On reconnaît le diable... aux malchances malchanceuses

Je sais bien qu’il se moque un peu de moi, je le vois dans son regard. J’accepte quand même un peu. De toute façon, j’ai seulement l’air d’une patate. En même temps, ses paroles m’apportent un certain réconfort. C’est vrai que l’art c’est tellement subjectif, des fois, je l’oublie un peu quand je suis plongée dans les techniques et les temps. Et ça me rassure qu’il ait apprécié que je lui ai montré.

Alors qu’il dit ça, je ne peux pas m’empêcher de me sentir profondément idiote, profondément rouge de gêne. Je me cache derrière mon breuvage, parce que c’est quand même un peu moins intimidant comme cela. En fait, en ce moment, j’ai envie de fondre, de me cacher, de fuir un peu cette réalité intimidante qui fait qu’on est quand même pas mal jeune encore pour savoir ce qu’on veut réellement faire dans la vie. Ça me gêne d’avoir cette conversation avec Lawson.

- En fait… C’est que…

C’est que je ne sais pas exactement quoi dire. Je ne sais pas comment me sentir quand je dis que je ne sais pas tout à fait ce que je veux faire dans la vie. C’est compliqué. Je me sens gênée d’en parler. Ce n’est pas un sujet que je parle haut et fort quoi. J’ai tellement peur de décevoir les gens que j’aime en pensant à tout ça. Je pourrais suivre tellement de voies, aller tellement où je veux, j’ai certainement des qualités qui m’aideraient à y parvenir. Il faut seulement que je les trouve.

Ça, c’est plus complexe. Après un petit silence que je trouve un peu malaisant, je me dis que je dois bien lui répondre. Ça me prend un petit moment par contre.

On y va. Un mot à la fois.

- C’est sûr que dans un monde idéal où tout va bien, je voudrais être danseuse professionnelle, ça serait vraiment génial. Mais, je me dis que si je suis réaliste deux minutes, il me faudrait un emploi, plus stable, c’est pour ça que je me disais qu’être prof, ça ne serait pas si mal. Je pourrais enseigner l’histoire, l’anglais ou le français à des gens assez facilement.

J’ai l’impression que plus que je parle, plus je me cale moi-même, pas besoin de Lawson pour m’aider à le faire, je suis une championne.

- Enfin, je veux juste dire que je trouve ça difficile de trouver sa voie. On a pas mal de routes qu’on peut emprunter et ça peut finir complètement différent de ce qu’on s’est imaginé.

Je crois que si je pouvais être encore plus rouge que je le suis en ce moment, je le ferais. Mais je crois que ma peau à atteint le maximum à laquelle elle peut ressembler à un homard. Je ne peux pas m’empêcher de me trouver absolument et complètement débile à un taux absolument incomparable. Je me sens toute petite dans mon fauteuil. Je pense qu’il est mieux que je n’ajoute rien. Dans ma tête, je me dis que j’ai baissé dans l’estime de Lawson, déjà que je ne devais déjà pas être haute.

Je pense que je préférais lui demander s’il a un animal de compagnie afin de changer de sujet.

Hmm, j'ai peut-être été encore un peu trop direct ? J'avais déjà remarqué que Emma est du genre facilement mal à l'aise, et compte tenu de la teinte qu'elle prend actuellement, ouais, elle n'est sûrement pas au top dans ses basks. Mais en même temps... je n'ai jamais été capable de faire dans la finesse. Et si mon ton a pu paraitre un peu brusque, c'était seulement du à l'étonnement et l'envie de comprendre ce qui peut amener à poursuivre des études, qui coutent une blinde, qui empêchent de bosser sérieusement à côté, sans savoir à quoi ça va servir exactement derrière.

Bon, après, si elle ne veut pas me répondre, évidemment, je ne vais pas insister. Elle est bien libre de faire comme elle veut. Ce n'est de toute façon pas comme si mon avis pouvait avoir le moindre intérêt. Ce genre de décision la concerne elle et seulement elle.
Pourtant, elle fini par rompre ce léger silence qui s'était installé.

- "Oh, mais du coup, tu as quand même bien un objectif en tête. Même si tu ne sais pas encore quelle spécialité choisir, au moins, tu sais que tu vises l'enseignement."

Je sais à quel point choisir un avenir peut être compliqué. Pas pour moi. J'ai toujours su ce que je voulais faire. Mais quand je vois à quel point est-ce que c'est galère avec mon frère (même si ok, les études ce n'est pas son fort de base) j'ai compris que mon cas n'était pas celui qu'on retrouve le plus souvent.

- "Et puis, en fonction des gens que tu rencontres, qui te laissent ou non ta chance, ça peut t'aider à affiner tes décisions."

Je n'aurais clairement jamais repris le chemin de l'école si mon ancien boss ne m'en avait pas persuadé. S'il n'avait pas été là pour me montrer toutes les portes que je gardais fermées en refusant de souffrir encore quelques années à rester enfermé pour écouter des profs parler. Ce n'est que parce que je connais bien l'objectif derrière que j'arrive à me motiver à bosser mes cours.

- "Désolé si j't'ai paru un peu trop abrupt. C'est juste que, j'étais un peu surpris. J'ai jamais bien compris ce que certains faisaient à poursuivre leurs études sans avoir d'idée de quoi en faire derrière. Mais bon, de toute façon, c'est pas comme si j'avais un jour été doué pour comprendre les choix des autres."

Je souris un peu, comme pour dédramatiser tout ça. J'ai bien conscience qu'essayer de me mettre à la place des autres est peine perdue.

J’opine de la tête aux paroles de Lawson. Je comprends ce qu’il veut dire, bien que j’ai du mal à savoir si c’est vraiment ça qui va arriver au final. Tout le monde pourra me dire que personne ne le sait vraiment. Ou c’est peut-être une question de mentalité. Peut-être. Peut-être une question de famille aussi, qui sait ? En tout cas, pas moi. Mes parents sont assez ouverts sur ce que je pourrais faire plus tard, ils ne m’ont jamais vraiment mis de stress… Fort heureusement. Je n’ai pas besoin d’eux pour mettre la pression, j’y arrive déjà assez bien seule. Je respire un peu mieux. Les paroles de Lawson sont, mine de rien, assez encourageante. Même que je me dis que je verrais presque enseignante. Presque parce qu’une petite voix dans ma tête me dit que je ne serais pas capable de faire une telle chose, que je ne suis pas assez douée pour communiquer avec les autres. Mais les enseignants… Ils ne sont pas toujours bons. Enfin, j’ai un vague souvenir d’un professeur d’histoire que j’ai eu alors que j’avais 13 ans, qui a l’école secondaire recopiait directement au tableau ce qui se trouvait dans le livre. Mot pour mot. Loin d’être quelque chose de palpitant. De toute façon, parler du néolithique et du paléolithique ça intéresse peu de gens (perso, ce n’est pas DU TOUT ma période préférée).

Je ne peux pas être PIRE que lui. Il a fini par partir de l’école d’ailleurs. Est-ce qu’il a fini l’année ou pas ? Je ne m’en souviens pas. Peu importe, j’essaie de me dire que je ne pourrais pas être aussi nulle que lui et ça me réconforte un peu. Peut-être aussi que d’aller voir un conseiller d’orientation pourrait être aidant.

Lawson finit par s’excuser. J’dis fini comme si c’était quelque chose que j’attends depuis mille ans, alors que c’est loin d’être le cas. En fait, j’ai un petit mouvement de la main pour lui signifier que ce n’est rien. Par contre, je me retiens de dire que moi, ce que je ne comprends pas, ce sont les gens qui savent depuis qu’ils sont tout petit ce qu’ils vont faire plus tard, sans avoir les doutes et de choix à faire, comme si leur vie était une autoroute toute plate et prévisible.

- Ce n’est pas grave tu sais, dis-je pour le rassuré. Tu n’as pas été trop abrupt. C’est seulement que tu voulais comprendre, c’est tout.

Je suis un peu gênée en disant ça. Dire tout ça, c’est aussi, pour une part, je pense pour me rassurer.

- Et je pense aussi qu’il n’y a pas grand monde qui soit bon pour comprendre les autres. Je ne crois pas être plus douée que toi sur ce sujet, j’en suis certaine.

J’ai un petit rire. Je dois dire que je suis assez certaine de ne rien y comprendre non plus. Surtout lorsqu’on parle d’amour et de garçons. Je me plonge légèrement dans mon breuvage pour ne pas me noyer dans le sujet.

J'ai un peu de mal à croire que je n'ai pas été trop direct, mais j'accepte. Je n'ai aucune envie de me lancer dans ce genre de débat. On en reste sur un statut quo et c'est très bien comme ça. Ok, j'avais bien capté qu'Emma n'est pas non plus le genre de meuf capable de s'incruster dans n'importe quel groupe sans aucune gêne et de participer avec engouement aux conversations. Peut-être pour ça que dans le fond, je l'apprécie. Suffisamment pour partager ce genre de moment avec elle en tout cas.

- "Eh bah, si personne ne comprend personne, j'imagine que tout va bien."

Je souris (un peu) tout en terminant ma boisson. Non mais ça va, ça fait longtemps que j'ai accepté que je ne serai jamais le mec le plus populaire. Je m'en fiche. D'autant plus maintenant que mes journées sont de toute façon bien remplies. Ce qui me rappelle d'ailleurs que si j'ai réussi à clore (en partie) mon programme du jour (alors que c'était franchement mal parti) pour Emma, ça ne s'est pas aussi bien passé.

Je jette un coup d'oeil par la fenêtre. Il pleut toujours. Moins fortement que quand on est entrés, mais on dirait que c'est parti pour la journée. Pourquoi je ne vérifie pas la météo sérieux ? Parce que j'étais trop à la bourre, c'est vrai. Face à ce spectacle, c'est un soupire résigné qui m'échappe.

- "En tout cas, on dirait qu'on ne va rien pouvoir faire de plus ici pour aujourd'hui. J'sais pas pour toi, mais j'vais pas tarder à rentrer."

J'ai encore pas mal de boulot qui m'attend, et si je ne peux pas le poursuivre ici, autant être enfermé dans ma chambre pour finir de tout mettre en place.

Grâce à Lawson, j’ai pu pendant un bon moment, oublier ce pourquoi j’étais initialement venue à la plage. Ça ne me dérange pas tellement. Pour danser sous la pluie, ce sera pour une autre fois. Je n’ai pas spécialement envie de me chopper un rhume à cause de ça. Il me parle de rentrer et je suis assez d’accord avec lui. Surtout que je jette un coup d’œil aux nuages, à leur direction et à vrai dire, c’est assez peu encourageant.

- Je pense que je vais rentrer aussi.

Je vais pour ajouter quelque chose d’autre, mais je me retiens, c’est un peu gênant dit comme ça. Enfin, formuler comme j’avais envie de le formuler initialement. De toute façon, quand je le dis pour de vrai, c’est pas tant mieux. Je pense que je ne vais jamais m’en sortir. Je vais être toujours gênée et gênante, j’en peux plus de moi-même par boute.

- Si ça te tente, on peut rentrer ensemble. Enfin, c’est comme tu veux et si tu vas direct à l’école aussi.

Je lui laisse le choix. Tant qu’à prendre un bus pour aller à un même endroit, aussi bien de refaire le chemin inverse ensemble. Enfin, ce n’est pas non plus une obligation. Mon gobelet à la main, je suis prête à partir. En fait, je bois mes dernières gorgées pour ne pas à avoir à le traîner avec moi.

- Chose certaine, c’était cool de passer du temps en ta compagnie.

Malgré tout. Oui, malgré les silences, malgré les conversations malaisantes, j’ai eu du fun. Et intérieurement, ça m’a bien fait plaisir.