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Le Doyen
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Le Doyen

Epreuve 5 - Elysion Empty Epreuve 5 - Elysion

Dim 9 Oct 2022 - 11:05




La situation a beau être banale, le quotidien n’en reste pas moins attrayant. Que vous attendiez la fin du cycle de la machine à laver, que vous mangiez le même dessert à la cantine toutes les semaines, que vous patientiez la tête contre la vitre d’un bus, ces fragments de vie sont les rouages d’une trame bien huilée. A vous de sélectionner un de ces instants du quotidien et d’y déceler la beauté dans l’ordinaire.


Vous devrez rédiger votre texte en 3 paragraphes.
La 1ère phrase de chaque paragraphe devra faire parti d'un haïku qui, une fois assemblé, résume l'intégralité de votre texte.


▬ Cette épreuve est un solo.
▬ Vous avez 24 heures pour poster votre réponse.
▬ L'épreuve se termine le dimanche 16 octobre à 23h59.
▬ Les réponses sont limitées à 1500 mots maximum.

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Melkus
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Melkus

Epreuve 5 - Elysion Empty Re: Epreuve 5 - Elysion

Dim 16 Oct 2022 - 17:06
Melkus

Melkus est un ancien marin et aventurier qui a trouvé le calme auprès de sa femme Elsa après une existence tourmentée.



 Les tuiles s’effritent. La fin d’année porte toujours le même masque de vents, de pluies et de glaces. Je regarde par la fenêtre sans la moindre inquiétude. La toiture tiendra nous l’avons renforcée en prévision avec Elsa. Elle m’observe depuis le fauteuil, joliment lové dans les coussins, élégante dans son gros pull gris, son pantalon trop grand et ses chaussettes de laine toutes déformées. Ses cheveux mouillés enturbannés dans une serviette parachèvent sa superbe. Qu’elle brille avec notre petite princesse ou mini prince qui bâtit son royaume en elle ! Je m’autorise un instant à partir loin, à voyager vers un passé tumultueux où je craignais sans cesse que tout se désagrège entre mes doigts. Le navire filait dans les mers du Nord et son bois se craquelait touché par les mille égratignures des frimas. Je n’y voyais rien, surtout pas mon cocon actuel, et je maudissais mon sort façonné uniquement par le gel. J’avais dans la bouche un goût de conclusion puisque la dernière obscurité me paraissait une porte de sortie acceptable à chaque fin de tour pour le monde. Pourquoi repartir après tout ? Existait-il un continent, un pays, une région, une ville, une masure, une personne, une parole, un contact, une odeur, ne serait-ce qu’un soupir qui puisse adoucir la sensation que tout se termine et ne se relance qu’au prix d’une perte ? Non, l’univers me paraissait si étroit, un long couloir funeste où la proximité demeure un mirage. J’avais abandonné la possibilité d’une île, à l’écart de ce cycle infernal, où j’aurais pu me reposer, pas rien ressentir, mais simplement plus délicatement avec une lenteur agréable, une monotonie céleste. Sans m’en rendre compte immédiatement, je serre le bord de la fenêtre. Je respire. Devant moi, les arbres s’agitent, le sable bruisse et les vagues lèchent les roches. Poliment, la nuit commence à s’installer, mais laisse voir pour le moment le tracé des côtes. Le refuge se trouve bien là et même les ténèbres le traitent avec le plus grand respect. Les angoisses d’autrefois se limitent souvent à un sifflement que l’ardoise étouffe. Leurs plaintes diminuent jour après jour, mais leur essence ne disparait pas. Vapeurs subtiles, elles se glissent entre les plinthes, puis leurs murmures grimpent et s’immiscent au creux de mes pores. Ce venin d’araignée ne paralyse pas, mais il dépose au plus profond d’un angle mort quelques-unes de ses gouttes. Je secoue la tête et tapote mes oreilles pour l’évacuer. Je ne peux pas tout avoir, mais cette manie me rassure. La tranquille folie du marin rigide comme le résume Elsa. Si je ne suis plus cassé que de là, que de chemin a été parcouru ! Le craquement s’intensifie sur la toiture. Le temps frappe, mais l’ensemble tient le coup. Oui, il subit, mais ne se rompt pas. Ma respiration se complique. Mes mains tressaillent légèrement. Alors que mes épaules s’affaissent, je sens d’abord son ventre, puis ses bras autour de ma taille. « Chut, tout va bien ».


L’hiver s’époumone encore — mais nous nous en moquons. Tes mains sont dans les miennes posées sur mon torse. Serre, serre, serre pour ne pas que je m’envole. Tu te cramponnes et m’apaises. Tu pointes du bout de ton doigt le givre qui s’amoncelle sur l’herbe au bord du mur et t’en amuses. Avec sa base verte et sa cime blanche, elle se compare aux sommets de ces contrées lointaines que j’évoque parfois quand tes questions s’aiguisent assez pour venir tirer les pans de ces vies que je cache. Ta tête s’appuie sur ma nuque et tu me demandes de trouver le détail du jour, l’élément poignant déposé pour celui qui le cherche. Je fronce les sourcils pour te faire rire. Voici le visage du guerrier prêt à chasser les sapins ricanes-tu. Je parcours de nouveau le paysage, et je suis frappé des changements qui s’y opèrent. La nuit a encore avancé ses pions et je peux suivre du regard la retraite des lueurs d’un côté, la montée océane de l’autre qui bouchée après bouchée dévore la plage, l’accélération des battements des branches d’où volettent des bouquets d’épines chaque fois plus denses, l’intranquillité des roches qui s’apprêtent à boire la tasse ou à être piquetées par les aiguillons blancs du temps. Au cœur de cette fresque, une racine se tenait à l’abri entre les récifs, juste au-dessus de la mer. Elle n’est pas bien épaisse, les dangers se multiplient vite pour elle. Le vent ne manque de la faire vaciller. Régulièrement, sa terre d’attache se creuse et la pierre elle-même porte de nombreux sillons. Les vagues ne la ratent pas toujours, ce sont des obstinées, je les connais, parfois elles s’élèvent suffisamment haut pour venir la fouetter cruellement. Le sel doit alors lui laisser des stigmates sur l’écorce avec lesquels elle composera malgré tout. Elle n’a pas le choix, les apparences sont trompeuses, elle parait solitaire ainsi, mais ils sont beaucoup à compter sur elle. Pas question de céder donc, le renoncement n’existe pas, elle bombe la poitrine face aux éléments, baïnes, foudres, neiges, tempêtes ou tremblements, peu importe votre gueule moche, je tiendrai bon ! Je sens ton front glisser sur mon dos et tu relâches mes mains pour les porter sur ton ventre tandis que tu te plies en deux. Tu hoquettes en riant et finis par te redresser. Quelle héroïne ! dis-tu en levant les bras au ciel. Tu penses qu’elle arrive à dormir avec tous ces gêneurs en permanence ? Je prends un air songeur. La question demande toute une approche métaphysique du végétal. Je réponds enfin, qu’à mon avis oui, et que même si c’est difficile, j’espère pour elle qu’au moment de ces repos bien mérités, aucun mauvais rêve ne vient la troubler. Tu es trop optimiste me lances-tu, elle cauchemarde, c’est une certitude, mais jamais elle n’oublie pour autant qu’elle n’est pas seule et qu’elle a aussi sa place dans cet immense univers — même quand c’est l’hiver.


Sourire ce soir. C’est simple maintenant. Nous sommes là, dehors il pleut et tant pis si le temps décide de déployer toutes ses armes pour nous démoraliser. Pour nous, ça n’a plus d’importance. Enlacés, nous cherchons dans cette quiétude éphémère à être vraiment deux et bientôt trois. Nous ne faisons rien sinon être ensemble ; c’est déjà pas mal. Blottis dans les couvertures, nous écoutons encore le bruit des tuiles, et nous composons l’un après l’autre les partitions de son opéra. D’abord le prélude des gouttes qui frappent la toiture, ensuite l’orchestre accompagne leurs glissades, puis l’air de celle qui poussée par le vent s’est élevée plus haute que toutes ses sœurs, puis les chants groupés des prisonnières de la gouttière, le quatuor des ardoises tombées malades qui profitent de leur toux pour atteindre les tonalités les plus graves, vient alors le récitatif de l’ondée qui se plaint en grommelant de cette toiture qui la repousse, et qui n’est décidément pas très hospitalière… Mais, mais c’est, oui, c’est bien ça, le droit de réponse de cette dernière qui invective ce torrent peu avenant que l’on aurait correctement accueilli, s’il avait eu la simple décence de s’annoncer au lieu de gibouler ainsi chez les honnêtes gens, ah non, mais je vous jure, cette saucée a un toupet… Nous nous arrêtons avant le grand final, tant notre langage a manifestement dérapé. Nous ne pouvons pas faire parler les éléments de notre quotidien, ici présents, comme de grossiers personnages. Nous ne sommes pas prêts pour un genre aussi noble, mais nous n’abandonnons pas pour autant. Dehors, la nuit est tombée, nous ne voyons plus grand-chose. Nous devons être malins pour retrancher ce qui peut encore l’être. Qu’allons-nous sauver de cette journée sur la toile ? Sur le premier plan, l’agonie de la plage parvient à son oasis et échappe aux dents de la mer, sur le deuxième nous rendons hommage aux pins qui entourent notre maison et nous protègent gratuitement, puis nous n’oublions pas la ligne d’horizon qui montre les muscles pour que tout le reste tienne en place, enfin, tout au fond, bien dissimulé, se trouve la racine, négligeable et vitale. Nous en avons fait le point névralgique, le dieu invisible qui relie tout en ayant l’air de ne vouloir être rien. Nous échangeons un regard puis un baiser. La soirée a été douce, mais nous devons accepter qu’elle se termine. Nous relevons les draps et nous glissons l’un contre l’autre. Couvés dans notre nid, nous bénissons la chaleur comme un trésor et dans nos rêves mêmes séparés, nous imaginons que malgré les tuiles qui s’usent, et les ruses de l’hiver, demain sera une plus belle journée qu’hier.
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