Comment avait-elle fait ? Elle, qui, pour ne pas avoir à affronter le froid de décembre les cheveux trempés, prenait directement ses douches au gymnase après l’heure de club après avoir systématiquement vérifié qu’elle avait bien pris son savon et ses vêtements de rechange avant d’aller à la piscine. Un oubli. Comme beaucoup d’autres cette dernière semaine. Entre les différents examens, son esprit au repos n’avait cessé de lui échapper comme il le fait encore à cet instant.

Pablo. Pablo et son regard intense. Pablo et son sourire… Encore une fois en le voyant dans le couloir, elle a eu envie de se rapprocher de lui, de lui parler, de lui demander quelle bêtise il avait encore fait. Juste passer du temps avec lui et s’ils sont seuls suffisamment longtemps, peut-être que… Non. S'interdisant de penser à ses lèvres alors que son cœur s’affole à l’évocation du souvenir, la jeune fille frotte plus vigoureusement sa tête pour finir de rincer le chlore de la piscine. « Monsieur-hormones-en-rut ». Ça lui va bien. Elle pense même qu’il n’est pas le seul à avoir les hormones en ébullition et sent la chaleur lui remonter au visage. Qu’a-t-il bien pu faire pour que la surveillante l’appelle ainsi ? Tenter de voir les filles sous la douche ? Une en particulier…? Il ne semble pas avoir envie de se poser, et elle-même n’est pas certaine de savoir ce qu’elle veut vraiment le concernant. Plus sérieusement, quelle fille voudrait sortir avec un mec qui en embrasse une, complimente une autre et donne des rendez-vous sous la douche à une troisième ? À tâton, elle cherche le robinet, coupe l’arrivée d’eau un peu trop sèchement. Elle lui en voudrait d’ainsi la perturber et faire comme si de rien était. Enfin presque. Les regards, les sourires… Ils sont plus appuyés, plus intimes qu’auparavant. Non ? Se ferait-elle juste des idées ? Passant le dos de ses doigts sur ses yeux, elle en chasse l’eau avant de les ouvrir.

Elle en a vu des films d’horreur. Elle en a fait des cauchemars. Où l’héroïne, la victime, fait poursuivre, attaquer et qui, dans une terrifiante et sanglante scène, pousse son cri le plus strident et s’éteint dans un soupir. Elle en a vu, des vues des images de bacs de douche saccagés, lorsque Mère Nature se rappelle à elle une fois tous les mois et qu’elle se retient de tourner l’œil en faisant disparaître dans le siphon toute trace de cet état qu’elle juge indésirable pour les douleurs qu’il lui procure.

Ce qui se présente sous ses yeux n’est ni un film d'horreur, d’épouvante, ni un sale tour de Dame Nature. Elle ne pense même pas à un sale tour tout simplement, n’a pas le temps de penser, qu’un hurlement lui échappe, maltraite ses cordes vocales, lui vrille les oreilles dans l’espace réduit. Pour elle, le glas ne sonne pas. Tremblante, elle s’extirpe de la cabine de douche, pâlit en voyant son reflet dans un miroir, manque de s’évanouir et dans un éclair de lucidité, attrape sa serviette pour cacher sa nudité.

Face à Anzou-san, la surveillante, Tsumugi est tétanisée. Elle ne comprend pas ce qu’il s’est passé, n’a pas mal et cherche la douleur, la blessure sur sa tête, jusqu’à ce que la jeune femme arrive à la calmer et qu’elle comprenne qu’elle a été victime d’une mauvaise blague. Elle est gentille Anzou-san, à l’aider à se laver les cheveux. Elle est forte aussi. Elle impressionne Tsumugi à savoir agir dans l’urgence tout en rassurant la « victime ». Elle est quasi certaine que si elle s’était véritablement blessée, Anzou-san aurait su exactement quoi faire sans céder à la panique.

« Merci… » Souffle la jeune fille à la surveillante, lorsqu’elles jugent ne plus pouvoir rien faire pour ses cheveux à moitié rose. Il lui faudra attendre ses prochains shampoings pour finir de faire partir le colorant. Un effet de mode dont elle se serait volontiers passé, surtout en pleine période d’examens. Déjà qu’elle est blonde, si maintenant elle est rose, elle attirera encore plus les regards. On se souviendrait d’elle comme la fille qui s’est retrouvée avec les cheveux roses à cause d’un prank sous la douche. On rigolerait en se souvenant de son cri à réveiller un mort…

Chez la CPE, elle peine à ne pas toucher ses pointes, caresser ses longueurs, enfouir ses doigts dans les petits cheveux à la base de sa nuque quand d’autres souvenirs lui reviennent en mémoire. Un bureau différent, une conseillère différente. Ce n’est pas sa mère à côté d’elle, mais le grinch qui malgré lui, lui tire un sourire et des pensées moqueuses qu’elle se garde de partager. Elle ne supporterait pas de subir son humeur alors qu’elle peine à se remettre de ses propres émotions. Elle reste distraite jusqu’à ce que la CPE les autorise à s’en aller. Là, dans le couloir, elle recroise Pablo, escorté par sa nouvelle surveillante préférée. Elle se fige, comprenant alors qu’il est l’auteur de la plus grosse frayeur de sa vie et de son désastre capillaire. Qu’il dise rouge ou rose et elle explose. Qu’il sourit et elle lui en ferait voir de toutes les couleurs. Dans son esprit, les pensées s’agitent, hurlent à la vengeance, échafaudent mille et un plans pour lui renvoyer l’ascenseur. Son regard dans le sien alors qu’il passe près d’elle, elle aimerait être dotée de super-pouvoir, de savoir lire dans les esprits ou mieux, communiquer par télépathie. En cet instant, elle ne s’imagine pas lui faire passer des mots doux. Se mordant la lèvre, elle retient péniblement l'agressivité des mots sauvages qui galopent sur la plaine de sa langue. Non, elle ne parlera pas. Jusqu’à ce que la couleur parte, elle espère qu’il profitera agréablement de son silence et de ses regards assassins.