Confidences autour d’une douceur Ft. Lou

Lou n’a pas pu aller au club, ce soir. En fait, elle n’a pas dormi de la nuit. Alors, imaginez la matinée de l’horreur ! Les cours, elle les a à peine suivi. En fait, elle a surtout lutté pour ne pas dormir. Déjà que ses professeurs la trouve dissipée, peu attentive, pas très bonne élève… Alors si en plus elle dort dans leurs cours ! Elle est crevée, quand la journée termine, et elle se sent naze.

Elle envoie un premier message à sa maman “Désolée maman, je peux pas faire le service ce soir, à demain”. Elle s’en veut un peu de la prévenir en dernière minute, mais là, elle pourrait faire tomber une assiette en faisant trois pas. Après sa dernière classe, elle s’affale dans son lit, dans sa chambre, et ferme les yeux.

Elle les ré-ouvre tout de suite. Quand elle se repose, elle n’a plus qu’une image en tête : Maka. Et ça lui fait peur, terriblement peur. Elle ne sait pas dans quoi elle s’est fourrée, avec Maka. Sa petite copine ? Oh la la, rien que ce mot, ça fait tout drôle. Alors, elle a besoin d’en parler. Enfin, elle a pas le droit d’en parler. Pas comme tel. Pas avec des noms… Mais elle peut bien jouer avec la réalité, non ?

Il faut qu’elle parle avec un copain. Elle se fait la liste dans la tête. La plupart de ses amies ne savent rien de son homosexualité. Il n’y en a qu’un. Qu’un seul. Avec qui elle correspond depuis plusieurs mois. Nolan, qu’elle connaît depuis qu’ils sont tous mômes, a suivi son compte Instagram. Y’a suffit qu’elle partage une story sur l’homophobie, et le sujet a été lancé. Une nuit, alors qu’elle allait mal, elle a tout avoué. Aimer les filles, et des choses comme ça. Elle n’en est pas fière, parce qu’elle avait peur de la réaction de son ami… Mais il l’a bien pris.

C’est le seul qui peut l’entendre. Alors elle lui envoie un message : Urgent, pâtisserie du centre, dès que possible. Alors qu’elle est encore allongée sur le lit, le corps meurtri. Mais il accepte. C’est inespéré, il accepte. Elle tarde à se lever, à mettre ses chaussures. Une petite douceur, ça lui fera du bien.

Quand elle arrive à la pâtisserie, Nolan est déjà là. Et rien que de le voir, ça la rassure. Elle a la boule au ventre, de devoir parler de ce qui la tracasse, mais elle sait qu’il ne la jugera jamais. En français, dans le texte : « Hey, Nolan. » Elle s’évite les -kun, les -chan et tout ça. Ils sont français. « Tu vas bien ? »

Depuis quelques semaines, Lou essaie de parler français plus souvent. Elle sait que ça fait plaisir à sa maman.

C’est tout drôle, pour Lou, d’entendre parler français. A part en famille, elle n’en a jamais l’occasion. Pendant ses années de collège, Lou a beaucoup perdu de la langue. Un grand drame pour sa mère, qui voyait disparaître le seul lien que sa fille pouvait avoir avec son pays de naissance. Mais Lou s’est reprise. C’est qu’à Kobe High School, il y a beaucoup de français, et ça aide à pratiquer.

Et puis, surtout, il y a Nolan. Ils se connaissaient, quand ils étaient tous mômes, leurs parents aussi. Et s’ils s’étaient perdus de vue, c’est grâce aux réseaux sociaux qu’ils ont pu reprendre contact.

Elle s'assoit sur la chaise en face de son ami. Et à sa question, elle ne peut retenir une petite grimace. Elle pensait avoir le temps de commander une pâtisserie avant d’entrer dans le vif du sujet, le sucre apaise toujours les cœurs.

« Je… Je ne sais pas trop si ça va. » Elle jette un coup d'œil vers le serveur, il semble occupé, alors autant commencer. « C’est une histoire de coeur, mais… Je n’suis pas censé en parler.» Elle l’interroge du regard. Est-ce qu’il pourra tenir sa langue ?

Lou remarque le soupir de Nolan. Oh, zut ! Elle lui a fait peur ! Elle n’avait pas pensé à ça, mais elle lui a fait peur ! Pour Lou, un peu égoïstement, une peine de cœur est l’une des pires choses qui peut lui arriver. Parce qu’elle a de la chance, Lou. Ses parents sont en bonne santé, son frère et sa sœur aussi, elle ne connaît ni le deuil, ni la maladie. Et elle se rend compte qu'elle a cette chance, et elle se sent un peu désolée. Pourtant, elle ne dit rien. Pas question de s’excuser.

Tout de suite, elle repense à sa peine de cœur. Elle est là pour ça, de toute manière. Elle est un peu égoïste, mais c’est bien de l’être, parfois. Bon, oui, parfois. Elle l’est un peu trop souvent, peut-être. Elle s’apprête à ouvrir la bouche et balancer tout, quand Nolan propose une douceur.

« Oh ! Oui, oui ! »

Elle est fragile face aux pâtisseries. L’idée même du gâteau chasse de l’esprit de Lou ses problématiques. Parce que vient un nouveau challenge : choisir ce qu’elle va manger. Et elle attrape, la petite carte sur la table, pour tout lire. Il y a un mélange de pâtisseries françaises, américaines et japonaises. Heureusement que le thé est bon.
Elle a choisi, alors elle repose le menu, et redresse le regard. Est-ce qu’il faut parler maintenant de sa peine de coeur ? L’idée commence à la stresser, mais heureusement Nolan change encore de sujet. A croire qu’il ne veut pas l’écouter !

« Oh, merci, j’ai pris un peu de temps à la faire, mais c’était obligatoire ! Avec la Saint Valentin, tous les créateurs de contenus ont fait leur vidéo.. Pas question de me faire dépasser !  »

Lou commence à comprendre les codes du réseau social. Et même si elle n’est pas une star de la pâtisserie, elle commence à être reconnue. Pour être définitivement prise au sérieux (et qui sait, pouvoir un jour éditer son propre livre de cuisine !) il lui faut être irréprochable, et suivre toutes les modes.

Un serveur arrive, Lou commande la première : « Une tarte au chocolat, et un thé noir s’il vous plaît », et laisse Nolan commander ensuite. Le serveur repart, aussi vite, vers le comptoir. Et d’un coup, le silence. Lou n’ose pas commencer son histoire.

Lou aimerait avoir beaucoup plus de temps à consacrer pour la pâtisserie. C’est définitivement sa passion. Mais ces derniers mois, entre les études et Maka, elle n’a plus vraiment la tête à ça. Heureusement qu’elle a un planning cadré, et qu’elle s’y tient, si en plus elle était désorganisée… Pas question de perdre des mois et des mois de travail, elle y tient bien trop !

Et puis Nolan l’invite à parler.

Enfin.

Ou peut-être, déjà ?

Lou n’est vraiment plus certaine de savoir quoi dire. Elle était déterminée à discuter de sa situation, qui la ronge, et maintenant, face au moment fatidique, plus du tout. « Alors c’est que… » Elle hésite. Elle a promis d’être secrète, et de ne pas parler de Maka. « Il se pourrait qu’une fille que j’aime bien, m’aime bien aussi et puis que… » Le moins de détails possibles. « Elle m'a demandé de le garder secret. »

Lou baisse les yeux. Personne n’est au courant de son homosexualité sauf quelques rares connaissances, et Nolan. Pourtant, le fait de ne pas avoir le choix de profiter de son couple lui fait mal.

« J’ai pas le choix, mais j’crois que ça me rend triste. »

Et le silence. Lou sonde le regard de Nolan, pour essayer de comprendre ce qu’il pense. Mais il n’y a rien qui le trahit. Il réfléchit, simplement. Enfin, simplement. Il réfléchit certainement à la meilleure chose à dire, pour ne pas blesser la jeune lycéenne. Lou le sait, c’est une situation à deux balles. Le genre de situation que personne n’aime vivre. Et qu’au fond, ce serait certainement mieux de ne pas la vivre. Pourtant, elle n’a pas envie d’arrêter.

« Oui… Tu as raison. »

Complètement raison. Et pourtant, Lou a du mal à être rassurée par ces mots. Elle a l’impression de ne pas pouvoir être tendre amicalement avec Maka, et que de toute manière, ça se verra d’une manière, ou d’une autre. Et de fait, elle préfère garder toutes les distances du monde avec sa petite-amie, tant qu’elles ne peuvent pas vraiment le vivre.

« Tu sais, des fois, j’ai juste envie de tout dire, de crier partout que je suis gay, et que c’est comme ça… Mais je pense ensuite à mes parents, à mon… » Elle marque une pause. « Frère. »

Mathéo ne comprendrait pas.

Quelqu’un ? Lou redresse tout de suite le regard. Elle ne sait pas de qui Nolan parle, mais elle a vraiment, désespérément besoin d’aide. L’aide de quelqu’un de raisonnable, l’aide de quelqu’un de censé. De quelqu’un, qui, peut-être a expérimenté la même chose qu’elle et qui pourrait la conseiller. Quelqu’un de mesuré, qui sait que c’est difficile parfois de supporter le mensonge, le poids de l’homosexualité.

Mais Nolan ne donne pas tout de suite son nom.

Alors, Lou est un peu déçue. Elle aurait vraiment aimé savoir qui pouvait lui donner toutes les réponses à ses questions.

« Mon frère ? C’est mort. Je ne sais pas si tu l’as déjà croisé, mais c’est monsieur-tradition. Il faut que tout soit fait quand il le faut, comme il le faut, et s'il le faut. Il ne le supportera pas… » Et de toute manière, la communication est tellement coupée entre ces deux là que Lou ne pourrait pas se permettre de discuter amourettes. Si seulement ils arrivaient au moins à parler. « Mes parents, j’en sais rien… J’ai l’impression qu’ils pourraient le supporter, mais j’ai peur qu’ils soient déçus, surtout. »

Lou n’est pas une fille brillante, elle a déjà des résultats moyens à l’école, et elle a peur que ses parents ne puissent jamais être fiers d’elle. Bien qu’elle ait la pâtisserie pour elle, elle n’a guère grand chose. Pour le moment, sa famille la soutient. Mais pendant combien de temps ?

Heureusement, pour couper leur discussion qui devenait un peu trop douloureuse, les gâteaux arrivent. Lou prend une petite bouchée du sien, et soupire de plaisir. Vraiment, c’est trop bon.

Mais quand elle entend le nom de Maya dans la bouche de Nolan, elle manque de tout recracher. « Maya ? » Un arrêt. « Genre, La Maya, avec les cheveux longs, et blonds, et en lolita tout ça ? » Ce n’est pas exactement la personne qu’elle aurait voulu voir, pour les histoires d’homosexualité, et de se cacher. Maya, elle est flamboyante, et elle supporte très bien le fait d’être gay. D’ailleurs, elle le crie à quiconque veut bien l’entendre ! Lou a déjà parlé avec Maya, pas de cette situation, mais d’autres. Si elle admire le courage de cette fille, elle a bien peur de ne pas pouvoir trouver les réponses à ses questions.

Elle hoche la tête. Ouaip’, ça craint. C’est drôle, Lou ne pensait pas avoir à se confronter si vite à ces questions. En fait, elle en rêve depuis longtemps, de sa belle histoire d’amour. Pour le moment, ses relations se sont seulement déroulées virtuellement, sans une vraie crise passion. Maka, c’est autre chose. Maka, c’est réel. Et elle l’a rêvé, ces dernières semaines, ces derniers mois, de toutes les deux, d’un couple. Maintenant que c’est réel, c’est beaucoup plus flippant.

Lou a accepté d’aimer de manière secrète. C’est mieux que de ne pas aimer tout court. Pourtant, il y a tant de questions, maintenant, qu’elle préférerait ne pas se poser. Lou n’est pas de nature anxieuse, mais pourtant, pour cette fois, elle a du mal à faire le vide.

« On s’est croisées, en fait. » Deux fois, pas désagréables, ni sympathiques. « Les deux fois, elle m’a un peu sauvé la mise. » La première fois, Lou avait sauté au-dessus d’un grillage et s’était coincé la jupe, la seconde fois, elle voulait fuir un karaoké de l’enfer. Les deux fois, Maya a accepté de l’aider, sans sourciller. Et pourtant, Lou ne peut pas dire qu’elles sont amies. C’est une sempai, une sempai sympa, mais peut-être un peu agressive à son goût.

« Tu connais Mathéo ? »

Elle voulait rajouter “Coincé, n’est-ce pas ?”, mais s’arrête avant. Qui sait, Nolan pourrait apprécier son frère. Lou ne comprend pas comment il fait, Mathéo, pour être aimé par tous, sauf par elle. Ils sont masochistes, à vouloir traîner avec un élitiste pareil.

Lou esquisse un sourire. Elle voit bien dans la réaction de Nolan, son conflit avec Maya. Elle aimerait bien savoir pourquoi les deux ne s’entendent pas. Si l’étudiante n’est pas commode, elle ne lui a jamais rien fait de méchant. Mais ça se sent, dans le ton de sa voix, qu’il a vraiment une dent contre elle. Un gremlins ? C’est drôle, mais ça n’étonne pas Lou. Maya semble un peu spéciale, des fois.

« Oui, c’est vrai que je pourrai… J’y penserai, mais j’ai peur que comme elle est vraiment très… » Elle marque une pause, pour réfléchir au meilleur terme possible. « Fière ? » Oui, c’est le bon terme. « Son avis soit tranché. »

Pour le moment, c’est ce qu’a semblé être Maya. Une femme sûre d’elle même, de son genre et de ses convictions. Elle lui a même parlé de cercles de parole ! En fait, c’est peut être là, qu’elle doit aller. Aux cercles de parole dont Maya a discuté. A cet endroit, Lou devrait pouvoir rencontrer un tas de lesbiennes, aux vies différentes.

Elle hoche la tête, en entendant la description de Mathéo, elle est plutôt conforme. C’est drôle, de l’imaginer faire de la luge. Elle comprend qu’il puisse se montrer sympathique. Il aime trop être parfait pour se montrer autrement. Au final, le Mathéo élitiste, il n’est peut être que pour elle.

« Que-QUOI ! » Lou a crié un peu trop fort, et d’autres personnes se sont retournées. Elle se calme. « Bah non, sinon ce n’est pas un secret.»

Lou hausse les épaules. Est-ce que c’est vraiment une bonne idée de voir Maya, seule ? Elle essayera de la croiser, peut-être. C’est qu’elle n’a pas son numéro. Elle est dans quelle classe ? En sociologie, oui, mais en première ? En deuxième ? Lou est incapable de lui donner un âge. Il faut qu’elle lui demande, à minima, l’adresse de son club de parole.

« Pardon..»

Elle n’avait pas fait attention, au débit de sa voix. C’est du Lou tout craché, un peu trop excessive. Mais elle était vraiment surprise. Elle ne pensait pas que Nolan serait si curieux, surtout qu’elle a bien insisté sur le côté secret. Et pourtant, elle comprend bien qu’il ne le demande pas pour satisfaire un besoin personnel, mais bien pour pouvoir décharger un peu de la pression que Lou garde sur les épaules.

« Merci beaucoup, Nolan. » Mais, parce qu’il y a toujours un mais.  « Mais j’aimerai bien essayer de m’y tenir, pour le moment du moins, essayer de ne pas trahir sa demande. Je ne sais pas si je vais réussir longtemps, et ça me fait un peu peur, c’est vrai, mais j’aimerai bien essayer. » Elle finit avec un sourire bienveillant.  « Mais si ça devient trop lourd, je sais que tu es  là. »

Et puis, le secret est déjà à moitié avoué. Lou n’est pas de celles qui se collent à ses amies. En fait, elle a peur d’être trop proches physiquement d’elles, et que le jour où elle fait son coming out, elles soient fâchées par ces comportements. Donc ce ne sera pas difficile de voir les attentions de Lou envers Maka.

Lou sourit, et hoche la tête. Heureusement que Nolan ne force pas davantage. Lou n’est pas très bonne, pour garder des secrets. Et pourtant, elle n’a pas envie de trahir Maka, pas maintenant, pas déjà ! Pas le premier jour de leur relation.

Elle espère ne jamais avoir à lui faire de tort, et pouvoir garder le secret pour toujours, peu importe combien celui-ci pèse sur les épaules de la petite lycéenne. Au fond, elle aimerait que ce ne soit pas vraiment pour toujours. Est-ce qu’elle a le droit d’espérer pouvoir faire son coming out, quand elle sera grande ?

Grande, grande, ça lui semble si loin, d’ici. Lou a hâte de devenir une grande fille. D’être de ceux qui peuvent faire ce qu’ils veulent, quand ils le veulent. Et pourtant, même en regardant l’avenir, elle stresse. C’est pas parce qu’elle aura vingt-et-un ans qu’elle arrivera à se défaire du regard de sa famille. Être grande, c’est illusoire. Et puis qu’est-ce que ça veut dire.

« Je… C’est arrivé comme ça. »

Les joues de Lou rougissent un peu, alors qu’elle réfléchit à leur relation.

« On était copines, d’abord, c’est quelqu’un de très gentil, qui a tout le temps des idées, tout le temps des envies. Je pense que nos énergies vont bien ensemble. »

En fait, Lou n'a jamais vraiment réfléchi à la raison de sa tendresse pour Maka. Elle l’aime, juste comme ça.

Il voit ce qu’elle veut dire ? Lou, qui était jusqu’à là complètement embourbée dans ses propres sentiments, a l’impression de voir sur les joues de Nolan un peu de rouge. Oh ! Et si ! C’était la Saint Valentin hier, et peut-être que l’étudiant a profité de la soirée pour aimer un petit peu.

Mais alors qu’elle comptait lui demander s’il avait une amoureuse (ou un amoureux, mais Nolan ne semble pas de ce bord là), il se met à lui parler d’un club obscur, secret, et que honnêtement, elle ne comprend pas.

« Que quoi ? » Elle a les yeux ronds, et elle le regarde. « Le club des aventuriers ? » C’est un club de joyeux amis, celui-là aussi. Mais Lou pensait qu’ils sortaient dehors, pas qui se cachaient. « Je ne comprends pas de quoi tu parles en fait. »

Lou n'est pas assez maligne pour comprendre les sous entendus. Et puis, elle n’avait jamais entendu parler de club queer. Impossible de faire le lien !

Lou hoche la tête, assez convaincue. C’est vrai qu’ils sont étranges, au club des aventuriers. Et puis, elle ne sait même pas qui s’y trouve ! Sûrement des gens mal lunés. Enfin, elle dit ça, mais elle a hésité à les rejoindre. Quand elle a visité les différents clubs à son arrivée à Kobe, elle a failli y aller, juste pour l’expérience. On doit quand même bien s’y amuser ! Sûrement plus qu’au karaté. Et pourtant, elle a tenu bon. Pas question de lâcher toutes ses années de travail. Elle conserve sa ceinture… et adieu le club d’aventures.

« Ah ! » Elle parle fort, encore, trop fort. Alors elle baisse d’un ton. « Eux. » “Eux”, comme si c’était en dehors d’elle. Elle comprend le principe d’un groupe, d’un club, pour pouvoir discuter, mais elle n’est pas sûre de vraiment avoir envie de s’y confronter. Elle a peur de ne pas trouver sa place, dans un environnement ou tout le monde sait ce qu’il est. Lou, elle se découvre encore, elle n’est pas sûre de son identité.

« T’es sûr qu’ils acceptent tout le monde ? Genre tout le monde ? Tu sais, moi je… Bah je commence. J’ai peur de pas savoir ce que c’est, tout le monde des LGB… T trucs là. »

Elle est contente de parler en français, elle n’aimerait pas que les autres personnes du café les comprenne.

Lou hoche la tête. Elle va y réfléchir. Vraiment. Sincèrement. Elle a bien besoin de comprendre tout ce qui se passe dans son corps et dans sa tête. Elle a une certitude, et elle l’a depuis longtemps, elle aime les filles. Mais ensuite, le reste, tout se bouscule. Est-ce que ça veut dire que les garçons c’est fini ? Si oui, est-ce que ça veut dire que le mariage, c’est impossible ? Pas d’enfants ? Pas de famille ?

Lou n’a jamais vraiment envisagé tout ça. Pour le moment, elle est jeune, très jeune. Mais elle sait que ce sont des questions que ses parents vont lui poser. Elle, pour le moment, le mariage et les gosses, ce n’est pas une préoccupation, mais son coming out en est une. Et si Mathéo râle parce qu’elle sera incapable de perpetuer la lignée ? Et si papa et maman sont déçus parce qu’ils n’auront pas de petits enfants biologiques ? Lou est à milles lieu de savoir toutes les alternatives.

« Je… » Elle semble hésiter, mais elle reprend vite un peu de confiance, en remontant les épaules et en bombant le torse. « Je pense que oui, il faut que j’y aille. Rien qu’une fois. Même si je ne comprends pas tout, et encore moins sur moi. Je pense que c’est important, rien qu’une fois. »

Mais d’un coup, alors qu’elle était toute heureuse, toute confiante, elle baisse finalement les bras :

« Mais ça veut dire que je dois y aller seule ? »

La lycéenne avale quelques gorgées de sa boisson. Le liquide sucré la réconforte immédiatement. C’est fou, le pouvoir des friandises. C’est une des meilleures manières de gérer une Lou en proie aux colères, ou à la tristesse. Il suffit d’un petit gâteau, d’une boisson chaude, ou d’un bonbon et la voilà, toute apaisée.

Elle ne sait pas vraiment où ça a commencé, ni pourquoi. Papa n’a jamais été très sucre. Du moins, elle n’en a pas l’impression. Ce n’est pas le genre à piquer dans la bonbonnière. Maman, par contre, elle a toujours eu une passion pour la pâtisserie. Française, surtout. C’est bien pour ça que Lou s’est mise à cuisiner. Alors, peut-être que c’est à cause de sa mère.

« Oui ! » Elle offre un large sourire à Nolan, maintenant qu’elle est un peu plus confiante. « Ca finit toujours par s’arranger, de toute façon. »

Elle a de la chance, Lou. Elle n’a que très rarement eu à se confronter au rejet. Elle ne s’en rend pas compte, mais c’est certainement à cause de son caractère solaire. Parce qu’elle passe assez vite des nuages au beau temps, ses camarades la voient comme une fille abordable, sympathique, et fiable. Le plus attire le plus, n’est-ce pas ? Lou incarne le plus.

« Mais même si ça ira… J’avoue. » Elle a l’air un peu plus gênée d’avouer que : « Je serai super, méga, ultra, maxi, turbo rassurée si tu étais pas loin. »

« Promis !? »

Le sourire de Lou est maintenant rayonnant. Elle est complètement rassurée à l’idée d’avoir un ami comme Nolan, qui la soutient. Finalement, c’est peut être le plus important. Plus important, encore, que d’être homosexuelle au grand jour ! Sortir du placard, ça fait peur, parce qu’on a besoin de personnes qui nous écoute, nous aime, sans nous juger. Parfois, Lou a peur que ce soit le grand changement, si elle venait à dire qu’elle aimait les filles. Pas seulement papa, maman, mathéo, anna, mais aussi tous les autres. Si elle semble moins intéressée par la popularité que sa grande soeur, Lou tient vraiment à coeur de ne pas perdre ses amis. Elle a besoin de personnes autour d’elle.

Alors, elle sourit, vraiment, parce qu’elle veut montrer à Nolan combien elle est heureuse que cette discussion ait pu avoir lieu. Elle prend quelques cuillères de gâteau, aussi, maintenant que son appétit est de retour.

« Merci, vraiment. Je ne pensais pas que j’avais autant besoin d’en parler, ça va déjà beaucoup mieux. »