annonymous.from.kobe@gmail.com a écrit:J’ai des photos compromettantes de toi. Rdv à 3h, demain, dans la salle commune, sinon elles seront envoyées à toutes les adresses mails de l’Université.
Devant son ordinateur, Nobu est livide. Interdit, il lit et relit les phrases du mail sans pouvoir les comprendre. Pas d’objet. Et l’adresse de l’envoyeur ressemble à celles des adolescents rebelles. Une part de lui n’a pas envie d’y croire. C’est certainement un étudiant en informatique qui fait une blague. Une affreuse grosse blague. Mais il ne peut s’empêcher de repenser à Osaka.
L’année dernière, il a vécu la même histoire, ou presque. Les photos compromettantes ? Des captures d’écran de son profil sur Grindr et de quelques conversations osées. Le moyen de communication ? Des groupes sur les réseaux sociaux. Des groupes privés, d’un entre soi masculin. Et en un rien de temps, il est passé de jeune homme appréciable à apprécier à victime de harcèlement homophobe. Il s'estime chanceux, ce n’était que des mots, il n’a pas vécu de violence physique. Mais il a peur.
Depuis Osaka, il a tiré une croix sur la possibilité d’un jour faire son coming out. C’est trop douloureux pour lui. De toute manière, il ne comptait pas vraiment vivre son orientation sexuelle de manière publique. Ses parents ne supporteraient pas ! Alors, vivons heureux, vivons cachés. Il a supprimé son visage de toutes les applications de rencontres, et fait attention à sortir capuché lorsqu’il rejoint le bar gay de la ville (ou habillé en Drag Queen, méconnaissable). Pas question qu’un inconnu et anonyme le sorte du placard.
Demain, à 3 heures, il sera dans la salle commune.
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Il n’a pas pu se concentrer de la journée. Malheureusement, il avait des cours importants. Il a réussi à prendre quelques notes, mais guère plus. Un calvaire à rattraper, ce temps de perdu ! Il n’a pas arrêté de se demander : qui a bien pu lui envoyer ce mail ? Il a beau réfléchir, il ne se voit pas d’ennemi. Il ne sait pas non plus qui aurait pu le griller. Il y a bien la petite blonde, au bar gay, qui l’a vu comme Drag Queen. Elle avait compris qu’il étudiait… Mais de là à le reconnaître et à le balancer ! Non. Ce serait très étonnant. Pendant la classe, il a regardé tous ses camarades, un à un. Lui ? Elle ? Aucun scénario n’était probant.
Il n’est pas allé au club, après les cours. Il n’a pas réussi. Ni celui de journalisme, ni celui de natation. Nager, ça aurait pu l’aider à se vider la tête. Mais il ne veut pas vraiment se vider la tête. Il a surtout envie de comprendre. L’attente est insoutenable. Insupportable. Il a besoin de savoir à quelle sauce il va se faire manger.
Il n'a pas pu profiter du repas. Il n’a pas faim. Un peu de riz, beaucoup d’eau, et c’est tout. Puis, il a attendu. Il a attendu, devant son ordinateur, au cas où un mail arrive. Une excuse, un changement de lieu, d’heure, peu importe. Il attend, et il ne peut rien faire d’autre. Il n’y arrive pas.
Trois heures approchent. Le couvre-feu ? Nobu n’en a que faire. A vrai dire, il trouve cette règle débile. Déjà, chez lui, il faisait souvent le mur pour rejoindre la mer. Depuis qu’il est à l’Université de Kobe, il a toujours été sage, mais c’est ce soir le cadet de ses soucis. Il préfère se prendre une heure de colle que voir des photos personnelles diffusées à tous ses petits camarades. Il en a déjà fait les frais.
Un quart d’heure avant le rendez-vous, il sort de sa chambre. Il se fait discret. Il a retiré ses chaussures, et marche en chaussettes, jusqu’à arriver à la salle commune. Il se met dans un coin, dans le noir, caché par le mobilier. Comme ça, il pourra surprendre son assaillant.
Enfin, s’il daigne se montrer.