Un autre café s'il vous plait ! [PV Ryûji]

Précédement :

Cela faisait plusieurs jours que Ryuji, toujours trentenaire, toujours professeur de design à Kobe, toujours vivant malgré les récents événements, errait un peu sans but d'activité en activité pour maintenir son cerveau suffisamment occupé pour ne pas glisser et sombrer dans la gamberge. En même temps, c'était bien de sa faute. S'il allait mal et sentait sa vie un peu insipide, c'était bien parce qu'il avait décidé de "rompre" avec Moon. La rentrée n'arrangea rien. Il entamait sa deuxième année de cours à Kobe et déjà il était gavé et lassé par le défilé administratif du début d'année. Franchement, il espérait que cela ne dure pas encore cent ans et qu'il puisse entrer dans sa routine d'enseignement et se laisser porter.

Une fin de journée où il s'était senti plus perdu que d'autres, il s'était même surpris à guetter les offres d'emploi en dehors de la ville, et avait envisagé l'espace d'un instant déménager, quitter cet immeuble avec trop de souvenirs doux-amers et s'aérer l'esprit. Le timing serré avec la rentrée l'avait empêché de prendre quelques jours pour prendre le large et se ressourcer. Dites-vous qu'il avait même pensé à proposer une sortie à sa soeur, Futaba. C'est dire l'état de détresse !

Finalement, il avait quitté la salle des professeurs en saluant les derniers survivants encore présents et s'était dirigé lentement vers la sortie. En chemin, il passa devant les casiers réservés aux professeurs et membres du personnel. Evidemment, celui de Moon, qu'il ignora tant bien que mal, en tentant d'oublier la dizaine de mots qui trainaient au fond de sa besace et qu'il avait hésité, tous les jours ou presque, à glisser. Il fit une pause, pile devant celui de la psychologue scolaire, Beck Oribe. Ils ne se connaissaient pas plus que ça, au mieux leur relation était cordiale et professionnelle, il se disaient bonjour le matin quand ils se croisaient et au revoir en fin de journée au moment de partir. Classique, en somme.

Perdu dans ses pensées, il sortit un bout de papier et un crayon qui trainaient dans ses poches et formula un mot, bref et sincère, quoique potentiellement désespéré, à destination de sa collègue psy. Sans le relire ni réfléchir, il le glissa dans l'interstice et marqua une pause... le temps de se rendre compte de ce qu'il venait de faire. Pris de panique, il tenta de récupérer le papier mais ses agitations ne firent que l'enfoncer encore plus dans le casier. Soit. Il lui avait donné rendez-vous dans un café qu'il connaissait bien en ville, pour qu'il discute.

Le 4 avril :

Il rejoignit le café en question quelques jours après avoir déposé le mot. Il n'avait pas fait d'effort particulier quant à sa tenue mais comparé à d'habitude, il devait sans doute avoir l'air en piteux état. Tel un étudiant un lendemain de cuite, il avait enfilé la première chemise pas trop sale à portée et avait complété le tout avec un jean classique et des chaussures encore plus classiques. A trente-et-un ans, il avait vraiment une dégaine d'étudiant. Sa mine de chien battu n'arrangeait rien à son aspect un peu pathétique.

Il finit sa cigarette et l'écrasa sans ménagement dans son cendrier de poche qui commençait à déborder. Il s'observa quelques secondes dans le reflet de la porte vitrée du café et lâcha un soupir d'exaspération en voyant à quoi il ressemblait. Il pénétra enfin dans l'établissement et repéra assez facilement la psychologue scolaire, seule sur sa petite table à l'écart. La terrasse étaient pleine à craquer mais l'intérieur était étonnamment calme, presque désert. Pourtant tout y était agréable, de la petite musique de fond à la climatisation.

Bonjour Oribe-san... Désolé pour le dérangement, et le retard, je ne serai pas long., balbutia-t-il, visiblement gêné, avant de s'assoir en-face d'elle.

Il tripota dans son sac pour y planquer son paquet de cigarettes dans le chaos et en sortit son téléphone, juste par acquis de conscience, avant de le ranger car, évidemment, aucun message ou appel manqué ne l'attendait. Il leva les sourcils en respirant profondément et en refermant enfin son sac. Il posa les mains sur la table et fit face à Beck.

Que voulez-vous boire ? Je vous ai fait venir alors je vous invite, j'insiste. Ce serait cruel de vous embêter avec mes soucis hors de vos horaires de travail sans vous inviter..., dit-il d'un ton effacé mais avec une tentative de sympathie, malgré tout.

Ryuji sourit à Beck en réceptionnant sa commande et commanda ensuite à l'une des serveuses passant par là. Une menthe à l'eau pour madame et un café pour moi, avec du lait et du sucre, s'il-vous-plait., demanda-t-il toujours en souriant. Il fit ensuite de nouveau face à Beck pour se concentrer sur le but de leur rencontre.

Oui, je sais bien. C'est votre boulot mais je ne suis plus étudiant depuis longtemps et nous ne sommes pas dans un cabinet de consultation. Mais j'étais quelque peu gêné de vous solliciter...

Il avait un peu perdu son air en se perdant dans ses pensées. Il faisait ça, Ryuji, il gambergeait souvent. Trop souvent, même. Ce ne serait pas du tout étonnant que cela lui ait coûté plusieurs relations par le passé, ses compétences sociales souffraient beaucoup de ses expéditions dans sa propre tête. Même s'il faisait en sorte de tenir bon pour que sa barque reste à flot, il était toujours à deux doigts de la noyade.

Pour la faire courte, j'ai connu une rupture assez douloureuse, récemment. Difficile de m'en remettre, d'autant que je suis celui qui est parti. Le problème est que je regrette. J'ignore ce qui a rendu notre relation de moins en moins satisfaisante pour elle et moi, j'aimerais trouver des réponses. Aller de l'avant, en fait., dit-il en soupirant sur la fin, son attention attirée par des jeunes riant bruyamment sur la terrasse, dehors. Il reprit : Comment on fait pour se sentir moins nul et moins inférieur ?

Il posa la question d'un coup, en sortant de ses pensées, comme s'il s'agissait d'une sorte d'épiphanie, une pensée subite qui sortait d'un coup sans prévenir. Comme si cette question était le début de la réponse à tous ces problèmes, comme si ça lui permettrait de rebondir, de réussir ce qu'il voulait entreprendre, reconquérir l'être aimé, etc.. A cette réflexion, il se demanda s'il n'avait pas besoin d'un marabout.