Epreuve 1 - Lacrimosa & Kobe High School

Il jeta un regard à son adversaire en face de lui. Un humain qui n'avait probablement jamais connu la misère qui tentait un jeu. Telle fut sa première impression. Lui, du haut de son mètre quatre-vingt seize, était installé sur la chaise qui tenait le coup face à sa masse énorme. Il faut dire que l'homme n'est pas qu'homme, mais aussi buffle. Les muscles saillants d'un travailleur largement mis en valeur par l'absence de haut. Il faut dire que le gabarit ne permettait que du sur mesure, quelque chose qu'il ne pouvait se permettre. Et ses cornes rendaient fragiles tout tissus passant à proximité.

Il détailla ce morceau de viande immense. Il n'avait jamais vu ça. Mais s'il le mangeait en entier il n'avait rien à payer. Ce n'était pas quelque chose sur laquelle il pouvait cracher. Il était loin d'être riche. Enfin, peut être, au sein de la Benne... Il lança un regard interloqué à l'autre à sa proposition. Plus de nourriture gratuite ? Ou était le piège ?

Je veux bien, merci jeune homme.

Lui même ne semblait pas très âgé, mais il accumulait bientôt un siècle d'existence. Il devait sembler avoir la trentaine et malgré son apparence brute de décoffrage, il usait des outils avec précautions. Et il semblait moins imposant que ce qu'il était. Du genre, il se faisait toujours discret pour ne pas être pris dans les tourments de sa situation d'esclave.

Il commença à manger, dégustant sans le savoir l'une des viandes les plus réputée de l'Ancien Temps. Quelque chose d'impossible à Pandémonium. L'accompagnement arriva quelques minutes plus tard. Et il vint rapidement à concevoir l'intérêt. Trop de viande, tue la viande... Quelques légumes permirent le tout de passer plus facilement, comme ces verres d'eau si claire. Mais tout paraissait normal. Il fit un sourire bienveillant à son adversaire.

Très bonne idée l'accompagnement.

Et il ingéra quelques bouchées supplémentaires. La compétition s'annonçait agréable.

Yagaog se régalait de cette viande succulente. Il aurait dû venir avec Zur et Mao, ou peut être Assen. Le poisson était un carnivore si ses connaissances ne le trompait pas. Et pourtant un morceau après l’autre, sa portion diminuait sans qu’aucun de ses proches n’en profita. C’était étrange, mais agréable. Le buffle avait tendance à faire passer les autres avant lui et c’était pire avec l’âge.

Un regard refléta la légère difficulté du buffle à comprendre le nom aux consonances très différentes que celle d’Europe de l’Est auxquelles il était habitué. Même si son nom avait des origines lointaine, lubie de son premier propriétaire probablement, il n’avait pas l’ouïe. Pourtant il savait que l’autre s’était présenté et avait aussi donné sa fonction. Médecin… Ou futur médecin était peut être plus correct. Il acheva sa bouchée.

Yagaog, gérant du Sanglier Bleu.

Puis il reprit son repas, s’attendant quand même que quelqu’un vienne lui voler sa nourriture. Malgré le fait que le lieu était très bien construit. Comme s’il n’avait pas vécu l’Apocalypse… Son corps lui annonça qu’il était repu. Il faut dire que jamais de sa vie il n’avais mangé autant. Et il n’était qu’à la moitié de son assiette. Il était loin d’avoir envie de gâcher cela et encore moins de payer… Surtout payer. Il plongea sa main dans sa poche et ses quelques pièces de néo-euros cliquetèrent alors qu’il les compta. Yep, jamais il allait avoir de quoi payer s’il ne finissait pas. Enfin, il tenta de se renseigner.

Cette viande coûte combien ?

Son regard de glace se posa sur son adversaire, à moins que ce soit un camarade. Qu’importe, il lui parlait. Pas trop fort pour ne pas attirer le regard des organisateurs qui risquerait de le chasser et le faire payer plus loin...

Une centaine de pinte de bières ? Yagaog lâcha ses couverts en jetant un regard affolé à son camarade.

C’est…

Il regarda la viande dans son assiette et récupéra ses couverts.

Je ne suis même pas sûr d’en servir autant en une soirée...

Bon, faut dire qu’il n’avait plus vraiment de bière, juste de l’alcool de champignon de piètre qualité.  Comment s’était-il retrouvé là déjà ? Il ne savait plus. Il devait donc finir son assiette. Que Créatorem… En fait, non, pas lui. Hum, la forme la plus proche de divinité en qui il pouvait croire… Gabriel ? Mouais, autant ne pas chercher à prier. Il respectait l’Archange et lui était reconnaissant de son aide durant l’Apocalypse. Mais de là à le vénérer… Il prit une inspiration et se remit à manger. Avant de finalement regardé le jeune homme à sa proposition. À quel point était-il riche pour balayer cela aussi facilement ? Ou alors c’était pour l’endetter ?

Je vais déjà essayer de finir. Je n’aime pas recevoir la pitié des autres.

Et si ce n’était pas de la pitié, c’était probablement un plan pour le soumettre. C’était pire encore. La charité ? Elle n’existait que très peu à Pandémonium. Et les plus grands acteurs étaient rarement les plus riches. Il ne put s’empêcher de se montrer plus méfiant alors qu’il reprit son repas qu’il espérait gratuit. Et pour cela, il devait finir. Donc manger, quitte à ce que cela soit doucement mais sûrement.

Cette somme faramineuse ne semble pas vous inquiéter. Personnellement, je pense que j’aurai dû regarder à deux fois avant de retenir le « repas gratuit ».

Il avait fait une erreur et il était forcé de le reconnaître. Mais le jeune homme allait devoir le convaincre de sa bienveillance et de son absence d’arrière pensée pour que le buffle accepte de se faire payer son repas. Enfin, s’il ne finissait pas son assiette. Et bizarrement, le prix lui donne un regain de courouge pour continuer à manger comme jamais dans sa vie.

Yagaog doutait qu’un simple verre puisse rembourser une telle dette. Surtout que jamais un riche allait se perdre dans la Benne. Il allait se faire dépouiller, tabasser avant même d’arriver au Sanglier Bleu. Et il lui avait donné du papier ? C’était quoi ce papier d’extra bonne qualité. Il la regarda sur tous les angles avant de finalement essayer de lire. Y avait-il besoin de dire qu’il n’avait probablement pas l’éducation pour une telle chose ? Il finit par la poser sur le côté et reprendre son repas. Surtout que son aimable adversaire avait finit. Parmi les premiers, les autres qui partaient le faisaient par abandon. Et certains avaient visiblement pas tout à fait les moyens pour…

Bravo pour votre réussite.

Yagaog se mit à manger à nouveau. Il acheva d’abord les légumes et pour le reste de viande. Il allait devoir se débrouiller. Mais il ne lui en restait que peu par rapport à ce qu’il avait au début. Il se rassurait. Il pouvait finir, il avait foi en lui même. Oui, il avait toujours du mal a accepter la possible charité de Himuro.

Vous êtes de bonne compagnie, c’est très sympathique à vous de m’accompagner encore dans cette épreuve.

Et là, il entrevoyait bien sa propre réussite. C’était une agréable journée, dans un endroit riche et bien entretenu qu’il ne situait pas très bien à Pandémonium. Et à cela, s’ajoutait un jeune homme de bonne compagnie.

Vous dites ne pas apprécier votre famille, alors pourquoi accepter de recevoir quelque chose d’eux ? Il doit bien y avoir une contre-partie, non ?

Rien n’était gratuit. Le buffle le savait. C’était impossible. C’est bien pour cela que les Manticores étaient dans une telle situation et qu’il avait choisi la voie de la révolte. Pour que les siens aient plus de droits.

Yagaog fronça des sourcils. Il doutait du bien fondé des mots de Himuro. Mais c’était peut être lié au fait que les grandes familles riches qu’il connaissait ne laisserait pas ce genre de vilain petit canard en liberté.

Tant que cela ne vous mets pas en danger...

Parce qu’après tout, il allait lui même profité de lui s’il ne parvenait pas à finir. Et il le sentait que c’était trop ce qu’il mangeait. Et sa résilience pour se forcer à manger était en train de perdre face à la difficulté de ce fait. Dire que le rêve simple d’un affamé était de manger un immense festin… Ce n’était en réalité pas si simple. Ce fut donc le jeune homme qui paya sa portion. Il n’en restait qu’un cinquième voire moins. Mais il ne pouvait plus manger, son estomac lui criait de régurgiter le surplus.

J’ai de nombreux amis pour qui un repas gratuit sera une offre alléchante. Mais tous n’auront pas la chance de trouver une bonne âme comme vous.

Ils avancèrent, se rapprochèrent de la sortie. Il était temps que cette pause cesse. Le buffle avait des responsabilités. Il était repu comme jamais et n’avait pas une dette envers quelqu’un qui voulait l’asservir. Il doutait même de pouvoir jamais rembourser cela.

Ce fut un plaisir partagé, Himuro.

L’heure de la séparation avait sonné. Chacun prit une direction opposée. En trois pas, Yagaog retrouva des rues qui lui étaient plus familière. Un regard derrière lui, lui annonça que ni Himuro ni tout ce qui appartenait à l’évènement avait encore corps. Tout avait disparu en quelques pas qui sépara les deux mortels. Mais il répondu tout de même comme un écho d’une étrange connexion.

À la prochaine.