[Terminé] Combien de temps vas-tu rester anonymous ? | ft. Naoki

annonymous.from.kobe@gmail.com a écrit:J’ai des photos compromettantes de toi. Rdv à 3h, demain, dans la salle commune, sinon elles seront envoyées à toutes les adresses mails de l’Université.

Des pas résonnent dans la salle commune. Nobu ne bouge pas. Il reste tapi, dans l’ombre, à regarder sa cible. Alors, comme ça, il est venu. Son sang bouillonne, et ses veines tambourinent sur son crâne. Nobu ne sait pas s’il a déjà été aussi énervé. Contre ses harceleurs, il n’avait rien pu faire, mais ce soir, il ne peut pas le laisser impuni.

Ce mec, il prendra pour tous les autres.

Et quand leurs yeux se croisent, Nobu entre dans la lumière. Son agresseur a une sale gueule d’idiot. Et il crie. Il crie le con. Et même s’il l’étouffe, Nobu regarde vers la porte pour s’assurer ne pas être attrapé par un surveillant. C’est quand même un piètre maître chanteur.

Et quand il parle, c’est pire. Nobu aurait aimé qu’il se taise. Comment peut-il oser parler de peur, alors que c’est lui qui l’insuffle aux autres ? Nobu se souvient de chaque mot du mail. Il les a lus tellement de fois qu’ils sont imprimés sur sa rétine. Ces mots, non seulement ils l’énervent, mais ils lui font peur. Ils lui rappellent tout ce qu’il ne veut plus jamais subir.

Alors, il commence à exploser : « Peur ? » Il essaie de chuchoter, mais sa voix lui échappe. « C’est toi qui ose parler de peur. » Il se rapproche de son ennemi. Il est plus petit, mais il a l’impression de pouvoir le dépasser. « Crache le morceau, vas-y, c’est quoi les photos ? Tu veux quoi de moi ? T’attends quoi ? Tu veux d’la thune ? Maman en donne pas assez ? Ou tu veux que j’fasse tes cours ? Dommage pour toi, j’suis pas du genre à m’écraser face aux connards. »

Nobu ne sait pas se battre. Mais ce soir, il fera semblant.

Il tombe des nues.

Le bourreau essaie de prendre la place de la victime. Et Nobu ne comprend rien du tout. Il garde la bouche grand ouverte pendant que Naoki discute. Il parle, il parle, d’ailleurs, ce type, sans jamais s’arrêter D’abord, il a l’impression que le jeune homme se fout de sa tronche. Qu’il essaie de changer les rôles, pour voir jusqu’où Nobu pouvait tenir.

Et puis, voilà qu’il parle de meuf. Il est à côté de la plaque. Complètement à côté de la plaque. Et c’est bien parce qu’il parle de meuf que la pression sur les épaules de Nobu disparaît. Complètement. Lui, il avait peur que son homosexualité soit dévoilée au grand jour. Mais Naoki ne semble n’avoir rien à charge contre lui.

D’abord, il se contente de répondre : « J’ai pas d’meuf. » Mais ce n’est pas vraiment satisfaisant. « Et j’avoue que j’ne comprends rien à ce que tu me dis. »

Très vite, Nobu sort de sa poche un téléphone portable. Il était éteint, pour éviter de faire du bruit et de le trahir. Il l’allume, dans le silence le plus total. Puis, il retrouve sa boîte mail, et ouvre la raison de sa présence ici.

« C’est ça, le mail que t’as reçu ? »

Il redresse le regard, comme pour chercher la vérité dans les yeux de Naoki. Avant de reprendre : « Parce que moi aussi j’l’ai reçu. »

« Oh merde. »

Ce que dit l’autre type a du sens. Nobu se sent stupide. Vraiment stupide. Le plus stupide de tous les stupides. Il a l’impression d’avoir tout fait de travers, et ce dès le début. Il aurait dû répondre au mail, essayer de suivre la trace du foutu harceleur, plutôt que de foncer tête la première dans un piège.

Parce que maintenant, il en est persuadé, il s’agit d’un piège.

« Honnêtement, j’en sais rien… » Nobu aimerait croire qu’il n’existe pas de photo. Qu’ils sont sortis d'affaires et qu’ils n’ont plus rien à faire que de rentrer dans leur chambre. Mais ce serait trop simple. Il réfléchit, réfléchit, mais n’est pas un génie. Il n’arrive pas à établir un plan convenable. « On est que deux, déjà, donc ce n’est pas un mail envoyé à toute l’Uni. » Surtout qu’ils ne se connaissent pas, ce n’est même pas un prank à une classe.

Nobu dévisage Naoki. Il ne l’a jamais vu. Alors, il essaye de comprendre ce qui pourrait les lier, eux deux. Sa première pensée : “ il est homosexuel, comme moi “. Mais il ne peut pas en être certain. Ce n’est pas comme si les gays se promenaient avec un drapeau arc-en-ciel à la ceinture. Et il ne peut pas se permettre de poser cette question sans se trahir.

Alors, il n’a qu’une idée qui lui vient en tête : « Cachons-nous, au cas-où qu’un pion arrive d’une, et au cas où le mec se pointe de deux.. »

Il fait un signe de tête à Naoki. Sa cachette précédente, ce n’était pas la bonne, trop visible, mais il doit bien y avoir des coins sombres.

Caché derrière la table, Nobu est en train de bouillir. Il n’en peut plus. Lui, d’habitude si calme, est prêt à exploser. C’est que l’année dernière, il n’a pas pris la bonne posture. Il aurait dû se défendre ! Et tout se serait bien passé. Si seulement il n’avait pas supporté les brimades. S’il s’était assumé ! Non. Non, même s’il s’était assumé, ça n’aurait rien changé. Les gamins, ce sont des connards. Les ados, ce sont des connards. Les jeunes adultes, ce sont des connards. Les homophobes, à n’importe quel âge, ça ne mérite rien d’autre que des claques.

Et il arrive.

Nobu n’en revient pas. Il arrive.

Il arrive et il a l’air de rien. Rien d’autre qu’un petit couillon, qui ferait mieux de retourner sous les jupons de sa maman. Au moins, ses anciens harceleurs avaient de la gueule. Ca, Nobu, il peut bien l’admettre.

Quand Naoki lui demande de se taire, Nobu s’ordonne. Il aurait bien envie de sauter à la gorge du gamin, mais ce serait pas sage. D’abord, il faut voir ces fichues photos. Alors, il suit le mouvement, il regarde, il écoute, et il essaie de se maîtriser. Et il les a, en plus, ces foutues photos ! Dans ses mains, imprimées. Nobu se penche, et les regarde.

C’est exactement ce qu’il craignait. Entrant le bar gay, dans lequel Nobu a l’habitude de performer en tant que Drag Queen. Ils sont tombés sur un chasseur de licorne. Sur la seconde photo, Nobu, à peu près dans la même position, discute avec un ami devant le même bar. Enfin, ami… Les deux sont très proches. Trop, pour des amis.

« T’as d’autres exemplaires de ces photos ? »

La voix ferme, mais encore sage. Nobu pourrait s’énerver, mais il veut lui laisser le bénéfice du doute. Pourtant, juste du papier, ce serait trop beau pour être vrai.

Oh,  bien sûr qu'il en a des copies ! Les types comme lui, ça a toujours des copies ! Et il demande une contrepartie, en plus. Il faut vraiment être une enflure, une méga-giga grosse enflure, pour demander de l’argent pour ce genre de photographie. On est en 2018, zut ! Il serait temps d’ouvrir ses chakras et d’accepter les homosexuels.  

Nobu aimerait bondir sur ce gamin, et lui faire peur. Bien, bien, bien peur. Le genre de peur qui lui ferait pisser dans le froc, et pleurer sa maman. Pourtant, Nobu ce n’est pas vraiment un violent. D’habitude, il préfère la fuite à la bagarre. Mais aujourd’hui, il est énervé.  

Ce n’est toujours pas son heure. Il fait le petit chienchien, aux ordres de  Naoki. Après tout, cette place lui convient. Il préfère rester en retrait. C’est peut-être plus sage de ne pas être trop violent. On ne sait jamais, il pourrait avoir une super-télécommande, digne des méchants de James Bond, prête à diffuser la photo à toute l’école.  

Ah ! Naoki s’en sort bien, avec sa photo. Lui, il ne fait que rentrer dans le bar. On pourrait même croire que c’est un bar normal, comme les autres. Nobu a l’air beaucoup moins hétérosexuel sur sa photographie. Alors, il n’est pas vraiment d’accord avec l’argumentaire de Naoki. Mais il laisse faire, on ne sait jamais, qu’il soit persuasif.

Mais bien sûr que non, il ne l’est pas. Nobu crisse des dents, et lâche un « connard. », moins discret qu’il ne l’aurait souhaité. Il sort comme ça, tout seul. Parce qu’il en a croisé des religieux. Des bouddhistes, et des catholiques. Y’en a des très gentils, qui ne ressentent pas le besoin d’écraser les autres pour survivre. Nobu est monté sur ressort.

Il veut rentrer dans le ring.

Et Naoki lui sonne le “la”.  

Alors, il rentre dans ce foutu ring. Il s’y élance, même. Il se rapproche du petit gamin. Il se rapproche d’un coup, furtivement, de manière inattendue. Il est si proche que leurs fronts pourraient se toucher. Il est si proche qu’il pourrait arracher les photos de ses mains, comme ça, et qu’il pourrait l’envoyer valser au sol. Mais il ne le fait pas. Il veut jouer avec ses nerfs.  

Et il a les yeux qui font peur. Qui sont noirs, qui sont énervés. Il voit que ça marche. Il n’est plus si fier, le gamin. Il essaie de se justifier. De dire qu’il a les photos en sa possession, et qu’il pouvait les envoyer à tout moment. « Ah ouais, même maintenant ? » Il se tait. Bon signe, il n’a pas de quoi les envoyer tout de suite. Pas si préparé, le méga-hacker. Il sourit. C’est le moment de jouer la carte de l’extra-gay. «Et mon chou, faut faire attention, à nous fréquenter de trop près... On ne sait jamais que ça soit contagieux. Un petit bisou et... » Que d’la gueule. Nobu n’a aucune envie de l’embrasser. Ni de le toucher. Mais à la tronche qu’il tire, le petit jeu d’intimidation fonctionne. Mais malgré sa peur, rien n’y fait, il ne change pas de discours.

« De la thune, de la thune ! C’est tout ce qui compte pour toi ? Pourquoi tu veux d’la thune ? Tu crois que c’est en te donnant des petites coupures que tu vas éradiquer l’homosexualité ? Eh mon chou... » Il pose une main sur l’épaule du garçon. Oh c’est dégueu. Toucher un connard pareil... Mais bon, à la guerre comme à la guerre. « C’est pas plutôt un peu d’amour qu’il te faut ? J’en ai à te donner, si tu veux. »

« Dégage ! » Qu’il répond. Arg. On est pas sorti d’affaire.

Le click de l’appareil surprend Nobu, qui tourne tout de suite la tête. Il voit le téléphone de Naoki braqué sur lui, ainsi que sur le pauv’type. C’est une bonne stratégie, mais c’est aussi… Oh non. Pourquoi il faut toujours que ce genre de situations lui arrive à lui ? C’est bien facile, pour Naoki. Nobu il perd, dans tous les cas. Que ce soit sur les photos du binoclard, ou sur les photos du chantage, il apparaît complètement gay.

C’est qu’il est complètement gay, aussi.

Un peu estomaqué, il laisse à Naoki le lead, et la discussion. Il a réussi à prendre l’harceleur de cours. Et Nobu ne s’y attendait pas. C’est que ça marche plutôt bien !. Le garçon se débat et Nobu le laisse partir. Plus besoin de lui faire peur ! Le discours de l’étudiant en arts est construit, clair, et effrayant

Note pour plus tard : ne pas se disputer avec Naoki, c’est un adversaire puissant.

« Tu dis n’importe quoi !!! »

Nobu se rapproche de Naoki, pour regarder la photographie. Mais c’est que c’est rassurant ! « Sympa, le cadre. » Se permet-t-il de lancer, avant que Naoki décrive l’image à leur nouvel ami. « Tu devrais faire de la photo. » Ce sont de tels talents dont nous avons besoin pour le club de journalisme.

Et c’est dans la poche. Il capitule. S’en était presque trop simple. Il ne fallait rien qu’un peu de chantage pour pouvoir faire chanter le maître chanteur. Naoki semble jubiler, et il en a bien le droit. Brûler en enfer, Nobu n’en a vraiment rien à foutre. De toute manière, il ne croit pas au paradis.

Il était prêt à le laisser fuir quand Naoki dépose le baiser de la mort. Pas le plus sexy des baisers. Mais certainement l’un des plus agréable.

Maintenant que l’autre type est parti, énervé, dégouté, Nobu fait signe à Naoki de se rapprocher. « C’était bruyant, allons nous cacher pour éviter les surveillants. » Il le tire vers la table, c’était pas si mauvais comme planque. Et il se permet de lui dire, avant que chacun puisse rentrer dans son lit : « Tu sais, cette histoire de… » Il fait une pause, pour trouver les bons mots. « De bar gay. Faut pas en parler. Je veux que personne ne le sache… Tu veux bien ? »

De toute manière, sinon quoi ? Il espère que Naoki sera compréhensif.

Les épaules de Nobu se détendent doucement. C’est comme si la pression de ces dernières heures le quittait d’un seul coup, en une seule parole. Il ne dira rien du tout. Et même si Nobu aura toujours un petit doute, il a l’impression de pouvoir faire confiance à son partenaire d’un soir. Il va encore avoir la tête à cette histoire, pendant quelques semaines. Il va regarder ses mails, ainsi que ses réseaux sociaux. Pas question de lâcher l’affaire, pas question de laisser des photographies dans la nature. Il espère que tout sera supprimé de l’ordinateur du binoclard.

Pourtant, il en doute…

Il sait que rien ne disparaît vraiment. Une preuve, c’est une preuve, et Nobu n’en est pas fan. C’est comme la photo, qu’il avait posté sur son profil grindr. C’est une preuve. Le screen de son profil sur l’application ne sera jamais supprimé. Il sait que cette photo gravite encore dans les cercles de son ancienne école. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’elle n’arrive dans les mains des étudiants de Kobe. Nous ne sommes pas si loin d’Osaka.

Nobu aimerait juste profiter de quelques mois de tranquillité avant de devoir re-gérer l’homophobie.

« Je ne dirai rien non plus. Promis. »

Il tient ses promesse. Et puis de toute manière, à qui il pourrait bien en parler ? Nobu, il n’a pas vraiment d’amis. Juste des connaissances. Et encore… Si on peut appeler ça des connaissances. Depuis qu’il est à Kobe, il préfère garder ses distances.

« Nobu Yoshimoto, seconde année littérature. Bienvenue ici, je crois ? » Il hausse les épaules, le pauvre, il commence quand même bien bizarrement l’année. « Et c’est normal, je t’ai pris pour lui aussi. L’homophobie, j’connais un peu trop. »

C’est le stress ? Le choc ? Il parle trop de lui, là, Nobu ! Alors, il se reprend rapidement.

« Enfin, bref, va falloir rentrer avant de croiser un pion. Autant t’éviter un avertissement le premier mois. »

A pas de souris, ils avancent dans les couloirs. Nobu regarde tout autour de lui. Les pions ne semblent pas de sortie. C’est qu’il est tard, et ils doivent eux aussi être dans les bras de Morphée. C’est drôle, les dortoirs, quand tout le monde est endormi. C’est agréable, aussi. Il doit y avoir des heures pendant lesquelles il est plus simple de faire le mur. Nobu y pensera, pour une prochaine fois. Pour le moment, les nuits sont encore trop fraîches pour les passer à la belle étoile. Mais parfois, le bruit des vagues lui manque. Il a essayé de télécharger une application pour les écouter avant de dormir, mais ce n’est pas pareil.

Naoki est silencieux, lui aussi. Et c’est pas plus mal. En fait, Nobu aime la compagnie du silence. Finalement, ce sont les garçons les plus calmes qui l'intéressent. Pourtant, même si Naoki semble aimer les hommes, Nobu ne l’envisage pas comme une potentielle cible amoureuse. Il préfère ses relations secrètes dans des lieux dédiés. Le bar gay, c’est pour ça, c’est pour flirter en toute impunité.

Et ils arrivent vers leurs chambres. Et Naoki décide de rompre le silence. Oh, zut, il avait fait un sans faute, avant de parler. Et voilà qu’il embarasse Nobu dont les joues rouges sont cachées par l’obscurité de la pièce. Comment ça, il aurait voulu l’embrasser ? Cette simili-déclaration rend Nobu pantois, qui ne répond rien, et qui regarde Naoki rentrer dans sa chambre la bouche en cœur. U-4, sa chambre, hein ? Il va s’en souvenir. On ne sait jamais, que ce soit utile.

Puis, tout seul, il monte l’étage pour se rendre à sa chambre, la 101, retourner à son lit… Et espérer s’endormir sans l’image de Naoki et de ses lèvres.

#terminé