Photographier l'âme du ciel

Première sortie avec le Club de Photographie et il a fallu que ce soit de l'astrophotographie, une discipline que Ryuji ne maîtrisait pas réellement mais qu'il avait déjà pu expérimenter par le passé. Autrement dit, il était dans la pire position : ni débutant, ni expert. Qu'à cela ne tienne, s'il ne pourra pas briller par sa maîtrise, il brillera par son sens organisationnel à toute épreuve !

Cependant, il avait quelque peu surestimé le travail de référent de club : au final il était plus administrateur-concierge que réel participant, son rôle pouvait presque résumé à celui du gratte-papiers des plus basiques mais il s'y refusait catégoriquement. Il espérait secrètement être un référent de club apprécié pour ses durs efforts par les membres du club ; un peu comme semblait l'être une certaine collègue coréenne ; encore elle.

Le bus arrivé, le matériel chargé dans la scoute à bagages, il ne restait plus qu'à accueillir les étudiants et partir à destination. Fort heureusement, celles et ceux qui s'étaient inscrits arrivèrent tôt et ils purent démarrer sans trop de retard sur le planning très précis que Ryuji avait fait sans sa tête. Il espérait arriver suffisamment tôt pour pouvoir s'installer mais pas trop non plus : il n'y avait rien de plus gênant de faire la conversation avec des étudiants dont les seuls liens sont un club auquel on ne participait même pas.

Une fois sur place il ne restait plus qu'une petite rando pour atteindre le point d'observation. Himuro avait bien organisé la sortie, personne ne pouvait lui enlever ! Il ne restait plus qu'à attendre l'heure fatidique et l'apparition des astres dans le ciel.

En tant que référent du club de photographie, Ryuji avait la responsabilité ô combien importante de veiller à ce que l'organisation des activités soit aux petits oignons... Ce qui consistait principalement à signer de la paperasse et à négocier quelque financement pour les sorties et les projets un peu plus coûteux, comme celui-ci par exemple. Il s'était démené pour obtenir des marabouts et du matériel assez qualitatif pour permettre aux élèves de profiter de la nuit sans se soucier de quoi que ce soit. Enfin, il avait fourni le financement et les autorisations. Le reste, c'était la popote d'Himuro !

Il s'amusa à compter les étudiants sortis du bus, cochant la case à côté de leur nom au fur et à mesure. A priori tout le monde était là si ce n'est une élève de première, Lou quelque chose. Il haussa les épaules et pénétra dans le bus, profitant de l'occasion pour regarder sous les sièges à la recherche de déchets à jeter. Autant faire en sorte de rendre le bus dans le même état qu'emprunté ! C'est alors qu'il entendit des ronflements depuis le fin fond du véhicule. Curieux, il se dirigea vers eux et fit la découverte d'une jeune fille tellement endormie contre la vitre qu'elle aurait pu laisser une large trace de bave sur cette dernière.

Tsss... Allez, on se réveille, là ! Hop ! dit-il en ricanant tout en tapant du pied sur le siège adjacent à l'élève, qui dût se réveiller en sursaut probablement.

Il tourna les talons en lui indiquant la sortie et ne fit pas mine de l'attendre : il avait d'autres choses de prévues. En sortant il entendit la jeune Sumire proposer d'aller chercher du bois. Personne ne semblait vouloir l'accompagner alors il se proposa :

Je veux bien. Ca me dégourdira les jambes.

Il sortit une sorte de sac rigide en bois de la soute à bagages, l'un de ces sacs traditionnels qui servaient à transporter du matériel lourd comme du bois, et se prépara au départ avec l'étudiante, tout en regardant suspicieusement en direction du bus si Lou avait enfin émergé du sommeil du juste.

Ryuji accompagna donc Sumire prendre du bois. Il balançait les pommes de pin que lui tendait l'étudiante dans le sac et en profita pour choper des brindilles en plus de quelques bûches. Rien de tel que des pommes de pin pour démarrer un feu. Les brindilles serviront à ce qu'il dure un peu et transmettre la chaleur aux bûches. Une fois celles-ci enflammée, c'était bon. Le sac plein, il revint au camp juste à temps pour voir Himuro parler de démarrer.

La petite qui avait bullé dans le bus était sortie et avait proposé le torchon qui faisait office de journal de l'école comme aide pour le feu. Manquait plus qu'une étincelle. Ryuji avait son briquet mais il avait envie de se la péter un peu alors il s'approcha avec une ficelle qui trainait dans sa poche et une brindille, créant un arc. La réussite de cette entreprise dépendait de son skill de survivaliste...

Allez, laissez-moi vous montrer comment on fait., dit-il un peu fièrement en se mettant en position.

Il eût beau frotter aussi fort qu'il le pouvait, il n'obtint que quelques étincelles et deux ou trois début de départ de feu. Pas de quoi démarrer un feu de camp. Pour le côté survivaliste, on repassera. Son père serait consterné de le voir aussi peu doué. En dernier recours, il sortit son briquet, agacé, et alluma un bout du journal de l'école pour démarrer le feu, qui finit par prendre.

Voilà !, dit-il en Français, encore un peu salé. C'est fait, n'en parlons plus.

Aussitôt fait, il se releva et partit en direction du bus pour se planquer derrière. Cet agacement lui avait donné envie d'allumer une cigarette mais étant le seul adulte en compagnie d'adolescents de l'école... il ne pouvait pas se permettre de fumer comme ça comme si de rien n'était. Tant qu'Himuro, le monsieur-je-sais-tout du groupe ne le voyait pas, il était tranquille.

Ryuji s'était entre-temps éloigné du bus et du groupe, pour rejoindre un petit spot d'observation pas piqué des hannetons. Il avait une vue panoramique sur la vallée et les alentours et même un oeil sur le camp de base qui se construisait petit à petit. Même s'il n'était officiellement que "gratte papier", il ressentait une certaine fierté de voir une sortie de club démarrer sur les chapeaux de roue. Bon, c'était sans compter sur Himuro qui se dirigeait dangereusement vers lui. Il fit mine de planquer au plus possible sa cigarette lorsqu'il arriva à sa hauteur.

Ah tiens. Tu viens installer tes petits appareils ici ? Je savais pas que c'était l'observatoire., dit-il pour faire la conversation.

Sentant le foyer de sa cigarette lui chatouiller les doigts, il changea de main et secoua celle qui faillit être brûlée par son addiction. Il lança un regard mi-désabusé, mi-sévère à l'étudiant.

Tu n'as rien vu, on est bien d'accord ?, demanda-t-il en portant la cigarette à son bec, toisant un peu Himuro du coin de l'oeil.

Il ne voulait pas être intimidant, juste garantir un peu de calme dans sa carrière. Fumer n'était pas très bien vu au Japon en général, alors un professeur fumeur c'était encore plus mal vu. Ne parlons pas d'un professeur fumeur pris en flagrant délit par le président du club dont il est référent. Ca fait beaucoup de conditions mais c'était l'équation parfaite pour se mettre dans de beaux draps.