[Terminé - L1] Tu feras de moi une femme | Tsumugi

Ce qui est drôle, c’est que Tsumugi n’arrive pas à faire le lien entre Le super canon à tête de con sur la photo et ce que Lou lui a mis sous les yeux. Il n’a pas franchement l’air d’être quelqu’un qui s’intéresse aux gâteaux. Plutôt à les tenir éloignés de sa superbe plastique. Mais qui est-elle pour juger ? L’habit ne fait pas le moine ! Même à elle, on lui a déjà dit qu’elle ne semble pas être du genre à s’intéresser aux jeux.

« Oh ! » S’exclame t-elle lorsqu’un message s’affiche, dans une langue qu’elle ne connait pas. « Tu as reçu un message d’une Louis… Okami-chan ? Tout va bien ? »

Les yeux levés vers sa colocataire, Tsumugi s’inquiète. Elle transpire le malaise. Elle les baisse sur le téléphone qu’elle tendait à sa cadette. La notification a disparu, mais la photo est toujours là. Le message, était-il si compromettant ? Retour à la jeune fille. Puis le téléphone. Quel dommage qu’elle n’ait pas compris ce qu’il veut dire. Des mots d’amour peut-être ? L’idée la fait sourire intérieurement puis…

« Ooooh ! » Fait-elle, avec l’air de quelqu’un qui a tout compris. « Je vois… »

Hochant la tête, elle finit par tendre l’appareil à Lou, un sourire bienveillant flottant sur ses lèvres.

« … En fait c’est « Lui » c’est ça ? » Demande-t-elle tout bas. « Laisse-moi deviner… Pour ne pas que tes parents sachent que tu as un petit ami, tu lui as donné un prénom de fille ? »

Plissant légèrement les yeux, Tsumugi observe les réactions de la jeune fille.  

Tsumugi ne comprend pas. Qu'est-ce qui dérange à ce point sa colocataire ? Pourquoi Lou parle à demi-mot ? Peut-on même dire qu'il s'agit de demi-mot ? Elle ne dit rien. Tsumugi ne comprend rien. Est-ce parce qu'elle est une fille et que ses parents ne veulent pas qu'elle ait un petit copain ? D'accord. OK pour le cacher à ses parents, mais … Tout le monde ? Pourquoi lui en parler à elle ? Décidément, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond et l'histoire de Lou lui fait des nœuds au cerveau. Ne peut-elle pas simplement parler librement de ce qui la tracasse ? Parce qu'elle le voit bien, Tsumugi, que Lou est terriblement mal à l'aise. S'il lui faudrait une mention en psychologie pour comprendre ce qu'il y a vraiment dans la tête de la jeune fille, elle n'en a pas besoin pour voir que ça ne va pas.

Entre les mots de Lou, le SMS et la photo impersonnelle qu'elle lui a montrée, Tsumugi essaie tant bien que mal de faire des liens, de comprendre ce qui gêne. Elle en a besoin. Elle en a envie. Comprendre Lou, se rapprocher, l'aider si elle le peut. Et puis, ça la peine, au fond, qu'elle ne lui fasse pas assez confiance pour lui parler librement. Et si le problème était là ? La liberté ? Lou n'a peut-être pas le choix, la possibilité de laisser parler ses envies ? Ses désirs ? Se conformer à un idéal de la société ? Inconsciemment, elle caresse des cheveux blonds. Son grand-père paternel avait eu bien du mal à accepter sa mère pour belle-fille après tout.

Fronçant légèrement les sourcils, Tsumugi repense à ce que Lou lui a dit, qu'elle sera pour elle dans 10 ans, et soudainement ses mots lui semblent bien moins innocents. Elle préfère ne pas trop y penser, pour ne pas faire de fausses idées et se montrer indélicate. Elle voudrait lui faire comprendre, à Lou, qu'elle peut se livrer sans crainte, qu'elle peut compter sur Tsumugi que ce soit pour la coiffer, l'aider à s'habiller, ou parler des tourments de son cœur. Se déridant, elle finit par sourire.

"Pourquoi le cacher ? Parce qu'il est blond ? Il ferait fondre la calotte glaciaire avec ses super tablettes de chocolat qui réverbèrent la lumière du soleil ?"

Elle a le regard amusé, pétillant de malice.

"Plus sérieusement… Je trouve ça dommage que les gens jugent sur un physique, un genre, une communauté …. Ce serait tellement plus simple si on acceptait juste nos différences et qu'on nous laissait aimer qui l'on veut, qui l'on désire sans avoir à se sentir jugé constamment et devoir se justifier sur nos choix…"

Est-ce qu'elle comprend Lou ?

"Mon oncle… Du côté de ma maman est homosexuel… Ça m'amuse un peu quand tu dis "tout le monde" parce que, il nous racontait à moi et mes frères ses petits stratagèmes pour fréquenter son copain de l'époque du lycée sans que mes grands-parents le découvrent. L'une d'elles, c'était de lui avoir donné un prénom de fille quand ils échangeaient par courrier ou qu'il voulait parler de "lui"."

Elle capte Lou ?

"Enfin bon, de ce côté-là de la famille, ça va, ils sont ouverts… Donc quand ils l'ont su, mes grands-parents l'ont pas mal pris. Ça aurait été un peu différent dans la famille de mon père… Mais bon, maman dit que dans chaque famille, même si on fait au mieux pour le cacher, il y a toujours au moins un gay, un fou et une veuve noire… Entre nous, je préférerais être gay que folle ou veuve ou complétement coincée du cul… Au moins, j'ai plus de chance d'être heureuse jusqu'à la fin de ma vie avec la personne que j'aurais choisi d'aimer, même si ça veut dire soulever des tensions avec une partie de ma famille. De toute façon… Je pars du principe que si quelqu’un rejette une autre par rapport à ses préférences alors qu'elle se disait "proche" c'est qu'au fond elle ne devait pas tant l'aimer pour accepter cette "part" de personnalité…"

Elle sourit.

"Enfin bon… Tout ça pour dire que… si tu veux parler de ton copain… de ses cheveux soyeux sans qu'il n'ait à porter le nom d'une fille que tu fais passer pour une amie ou… ou tout autre chose… Dis-toi que ta coloc est là et qu'elle ne jugera pas et qu'elle ne répétera rien…"
 

Lou s'agite, se tourne, regarde vers les coins de leurs colocataires quand elle commence à parler d'homosexualité. Intérieurement, malgré le sérieux de la situation, Tsumugi danse, Tsumugi crie d'avoir ainsi mis le doigt sur les préoccupations de Lou. Si elle osait, elle aurait sorti une réplique d'un film d'espionnage et se serait félicitée de sa capacité d'analyse. Elle se retient, se contient, car l'heure n'est pas à la rigolade et qu'elle ne sait pas si Lou prendrait aussi bien que Nissa ses pitreries, même pour dédramatiser la situation. Elles ont en tout cas le même problème. Dommage que Tsumugi ne puisse rien dire. Elles auraient pu se soutenir et s'encourager si elles savaient.

Elle est adorable Lou. Ses remerciements sonnent comme la fin de la conversation, la fin de leurs confidences et surtout un aveu aux oreilles de la jeune fille. Et Tsumugi le prenant comme une marque de confiance, lui sourit. Elle n’a pas besoin d’en dire plus et ne lui en veut pas de ne pas s’expliquer, lui apporter d’autres réponses ou relancer la conversation. De toute façon, ils ne tarderont pas à se coucher. Se redressant, se rapprochant de Lou, elle glisse ses doigts sous la frange de sa colocataire et la remonte pour dégager son front. Avec douceur, Tsumugi vient y poser ses lèvres. Si le geste est spontané, la jeune fille espère que Lou le verra comme un signe, une promesse, celle de ne pas la laisser tomber, de ne pas la juger, l’accepter telle qu’elle est et que rien ne changera la façon dont elle la perçoit. Si elle ne veut pas parler, s’épancher, Tsumugi le comprend et l’accepte. Elle saura cependant se montrer présente si Lou en ressent le besoin.

« C’est un bisou protecteur… » Souffle-t-elle, sur le ton de la confidence, le regard pétillant, tout en s’écartant et replaçant la frange de sa jeune amie avant de reprendre plus haut. « Je crois que chez moi, j’ai une valise avec des vêtements que j’ai très peu portés, mais qui ne me vont plus et ma mère voulait les donner à des associations… Si… Si ça te dit, avant qu’on les donne, si maman l'a pas déjà fait, je pourrais peut-être les apporter et si y a des choses qui te vont et qui te plaisent… Tu pourrais les garder ? Ce sera toujours ça de gagner sur nos futures sessions shoppings et ta transformation en « vraie femme ». »

Soufflant du nez, Tsumugi lui fait un clin d'œil.