Opération : shopping ! | Beck

Eh zhou ! Dans la cabine. Elles ont de la chance, il n’y a personne pour le moment, et la voie est libre. Pas besoin de faire la queue leu-leu pour attendre que l’autre ait terminé de s’observer dans le miroir. Non. Moon pose toutes ses affaires sur le porte manteau et se regarde dans le miroir.

‘Tain, elle a une sale tête. Vraiment une sale tête. Elle voit bien que les nuits courtes lui creusent les yeux. Elle n’aime pas ces cernes qui ternissent son visage. Elle aimerait se sentir plus jolie, mais même le maquillage ne couvre pas toute cette tristesse. Ah, pour le moment, cette journée est plutôt agréable. Moon arrive presque à oublier son ex. Enfin, presque. Non même pas. Elles en ont même parlé. C’est terrible, ça. C’est pas vraiment qu’il lui manque, c’est qu’elle se sent seule. Elle ne sait pas vraiment à qui envoyer des messages le soir avant d’aller se coucher. C’est peut-être la raison de ses nuits blanches.

Bref, sus aux auto-dégradations ! Moon retire ses fringues d’une traite. Puis, elle attrape le chemisier. Il lui va parfaitement. Ce n’est pas dur, avec un chemisier. Surtout un chemisier de ce créateur. Puis, elle met la veste en cuir. Elle n’est pas trop serrée, pas trop large, lui donne un aspect bad bitch qu’elle apprécie.

Et finalement, le clou du spectacle, celui qu’on attend tous : le pantalon rouge ! Et là, elle a peur la Moon. Parce que sans ce pantalon, une chose est sûre, la tenue n’aura pas le même cachet. Elle a besoin de quelque chose de fort, de visible, d’assuré, pour pouvoir cacher les poches violettes sous ses yeux. Il faut que l’on regarde ses belles jambes et son fessier rebondi, et pas la commissures fragile de ses lèvres.

Elle attrape le pantalon, prend une grande respiration. Elle met une jambe, puis une seconde, ferme la fermeture éclair et… Il n’y a pas de bouton ! Pas de bouton. Comment elle peut être sûre que tout lui va bien sans le bouton pour terminer joliment la braguette. Moon se regarde, dans le miroir, elle ne sait pas vraiment ce qu’elle pense de ce vêtement. Il lui va correctement, mais ne lui donne pas l’allure sublime qu’elle aurait voulu avoir. C’est un joli pantalon, correct, pas vava-voom. Elle est presque un peu déçue. Mais elle ne le retire pas tout de suite et sort tout de même de sa cabine pour pouvoir avoir l’avis de son amie.

Le chemisier, lui, va parfaitement. La veste a un petit côté oversize assez sympathique qui va bien à la timidité de Beck. C’est une jolie tenue, une très jolie tenue. Beck a vraiment eu l'œil. Trop jolis, tes vêtements !

Gentille. Moon esquisse un léger sourire, et espère que le rouge de ses joues disparaît dans son fond de teint épais. Elle n’est pas du genre à se laisser facilement avoir par les compliments. Elle a la chance d’avoir une petite poignée de fans dans sa classe de cinéma. Les mots doux et les petites faveurs, elle en a l’habitude.

Mais rarement venant d’une amie.

Enfin, ça a dû arriver. Il y a trop longtemps pour qu’elle puisse vraiment s’en souvenir. Mais ça réveille quelque chose de chaleureux qui fait palpiter le cœur de la trentenaire. En fait, ça lui fait du bien de se sentir appréciée. Par nécessairement aimée, mais apprécier. C’est une sensation complètement différente que l’amour romantique. Que du charme sensuel. Elle aime le fait qu’on la trouve sympathique, gentille, agréable pour juste ce qu’elle est. Sans avoir à se travestir pour plaire.

Elle a l’habitude de plaire.

Merci à toi, ça me fait beaucoup de bien aussi, et je ne pensais pas que j’avais autant besoin d’une journée comme celle-ci.

Elle ne veut pas s'épancher dans les compliments, et pour éviter que son amie remarque la gêne et la joie sur ses joues, Moon serre retourne dans la cabine pour pouvoir remettre sa première tenue.

Elle sort, et attend Beck.

Est-ce que l’après-midi va pouvoir continuer ?

Elle retient son souffle, le garde précieusement dans sa cage thoracique. En fait, Moon attend. Elle attend quoi, au juste ? Elle attend de savoir si c'est bon, si c'est tout, si c'est déjà la fin de l’escapade. Après tout, le contrat c'était d'aller à la boutique de thé ensemble, tout le reste n'est que du surplus. Mais elle est gourmande, c'est bien là son défaut, et elle n'a pas envie d'abandonner les festivités.

Moon le sait, elle pourrait simplement proposer une autre activité, pour que Beck puisse saisir la perche et continuer la journée. Mais elle n'en a pas envie. C'est une question de fierté. Et bien voilà, un autre défaut ! En fait, elle espère que ce qu'elle ressent pour Beck, une amitié en construction, est réciproque. Ce n'est pas sain d'attendre de l'autre mais pourtant...

Quand Beck lui propose de continuer le sourire de Moon ne se fait pas attendre. Et puis, on pourrait même dire que ça lui fait du bien. Une copine. Elle a une vraie copine. Pour de vrai ! Dieu que ça faisait longtemps qu'elle avait pas eu cette chance. Ce plaisir. Ce bonheur. Une copine, c'est tout ce qui lui compte.

Avec plaisir, vraiment.

Et en plus, une copine qui ne redouble pas de compliments. Les joues de la professeur de cinéma rougissent et elle aimerait bien que ça cesse. Mais c'est ce genre de chose qu'on ne peut pas contrôler. Jamais. Même si on l'aimerait.

Aller boire un coup, ça te dirait ?

Un bubble tea, un chocolat, un peu d'alcool, peu importe. Bon, Moon choisirait de l'alcool y'a pas à dire, mais elle laisse le choix à son invitée.

Rassurée, Moon opine doucement. Elle est contente, en fait, que Beck ait accepté son invitation. Elle se sent un peu rassurée, que son désir de continuer la journée soit partagé. Et puis, aussi, qu’elles aillent vers la pente de l’alcool. La tendresse de Moon pour les boissons fermentées n’est pas un secret. Elle aime boire. Elle aime la sensation d’ivresse, lorsqu’elle titille ses tempes. Elle aime aussi lorsque l’impression lui prend de ne plus sentir ses jambes, et de voir le monde tourner tout autour d’elle.

Elle aime toutes ces sensations, mais pourtant, elle n’envisage pas en arriver jusque là aujourd’hui. Elle peut se contenter d’un seul verre, et de la légèreté qu’il peut lui apporter.

Il ne suffit pas de marcher bien loin, pour trouver un bar. Pas un qu’elle connaît. Pourtant, Moon en a écumé pas mal. Mais un nouveau. Un bar sympathique, tendre, qui donne envie d’y entrer. Quelque chose de cosy. D’habitude, la professeur de cinéma préfère la chaleur et la fête. Ici, ce n’est pas dansant.

Les deux femmes sont dirigées jusqu’à une table. Moon s'assoit, et louche sur la carte. Qu’est-ce qu’elle va bien pouvoir prendre ? Elle ne sait pas vraiment, le choix est vaste. Ou plutôt, trop vaste par rapport à l’heure peu avancée de la soirée.

Je pense que je vais aller sur un cocktail, quelque chose de frais et sucré, mojito ou cosmo ? Et toi ?

Cosmo… C’est presque le joker de Moon. En fait, quand elle ne sait pas prendre, elle prend ça. C’est une valeur sûre, un bon moyen de savoir si un bar est aussi beau que bon. Si leur cosmo est sympa, elle reviendra certainement.

Et donc, deux cosmos pour ces dames ! C’est que Beck la suit, sans vraiment savoir ce que “cosmo” signifie. Est-ce qu’il est préférable de la laisser découvrir sa boisson, ou plutôt l’aider à mieux identifier les différentes strates du breuvage ? Moon se laisse encore un peu de temps pour décider, et elle répond d’abord à son amie :

Non, tu ne te trompes pas. Elle réprime un petit rire nerveux, mais montre son plus grand sourire. En fait, tout le monde ne s’en rend pas nécessairement compte à l’Université à cause de… Moon semble montrer sa tenue, parfaitement professionnelle. Même on pourrait dire, tirée à quatre épingles. ... Mais j’aime beaucoup la fête.

Beaucoup trop, elle pourrait même dire. Il y en a des soirées qu’elle a oublié. Il y en a des hommes qu’elle a séduits. Elle aime bien cette ivresse, qui lui donne l’impression que le monde s'allège d’un coup. Comme si la pression de la vie avait le droit d’un coup de disparaître.

Et elle ajoute : Ces derniers mois, j’ai pas beaucoup fait la fête. Et ça m’a manqué, un peu.

Eh bien, voilà qu’elle a la réponse à sa question. Moon n’est pas sadique, alors elle ne va pas faire attendre trop longtemps Beck. Elle ne se plaît pas vraiment à jouer avec les sentiments des autres. Ou peut-être un peu ceux des hommes. Rien qu’un peu. En fait beaucoup. Mais voilà une histoire pour un autre soir.

Ou pour d’autres soirs, tant il y a de récits à raconter.

J’aimerai te dire : que des bonnes choses ! Mais c’est la synergie du tout qui rend la boisson si agréable. D’abord, de la vodka. Je sais que ce n’est pas l’alcool de tout le monde, mais j’aime bien sa neutralité, qui permet de sentir le goût de tout le reste, mais avec cette petite sensation de feu au fond de la gorge.

Contrairement au rhum, qui peut parfois prendre le pas sur le reste, et qui n’est bon qu’avec des ingrédients frais et simples qui ne le dénature pas.

Ensuite, du jus de cranberry, un peu âpre, mais sucré ; et du jus de citron, plus acide, mais qui relève bien. Parfois, il y a un autre alcool avec, cointreau ou triple sec, mais il ne me semble pas l’avoir vu à la carte.

Moon aurait aimé glissé un œil expert de nouveau, mais le serveur est parti avec.

Un bon cosmo est un cosmo fruité, acide mais comme un sour candy, qui se boit ni comme du petit lait, ni comme un verre de bière. Juste assez pour se laisser petit à petit enivrer.

Elle a manqué une carrière de barman, n’est-ce pas ? Et voilà donc que les verres arrivent. Moon porte à ses lèvres le sien, ne manque pas de le goûter. Apprécie la légère acidité, et remarque bien l’absence de cointreau, et questionne du regard son amie : apprécie-t-elle ?

Barmaid ? C’est une idée. Peut-être que Moon se serait sentie plus à sa place dans ce rôle, plutôt que dans celui de professeur. La nuit. La danse. La débauche. Elle aurait sûrement pu trouver ce qui lui plaisait, dans cet espace.

Mais ce n’est pas ce qu’elle a décidé pour sa vie. Ce n’est pas ce que sa famille avait décidé pour elle non plus. Sa petite rébellion à elle, c’était préférer les études de cinéma à l’acting. Alors imaginez si elle avait fait le grand écart pour servir des verres ? Ses parents ne lui auraient jamais pardonné…

Si jamais elle aurait eu envie qu’ils lui pardonnent. Ses relations avec sa famille ont longtemps été au beau fixe. En fait, elle les évite. En début d’année, elle est retournée les voir dans l’espoir que ça se tasse. Maintenant qu’elle vieillit, elle a envie de faire table rase. Eux aussi.

Elle se contente néanmoins de répondre, avec un léger sourire, presque triste : Contente que ça te donne envie.

Le cosmo, c’est devenu la signature de Moon. C’est ce qu’elle boit, tout le temps. Ce qu’elle commande, avant même de réfléchir. Sûrement que c’est un mot qui lui est associé dans la mémoire de bien de ses amis.

Et quand Beck lui demande à quoi trinquer, elle hésite. Pourquoi pas à elles, et à leur amitié naissante ? Ou bien à quelque chose de différent, quelque chose qu’elle a envie d’espérer pouvoir goûter:  

Trinquons à la liberté ?

Le liquide acide se dépose sur ses lèvres. Les yeux fermés, Moon déguste. C’est drôle, c’est comme si elle re-découvrait, à chaque fois, le goût de ce cocktail. Elle ne sait plus bien pourquoi elle a commencé à le commander. Peut-être parce qu’elle le trouvait joli, en rose et jaune, ou peut-être que c’est parce que c’est le même cocktail que les filles commandent dans Sex and the City ? En tous cas, maintenant, c’est devenu son moment à elle.

Celui-ci est franchement pas mal.

Elle réouvre les yeux, et revient donc à la réalité. Elle sourit à Beck, lorsqu’elle lui pose la question. Non, elle ne s’ennuie pas. Alors, elle secoue doucement la tête de droite à gauche, pour le faire comprendre à Beck. Elle ne le dit pas, non plus, comme si le dire viendrait à s’excuser de quelque chose qui n’est pas vrai.

Mais c’est vrai, que maintenant qu’elle le dit, ça pourrait manquer d’un peu de piquant. Parler de tout de rien, ou danser ? Moon choisit la première solution :

Dis moi, c’est quoi ton rêve ? Le truc le plus fou que tu n’as jamais osé faire ?

Et voilà que Beck la surprend. La surprend vraiment. Moon s’attendait à un tas de choses, mais pas à ça. La professeur de cinéma n’est pas très natures, animaux, tout ça, tout ça. Elle préfère les voir à travers les cages d’un zoo. Ou mieux, en photo ! Naturellement, elle aurait cru Beck un peu frileuse, de toutes ces bestioles. C’est qu’un aigle, ça peut faire mal. Et Beck n’a pas l’allure de la femme puissante et forte.

En pensant ça, Moon se mord l’intérieur de la bouche. C’est nul, comme réflexion. Elle pense comme ses anciennes copines de Tokyo. Anciennes ? Moon ne sait plus vraiment où en est leur relation. Elle préfère ne pas trop penser à elles, et continuer de refuser leurs invitations avec pour excuse “trop de travail”.

En fait, quand on y pense, ce n’est pas si surprenant comme rêve. Il y a quelque chose d’exaltant à avoir un animal si beau et si royal entre les mains, et Moon s’imagine assez peu dans cette place. Alors, elle répond :

Non, c’est pas bête du tout, au contraire même. C’est fort, parce que c’est unique. Parce que c’est un rêve original, que tout le monde n’a pas. Parce que c’est un rêve qui n’est pas fou. Tu voudrais qu’on aille voir un de ces quatre, au zoo, pour tester ?

Moon serait peut-être capable de se laisser tenter et d’abandonner sa peur des animaux pour les toucher aussi. Non pas que ce soit un rêve, mais si elle n’est pas seule, elle ne serait pas contre se laisser avoir par la stature et la majesté de ces animaux.

Au sujet du rêve, elle ne répond pas. Oubli ? Pas vraiment. C’est que ces derniers temps, Moon a bien du mal à savoir ce qu’est son rêve. Y’a quelques mois, elle aurait dit “avoir un môme et un mari”. Maintenant, elle n’en est plus vraiment sûr.

En fait, elle n’est plus tout à fait sûre de ce qu’elle est, et de ce qu’elle veut.

Oh. Oui, non. En fait, Moon ne se sent pas prête à se secouer à ce point. C’est que les bêtes, elle les préfère en cage. En liberté, elle ne se sentirait pas à l’aise. Mais heureusement pour elle, il y a un moyen tout simple de refuser l’invitation, sans avoir à témoigner de ses propres craintes :

Je doute qu’il y ait beaucoup de safaris sauvages à Kobe ! Dommage !

Elle ne fera pas de recherches de son côté. Et elle espère que Beck non plus. Même si elle ne veut pas se montrer faible et avouer son désarroi face aux grosses bêtes, elle a bon espoir que sa nouvelle amie comprenne que l’enthousiasme n’est pas au beau fixe.

Et alors qu’elle trifouille dans ses proches pour regarder son téléphone, en espérant y voir un sms mais en n’y découvrant qu’un spam, Beck lui reparle de son rêve.

Son rêve, elle qui pensait pouvoir esquiver la question.

Parler d’autres choses.

Même d’oiseaux.

Franchement ?

Touchée. Est-ce qu’elle se permet de couler ? De montrer un peu de faiblesses ? Après tout, Beck a une formation de psychologue, elle peut peut-être l’aider à surmonter ses problèmes et ses angoisses ?

Je pense que ce serait de remonter sur scène.

Mais ça, c’est quelque chose qu’elle ne se sent pas prête.

Il n’est pas vraiment de question de savoir si Moon le peut. Par contre, est-ce qu’elle le veut ? Le veut assez pour se donner toutes les chances d’y retourner sans tout lâcher. Tout est toujours possible. Il suffit de prendre du temps, de trouver une association de théâtre. Il paraît qu’un club est en train de s’ouvrir à Kobe, même.

Et puis, ensuite, il faut s’inscrire. Il faut jouer. Il faut répéter. Puis il faut se montrer.

C’est ce qui fait encore un peu peur à Moon. D’une certaine manière, c’est de la pression qu’elle se met sur les épaules. Si elle joue, elle veut exceller. Elle ne veut plus jamais qu’on puisse remettre en question son talent, ses qualités. Pas question de jouer pour le plaisir. Il faut jouer pour réussir.

Il faudrait que je regarde ce qui est possible...

C’est ce qu’elle se contente de répondre, pourtant. Il faudrait. Un “faudrait” qui semble dire jamais. Il faudrait mais elle ne le fera pas. Parce que c’est trop d’investissement, de temps, d’énergie. Pour le moment, rien n’est plus confortable que son canapé lorsqu’elle finit une journée de travail.

C’est que ça ne la met pas en danger.

Au sujet de la deuxième question, Moon ne prend pas trop de temps pour répondre. A vrai dire, maintenant qu’elle a arrêté de se cacher et qu’elle a pris la parole en tant qu’ancienne actrice pour discuter des violences subies lors des tournages pour #MeToo, elle ne fait plus semblant.  

J’étais enfant-star. Actrice pour des séries de fiction télévisées dans mon pays d’origine.

Ah. Oui. C’est toujours comme ça, quand Moon en parle. Les paillettes, dans les yeux. Si la professeur en cinéma a décidé d’arrêter de cacher son passé comme elle le faisait à son arrivée au Japon, elle n’est tout de même pas à l’aise avec ces réactions.

Pour elle, toute cette période n’est rien d’autre qu’un mauvais souvenir. Ses scènes, elle ne veut plus les voir. Ni quand elle jouait, ni quand elle était sur les plateaux. Il y avait les parents qui la poussait à aller toujours plus loin. Il y avait les producteurs qui n’écoutait pas ses limites. Y’avait les camarades qui étaient tout aussi envieux que jaloux de sa place.  

Quand Moon voit ce que deviennent les enfants stars, elle est bien contente d’avoir raté sa carrière. Elle n’est peut-être pas parfaitement équilibrée, mais elle a échappé au pire. La célébrité, ça ne fait rêver que ceux qui n’y ont jamais goûté.

Je pense que si tu cherches avec mon prénom, tu dois pouvoir trouver une page Wikipédia, ou quelque chose du genre, qui doit recenser les noms des dramas dans lesquels j’ai joué. Mais je ne suis pas très à l’aise avec, j’étais très jeune et ce ne sont pas que d’excellents souvenirs.  

Non pas que Moon avait été forcée. Elle aimait beaucoup jouer, et les plateaux, et le cinéma. Juste que ça n’a pas été plus loin. Et que c’est comme ça.

Elle sourit gentiment à Beck, elle ne préfère pas lui expliquer pourquoi ça s’est arrêté. Elle préfère parler d’autre chose. Les cicatrices d’acné sont encore bien présentes sur son visage. Même si elle les cache par du fond de teint, elle sait qu’elles seront visibles et ce, pour toujours.

Un jour, elle pourra peut-être vivre avec ?

Elle n’en est pas certaine.  

Une gorgée de sa boisson et elle répond, tout sourire :  

Avec plaisir. Toi, tu n’as pas de petit cocktail préféré ?

Quelque chose avec lequel tu pourrais te bourrer jusqu’en oublier ce qui s’est passé.

Moon secoue doucement la tête. Non. Elle ne préfère pas en parler. En fait, si Beck est curieuse, elle le verra d'elle-même. Aujourd’hui, le premier résultat sur Google n’est pas le nom des séries dans lesquelles Moon a joué. Aujourd’hui, le premier résultat est un article sur sa contribution au mouvement #MeToo.

Moon termine finalement son verre. C’est que ça se boit vite, ces conneries là. Est-ce qu’elle en reprend un ? Un Miami Beach, comme en parle Beck ? Non plus. En fait, Moon se sent de plus en plus mélancolique. Un verre de plus, ce serait un verre de trop.

Elle se retient beaucoup d’être triste, parce qu'elle refuse de laisser la rupture la dévorer. Elle a trop d’estime pour elle, ou sûrement un peu trop de fierté. Elle encaisse, parce qu’elle a l’habitude de le faire. Même si elle apprécie Beck, elle préfère prendre le temps avant de tout lui dire. Avant de laisser échapper sa tristesse.

Après tout, Beck est psy. Et si elle commençait à l’analyser ? L’idée même effraie Moon. Alors, elle répond à la discussion sur l’alcool en lui proposant :

Je suis un peu fatiguée, je vais pas tarder à rentrer, j’ai quelques cours à finir ; mais ça te dit qu’on prenne un Miami Beach, la prochaine fois ?

Moon hoche doucement la tête. S'épuiser à la tâche, ce n'est pas vraiment ce qu'elles font maintenant, et puis elle a l'habitude d'avoir une très grande force de travail. Mais pourtant, tout de suite, elle n'a ni l'envie ni la patience de répondre ça, et de se lancer dans une autre discussion. C'est pour cette raison qu'elle ne se permet que de hocher la tête, doucement, et rien d'autre.

Le miami beach, pour la prochaine fois, elle a assez hâte d'y être. Parce que même si elle n'a pas eu de copines depuis longtemps, et que c'est parfois épuisant de sociabiliser, ça fait quand même énormément de bien.

Moon se lève, et prend son sac avec elle, elle part au comptoir, et paye pour les deux. Quand elle voit Beck s'approcher elle lui fait signe que c'est tout bon. C'est que ça me fait plaisir d'offrir. C'est pas une radine, et elle aime rincer ses copines. Les rares copines qu'elle peut avoir.

Les deux femmes peuvent ainsi quitter le bar, se saluer, se faire la bise et se promettre de très bientôt se revoir. Et Moon rentre, le coeur léger de cette douce après midi, qui lui a donné l'impression, rien qu'un instant, d'être appréciée.

#terminé