[Terminé - L1] Tu feras de moi une femme | Tsumugi

Assise, sur son lit, Lou fixe sa petite penderie. Elle est pleine de fringues en boule. Parce que rien n’y est rangé, la lycéenne prend toujours les mêmes vêtements : un uniforme de collège, ou un vieux survêtement. Quelques barrettes sur le front, et ça suffit. Lou, elle s’en fiche un peu de son physique. Surtout qu’elle ne s'habille pas pour le regard des hommes.

Non, Lou, elle aime être regardée par les femmes. Mais, encore un peu flippée par le fait de l’assumer, elle préfère être regardée par personne. Parfois, quand elle croise les yeux d’une fille qui lui plaît, son cœur loupe un battement. Peut-être qu’elle l’admire ? Non. Non. Sûrement pas.

Parce qu'elle ne ressemble à rien, quand elle se balade sur le campus. Elle le sait. Pas qu’elle n’a pas envie de devenir plus féminine. Y’a bien des jours où elle aimerait être jolie, mais elle ne sait pas comment faire.

Et c’est dans ce contexte que s’inscrit Tsumugi.

Une belle femme. Blonde. Toujours bien habillée. Et même qu’elle sent super bon ! Une fille, tout ce que n’est pas Lou. Ses vêtements, elle, elle les plie bien. Sa valise, elle était bien triée. Une vraie fille, une sur lesquelles les hommes se tournent. Les filles, même, Lou en est sûre ! C’est qu’elle se tournerait sur Tsumugi.

Tsumugi, elle change de ses autres colocataires. Voir une fille entrer dans la chambre, s’installer sur le lit, ça a fait du bien à Lou. Loin de là l’idée de l’objectiviser, ou de la draguer. Avoir une présence féminine, c’est rassurant.

Et un soir, alors que Lou s’apprêtait à partir se doucher, les vêtements sur les cuisses, et les cheveux mal coiffés.

« Dis, Sato-san, tu veux bien m’apprendre à ressembler plus à toi ?... » Petite pause. « A une vraie femme ? »

Secs ? Ses cheveux ? Immédiatement, Lou passe une main dans sa crinière. C’est qu’en bonne japonaise, elle les lave tous les soirs. Avec la transpiration de la journée, pas question de glisser dans son lit sale. L’adolescente aime bien ses cheveux. Noirs, lisses, longs. Elle n'a jamais voulu les couper. Alors, oui, les cheveux longs ce n’est pas toujours pratique pour la course ou le karaté. Mais ça lui laisse une petite part de féminité.

« Eh ben… »

Est-ce que c’est vraiment un soin capillaire qui la rendra plus femme ? Elle s’attendait à un changement plus impressionnant. Une scène à la Pretty woman, avec descente d’escalier et tout le tsouin tsouin ! Mais un bon shampoing, ça fera tout autant l’affaire.

Puis, il suffit de jeter un coup d'œil sur la magnifique crinière blonde de Tsumugi. Brillants, légers, divins. Lou se demande parfois si c’est une coloration. Mais même les racines sont lumineuses. Bien sur qu’elle a remarqué les traits métissés de sa colocataire, mais les cheveux blonds, c’est pas commun !  

« C’est un bon commencement, les cheveux ! »

Un large sourire illumine le visage de Lou. Elle se redresse immédiatement, manquant de faire tomber ses habits à la renverse. Direction : la douche !

Qu-que ? Quoi ?  Lou s’arrête, comme au jeu “1,2,3 soleil”, toujours en position de marche. Les soins, ça ne se fait pas sur cheveux mouillés ? Définitivement, Lou ne comprend pas comment ça fonctionne, toutes ces histoires de se faire belle. Naturellement, elle avait pensé faire comme dans les publicités, que l’on voit à la TV. Masques et après-shampooings : sous la douche !

« On risque pas d’en foutre partout ? »

Pas que Lou soit maniaque, elle a même tendance à s’éparpiller, elle et ses affaires. Elle préférerait juste que le Mori ne grogne pas en voyant des produits pour cheveux partout sur le sol. Mais Tsumugi semble sûre d’elle. Lou l’écoute, lance ses affaires en boule sur son lit, et rejoint la chaise. Après tout, c’est Tsumugi la boss en matière de chevelure.

« C’est sale de pas les laver tous les jours. » Les préjugés ont la vie dure. Au Japon, la douche, c’est tous les soirs, et le shampoing, aussi. Sa maman lui a toujours dit que le lit, ce n’était pas un endroit dans lequel il faut ramener des saletés. Lou est une bonne petite fille, et l’a bien écoutée. « C’est quoi ça ? » Elle pointe du doigt la bouteille d’après-shampoing. Ca ressemble aux bouteilles en plastiques de savon, rien de plus classique. A vrai dire, elle aurait pu la confondre avec celle de son propre produit, et l’emprunter sans se poser de question. Y’a pas à dire, la beauté et elle, ça fait deux.

« Pas exactement “une” personne. »

Et puis, même si c’était le cas, Lou n’oserait pas en parler à Tsumugi. L’adolescente a un léger penchant pour les femmes. C’est plus facile de les draguer sur les réseaux sociaux. Entre les filtres et la distance. Comme ça, pas besoin d’en parler aux copines. Vivons heureuses, vivons cachées. Depuis quelques semaines, elle flirte toujours avec la même, une française qui tient, comme elle, un petit compte de pâtisserie. Maladroite, Lou écrit des phrases dans un français approximatif, accompagnées de quelques selfies retouchés. Pour le moment, ça fonctionne bien.

« C’est juste, en général. J’aimerais bien plaire un peu. »

Les yeux plissés, Lou détaille les composants de l’après-shampoing. “Aqua, Cetearyl Alcohol, Behentrimonium Chloride, Cocos Nucifera Oil, Argania Spinosa Kernel Oil, Prunus Amygdalus Dulcis Oil, Jasminum Officinale Flower Extract, Dipropylene Glycol, Glycerin, Parfum, Sodium Benzoate, Disodium EDTA, Lactic Acid, Alpha-Isomethyl Ionone, Linalool”. Elle ne comprend pas un seul des mots. Si seulement elle était plus sérieuse en chimie, peut-être qu’elle pourrait saisir une ou deux molécules ? Lire la bouteille, ça l’embrouille encore plus. Finalement, elle la pose sur ses cuisses, et décide de ne rien lire davantage. Elle a compris le principal : c’est bon pour les cheveux, et ça permet de les rendre tous brillants. C’est tout ce dont elle a besoin.

Les mains posées sur la bouteille, elle ferme les yeux pour profiter de l’instant. Elle est douce, Tsumugi, super douce. Maman, elle était beaucoup moins sympathique avec les cheveux de Lou. Un peu bourrue, elle avait tendance à tirer sur les pointes. Lou est très peu douillette. Mais, elle doit bien l’admettre : c’est bien plus agréable de se faire chouchouter.

« Si quelqu’un m’aime bien, il ne me l’a pas dit. » Sauf Louise, peut-être, son flirt d’Instagram. Mais ce n’est pas vraiment pareil. Lou pourrait avoir les cheveux doux, comme tout rèche, que Louise n’en aurait rien à faire. « Et puis franchement, je suis pas sûre que ce soit le cas. Je ne suis pas vraaaaiment le genre qui attire les regards. » Contrairement à Tsumugi. Elle, c’est sûr que des garçons l’invite à sortir après les cours.

Elle l’envie un peu, Lou. Pas sûre qu’elle l’accepte, mais elle aimerait bien avoir ne serait-ce qu’une invitation. C’est bon pour l’égo. Mais non, ce sont toujours les mêmes qui en reçoivent. Ça, et les chocolats pour le white day. Toujours les jolies filles, avec des cheveux qui brillent, et des jupes au-dessus des genoux, et qui sentent bon.

« Y’a pas de quoi être jalouse, ils sont tous simples, tout le monde en a des comme ça. » Elle aimait bien les cheveux de ses amies, en France. Bouclés, lisses, souples. Bruns, blonds, roux. Une multitude de couleurs et de possibilités. Maman ne veut pas qu’elle se les teigne. “Faut être fière de sa couleur ! Ce sont nos racines”. N’importe quoi. Lou aimerait bien tester le bleu. Rien que sur les pointes ! Mais ce serait trop d’entretien. « Tes cheveux, tu les colores ? » Ils sont trop beaux, et trop clairs, pour être vrais.

Alors comme ça ils sont vrais ! Lou se lève immédiatement de surprise. La barrette de Tsumugi manque de tomber à la renverse, et quelques gouttes d’après-shampoing s’écrasent sur le sol. Vrais de vrais de vrais !? Rien n’étonne plus Lou. Alors, des blondes, elle en a croisé plusieurs sur le campus, mais des aussi jolies !

« Non mais tu te fous de moi ! »

Elle est pas toujours très maline, Lou, et n’est pas la meilleure pour l’empathie, mais il n’y a pas de doute. Non, Tsumugi ne se moque pas d’elle, et semble véritablement gênée par la couleur de ses cheveux.

« Ils sont trop beaux ! Tellement mieux que noirs ! » Elle se reprend. « Je suis sûre que t’es méga-jolie aussi avec des cheveux noirs, hein ! C’est pas le souci. » Elle se racle un peu la gorge, elle s’enfonce, non ? « Mais c’est lumineux, et brillant, et ça va super bien avec ta peau ! »

“Et ça change de ce que l’on voit d’habitude.” Non, ça Lou ne le dit pas. Elle le pense, vraiment très fort, mais ça ne sonne pas pour un compliment. Différer la norme, ce n’est pas toujours facile à vivre. Pour Lou, c’est un concept complètement étranger, elle qui est très normale. Il a bien sa peau, un peu trop brune, mais ce n’est pas aussi évident qu’une chevelure blonde.

« Moi j’aime tes cheveux en tous cas, j’espère que tu les aimeras autant que moi un jour ! »

La voix aiguë de Tsumugi fait sursauter Lou. Les yeux écarquillés, elle regarde son aînée. Elle est capable de faire de tels sons, Tsumugi ? Lou était certaine que sa voix, douce, ne pouvait jamais monter. On se fait des images, des gens. Et puis, elle est surprise, aussi, de sa réaction. Difficile de se mettre dans la peau de l’autre, et de savoir pourquoi elle est si heureuse. Lou n’est certainement pas la première personne à complimenter ses cheveux, si ?

Tsumugi est belle. Lou n’a aucun doute qu’elle plaît. Et ses cheveux blonds est certainement l’une de ses qualités les plus évidentes. Mais Lou, elle n’a jamais vécu le rejet. Son grand-frère, davantage. Quand il est arrivé au Japon, il ne parlait que français, et ses camarades de collèges se sont amusés de son accent. Lou, elle était trop petite, et apprenait tout juste à lire, alors sa différence était davantage une curiosité qu’un moyen de se moquer pour ses camarades.

Elle ose pas, murmurer, “de rien”. Ni encore se justifier. Ce serait en rajouter une couche. Elle préfère attendre, Lou, que Tsumugi s’affaire. Elle se laisse chouchouter, comme une enfant. Et une fois la serviette posée, elle demande : « Combien de temps ça doit poser ? »

Comme une couleur ? Trente minutes ? Lou n’en sait rien. Elle n’a jamais fait de soin. A vrai dire, elle n’a jamais fait de couleur non plus. C’est trop de temps. Pourtant, elle serait tentée par une mèche rouge ou une mèche verte devant son front. C’est cool.

Ok. Cinq minutes !

Une.
Deux.
Trois.
Quatre.
Cinq !

Quoi ? Ça ne fonctionne pas comme ça ?

Lou ne va pas râler. Elle se l’évite. Ce serait très désagréable pour la pauvre Tsumugi qui prend soin d’elle. Mais cinq minutes, ça lui semble énorme. Cinq minutes à rien pouvoir faire, sans bouger du tout ! Cela dit, ça pourrait être pire. Lou, une fois, a cru exploser dans un salon de coiffure. Sa mère avait insisté pour qu’elles fassent une sortie “entre filles”. Maman, elle, et Anna, sa grande sœur. Soin, coupe, couleur, le TOUT ! Elle était restée plus d’une demi heure avec de l’aluminium dans les cheveux.

Comme si elle était un poulet.

La lycéenne ferme les yeux lorsque son aînée passe le coton sur son visage. Elle se laisse complètement faire. Un peu comme une poupée, ou une tête à coiffer. Elle n’est pas vraiment certaine d’aimer ça. C’est agréable, d’être pomponnée, surtout par Tsumugi, qui est d’une grande douceur. Mais c’est aussi assez frustrant, de ne pas pouvoir bouger. Il y a comme des centaines de petites fourmis qui remontent le long de ses doigts jusqu’à ses poignets. Elle aimerait se secouer, secouer, secouer, pour toutes les faire tomber.

« Oh…» La réaction de Lou en dit long. Elle est tellement enthousiaste pour parler de sa mère, son père, sa mamie, le restaurant, ou même n’importe quel autre sujet. Mais les frères et les sœurs, c’est un peu le point sensible. « Oui j’ai un grand-frère, Mathéo, et une grande-sœur, Anna.» Puis, elle ne dit plus rien. Pas leur âge. Pas ce qu’ils font. Encore moins qui ils sont.

Oh non ! Oh non non non non. Lou a transpiré le manque de confiance en elle. Elle le sait. Elle le voit dans le regard de Tsumugi. Elle a compris. Lou aimerait bien, faire fi de sa relation avec sa fratrie. Après tout, on ne choisit pas sa famille, et on ne peut pas l’obliger à nous aimer. Pourtant, elle souffre du dédain de Mathéo et d’Anna. Elle ne le comprend pas toujours, surtout. Lou, elle aime vivre pleinement, sans trop réfléchir au comportement des autres. Elle n’analyse pas très bien. Elle ne se rend pas compte de combien la France leur manque, à eux.

Alors, qu’elle ne lui manque pas du tout, à elle.

Heureusement, Tsumugi change de sujet. Et mentalement, Lou la remercie. C’est beaucoup plus simple pour elle de parler de ses parents, de ses origines.

« Mathéo non plus ! »

C’est peut-être même le nom le plus français des trois. Anna s’en sort bien, c’est facile à prononcer pour les natifs, Lou, aussi, même si c’est moins commun.

« Je suis née en France. J’étais petite quand on est venu au Japon, huit ans je crois ! Mais mes deux parents sont japonais, ils ont fait leurs études là-bas ! »

Et n’y sont jamais plus retournés.

Lou sourit. A grandes dents ! Elle aussi, elle aime son prénom. Elle aime bien sa sonorité. Elle ressemble à celle de l’animal de la forêt, à grandes oreilles et au pelage gris : « Je ne crois pas si c’est lié, mais ça ressemble au mot “loup”, en français. » C’est beaucoup moins mignon, mais la jeune lycéenne se préfère féroce. Elle est du genre à sauter partout, à ne pas cesser de tester de nouvelles choses, et peut même grogner quand on touche à ses proches.

Lou hoche la tête. C’est mignon, cette histoire. Elle aime bien les histoires d’amour, même si les siennes n’existent pas encore. Elle espère vivre une grande romance, qui durera longtemps. Comme ses parents, et comme ceux de Tsumugi, apparemment. Des fois, elle se demande s’il faut qu’elle parte de l’autre côté du monde pour rencontrer l’âme sœur. Qui sait, c’est peut être plus simple d’être lesbienne en Europe ?

« Je vais me rincer les cheveux, alors ! » Elle hoche la tête, pour montrer qu’elle a bien compris. Elle va se les rincer, jusqu’à qu’il ne reste plus une goutte du produit, jusqu’à qu’ils crissent sous la peau des mains. Elle se redresse, mais avant de partir vers la salle de bain, elle s’arrête. Une question, liée à cette histoire de prénom, la taraude :

« Toi, tu serais quel animal ? » Elle regarde Tsumugi, assez attentivement. Elle attend la réponse, mais au fond, elle a déjà son idée toute faite. Tsumugi ressemble à un lapin. Elle est douce, elle est mignonne. Un joli lapin, de ceux qu’on élève en appartement, et qui sentent bon. Pas un lapin de ferme.

Un chat. C’est vraiment une réponse mignonne. C’est vraiment une réponse qui ressemble à Tsumugi, en fait. C’est bien plus juste que le lapin. Un peu plus féroce, aussi. Dans les yeux de Tsumugi, il y a quelque chose de fort. Elle n’a pas l’air d’avoir peur. Alors, la jeune lycéenne se contente de hocher la tête. Tsumugi est un chat.

Et alors qu’elle allait partir se laver les cheveux, la remarque de Tsumugi l’arrête. La bouche en “O”, et les yeux écarquillés, elle s’exclame : « GENRE ! » Lou ne connaissait pas du tout cette anecdote. Finalement, elle n’a jamais fait le rapprochement entre son prénom et sa signification japonaise. Mais ça lui plaît bien, de pouvoir être une forme de déesse, elle qui se pensait plutôt paladin.

« Je tâcherai d'être à la hauteur de vos espérances. »

Elle se courbe, comme dans les séries historiques que sa grand-mère regarde à la télé. Ça lui donne de la prestance. Puis elle se redresse, un sourire mâlin aux lèvres.

« Je reviens ! »

Et puis elle file, jusqu’aux lavabos, pour prendre soin de ses cheveux. Elle fait vite, parce que l’eau est un peu froide. Elle fait vite, parce qu’elle n’aime pas le silence des sanitaires. Elle a l’impression qu’un fantôme pourrait sortir des tuyaux et l’attaquer. Et même si Lou n’a pas peur des fantômes, elle préfère les confronter en groupe que toute seule. Alors, elle revient rapidement, les cheveux tout mouillés, et ses épaules protégées par la serviette.

Lou obéit, sans broncher. Elle fait tout ce que Tsumugi lui dit de faire. C’est agréable, de jouer au petit robot. Lou n’est pas du genre à se prendre la tête pendant des heures, et pouvoir se laisser guider, c’est un vrai plaisir. Elle se met à l’aise, sur la chaise. Quelques gouttes tombent sur le parquet. Il faudra qu’elle pense à les sécher, avant que les deux autres colocataires ne s’en rende compte. Elle ne voudrait pas passer pour une crado.

Elle fait très attention, Lou, depuis qu’elle est dans la chambre. Alors, certes, son espace est souvent rempli de vêtements dérangés, mais sinon, rien ! Chez elle, elle a tendance à oublier quelques mouchoirs, et des paquets de gâteau. Elle a assez peur de passer pour une mauvaise fille. Il n’y aurait rien de pire que d’être détestée par ses colocataires. D’être détestée tout court, en fait.

« Tu veux parler de tes histoires de coeur ? » Maintenant qu’on parle soirées pyjamas, elle a envie de savoir, Lou. « Ou celles des autres ? » Elle n’est pas commère, elle aime juste les bons récits.

Lou ne comprend pas tout ce que fait Tsumugi à sa crinière, mais elle la laisse faire. Parfois la brosse tire un peu trop fort, mais Lou ne bronche pas. Il lui en faut bien plus pour se plaindre. Elle peut grimacer, mais guerre plus. Alors, elle essaye de rassurer Tsumugi en répondant : « Non, non, t’inquiète pas, tu peux tirer, j’ai même pas mal. » Et elle écoute, les conseils. Elle aimerait lui dire, qu’elle le fera tous les soirs, mais elle risque d’oublier. Quand elle saute dans son lit, elle n’a que très rarement envie de le quitter.

Il lui arrive même de se mettre sous la couette sans se laver les dents !

« C’est un peu fort, comme odeur, mais j’aime encore bien. » Elle n’est pas habituée aux produits de beauté, et tous ces parfums, qui se mélangent, ça a quelque chose d’un poil trop enivrant.

Genre ! Elles n’existent pas ! Il y a bien des petits trucs. Des mini histoires. Des choses de rien du tout. Le genre de rien du tout que l’on garde pour nous, bien dans la poche, et qu’on ne dit qu’en de rares occasions. Et là, tout de suite, c’est une rare occasion ! Ce n’est pas tous les jours que l’on se fait des soirées pyjamas, que l’on se touche les cheveux, et les coiffe et les brosse !

Lou a bien du mal à croire qu’elle n’a aucune histoire à raconter. Même Lou, elle en a. Bon, ce ne sont pas de superbes histoires… Mais ce sont quand même des histoires, et ce n’est pas rien ! Mais pourtant la lycéenne s’empêche de râler. Après tout, Tsumugi tient ses cheveux en otage.

Et alors qu’elle comptait abandonner, une petite lueur d’espoir. Pas question de lâcher le morceau, alors Lou, elle saute tout de suite sur l’occasion : « C’était qui ? Il venait d’où ? Il était beau comment ? Et pourquoi c’n’était pas la bonne ? Finalement c’était un naze ? Genre, un gros gros naze ? » Elle oublie complètement la question de Tsumugi. Elle parlera de ses histoires de coeur après ! Ici, c’est donnant-donnant.

Pendant l’histoire, Lou ouvre grand la bouche, un peu sous le choc. Elle adore, les petits ragots amoureux. Elle trouve que les récits de ses amies sont toujours fantastiques. Que ce soit Tsumugi, ou les autres filles de l’entourage, il y a toujours des rebondissements. Si la finalité est souvent la même : les garçons, tous des cons, Lou aime bien s’intéresser à toutes les péripéties.

Elle hoche la tête, quand Tsumugi le décrit. Un beau gosse, donc ! Un super méga beau gosse ! Lou n’est pas si sensible que ça aux grands garçons, elle préfère les filles de sa taille. C’est plus pratique pour les bisous. Mais elle l’écoute. L’histoire, elle est tuée dans l’oeuf. Et pour une raison ridicule. Pour une raison complètement discriminante. Alors, Lou, un peu énervée, répond simplement par : « Oui ! Un maxi méga turbo gros naze. Le genre de gros naze qui n’a rien d’autre pour lui que d’être grand. Honnêtement, heureusement que ça s’est fini là ! Il aurait pu être trop méchant. »

Genre, irrespectueux. Genre, pas correct avec les femmes. Genre, insistant avec sa meuf. Le genre de mec que Lou déteste, et dont elle a presque, honnêtement, un peu peur.

Puis c’est à son tour. Alors, ses joues rougissent. Elle regarde vers ses pieds, qu’elle balance dans le vide. Il y a bien quelqu’un, en ce moment. Et ce quelqu’un il habite loin, loin, très loin. « Je suis dans une relation à distance. » Elle s’appelle Louise, et c’est une française, mais ça, difficile de le dire à Tsumugi. Alors, elle change le pronom. « Je l’ai rencontré sur Instagram, on discutait autour des photos de mes gâteaux, et puis on a continué à parler, parler, parler… Jusqu’à ne pas s’arrêter. On s’est jamais vus, mais bon ça fait quelque chose. » Lou, elle aimerait mieux vivre une vraie relation, dans laquelle elle peut toucher sa copine, mais à défaut de, ça permet d’attendre.

Toute sa vie, non, Lou le sait, Tsumugi ne peut pas rester seule toute sa vie. Elle est trop belle pour ça. Et puis trop gentille. Et puis trop douce. Elle doit bien être le type idéal de quelqu’un ! Elle pourrait être celui de Lou ! Quoi que, Lou, si elle aime bien les blondes, aime bien les filles un peu plus extraverties. Avec lesquelles on peut aller jusqu’au bout de monde ! La lycéenne ne connaît pas encore très bien Tsumugi, alors elle a l’impression qu’elle est plutôt timide.

« Tu sais, si t’es encore seule dans 10 ans, promis, j’serai là. » Un clin d’oeil. C’est plus une blague qu’autre chose. C’est pas comme si Lou proposait vraiment à Tsumugi d’être ensemble. Elle ne pourrait pas proposer ça si légèrement à une fille. Pas pour le moment !

Lou se regarde dans le miroir. Elle n’a pas l’habitude de se voir coiffée. D’habitude, ses longs cheveux noirs et raides tombent le long de ses épaules, sans forme. C’est joli. Vraiment joli. Elle remercie Tsumugi discrètement. Elle n’a pas l’habitude de s’attacher à son apparence.

Puis, sa colocataire pose la question des photos. Oh merde, les photos. Comment dire… Lou n’est pas vraiment la meilleure pour mentir, mais elle ne peut pas assumer sans ensuite les montrer. « Eh bien… » Oui, oui, bien sûr qu’elle a des photos. Des dizaines ! Quasiment tous les jours. C’est bien ce qui permet la relation à distance, cette profusion de photo. Au final, elle et Louise, elles ne parlent jamais. C’est surtout cette relation visuelle qui lui permet de se sentir amoureuse. « J’en ai, mais pas tant que ça. » Si y’a besoin, elle pourrait prétexter les avoir perdu, ou autre. Elle espère surtout que Tsumugi ne demandera pas de les regarder.

Et il y a tellement de questions, tellement que Lou ne sait plus trop auxquelles répondre. Oui, elle est belle, comme un ange. C’est sûrement justement ça qui lui a plu. Et le fait qu’elle soit française. Et le fait qu’elle aime les filles. Lou est tellement désespérée à aimer…

« Honnêtement, je sais pas trop ce qui me plaît… C’est un peu, c’est comme ça. Ça me remplit un peu l’coeur. Mais je ne sais pas si j’ai besoin qu’on se voit, pour le moment, ça me va comme ça. »

Elle a l’impression que c’est une bonne raison. Que c’est une bonne explication. Mais tout pue le fait qu’elle n’est pas amoureuse de Louise.

Oh non, oh non, oh non, non, non, non ! Voilà justement que Tsumugi pose la question. Oui, LA question. Celle qu’elle ne devait pas poser. Celle qui pourrait mettre Lou dans la pire des situations. Parce que Lou, même si elle a très envie d’assumer son homosexualité, elle ne se sent pas du tout prête pour ça. Pas tout de suite, pas maintenant. Elle aimerait d’abord en parler à des amis, à des gens qui lui sont proches. Et même si elle apprécie sa colocataire, elle n’est pas du tout prioritaire.

Alors, ça se voit, sur son visage. Sa mine est toute inquiète, et toute anxieuse. Et elle tourne le visage pour ne pas regarder sa colocataire. Elle qui pensait pouvoir éviter le sujet en restant évasive ! Alors elle réfléchit, et il faut qu’elle réfléchisse vite ! A la meilleure solution.

Elle pianote rapidement sur son téléphone, qu’elle cache au regard de Tsumugi. Elle passe sur Instagram et ! Idée de génie ! Elle suit aussi le frère de Louise. Un grand frère, quelques années de plus. Le genre un peu fuckboy, qui met des images de voyage torse-nu devant le coucher de soleil. Ce sera parfait. Lou clique sur la première image qu’elle voit, mais avant de montrer à Tsumugi lui demande :

« Tu juges pas, hein ? »

Juger quoi ? Mais elle ressent le besoin de le lui demander. Parce que Lou, elle trouve le frère de Louise ridicule, à se foutre à moitié à poil sur ses photos. Personne ne lui demande d'exhiber ses plaquettes de chocolat. Et même s’il est bien foutu, la lycéenne ne lui trouve aucun charme. Pourtant, elle doit bien faire semblant.