand même. On voit qu’elle prend soin d’elle, y’a pas à dire. Sa peau est nickele, y’a pas un bouton, et ses lèvres bien hydratées. C’est le genre à attendre pour un date, ou à être là pour faire la belle, Irumi a encore bien du mal à le dire.

Puis, la gamine sort un téléphone, et se prend en selfie. Ah ! Une influenceuse. Aujourd’hui, c’est ce genre de filles qui devient idole. C’est que ça fait vendre, ça a déjà un public conquis. Irumi se demande le nombre d’abonnés que peut avoir cette fille sur sa page insta. Les réseaux, elle connaît. En tant que manager, elle a dû gérer au quotidien ceux de ses idoles. Pas question de mettre n’importe quoi, et faut faire le buzz ! Si la prof de danse n’est pas non plus community manager, elle commence à connaître les petits tips. Alors quand elle voit l’angle du téléphone, elle se transforme justicière.

Elle se rapproche de la blonde. Un Pink Drink, 98 calories, elle prend soin de son corps et de sa ligne. Certainement quelqu’un qui commence à avoir une petite réputation ! Elle se permet de s’asseoir à la table et lui dit, souriante :

Fais pas comme ça, ta photo. La lumière est nulle dans ce Starbucks, et avec ta caméra frontale, ça va rendre ton visage tout plat. Tu veux que j’t’aide ?

La blondinette ne semble pas ravie de se faire interrompre. Pas ravie du tout, même. Là voilà lever le menton et hausser le sourcil droit. Oui, oui, le sourcil droit. Peut-être même qu’elle ne s’en rend pas compte, mais Irumi le voit. Elle la prend de haut, la gamine. Sûrement de ceux qui oublient que les adultes aussi ont un travail, et doivent bien utiliser les réseaux sociaux pour ceux-ci. Mademoiselle pense que l’influence est réservée aux p’tits minauds ? Elle se met le doigt dans l'œil jusqu’à la fovéa (aïe).

Une experte ?

Elle s'assoit et sirote son Pumpkin Spice Latte, un léger sourire aux lèvres. C’est le moment de se mettre en avant, de montrer tout ce qu’elle a appris ces dernières années, et pourquoi pas, mettre des étoiles plein les yeux de la gamine devant elle ?

Irumi le sait, ce n’est pas sain de prendre plaisir à se vanter de ses succès. Mais après tout, elle n’a pas bossé comme une forcenée pendant sept ans pour ne jamais s’en servir. Peut-être qu’elle n’a jamais pu être idole, mais elle en a côtoyé de très près. De très, très, très près.  

Elle cherche sur son application Instagram, le compte du groupe d’idoles qu’elle a managé, et tend son téléphone à la blondinette. Il est écrit sur le compte : “5.1M followers”. Irumi n’est pas peu fière, mais n’attend pas vraiment la réaction de l’adolescente et lui explique :

Je me suis occupée de leurs réseaux sociaux pendant sept ans. Je ne sais pas si je suis “experte”, Mademoiselle. Emphase sur le “Mademoiselle”. Mais on peut dire que je m’y connais.

Irumi aimerait bien voir la page de la demoiselle, pour voir son style et ce qu’elle veut montrer d’elle, mais elle ne le demande pas encore. Il faut d’abord qu’elle fasse ses preuves. Alors, elle se met à la diriger, comme elle le faisait pour Makoto :

La lumière, ça se gère. Mais pour ça, on va préférer la caméra au dos. Elle a de meilleures performances, et on peut baisser le diaphragme, tu vois, comme ça. Irumi montre sur son propre téléphone les réglages. Tu peux commander un verre d’eau en plus, pour pouvoir l’utiliser comme trépied, le temps de t’en acheter un. Tu le retournes, pour avoir un meilleur angle et mettre en valeur ta jolie boisson, tu actives l’autofocus, le timer et…

Irumi utilise le Pink Drink de Kaoru comme trépied, fait son plus joli sourire, puis tend la photo.

J’suis pas mannequin, mais tu peux imaginer l'image que ça donnerait avec toi dessus, non ?

Les chiffres, ça fonctionne toujours. Même si à l’école, on les déteste, les mathématiques sont de puissantes armes. Quelques millions (de yens, de followers, ou quoi que ce soit d’autre), et le monde est à nos pieds. Même si la blondinette fait sa fière, elle est comme tout le monde. Et il suffit de chiffres pour l’intéresser. De chiffre, et d’une jolie photographie.

En réalité, même si Irumi n’est pas modeste, c’est loin d’être sa plus belle œuvre. L'œil aguerri, elle voit que l’angle du cadre n’est pas complètement droit, et que ses yeux sont un peu ternes. Il suffirait de quelques retouches, pour rendre le tout plus cohérent. Rien de bien grave, elle n’est pas du genre à effacer le grain de sa peau et à changer la forme de son nez. Juste, jouer de la lumière. C’est fou comme Lightroom peut faire des miracles.

Elle s’apprête à proposer son aide, mais Kaoru la coupe.

Pourquoi pas. Le carrot cake est plutôt pas mal, ici.

Si vous faites bien quelque chose, ne le faites jamais gratuitement. En réalité, Irumi s’en fiche de cet adage, mais elle n’est pas contre une petite pâtisserie. Foutu pour foutu, qu’on a dit. On travaille mieux avec une tonne de sucre dans le sang, ça réveille.

Elle ne bronche pas quand la gamine se lève et revient avec le gâteau. Elle se contente de la remercier, comme si tout était complètement normal. Si Kaoru n’avait rien proposé, Irumi l’aurait quand même aidé. C’est le métier de manager, ça. Il y a des réflexes dont on ne se sépare pas.

Si Irumi s’intéresse à Kaoru, c’est parce qu’elle y voit une étoile. Une petite pépite. Quelque chose qui a du talent, et qui pourrait fonctionner. Elle ne gagnerait rien à l’aider, sauf de la fierté. Celle d’avoir découvert la nouvelle petite plante du moment. Et pour qu’une plante fleurisse, il faut l’arroser.

Tu voudrais qu’on améliore la photo ? Je suis sûre qu’on peut faire encore mieux.

Et sans photographe attitré. Irumi ne souhaite pas devenir indispensable, bien au contraire. Son rôle est de rendre son idole autonome, pour qu’elle puisse briller par elle-même.

Son précieux…

Son précieux carrot cake. Le gâteau du paradis. Le doux mélange entre la sucrosité et les épices. Difficile de croire qu’il est fait à base de carottes. Parfois, ça donne à Irumi l’impression de manger light. Après tout, quand on veut perdre du poids, on teste tous types de recettes : fondant au chocolat courgettes, cookies avec des pois chiches. Donc pourquoi pas le carrot cake ? Oublions la tonne de sucre, de beurre, et de E358machin-chose…

Mais, il faut rester classe. Alors, quand Kaoru tend le sublime gâteau, elle se contente d’un simple : Merci.

Elle ne croque pas tout de suite dans la part, il faut savoir gérer le suspens et retarder le plaisir. Surtout, prouver que ce paiement n’est pas vain. Pas question de laisser la gamine sans conseils. En réalité, Irumi aurait pu même se passer de (sucré) salaire. C’est une forme de fierté managériale. Elle aime à penser qu’elle a encore l'œil pour trouver des talents dans la rue.

Dommage pour Kaoru, maintenant, elle ne recrute plus.

Enchantée mademoiselle Morioka, je suis Irumi Miyamoto.

Elle s’incline poliment, avant de répondre à toutes les autres questions :

Bien sûr que si vous souhaitez avoir de meilleures photographies, plus professionnelles, un appareil photo serait bien. Mais Irumi hausse doucement les épaules. Mais dans un premier temps, vous pouvez garder votre iPhone. Sur le marché téléphonique, c’est ce qu’il existe de mieux pour la photographie. Quand vous commencerez à gagner un peu d’argent avec les partenaires, prenez le dernier sorti, mais ça peut être suffisant.

Irumi n’a plus d’iPhone. Elle en possédait un comme téléphone pro. C’est toute la tristesse des fins de contrats, on doit tout rendre, même les accessoires que l’on utilisait le plus. Pour son téléphone personnel, elle a préféré acheter quelque chose de pas cher, de pas terrible non plus. En réalité, elle était bien plus souvent scotchée à son téléphone professionnel. Pourquoi ne change-t-elle pas ? Parce que tant qu’il fonctionne, pas besoin de le jeter. Mais secrètement, elle attend une chute malencontreuse, ou un plongeon dans les toilettes pour acheter un téléphone de nouvelle génération.

L’intérêt des iPhone, c’est le mode portrait. Avec la caméra du dos ! Il y a de très bons capteurs, qui permettent de prendre le détail du visage et flouter le fond, comme avec un appareil photo normal. C’est difficile de l’utiliser seul, sans trépied, mais je peux vous montrer le rendu.

Irumi montre l’iPhone du doigt : Je peux ? Comme si elle l’avait demandé la première fois.